A propos de la Résistance française, du 22 juin 1941 à Paris et de mère Marie (Skobtsov)
Nikita et Xenia Krivochéine, 18 mai 2015
Traduction Elena Lavanant

La Conférence internationale « L’émigration russe dans la lutte contre le fascisme » s’est tenue dans la Maison de l’émigration russe Alexandre Soljénitsyne les 14 et 15 mai 2015. Elle a été organisée avec le concours de la Commission gouvernementale pour les affaires des compatriotes à l’étranger, du Comité de la Douma d’Etat de la Fédération de Russie pour les affaires de la CEI, l’intégration eurasienne et les relations avec les compatriotes, du Fonds de soutien et de protection des droits des compatriotes à l’étranger du Département de la culture de la ville de Moscou.

Des émigrés de nombreux pays, dont nous, ont été invités à cette conférence. Le programme étant très intéressant, nous avons accepté avec enthousiasme. Hélas, le sort en a décidé autrement, et au dernier moment nous avons dû renoncer au voyage.

A propos de la Résistance française, du 22 juin 1941 à Paris et de mère Marie (Skobtsov)
Xenia et Nikita Krivochéine ont adressé des mots de bienvenue à la Conférence, qui ont été lus par le directeur de la Maison de l’émigration russe Victor Alexandrovitch Moskvine.

Baptême du feu à cinq ans

Chers amis,
Je remercie vivement Victor Alexandrovitch pour son invitation, que nous n’avons pas pu honorer, à notre grand regret. Nous remercions également Natalia Dmitrievna Soljenitsyne et la Maison de l’émigration russe, qui depuis longtemps est devenue un foyer cher à nos cœurs.
Peut-on considérer son fondateur, Alexandre Issaïevitch, comme un émigré ? Bien sûr, bien que son départ ait été forcé, et non volontaire. Ainsi, sa participation à la guerre pourrait devenir l’un des sujets de nos discussion, si l’on prend en considération les raisons pour lesquelles il n’a pas pu combattre jusqu’à la Victoire et fêter le 9 mai 1945 avec ses camarades de régiment. Et il y a eu tant de soldats et officiers privés comme, Soljenitsyne, de ce bonheur.

J’ai 81 ans, et je suis encore loin de l’âge d’un authentique vétéran, pourtant je pourrais essayer de raconter le début de la Deuxième guerre, l’exode de Paris, le pilonnage du village de Chabris. C’est là que nous nous cachions dans la forêt avec Mikhaïl Ossorguine, Tatiana Bakounina, les membres de la famille Ougrimov, qui seront parmi les célèbres « Invisibles », Sofia Viazemsky, épouse du colonel de l’armée française Andreï Viazemsky. Je me souviendrai toujours de ce baptême du feu à l’âge de cinq ans.

Je me souviens également de ce matin dominical du 22 juin 1941. Notre récepteur radio à tubes est branché, comme toujours. Nous entendons les vociférations de Goebbels, mon père court vers le téléphone, à ce moment on entend sonner à la porte. J’ouvre et je vois des officiers allemands, pistolets à la main, mon père est immédiatement arrêté, comme de nombreux Russes de Paris, et envoyé dans le camp de Compiègne. C’est là qu’il rencontre Fondaminski et d’autres futurs Résistants, qui le présentent à mère Marie (Skobtsov).

Après la libération du camp de Compiègne commence la participation d’Igor Alexandrovitch à la « Cause Orthodoxe » fondée par mère Marie. Ma mère m’emmène rue Lourmel, aujourd’hui rue Mère Marie. Je me souviens très bien des moments passés dans la cellule de la future sainte, la force de son image et de sa présence restera à jamais gravée dans ma mémoire.

