Aperçu de la Sophia dans la théologie orthodoxe russe
Vladimir GOLOVANOW

La Sophiologie est au cœur de la réflexion théologique du père Serge Boulgakov dans les années 1930, fait toujours débat: elle a été condamnée des deux cotés opposés à l'époque, par Mgr Serge, locus tenens du trône patriarcal de Moscou, et par le Synode Hors Frontières, mais unanimement défendue par la commission éparchiale, créée par le métropolite Euloge pour répondre aux accusations de l'Eglise rouge et de l'Eglise blanche, et par l'ensemble des professeurs de l'Institut Saint Serge (1). Cette réflexion devient ainsi la pierre de touche des orientations théologique de "l'Ecole de Paris" et le débat ressurgit périodiquement (2). Pourtant bien peu de fidèles savent de quoi il s'agit et j'ai pensé intéressant d'en tenter une présentation synthétique en me fondant sur une présentation générale faite par P. Jean-Paul Maisonneuve dont j'abrège légèrement le texte.

La Sagesse divine (en latin Sapientia, en grec Sophia, en hébreu Hokma) tient une grande place dans la Bible et les sophiologues russes ont trouvé matière à nourrir leur réflexion, leur piété, leur dévotion envers le Saint-Esprit et envers la Mère de Dieu, leur foi en l’Église dans une méditation contemplative du mystère de la Sagesse.

La sophiologie russe est ainsi directement biblique et liturgique et c’est à la lumière de cette tradition propre que Vladimir Soloviev, que l’on peut considérer comme le fondateur de la sophiologie russe, tracera sa route, au long d’un discernement qui peu à peu le conduira à une ecclésiologie qui se veut « orthodoxe », c’est-à-dire « catholique », et qui de ce fait s’expose à paraître d’une « orthodoxie » douteuse et « pas très catholique ».

La Sophie, à qui l’empereur Constantin fit élever une basilique, sur le modèle de laquelle furent construites celles de Novgorod et de Kiev, jouit d’une telle vénération dans l’orthodoxie russe qu’elle ne peut être ramenée purement et simplement à une abstraction, vaguement syncrétiste, permettant un passage en douceur des cultes païens de l’antiquité et des philosophies d’allure gnostique à une théologie épurée. Les choses ne sont pas aussi simples. La relation entre la tradition platonicienne découverte et appropriée dans l’exil ou dans l’occupation et la Révélation inspirée, relation que mettent en évidence les livres sapientiaux eux-mêmes, ne saurait être ni passée sous silence ni suspectée dès lors qu’elle jouit de cette canonisation vétéro-testamentaire. De plus, la Sagesse trouve dans l’Évangile et dans saint Paul ses lettres de noblesse néo-testamentaires. Désormais il faudra bien faire avec elle !

Le père Paul Florensky s’est attaché à relever les attributs de la Sophia dans l’iconographie [3]. En fait, elle est présentée comme l’Église elle-même, ou bien, en rapport avec Jean-Baptiste et la Mère de Dieu, comme la Virginité. Cet aspect est particulièrement important : la chasteté-virginité se dit en russe tsélomoudrie (graphie à l’usage des francophones, autre graphie : tselomudrost’), c’est-à-dire « sagesse de l’intégrité ». Or, la Sophia, vue d’un point de vue ascétique ou phénoménologique, c’est précisément cela : l’intégrité et l’intégralité de l’être tel que le conçoit la pensée divine. D’un point de vue ontologique, la Sophia, c’est la substance divine même. Du point de vue de sa réalisation, c’est l’Église en tant qu’humanité du Christ « répandue et communiquée », pour emprunter dans un sens spécifique l’heureuse et fameuse formule de Bossuet. Ainsi la Sagesse n’est pas ce qu’une lecture superficielle et toute littéraire pourrait faire croire : une abstraction, l’occasion d’une personnification ou de toute autre figure de rhétorique. Mais elle n’est pas non plus à proprement parler une Quatrième Personne par rapport à la Sainte Trinité.
Il faut bien reconnaître que les Idées platoniciennes nous aident à comprendre de quoi il est question ici. La pureté de l’Être intelligible, incorruptible, principe de tout ordre, de toute lumière, de toute vérité, dont tout ce que nous voyons nous donne le souvenir et la nostalgie, et auquel nous sommes appelés à nous élever dans un amour ascendant, ressemble beaucoup au Bien platonicien. Mais il y a plus. Ce principe, dans un amour descendant, vient pénétrer le réceptacle du monde (de matière, dans quelque sens qu’on l’entende, et d’âme) pour le transformer et le rendre capable de s’unir à Dieu.

La substance divine qui est présente dans le Père, exprimée dans le Fils, ressentie dans l’Esprit:

Dans La Russie et l’histoire universelle [4], ouvrage qui nous fournit de la sophiologie de Soloviev un état clairement dégagé et explicité, la Sagesse apparaît comme la substance divine qui est présente dans le Père, exprimée dans le Fils, ressentie dans l’Esprit. Dans le Père, elle est pure lumière ; dans le Fils-Logos elle est archétype plénier, en tant que disponibilité passive, de toutes les idées-informatrices possibles tournées vers le Père ; dans l’Esprit, ces Intelligences deviennent des personnalités dotées de liberté, les hiérarchies angéliques.
Dieu-Trinité dans l’éternité de Sa perfection, qu’Il Se donne à Lui-même et dont Il a la jouissance, fait triompher la Sagesse de fait, et ainsi les infinies possibilités d’opposition à Sa Bonté infinie sont tenues en respect, mais pour que la Justice et la Bonté de Dieu triomphent totalement, il faut aussi qu’elles le fassent de droit, qu’elles prouvent en quelque sorte leur supériorité par elles-mêmes et non par la force, et donc il s’agit pour la Sagesse de pénétrer le chaos et de le remplir de la Lumière de l’Amour divin.
Pour cela, le chaos doit avoir lieu. Et c’est ici, dans cette lutte-information du chaos - tohu-bohu, chôrè (ce concept-limite de la pensée grecque représente le principe métaphysique d’étendue antérieure à toute forme), vide réel, néant concret, révolte - que se situe la mission de l’ange (faire apparaître, à l’appel de Dieu, les formes organiques) et celle de l’homme (être le prêtre de la Création, placé entre Dieu et elle, pour l’élever vers Dieu). La suite est connue ( !)... La Sagesse va s’incarner au terme d’une longue préparation qui parvient à son accomplissement dans l’Immaculée pour que, dans l’union hypostatique (Jésus, vrai Dieu et vrai homme), s’étendant par l’Église à tout le créé, soit consommée l’union humano-divine qui couronne le processus mondial et soient célébrées les Noces de la Sagesse.