Un autre souvenir mémorable de l’hiver 1943. Radio Moscou, non brouillée à Paris, fait entendre un nouvel hymne se substituant à l’Internationale. Mes parents essaient de m’expliquer ce que cela signifie.
J’aimerais raconter plus en détails l’aide considérable accordée par Igor Alexandrovitch au Commandement des forces alliées, grâce au commandant de la Wehrmacht Wilhelm Blanke, fusillé par le tribunal militaire allemand en 1944 pour haute trahison, vénéré aujourd’hui en Allemagne. Travaillant dans l’état-major de l’armée allemande en France, il s’est proposé pour transmettre tout ce qu’il savait pour approcher la fin du national-socialisme. Il suivait la doctrine de l’Eglise en refusant d’obéir aux ordres manifestement criminels et en partant des critères évangéliques du Bien et du Mal. Il en paya le prix et fut exécuté. Il a exposé ses motifs dans sa dernière déclaration.

Igor Alexandrovitch a subi onze jours de tortures dans la Gestapo parisienne, dans une baignoire remplie d’eau glaciale, puis a passé plus d’un an à Buchenwald et Dachau, où il fut également torturé et finalement libéré par les Alliés, dans un état de dystrophie avancée.
Le jour de la Victoire le carillon sonne dans toutes les églises de Paris. C’était un feu d’artifice de joie, de fraternisation avec les Anglais et l’armée du général Leclerc, avec les G.I. américains. Mais maman et moi sommes tristes, nous n’avons aucune nouvelle d’Igor Alexandrovitch.

Les façades sont ornées de quatre drapeaux des pays vainqueurs, nous voyons qu’il y a beaucoup d’immeubles sans drapeau soviétique… C’est là que le jeune prince Constantin Andronikov rentre de la campagne à Paris ; par la suite il deviendra le génial interprète du général de Gaulle, de Georges Pompidou et de Giscard d’Estaing, un célèbre théologien et liturgiste.Il m’a fait l’honneur de me considérer comme son ami.

Il a comme une intuition : avec des draps et colorants domestiques il fabrique quelques drapeaux tricolores russes et les accroche sur la façade de son immeuble. A cette époque déjà Constantin Andronikov anticipait l’avenir. Nous avons eu la chance, Xenia et moi, de le voir de nos propres yeux le 31 décembre 1991 : c’était la victoire de la Russie, lorsque à minuit la bannière prolétarienne rouge fut baissée de la coupole du Palais des Soviets du Kremlin, et le drapeau russe hissé à sa place.

A propos de la Résistance française, du 22 juin 1941 à Paris et de mère Marie (Skobtsov)
En 1944 mes parents m’emmènent en URSS. En 1951 la Conférence spéciale auprès du Ministère de la sécurité d’Etat de l’URSS condamne mon père à 10 ans de camps de travail pour « collaboration avec la bourgeoisie internationale » (il a eu le malheur de travailler pour les services de renseignement britanniques… et de ne pas périr dans des camps nazis). Mais à quelque chose malheur est bon : Igor Alexandrovitch séjourne dans le camp de Marfino, celui du Premier cercle, et c’est là que naît son amitié avec Alexandre Issaïevitch et Lev Kopelev.

Après sa détention dans les camps Ozerlag à Taïchet, mon père est libéré et réussit, à partir du milieu des années 1960 (lorsque cela devient possible) à se consacrer à une nouvelle vocation, qui servira de contre-poids à son naïveté des années d’après-guerre : en collaboration avec Natalia Kalma, il commence à raconter, pour le magazine « Ogoniok », les éditions Gospolitizdat , la Bibliothèque nationale de littérature étrangère, les destinées de mère Marie, Boris Wildé et Anatole Levitsky (réseau du Musée de l’Homme), Radichtchev, Nikolaï Wyroubov, Vika Obolensky… Ainsi, après la guerre et avec l’assistance de ma mère, il poursuit l’objectif qu’il s’était posé en 1946 : publier à Paris « Le Messager des volontaires, partisans et résistants russes en France ».

Le travail de mon père est repris, contre toute probabilité statistique, par Xenia Krivocheine, créatrice du site internet le plus complet consacré à mère Marie et à la Résistance russe en France. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages en russe et français consacrés à la sainte, et d’une monographie à paraître prochainement.

Nikita Krivochéine, Paris

A propos de la Résistance française, du 22 juin 1941 à Paris et de mère Marie (Skobtsov)
La vraie victoire sur le Mal

Chers amis,

Je regrette que les circonstances nous aient empêchés, Nikita et moi, d’assister à cette manifestation.
Je voudrais vous parler de la Résistance chrétienne allemande pendant la guerre, du réseau la « Rose Blanche », et partager avec vous les dernières nouvelles concernant la prochaine parution de mon livre consacré à mère marie (Skobtsov) aux éditions EKSMO.

La propagande soviétique a fait que jusqu’à ces derniers temps on considéra en Russie que la Résistance antinazie allemande fut la prérogative exclusive de la clandestinité communiste. Les informations sur « l’autre » Résistance étaient étouffées, car ces groupes en Europe furent formés par des gens n’ayant rien à voir avec l’idée communiste.

Les Russes de France, comme les Russes d’Allemagne, des chrétiens croyants, aimaient leur patrie et voulaient libérer d’Hitler non seulement l’Allemagne, mais également les pays qu’il avait conquis. La doctrine national-socialiste de la suprématie raciale du peuple allemand fut promulguée bien avant la guerre. Qui pourrait imaginer qu’elle allait s’avérer vivace, et que les idées de la pureté de la race suprême allaient toujours troubler les esprits.

Je suis heureuse, car l’invitation à cette Conférence est ornée d’un fragment du fichu « La Victoire sur le Mal » brodé par mère Marie dans le camp, sous la canonnade. Avec ses camarades de déportation elle attendait la Libération, et ce fichu est devenu le symbole de cette Victoire. Mère Marie « a déposé sa vie pour ses amis », en entrant dans la chambre à gaz elle a vaincu le Mal et est ressuscitée des morts. Et comment ne pas s’exclamer, en ces journées Pascales : « Le Christ est Ressuscité ! »

Le professeur Georges NIVAT a dit a propos de Mère Marie: " Elle appartient entièrement au xxe siècle. En tant que poète, peintre, impliquée dans le monde des arts de l’époque prérévolutionnaire, en tant que marin à bord du « bateau ivre », en tant qu’émigrée, que chercheuse passionnée de la vérité, en tant que cendre dans la cheminée du crématoire de Ravensbrück.

Son âme fière et humble, éternellement affamée, cherchait la lumière dans la « nuit européenne », que chantait le sceptique et tragique Vladislav Khodassevitch. Elle s’est plongée volontairement dans cette nuit du totalitarisme, des tortures, de l’holocauste, dans son obscurité fatale. La destinée de Mère Marie a rejoint celle de millions de victimes. Elle s’inscrit dans le martyrologe du siècle et le martyrologe de la poésie, aux côtés de Paul Celan, d’Ossip Mandelstam, de Marina Tsvetaïeva, d’Anna Akhmatova, de Varlam Chalamov et bien d’autres".

A propos de la Résistance française, du 22 juin 1941 à Paris et de mère Marie (Skobtsov)
Le sous-titre de mon nouveau livre est "Une sainte qui appartient à notre temps" Cela avait été dit par le métropolite Antoine Bloom "Mère Marie est une sainte qui appartient à notre temps, une sainte pour notre temps, une femme de chair qui a su recevoir l'Amour Divin, que le XXe siècle et ses horreurs n'ont pas fait reculer. Son message spirituel nous deviendra encore plus précieux au fur et à mesure de notre meilleure compréhension de l'Amour incarné et crucifié".

Je souhaite à tous l'amour, le pardon et une véritable victoire sur le mal à la nature duquel a tant médité mère Marie, une sainte que nous admirons

Lien PRAVMIR О французском Сопротивлении, 22 июня 1941 года в Париже и матери Марии (Скобцовой)


A propos de la Résistance française, du 22 juin 1941 à Paris et de mère Marie (Skobtsov)

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 25 Novembre 2016 à 13:12 | Permalien



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