La Sophia est l’objet d’un véritable culte dans la tradition orthodoxe, culte qui n’est pas le fait d’un néo-platonisme rentré mais du peuple croyant. Quels sont donc les traits qui nourrissent cette dévotion ?
- Tout d’abord, la féminité idéale. La Sophie est la beauté du monde, sa grâce, sa parure, sa pureté, sa lumière. La couleur qui lui est propre, c’est le bleu, dans toute son étendue qui va du pourpre au bleu-vert. La toute-pure et toute-sainte Mère de Dieu peut donc être appelée la Sagesse, car en Elle se trouve parfaitement accomplie la condition virginale de la Création, sortie des mains de Dieu, intacte, et toujours jeune au contact de l’Esprit qui l’épouse, de sorte qu’en elle fécondité et virginité, loin de s’exclure, s’appellent et se renforcent. Elle s’identifie à la Nature devenue réceptacle cristallin de la Flamme divine, Temple d’une infinie sainteté.

- Deuxièmement, la Sophie est l’Épouse du Christ aimée par lui comme son propre corps, son Corps mystique, chaque jour rajeunie par lui comme une fiancée idéalement belle, dans sa fleur, sans tache ni rides, heureuse mère de nombreux enfants : c’est l’Église.
- Troisièmement, la Sophie est le rayonnement du Saint-Esprit dans la chair très sainte du Sauveur issue de la Vierge Marie.
- Quatrièmement, elle est l’essence de la Bonté du Père pénétrant tout et vivifiant tout.
- Cinquièmement, elle est la beauté du monde quand il est pénétré des énergies divines dispensées par le Saint-Esprit (monde visible - matériel - et invisible - angélique - réunis en une seule Création) : Nouvelle Jérusalem, Temple définitif.

Tels sont les traits essentiels de la sophiologie russe, dont tous les autres découlent. En ce qui concerne le Saint-Esprit, la Sagesse est bien le Saint-Esprit en tant qu’Il est « créateur » dans le processus sophianique, d’abord dans le ministère des anges, puis dans la création de l’homme, ensuite dans la révélation, dans l’inspiration prophétique, enfin dans la conception virginale, dans l’onction messianique de Jésus, dans l’animation de l’Église.

La Sophie, c’est la manifestation à la surface des choses de la présence de l’Esprit par la beauté, c’est le Cosmos entièrement pénétré par Lui, resplendissant de l’éclat - investi du poids - de la Gloire, c’est la Nouvelle Jérusalem, c’est l’Esprit et l’Épouse, qui est Marie et l’Église.

Pour conclure et pour mettre en évidence la relation de la Sagesse et de l’Esprit, nous pouvons dire que la Sophia est le Verbe incarné en tant que fruit de l’Immaculée par l’opération de l’Esprit, c’est l’Immaculée en tant que transparente à l’Esprit, et à ce titre en tant que Prédestinée vivant éternellement dans la « Mémoire de Dieu » comme Splendeur originelle et définitive de la Création, c’est l’Esprit Lui-même en tant que Beauté inaltérable et vivifiante et que « Trésor » de tous les biens.

Notes
(1) ICI - Arjakovsky p. 4
(2) ICI et ICI

(3) Moscou, 1914. Traduction française par Constantin Andronikof : La Colonne et les Fondements de la Vérité, 1975, « L’Age d’Homme », Lausanne. Chapitres XI, XXIV. 2.1889. In La Sophia et les autres écrits français, édités par le P. François Rouleau, même maison, 1978.
[4] p. 51. Remarque de VG: je n'ai pas trouvé de références concernant cet ouvrage…
.........................................
"PO" - V.BELIAEV : Mosaïques à l'intérieur de la Cathédrale Saint-Sauveur-sur-le-Sang-Versé de Saint-Pétersbourg

Прот. Георгий Флоровский О ПОЧИТАНИИ СОФИИ, ПРЕМУДРОСТИ БОЖИЕЙ, В ВИЗАНТИИ И НА РУСИ

Le lien avec l'article original du P. Jean-Paul Maisonneuve je le redonne. Le P. Jean-Paul Maisonneuve, né en 1951. Jésuite. Travaille en lien avec les communautés russes et gréco-catholiques. Traducteur de Silouane de l’Athos. .

Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 2 Mars 2012 à 12:45 | 29 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par vladimir le 08/10/2011 21:58
En complément de ce texte, je voudrais rappeler que l'icône de Notre Dame - Sagesse de Dieu est fêtée le 15/28 août dans notre calendrier liturgique (jour de la Dormition, cf. lien) et que "la présence architecturale de la Sagesse dans la tradition est évidente avec les cathédrales Sainte Sophie à Kiev et à Novgorod. L'icône du XVe siècle représentant l'ange de la Sagesse couleur pourpre sur fond bleu roi étoilé, que Eugène Trubeckoij a détaillé en 1916, témoigne de la présence iconographique. Enfin le culte liturgique de la Sagesse est ininterrompu dans l'Eglise en orient comme en occident, avec l'originalité en Russie que la Sophia est célébrée à l'occasion des fêtes mariales et non christiques comme sous l'empire byzantin." (ibid 1 ci-dessus p.6).

L'icône peut être de type Novgorod ou Kiev, les plus anciennes datant du XVe siècle bien que les cathédrales en l'honneur de la Sainte Sagesse divine aient été consacrées en 989 à Novgorod et 1037 à Kiev (après Sainte Sophie de Constantinople consacrée par l'empereur Constance II en 360). Elle représente le Christ comme un Ange de feu, entouré de Notre dame à l'Enfant et de St Jean Baptiste et surmonté par le Christ bénissant. Cette représentation illustre la parole de l'apôtre: "Nous, nous prêchons Christ crucifié … Puissance de Dieu et Sagesse de Dieu pour ceux qui sont appelés, … Or, c'est par Lui que vous êtes en Jésus Christ, lequel, de par Dieu, a été fait pour nous Sagesse, Justice et Sanctification et Rédemption." (1 Cor. 1 23-30)

Source: http://www.mospat.ru/calendar/icons1/aug15-ikona-sofia-novg.html

2.Posté par vladimir le 22/10/2011 15:58
Congrès de l'Acer-Mjo, les 5 et 6 novembre: "Aux sources du Mouvement: actualité du père Serge Boulgakov (1871-1944)"

A l'occasion du 140e anniversaire de la naissance du père Serge Boulgakov (1871-1944), le thème du congrès de l'Acer-Mjo sera: "Aux sources du Mouvement: actualité du père Serge Boulgakov (1871-1944)". Les intervenants seront Antoine Arjakovsky, auteur d'un ouvrage sur le père Serge Boulgakov, Nikita Struve et Cyrille Sollogoub, président de l'Acer-Mjo. Le congrès se déroulera les 5 et 6 novembre à Loisy, au nord de Paris. Date limite d'inscription: 21 octobre. Pour plus d'information, lire la présentation (lien)

Source: http://www.orthodoxie.com/2011/10/congr%C3%A8s-de-lacer-mjo-aux-sources-du-mouvement-actualit%C3%A9-du-p%C3%A8re-serge-boulgakov-1871-1944.html

3.Posté par Daniel le 18/12/2015 20:16
Qui a compris quelque chose à cette présentation de la Sophia ? La Sagesse est assimilée au Christ dans la tradition orthodoxe. Que viennent faire ces élucubrations de personnes douteuses, Soloviev, Boulgakov ? Sur quoi se basent-ils ?

4.Posté par Vladimir.G: un débat théologique le 24/12/2015 00:36
Bien chers Daniel,

J’ai trouvé intéressant de présenter la sophiologie qui a beaucoup agité les théologiens russes et continue à susciter des débats. Il faut bien entendu lire les auteurs cités pour voir que c’est un système est très logiquement construit et bien étayé sur nombre de citations des Écritures et des Pères dont mon résumé ne peut donner qu’une idée très générale.

Mais il est clair que ce théologoumène a été fortement combattu, en particulier à Paris même, par le père Georges Florovsky et par Vladimir Lossky qui .écrivit dans "Spor o Sofii" (" Controverse sur la Sophia ") que le père Serge faisait de la Sagesse de Dieu une divinité, "union malencontreuse entre le Saint Esprit et la Vierge Marie" ( !) et c’est sur la base de son compte rendu du débat que le métropolite Serge, locum tenens du trône patriarcal de Moscou, condamna la sophiologie… J’ai aussi parlé sur un autre fil de la position très réservée du père Alexandre Schmemann.

En revanche je serais très intéressé à avoir plus de références patristiques concernant cette assimilation de la Sophia au Christ dont vous parlez.

5.Posté par justine le 24/12/2015 16:39
Il nous suffit de savoir que l'Eglise a condamné cette doctrine de Bulgakov comme hérétique. Ainsi nous n'avons pas à gaspiller du temps et de l'énergie à en discuter encore, au lieu d'étudier, pour notre instruction et sanctification, les écrits de nos Saints Pères. A remarquer aussi que l'icone en tete de l'article, est absolument anti-orthodoxe!

6.Posté par Daniel le 25/12/2015 00:01
@ Justine

Le fait est que cette icône que je trouve complètement loufoque (mais attention il y a pire comme la pseudo-icône avec une trinité tricéphale, comme qui parfois les iconographes étaient parfois un peu perdu) se trouver en Russie comme en voici un exemple.

http://oca.org/saints/lives/2015/09/08/108957-icon-of-sophia-the-wisdom-of-god

Ce lien décrit en effet la Sagesse comme étant le Christ en évoquent I Corinthiens 1 :30. "Or, c'est par lui que vous êtes en Christ-Jésus qui, de par Dieu, a été fait pour nous sagesse, et aussi justice, sanctification et rédemption".

La basilique de Sainte Sophie à Constantinople était bel et bien dédiée au Christ et avait sa fête à Noël ce qui confirme le lien entre la Sagesse et le Christ. Si la sagesse est le Christ, l'icône de la sagesse doit être celle du Christ et non cette étrange chose en plus du Christ sur l'icône sous une forme de Déisis.

La chose étrange est qu'il faut attendre Soloviev et le 19e siècle pour que l'on se mette à "délirer" sur la Sophia, ce qui rend la chose suspecte en soi. Soloviev n'avait pas un esprit patristique, puisait un peu partout, au catholicisme, à l'orthodoxie et selon la page Wikipedia anglaise, il a aussi puisé dans la Kabbale, la philosophie bouddhiste, grecque pour bâtir sa sophiologie.

7.Posté par Tchetnik le 25/12/2015 10:03
La sagesse est un idéal de vertu propre à la réalité de Dieu de même la Charité, la Justice, la Fidélité...

Les Ecritures citent d'ailleurs toutes ces vertus au même titre que la Sagesse. Pourquoi ne pas avoir élaboré une "déesse" Charité", une "déesse" "Justice"...

8.Posté par Vladimir.G: ouvrir de nouvelles perspectives à un culte très ancien dans l’Église russe le 25/12/2015 22:41
Remettons les choses en place : les ‘'opinions théologiques" n’ont pas été condamnées en concile, mais par une petit nombre d’évêques de l’Église russe ; elles ont été défendues par d’autres et le débat reste largement ouvert (voir par exemple les nombreuses manifestations qui lui sont toujours consacrées : http://orthodoxie.com/?s=Serge+Boulgakov). Elles ouvrent en effet de nouvelles perspectives à un culte très ancien dans l’Église russe : les premières icônes de la Sophia, représentée par un ange flamboyant souvent accompagné de la Vierge Marie et St Jean le Baptiste de part et d’autre, datent en effet du XVe siècle ; certaines sont reconnues miraculeuses et elles sont fêtées les jours de la Nativité et de la Dormition de la Vierge Marie (cf. http://www.hrono.ru/religia/pravoslav/sofia_premud.html ), ce qui exclut toute assimilation au Christ…

Mais pour comprendre l’intérêt de ces études il faut lire les textes du père Serge et de Soloviev et non s’arrêter aux approximations et caricatures qu’en ont donné leurs adversaires…

9.Posté par Philippe Amartolos le 26/12/2015 10:50
Ces auteurs ne sont en rien patristiques. Ils furent influencés par les "lumières" jésuitiques et philosophiques de l'Occident. C'est une véritables pertes de temps et d'argent (leurs ouvrages étant relativement onéreux) que d'essayer de découvrir, ou d'approfondir sa foi et sa culture orthodoxe par l'intermédiaire de ces écrivains.
Il y a parfois et depuis longtemps, de grands problèmes dans la spiritualité russe.
Très tôt, ce pays fut sous influences occidentales, en fait dès la chute de Constantinople. Le paroxysme fut atteint sous Pierre le Grand, et Catherine II. On retrouve ces résidus de "papisteries" dans l'architecture d'un bon nombre d'églises et monastères, dans l’iconographie post-Andreï Roublev et jusque dans les chants liturgiques à mélodies italiennes ressemblant plus à des chants d'opéra (ce qui n'enlève en rien la beauté et la profondeur émotionnelle, mais moins spirituelles certainement, bien que l'on puisse regretter que le Znameny, encore pratiqué à Valaam, entre autres monastères, ne soit plus la norme, tant il se rapproche des chants angéliques byzantins)
Bref, sur ce site "Parlons d'Orthodoxie", il serait plus judicieux de ne point trop accorder d'importance à ce genre d'auteurs trop éloignés de l'authentique spiritualité orthodoxe. On pourrait se borner à Dostoïevsky et ne pas chercher au delà, et par dessus tout ne pas trop scruter les enseignements de "l'école de paris" tant elle n'est pas témoin fidèle de la Vraie foi.
Ce n'est ici que mon "théologoumène".

10.Posté par Silouanie le 26/12/2015 18:14
Merci Philippe !

11.Posté par justine le 26/12/2015 18:42
A Vladimir post 8: Je m'étonne de vos revirements: Il y a quelques jours, dans un autre fil sur Bulgakov, vous avez affirmé vous-memes que deux synodes ont condamné la sophiologie de Boulgakov en 1935: celui de Moscou et celui de ROCOR, exprimant meme votre admiration devant cette unanimité, insolite pour l'époque. Maintenant vous dites qu'elle n'a" pas été condamnée en concile, mais par une petit nombre d’évêques de l’Église russe". Etes-vous donc un théologien si futé pour corriger deux Synodes de l'Eglise? S'il se trouve des éveques et des théologiens orthodoxes qui approuvent la sophiologie de Bulgakov, qu'ils parlent donc ouvertement pour eux-memes.

12.Posté par justine le 26/12/2015 19:53
Sur le site indiqué par Vladimir en post 8 il est dit que les icones de la "Sagesse Divine", du fait de l'ignorance quant à l'identite du personnage qui la répresentait sur les dites icones, suscitaient à l'époque de telles disputes dans la Russie ancienne qu'il était meme question de les enlever des églises! Or, il est bien connu qu'en Orthodoxie, la Sagesse Divine, c'est le Christ Lui-meme, comme l'a déjà souligné Daniel plus haut. Quant à "ce culte très ancien dans l'Eglise Russe" dont parle Vladimir, il n'est rien d'autre qu'un reflet - déformé comme on voit - de la dédicace de la Grande Eglise de Constantinople au Christ Sagesse Divine, la Hagia Sophia, dont dépendait l'Eglise Russe à l'epoque. A quoi donc rime toute cette discussion et quelles sont ces "perspectives nouvelles" que vous pretendez ouvrir?

On sait que les Ariens utilisaient comme arme principale pour défendre leur hérésie la mésinterprétation du verset Proverbes 8,22, faisant dire à la Sagesse Divine: "Dès avant le temps, le Seigneur m'a créée comme principe de Ses voies...". Cela prouve, disaient les hérétiques, que le Christ est créé! Les Orthodoxes, bien sûr, lisent ce passage autrement: "Dès avant le temps, le Seigneur a fait de Moi le principe de Ses voies" ("...Κύριος έκτισε με αρχήν οδών Αυτού..."). L'interpretation hérétique mise à part, cette histoire montre bien que depuis le début, pour les chrétiens, la Sagesse Divine, c'est le Christ Lui-Meme et non pas quelque autre personnage, angélique ou fictif.

13.Posté par Vladimir.G: Archevêque JOB de Telmessos: "un Père du XXe siècle ? "... le 27/12/2015 16:33
Bien chère Justine,

Votre commentaire 2 semble indiquer une grande méconnaissance de la situation de l'Église russe dans les années 1930.
- Lorsque le métropolite Serge, locum tenens du trône patriarcal de Moscou, condamna les "opinions théologiques" du père Serge, le synode du patriarcat de Moscou comptait de 5 à 7 évêques, soit la totalité des évêques en liberté en URSS, et était entièrement soumis au pouvoir bolchévique. Par cette condamnation les bolchéviques voulurent affaiblir la juridiction du métropolite Serge et l'ITO St Serge (Paris), dont l'activité au niveau interorthodoxe et interchrétien (en particulier dans le cadre du mouvement œcuménique alors en plein développement) les gênait.
- ROCOR de son côté, après la rupture avec la Juridiction du métropolite Serge en Europe occidentale et celle du métropolite Platon en Amériques ne comptait guerre plus d'une douzaine d'évêques (13 participèrent au "Concile" de 1938 qui confirma la condamnation des ‘'opinions théologiques" du père Serge), tous démis, interdits, déclarés schismatiques par le synode du patriarcat en 1934 et non reconnus par les autre Églises canoniques (bien que des concélébrations ponctuelles furent pratiquées, en particulier avec les patriarcats de Serbie et de Jérusalem).

Il est donc assez piquant de voir ces deux ennemis déclarés d'accord, chacun de son côté, pour condamner la Sophiologie, les évêques de ROCOR ne comprenant visiblement pas qu'ils apportaient ainsi de l'eau au moulin de leurs ennemis déclarés.

Aucune autre instance orthodoxe n'a jamais, à ma connaissance, pris position et c'est pour cela que j'écris qu'il n'a "pas été condamnée en concile, mais par un petit nombre d’évêques de l’Église russe".

- En face, la juridiction du métropolite Euloge, avec en particulier l'ITO St Serge, principal foyer de théologie orthodoxe à l'époque, clairement reconnus par toutes les Église orthodoxes, apportaient leur soutien unanime au père Serge…

ET POUR REVENIR SUR LE FOND: il faut regarder cette icône de Novgorod du XVe siècle publiée sur http://www.hrono.ru/religia/pravoslav/sofia_premud.html. Cet ange flamboyant porte en effet plusieurs attributs du Christ et la Vierge Marie et St Jean le Baptiste sont de part et d'autre comme dans une déisis, mais elle est traditionnellement fêtée les jours de la Nativité et de la Dormition de la Vierge Marie, ce qui exclut toute assimilation au Christ…

De fait, la Sophia n'a jamais été présentée ni par Boulgakov ni par Soloviev comme une PERSONNE – c'est là une caricature de leurs détracteurs. Elle " apparaît comme la substance divine qui est présente dans le Père, exprimée dans le Fils, ressentie dans l’Esprit. Dans le Père, elle est pure lumière; dans le Fils-Logos elle est archétype plénier, en tant que disponibilité passive, de toutes les idées-informatrices possibles tournées vers le Père; dans l’Esprit, ces Intelligences deviennent des personnalités dotées de liberté, les hiérarchies angéliques." Et on voit bien là la correspondance avec la représentation iconographique de l'ange de feu avec les attributs christiques…

Et le dernier successeur en date du métropolite Euloge, l’Archevêque JOB de Telmessos, a publié une communication à l'occasion du colloque "Le père Serge Boulgakov : un père de l’Eglise moderne" (28 juin 2014, Collège des Bernardins, Paris,) où il soulignait: que cette œuvre «originale et intéressante sur bien des points» continue de «susciter l’intérêt des chercheurs aujourd’hui qui ne cessent d’y faire d’intéressantes et stimulantes découvertes». Boulgakov « a marqué la théologie orthodoxe du XXe siècle », poursuit-il, avant d’ajouter, « plutôt que de le considérer comme un nouvel Origène* ou de se demander s’il n’était pas un peu un Newman de l’Orthodoxie, ne gagnerions-nous pas tout simplement à le considérer comme un Père du XXe siècle?» (cf. http://www.exarchat.org/spip.php?article1550.)

* Des disciples enthousiastes avaient appelé le père Serge « l'Origène du XXe siècle », (http://www.lagedhomme.com/ouvrages/serge+boulgakov/l'orthodoxie/325 ).

14.Posté par Daniel le 27/12/2015 17:18
Je me demande bien si l'origine de cette icône farfelue n'est pas en lien avec "l'Ange du Grand conseil" qui est en fait le Christ. Mais le fait qu'on ignore dès le début quel est le personnage représenté ne plaide pas pour prendre cette tradition iconographique au sérieux.

15.Posté par Daniel le 27/12/2015 19:56
@ Vladimir

La description que vous faites de la situation de l'EORHF dans les années 30 est absolument inexacte.

Vous dites : "non reconnus par les autre Églises canoniques (bien que des concélébrations ponctuelles furent pratiquées, en particulier avec les patriarcats de Serbie et de Jérusalem)."

C'est inexact. A cette date, l'EORHF a son siège en Serbie et est en absolue communion avec l'Eglise de Serbie qui l'accueille et lui donne un diocèse à Karlov de mémoire. Quant à la non communion avec les autres églises orthodoxes, je n'en suis pas si sûr. Elle est certainement effective en 1945 pour cause d'invasion communiste des autres pays orthodoxes, mais dans les années 30, ce n'est pas aussi certain. Mais peut-on prendre au sérieux une non reconnaissance imposée par un pouvoir communiste et athée? Là aussi, c'est faire son jeu.

Voici une petite chronologie :

- mars 1927 : le synode de Karlovits, encore en communion avec le métropolite Euloge écrit à ce dernier que l'enseignement de Saint Serge semble peu orthodoxe

- 1930 : Saint Jean de Shangai écrit aussi contre la sophiologie

- 1934 : condamnation par Moscou

- 1935 : l'archevêque Séraphim (Sobolev) de Bulgarie écrit un livre contre la Sophiologie

- 1935 : condamnation formelle par l'EORHF

- 1936 : Vladimir Lossky publie en russe "La controverse sur la Sophia, : Le Mémoire de l'archiprêtre Serge Boulgakov et le sens du Décret du Patriarcat de Moscou"

Le Métropolite Euloge ne le condamne pas... Mais si on soupçonne un côté politique à la décision des autres églises, on peut aussi supposer une décision politique de sa part. Une condamnation aurait causé des remous dans son église où le Père Serge avait ses soutiens, sans doute nombreux.

On a bien une condamnation synodale : une condamnation synodale ne demande pas un nombre particulier d'évêques car tout synode et même tout évêque est compétent pour condamner une doctrine hérétique. Certaines hérésies ont juste été condamnées localement comme le marcionisme.

Pour en revenir sur le fond, on a une icône dont on ne sait trop ce qu'elle représente en Russie même, ce qui est très problématique, et une affirmation que la Sophia serait la substance de Dieu, qui rompt avec l'enseignement dès le début qui voudrait que ce serait une figure du Fils... EN même temps, la substance divine est censée être inconnaissable... Et tout cela, en raison d'une icône contestée apparaissant au XVe et d'élucubrations solovio-boulagkoviennes. Ces individus avaient-ils remarqué qu'il n'y avait pas de développement dogmatique orthodoxe et de nouvelles découvertes théologiques. Leur promotion n'est pas surprenante de la part de l'école de Paris qui, sous couvert de liberté, entend parfois créer une orthodoxie nouveau style... ouverte à bien des fantaisies, pour ne pas dire hérésies.

lAcomparaison de Boulgakov avec Origène ou Newman est un peu empoisonnée. Origène fut anathématisé et Newman développe l'idée du développement dogmatique dans le catholicisme, ce qui est condamné dans l'orthodoxie. Donc très honnêtement, qu'a voulu dire l'archevêque Job de Telmessos par cela, pour continuer sur Père de l'Eglise. Je n'ai pas de connaissance de Père de l'Eglise qui ait innové en termes de dogmatique.

Dans la spiritualité russe, il a bien mieux que les soit disant philosophes religieux (encore une bizarrerie chère aux modernistes et à l'école de Paris) : le monastère d'Optima, Saint Paissy Velitchkovsky, Saint Théophane le Reclus, c'est d'un autre niveau, que des personnes qui n'ont jamais été véritablement initié à l'esprit patristique.

16.Posté par Vladimir.G: ils participent de la connaissance de Dieu le 28/12/2015 08:39
Bien cher Daniel,

Merci pour cette chronologie. Pour être objectif, il faudrait y ajouter es prises de position en faveur du père Serge de la part de son évêque, le métropolite Euloge, et de son conseil épiscopal, de la commission éparchiale spéciale créée par le métropolite Euloge et de l'ensemble des professeurs de l'Institut Saint Serge jusqu'à l'Archevêque Job… Vous écrivez que "tout évêque est compétent pour condamner une doctrine hérétique" … L'inverse doit être tout aussi vrai!

La position des évêques de ROCOR était particulière: déchus de leurs chaires, exclus de leur Église, interdits et déclarés schismatiques par leur synode, ils étaient canoniquement des évêques vaguants. Il y avait parmi eux des théologiens éminents, mais leur positionnement était essentiellement politique: c'était "l'Église Blanche" opposée à "l'Église Rouge"…

La plupart des textes de la controverse sophiologique sont largement disponibles, y compris sur Internet. Je pense en avoir résumé les bases, Philippe Amartolos, Justine et vous en reprenez les critiques… Cela montre surtout que, plus de 80 ans après la question intéresse et les colloques qui lui sont régulièrement consacrés le confirme. Mais il faut bien noter que cette "opinion théologique" n'a pas fait école et le père Serge n'a pas eu de disciples-continuateurs. Je ne me pose en tout cas pas comme tel et me garde bien de prendre partie…

Par contre, qualifier de "complètement loufoque" (votre 6) des icônes vénérées depuis un demi-millénaire, dont certaines sont miraculeuses et qui sont fêtées par l'Église russe deux fois l'an, me semble clairement inapproprié. Si vous "ne savez pas ce qu'elles représentent", c'est que vous n'avez pas suffisamment étudié la question!

La vénération de la Sagesse de Dieu est une partie intégrante de la foi des croyants russes sur laquelle le père Serge s'est appuyé pour résoudre la problématique de la relation entre Dieu et la création dans l’Incarnation en deux natures, divine et humaine. Il a trouvé le contenu de la divino-humanité dans les textes bibliques et patristiques (ses textes sont remplis de références) et l'a exprimé en termes d’une unité intérieure autour de l’idée de la Sophia, la divine Sagesse vénérée par les croyants. On n'est pas obligé de le suivre dans tous ses développements, mais il faut remarquer que ses détracteurs ne le condamnent pas pour ce qu'il écrit mais pour ce qui, d'après eux, en découlerait …

Je tiens en tous les cas à remercier tous les partisans à ce débat passionnant: vous m'avez personnellement obligé à approfondir et à mieux comprendre les concepts boulgakoviens qui, à mon sens, sont réellement "théologiques": ils participent de la connaissance de Dieu. Mais je suis bien d'accord avec vous, bien cher Daniel, il y a bien d'autres ressources dans la spiritualité orthodoxe: j'attends vos contributions avec impatience.

17.Posté par Daniel le 28/12/2015 14:22
"La position des évêques de ROCOR était particulière: déchus de leurs chaires, exclus de leur Église, interdits et déclarés schismatiques par leur synode, ils étaient canoniquement des évêques vaguants. Il y avait parmi eux des théologiens éminents, mais leur positionnement était essentiellement politique: c'était "l'Église Blanche" opposée à "l'Église Rouge"…

Donc vous prenez au sérieux une décision d'une église qui obéit aux ordres du Parti Communiste. A quand l'apologie de Staline? Ou bien, Saint Jean de Shagaï n'est plus saint car évêque vagant? Un peu de sérieux.

Je ne sais pas si en allant demander au croyant russe "lambda" ce qu'est la Sophia au sortir d'une église en Russie, cela fasse partie intégrante de sa foi. Il se peut même qu'il n'en ait jamais entendu parler.

Le christianisma n'a pas débuté en Russie il y a un demi-millénaire. Et si les Russes eux-mêmes se sont interrogés sur ce que signifiait la représentation, il y a matière à inquiétude.

18.Posté par justine le 29/12/2015 10:50
Selon le témoignage de ceux qui savaient, les éveques de ROCOR étaient ce qu'il y avait de meilleur dans l'Eglise Russe de cette époque! Et s'ils étaient déchus, interdits, anathématisés etc. de par les machinations des forces des ténèbres, c'était précisément pour cela.

19.Posté par Vladimir.G: dommage qu''''il n''''y ai pas plus souvent des débats comme celui-ci! le 29/12/2015 19:05
Bien cher Daniel,

Je subdivise ma réponse en deux pour essayer de clarifier ce débat.

1. SUR LE PÈRE SERGE

"Donc vous prenez au sérieux"… la condamnation du métropolite Serge quand il s'occupe de père Serge, qui dépend d'une autre juridiction, mais non quand elle concerne les évêques qui lui désobéissent … Pour vous qui vous référez souvent aux canons, ce ne devrait pas plutôt être l'inverse? Personnellement je considère les deux décision comme essentiellement politiques et non ecclésiales…

Je n'ai pas trouvé de définition précise pour "Episcopi vagantes" (évêques errants) mais des évêques coupés de leur Église, sans chaire et cherchant à créer une hiérarchie parallèle me semblent bien correspondre au concept. De toute façon le père Serge avait sa propre hiérarchie, devant laquelle il répondait, et le soutien total de celle-ci, Mgr Euloge et son conseil épiscopal, et cela me semble tout à fait recevable du point de vue canonique. Je n'ai pas vu non plus le synode compétent, celui de Constantinople, prendre parti…

Et la comparaison avec Origène est là tout à fait bienvenue: non, Origène n'a pas été condamné. Certaines des ses thèses, en particulier la théorie de l’apocatastase, et des développements ultérieurs sur la croyance en la réincarnation et la pré-existence de l'âme avant la naissance, ont été condamnées cent cinquante ans après sa mort sous le nom d'origénisme. Mais Origène fut l'un des premiers à développer la mystique chrétienne et le premier à rédiger un traité de théologie chrétienne systématique. Il reste un Père de l'Église qui influença en particulier les saints Grégoire le Thaumaturge ("Panégyrique d'Origène") Athanase, Grégoire de Nysse, ainsi qu'Evagre le Ponthique (cf. J. Daniélou et H. Marrou, "Nouvelle histoire de l'Eglise", Tome 1, L.I, Ch.13, -1963-).

2. SUR L'ADORATION DE LA SAGESSE DIVINE

Les Orthodoxes russes ont adoré la Sagesse divine – Sophia – depuis le début et lui ont dédié leurs premières cathédrales dès le IXe siècle (Kiev et Novgorod), en suivant l'exemple de Constantinople. La vénération des icônes, qui prirent leur place dans les iconostases, était donc parfaitement naturelle; les croyants savaient ce qu'ils vénéraient sans se poser de questions métaphysiques. C'est la foi des charbonniers, "l'Église priante"...

Le père Serge, après Soloviev, a voulu faire le liant avec "l'Église savante" en recherchant les sources bibliques et patristiques et en élaborant un corpus parfaitement cohérent avec la mystique orthodoxe. Cela reste une "opinion théologique", particulièrement bien structurée et fondée, que beaucoup trouvent intéressante (cf. colloques etc.) mais qui ne s'impose à personne.

NB: je répète que ce débat entre nous, reprenant des arguments d'il y a 80 ans, est totalement sain et montre bien que nous nous trouvons au niveau des opinions théologiques. Ce type de débat a toujours existé et permet d'approfondir nos connaissances théologiques. Il est le principal intérêt d'un forum comme PO et j'appelle les doctes commentateurs, dont vous, bien cher Daniel, à proposer plus souvent des thèmes comme celui-ci!

20.Posté par Daniel le 30/12/2015 00:38
@ Vladimir

Je puis vous confirmer qu'Origène a été anathématisé par le 5e concile oecuménique. Vous pouvez vous référez à leurs actes qui disent notamment en anglais :

XI.

IF anyone does not anathematize Arius, Eunomius, Macedonius, Apollinaris, Nestorius, Eutyches and Origen, as well as their impious writings, as also all other heretics already condemned and anathematized by the Holy Catholic and Apostolic Church, and by the aforesaid four Holy Synods and [if anyone does not equally anathematize] all those who have held and hold or who in their impiety persist in holding to the end the same opinion as those heretics just mentioned: let him be anathema.

Source : http://legacy.fordham.edu/halsall/basis/const2.asp


Pour en revenir à la Sophia, si on suit votre chronologie, la Sophia et des églises qui lui sont dédiées apparaissent dès le IXe siècle sur le modèle de Constantinople. Mais à Constantinople, la Sagesse est biena ssimilée au Christ et et on ne retrouve pas trace de cette icône des plus bizarres qui mêle Déisis et personnage central ailé. Les Russes savent très mal de qui il s'agit car il y eut débat pour savoir ce que représentait la dite icône. Par ailleurs, comment les Russes pourraient-il être instruits sur le sujet ayant été évangélisé dans les 100 ans qui précédaient, ne connaissant pas le grec, ayant sans doute été catéchisé grossièrement etc. Au vu de la disparité avec ce qui s'observe à Constantinople, où il y avait uen vraie tradition chrétienne, tout cela me semble être une mauvaise compréhension ou interprétation des Russes, pas assez instruits dans la foi à l'époque. On note aussi qu'ailleurs dans le monde orthodoxe, la dite chose n'existe pas. Or, la foi est tout de même ce qui a été cru partout et part tous.

Si dès la controverse arienne, tout le monde, arien ou pas, était d'accord pour dire que la Sagesse était le Christ lui-même, celle-ci ne peut-être en même temps une substance ... Simple question de logique.

21.Posté par Daniel le 30/12/2015 00:57
@ Vladimir

Si on veut rester d'un point de vue canonique, le Métropolite Euloge ne pouvait pas quitter son église d'existence sans son autorisation pour aller à Constantinople. Et l'EORHF était soutenue par les Serbes, se basait sur l'exemple de l'église de Chypre qui fut un temps en exil et se vit attribué un diocèse en exil.

Une doctrine peut être condamnée à partir du moment où on voit qu'elle représente un risque, quel que soit son origine, extérieure ou intérieure à un diocèse donné.

22.Posté par Clovis le 30/12/2015 21:09
Laissons la "sophia" à la gnose.
Le cas du père Serge et de la Russie de la fin du XIXème et du début du XXème est un cas à part qui est une circonstance atténuante qui plus est dans les milieux pétersbourgeois de l'intelligentsia.
Il suffit de lire Hippius et consort et Rozanov pour ne citer qu'eux pour voir l'état de santé de ces milieux là.
Du reste si on juge un arbre à ces fruits, où une théorie (fumeuse) religieuse telle que la sophia peut donner lieu à de telles icônes où l'on voit une déisis avec la Sainte Vierge Mère de Dieu et le Précurseur Saint Jean-Baptiste tournés vers une bonne femme avec ailes sur un trône au dessus du Christ et dans une mandorle suffit à clore le débat.

23.Posté par justine le 30/12/2015 21:19
A Vladimir; post 19: Appelleriez-vous donc aussi "éveque errant" Saint Athanase le Grand par exemple, lequel passa de lieu en lieu pendant plusieurs années afin d'échapper à ses persécuteurs Mélétiens et Ariens? Et qui était "canoniquement" schismatique pendant la crise arienne du 4e siècle: les Ariens qui - grace au soutien des empereurs - détenaient le pouvoir; ou les Orthodoxes qui étaient de partout déposés et exilés?
Quant à Origène, il a été condamné non seulement par le 5e Concile Ecuménique 150 ans après sa mort, confirmé par le 6e et le 7e, mais de son vivant déjà, destitué par l'Archéveque Demetrios d'Alexandrie vers 230, puis définitivement banni et frappé d'interdiction d'enseigner par le successeur de ce dernier, l'Archeveque Heraklas, et ceci explicitement pour hérésie, comme le confirme St Cyrille d'Alexandrie en soulignant qu'Origène était "un hérétique à juste titre condamné, parce qu'il ne pensait pas comme un Chrétien, mais suivait les bavardages des paiens" (Lettre 81, PG 77,373). Lire à ce sujet aussi l'étude historique de W.A. Bienert, "Dionysios v. Alexandria, Zur Frage des Origenismus im 3. Jh.", De Gruyter 1978. Et dans l'Encyclopedie catholique online New Advent (version 2009, depuis on a change le texte!) on peut lire dans la notice biographique sur Origène: "It is impossible to doubt that heresy, and not merely unauthorized ordination, must have been alleged by Demetrios..." Et Karl Vorländer dans sa "Geschichte der Philosophie", Leipzig 1899, rapporte également qu'Origène fut condamné de son vivant pour hérésie. Et on peut ajouter les nombreux témoignages de saints Pères du Désert qui ont appelé Origene un hérétique et mis en garde leurs moines contre ses doctrines néfastes, notamment abba Lot et Saint Arsène le Grand, Saint Jean Climaque, Saints Barsanuphe et Jean de Gaza etc. St Epiphane de Chypre considerait Origene meme comme la source premiere de l'arianisme, du fait de sa doctrine du subordonnationisme (c'est a dire l'enseignement que le Christ est inferieur, subordonne au Pere), laquelle de nos jours fete un triomphal retour dans le neopapisme phanariote...

Les Origénistes toutefois, au fil des siècles ont tout fait et de nos jours encore font tout pour cacher ou nier les faits historiques, n'hésitant pas à altérer ou détruire en cas de nécessité des textes incriminants. Cette "tradition" fut inaugurée au plus tard au 4e siècle par Rufinus qui donna de "Peri Archon" une traduction si trafiquée et édulcorée que Jerome se vit obligé, par l'amour de la vérité, d'en publier une qui rende le texte authentique.

Ces pratiques parlent pour elles-memes, car un tel acharnement pour combattre le sage verdict de la Sainte Eglise contre Origène montre clairement tant le manque de conscience ecclésiastique que le manque de sens de responsabilité pastorale des Origénistes. Et par ce mauvais fruit qu'ils sont ils révèlent le caractère de l'arbre.

24.Posté par Daniel le 31/12/2015 00:22
@ Clovis

Qui sont ces Hippius et consort et Rozanov? Le seul Rozanov que je connaisse a écrit un livre détaillant les usages liturgiques.

25.Posté par Tchetnik le 31/12/2015 11:03
Ce sont des membres d'un groupe appelé "Les Décadents" dont le ton était plutôt contestataire par rapport aux institutions d'alors.

Rozanov s'en est fait virer après un article "antisémite" (ce qui n'est pas grave) mais disons que sa pensée a ensuite considérablement fluctué dans un sens puis dans l'autre, se faisant tour à tour défenseur puis détracteur de l'Eglise avant d'y revenir définitivement.

26.Posté par Clovis le 31/12/2015 23:40
Zinaïda Hippuis et Dmitri Merejkovski et Vassili Rozanov (excellent soit dit en passant) faisaient partie en effet d'intellectuels poètes philosophes bercés dans le mysticisme "décadent" qui aspiraient à un renouveau de la Russie et on cru voir dans les prémices révolutionnaires de février 1917 une sorte de répétition générale à la Parousie, et prêchaient pour une religion christique, sans prêtre, ni clergé, etc...
Notons qu'ils en sont revenus lorsqu'ils ont vu les dégâts de "leur" révolution et le martyr de l'église et de son clergé.
Rozanov, d'une modernité stupéfiante d'un point de vue littéraire, serait mort en communion avec le bon Dieu, malade il s'était rapproché de Florensky et mourut à la laure Saint Serge. Outre son anitsémitisme le personnage avait de nombreux pseudonyme et écrivait aussi bien dans les journaux conservateurs que libéraux sous des plumes différentes, il aspirait lui aussi à un pseudo retour à une fois "apostolique" sans clergé et assez idéalistes et bizarres...
Son journal durant la révolution est magnifique.

Mais tout ça pour dire que le Père Serge n'était pas un cas isolé, l'église était inféodée au pouvoir impérial depuis Pierre Ier,après être passé par un schisme (vieux croyants) pas étonnants que dans le dernier pays autocratique alliés aux démocraties occidentales, il n'y ait eu des dérives théologiques.
Le tsar ayant abdiqué l'église eut tôt fait de préparer un concile pour retrouver son autonomie. Un laïc fut même pressenti, j'ai oublié son nom.
Bref une sacrée salade olivier...

27.Posté par Vladimir.G: Un débat décidément foisonnant ! le 02/01/2016 21:43
Un débat décidément foisonnant !

1. ORIGÈNE :

Oui, Origène a bien été condamné et en voici l’explication en introduction de l’excellent article de Pierre HADOT, «ORIGÈNE (185-253/54) & ORIGÉNISME», Encyclopædia Universalis [en ligne] (http://www.universalis.fr/encyclopedie/origene-et-origenisme/):

Citation :
Les thèses condamnées par différents conciles et par l'empereur Justinien se rapportent à la préexistence des âmes, à l'égalité originelle de tous les esprits, à leur chute due à la satiété de la contemplation, à la forme sphérique des corps ressuscités et au salut universel de tous les esprits, qui retrouveront à la fin des temps leur condition première. En fait, la pensée d'Origène ne se ramène pas à ces seules thèses. L'origénisme défini aux ive et ve siècles correspond d'une part à la systématisation que certains disciples d'Origène ont imposée à la doctrine de leur maître, d'autre part aux déformations que les adversaires ont infligées à celle-ci, pour mieux la condamner.

L'œuvre et la personnalité d'Origène sont beaucoup plus complexes que ne le laissent supposer ces simplifications outrancières. D'une part, Origène est un homme d'Église. Toute sa vie a été consacrée à l'enseignement et à la prédication, c'est-à-dire à l'exégèse de la Bible. Dans ce domaine, il a été un initiateur en créant la critique textuelle de l'Ancien Testament et en rédigeant une masse de commentaires si importante que tous les exégètes postérieurs, grecs et latins, en seront tributaires. D'autre part, il est vrai qu'Origène a rédigé un traité, intitulé Sur les principes, qui contient, explicitement ou en germe, les thèses condamnées. Mais elles n'y sont présentées que par mode de recherche et d'hypothèse explicative, et pour essayer de rendre compte des origines et de la fin de l'histoire du salut. Il n'en reste pas moins que ce traité a une importance capitale, non seulement pour l'histoire de la théologie (c'est le premier essai de théologie chrétienne systématique), mais aussi pour l'histoire de la pensée occidentale, car c'est la première présentation, annonçant déjà Jean Scot, Hegel et Schelling, de l'odyssée métaphysique des esprits revenant à l'unité originelle, après avoir épuisé toutes les expériences de l'histoire.
Fin de citation

Je pense que cet extrait explique suffisamment l’idées des disciples du père Serge qui ont fait cette comparaison reprise par Mgr Job. Mais, la grande différence, comme je l’écris en 16, c’est que "l’opinion théologique" sur la Sophia n'a pas fait école et le père Serge n'a pas eu de disciples-continuateurs…

2. CANONICITÉ DES ÉVÊQUES

Je ne conteste pas la qualité des évêques de ROCOR, dont je partage certaines position (j’ai d’ailleurs appartenu au conseil paroissial de l’église de Cannes à la fin des ann.es 1980 ; elle faisait alors partie de cette obédience.) Mais il faut reconnaitre que, jusqu’en 2007, ils n’appartenaient à aucune Église canonique et n’avaient pas de diocèses canoniques. Cela définit bien des "Episcopi vagantes", tout comme pour les différents groupes "Viatlistes", vétérocalendaristes ou "VCO", et les différents schismes d'Ukraine, Serbie… etc.

Le métropolite Euloge était parfaitement conscient de l'anti-canonicité de sa démarche et c'est pour cela que le passage sous la protection de Constantinople était fait A TITRE PROVISOIRE, comme le stipulait expressément le tomos de 1931 (cf. http://www.exarchat.org/spip.php?article857.) Toutes les Église orthodoxes l'ont d'ailleurs reconnu à l'exception du patriarcat de Moscou…

3. ICÔNES DE LA SOPHIA

Il n'est évidemment pas sérieux d'affirmer que les Russes des XVe-XVIe siècle (époque d'apparition de ces icônes) n'étaient "pas assez instruits dans la foi à l'époque" (sic! Commentaire 20). "Il n'y avait, après la prise de Constantinople en 1453, qu'une seule nation, la Russie, qui fut en état d'assurer la direction de la chrétienté orientale," écrit le métropolite Kalistos Ware (*). Et en effet, cent ans après St Serge de Radonège (1313 -1392) la Russie donnait à l'Orthodoxie de grands saint comme Nil de la Sora (1433-1508) et Joseph de Volokolamsk (1439-1515), accueillait saint Maxime le Grec (1470-1556), atteignait un âge d'or de l'iconographie avec Andreï Roublev (vers 1360/1370 – vers 1427/1430), Dionysius (1440-1502) et le grandes écoles de Kiev et Novgorod (les deux produisant des saintes Sophia) et était enfin érigée en patriarcat (1589). Ces icônes ne résultent pas de l'opinion théologique du père Serge, puisqu'elles lui sont antérieures de 4 siècles, mais c'est la sophiologie du père Serge qui est partiellement fondée sur ces icônes qu'elle cherche à approfondir et expliquer…

4. LE CONCILE DE 1917:

Il est faux de dire "Le tsar ayant abdiqué l'église eut tôt fait de préparer un concile pour retrouver son autonomie": le concile était en fait préparé depuis 1905 (encyclique synodale du 27 juin)! "Le premier concile en Russie depuis plus de deux siècles, préparé pendant douze ans, était l’aboutissement d’un renouveau étonnant – encore largement méconnu – de la théologie orthodoxe russe au début du XXe siècle," écrit Hyacinthe Destivelle (http://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/1992/concile-de-moscou-1917-1918-le.) Ce processus de préparation donna lieu à un très large débat public, qui servit de base à la création de l'actuelle "Commission Interconciliaire" de l'Église russe (http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/L-archimandrite-Sabba-Toutounov-Conference-interconciliaire-resultats-et-perspectives_a2806.html) et le seul "laïc pressenti" pour devenir patriarche, à ma connaissance, aurait été… l'empereur (!) Je n'ai toutefois aucune confirmation de cela et tous ceux qui en parlent le font sous une forme très hypothétique. Très probablement il s'agit là d'une fable!

Il est toutefois vrai que la convocation du Concile fut repoussée deux fois par l'empereur, en 1907 et 1914, et il ne se réunit qu'après la révolution de février 1917…

(*) In "L'Orthodoxie, l'Église des sept conciles", Cerf 2002, p. 133

28.Posté par Daniel le 16/01/2016 21:12
Pendant cette période de préparation à la Théophanie, on lit au petites complies un canon de préparation. Celui des petites complies du 4 janvier (après les vêpres pour les 70 apôtres et Saint Théoctiste) est particulièrement éloquent et confirme clairementque la Sagesse est bien le Christ lui-même, et non une obscure substance...

Ode 1

L'insondable Sagesse de Dieu, cause de tout bien et source de vie, en la sainte Mère inépousée a bâti sa maison et vient maintenant vers les flots du Jourdain demander le baptême pour recréer les mortels


Ode 5

La Sagesse de Dieu qui retient les grandes eaux, qui dompte les abîmes et met un frein à la fureur des flots vient au Jourdain et reçoit le baptême des mains de son propre serviteur.

29.Posté par justine le 17/01/2016 19:29
Et au premier canon des Matines de la Théophanie, vous lirez après-demain 4 fois de suite: "...car Tu es le Christ, la Sagesse et la Puissance de Dieu"! (Quatrieme Ode, verset final de l'irmos et des 3 strophes).

30.Posté par Vladimir.G: "La substance divine qui est présente dans le Père, exprimée dans le Fils, ressentie dans l’Esprit" le 17/01/2016 20:23
Merci Daniel pour cette référence!

Il est évident que cette hymnographie confirmant que la Sophia est "exprimée dans le Fils", tout comme les icônes citées, font partie intégrantes de la démonstration du père Serge...

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