Homélie prononcée en la Cathédrale orthodoxe grecque des Saints-Archanges, à Bruxelles (Belgique), le 1er mars 2015

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit!
Eminence, Excellences, Révérends Pères, chers frères et sœurs en Christ !

Le premier dimanche du grand Carême, l’Église orthodoxe commémore le rétablissement, en l’an 843, de la vénération des saintes icônes. Après un siècle de troubles, l’hérésie de l’iconoclasme était vaincue et la légitimité du culte des icônes définitivement établie, conformément au prescrit du VIIe Concile œcuménique. Tenu en 787, ce Concile (également appelé IIe Concile de Nicée, du nom de la ville où il s’est réuni) affirme en effet : « Plus on voit, grâce à leur représentation par l’image, notre Seigneur Dieu et Sauveur Jésus-Christ, notre Dame immaculée la sainte Mère de Dieu, les anges dignes de notre respect, tous les saints et les justes […], plus on est amené à se rappeler et à aimer les modèles originaux et à leur donner salutations et respectueuse vénération ; non pas l’adoration véritable propre à notre foi, qui convient à la nature divine seule, mais comme on le fait pour la représentation de la glorieuse et vivifiante croix, pour les saints Évangiles et tous les autres objets sacrés […], car l’honneur rendu à l’image s’en va au modèle original, et celui qui vénère l’image vénère en elle la personne qu’elle représente » . (1)

Ce principe peut aussi s’appliquer dans la vie quotidienne de chacun d’entre nous : la photographie d’une personne, par exemple, peut nous faire penser à celle-ci, et nous inciter à lui manifester notre amour ou notre respect, même si nous ne confondons évidemment pas la personne et sa photographie. Saint Jean Damascène écrivait déjà : « Autre est l’icône, autre le sujet. […] Ainsi, le portrait d’un homme, même s’il reproduit les traits de son corps, n’a pas la puissance qui l’anime, il ne vit, ni ne parle, ni n’exprime, ni ne sent, ni ne meut ses membres » . (2) Et ce grand défenseur des icônes – qui vécut au VIIIe s. dans un environnement musulman – poursuit : « Toute icône révèle et montre quelque chose que l’on ne peut pas voir […]. (3) L’icône est saisie par l’esprit pour nous guider dans la connaissance, la manifestation et la démonstration de ce qui est voilé » . L’icône est une « fenêtre ouverte sur l’invisible » (4) , dira le prêtre et théologien russe Paul Florensky. Et aujourd’hui, le terme « icône » est aussi utilisé en informatique, où il signifie une image qui, mise en action, ouvre une page ou application cachée …

Great Concelebration of the Sunday of Orthodoxy in Brussels - March 1, 2015


Le christianisme a parfois été appelé religion « de l’image » ou « des visages ». En effet, notre foi – et notre civilisation qui est fondée sur elle – non seulement n’interdit pas, mais promeut la représentation de l’être humain. Selon l’expression du philosophe contemporain Emmanuel Lévinas, « la rencontre avec autrui se produit dans la révélation de son visage » (5) Or, l’homme est créé « à l’image et à la ressemblance » de Dieu, dit l’Écriture (Gn 1, 26-27). Sa nature porte donc l’empreinte des traits de Dieu … Cette image divine en l’homme fut cependant ternie par le péché, et le Christ est venu la restaurer, lui qui est « image [en grec : icône] du Dieu invisible » (2 Cor 4 ; Col 1, 15), « rayonnement de sa gloire et empreinte de sa substance » (He, 1, 3, formule reprise dans la Divine Liturgie de saint Basile). « Qui m’a vu a vu le Père », dit-Il lui-même (Jn 14, 9). Sur la Croix, le Seigneur a consenti, par amour pour nous, à prendre le visage défiguré de l’homme – défiguré par le péché et la souffrance. En ressuscitant, il retrouve son visage de gloire. En envoyant l’Esprit Saint, il accorde à chaque être humain la possibilité d’être transfiguré à son tour, comme le montre l’exemple de saint Séraphim de Sarov.

L’art de l’icône, d’ailleurs, ne cherche pas à reproduire les traits exacts de l’homme, mais à exprimer, par différentes techniques (visages et corps « spiritualisés », absence de perspective linéaire, symbolique des couleurs, etc.), la rencontre du divin et de l’humain. Les saintes icônes ne constituent pas seulement un rappel de la présence de Dieu et des saints ni un simple adjuvant à notre prière, mais portent témoignage du fait fondamental du Christianisme qu’est l’Incarnation du Christ. « Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire », dit saint Jean, l’évangéliste-théologien (Jn 1, 14). « Venez et voyez ! », dit le Seigneur lui-même (Jn 1, 39).

Frères et sœurs !

En ce jour, nous glorifions particulièrement les saintes icônes (dont certaines seront portées en procession à la fin de la célébration). Les autres jours de l’année également, nous les honorons, sachant que la vénération dont elles sont l’objet s’adresse à Dieu ou aux saints représentés. En agissant ainsi, nous faisons bien, non seulement parce que c’est la tradition de l’Église, mais parce que nous affirmons de la sorte la réalité de notre salut, comme le proclame le kondakion de ce jour : « Le Verbe indescriptible du Père s’est rendu descriptible en s’incarnant de toi, Mère de Dieu. Et ayant rétabli l’image (divine) souillée dans son antique dignité, Il l’unit à la beauté divine. Confessant le salut, nous exprimons cela par l’action et par la parole » (6)

Cependant, avant toute chose, avant tout objet (même le plus saint), c’est l’homme lui-même qui, parmi les créatures, constitue la première et principale « image (icône) de Dieu ». L’être humain est – comme nous l’apprend le livre de la Genèse, cité plus haut – le couronnement de la création, le sommet du processus créateur de la divine Trinité. « Nous sommes créés à l’image du Créateur, nous sommes dotés de raison et de parole qui parachèvent la perfection de notre nature » , (7) écrit saint Basile le Grand. Et saint Grégoire de Nazianze, voulant mettre en relief la grandeur de l’homme, ira jusqu’à le nommer un « dieu créé » (8) . Bien que frappante, cette formule n’est pas nouvelle, puisque le psaume 81 [82], cité par le Christ (Jn 10, 34), dit : « Vous êtes des dieux, Vous êtes tous des fils du Très-Haut ». Issu des Écritures (9) , ce thème de l’homme « imago Dei », est au cœur de toute l’anthropologie des Pères de l’Église, et nous pourrions en donner de multiples exemples. Mais il faut surtout songer aux conséquences de cette affirmation maintes fois répétée.

« Ce que vous faites aux plus petits d’entre mes frères, c’est à moi que vous le faites », dit le Christ (Mt 25, 40). Cette formule peut s’entendre dans les deux sens : si nous embrassons les icônes, si nous les prions, les encensons, allumons devant elles des bougies ou des lampes, a fortiori devrions-nous observer des règles de piété, c’est-à-dire de respect et d’amour, envers l’homme lui-même, qui est image de Dieu… « Si quelqu’un dit : “J’aime Dieu”, et hait son frère, c’est un menteur », nous rappelle le « disciple que Jésus aimait », l’apôtre et évangéliste Jean (1 Jn 4, 20). Et, puisque chacun de nous est le « temple du Saint-Esprit », comme le souligne saint Paul (1 Cor 6, 19), craignons, en offensant notre frère, d’offenser le Saint-Esprit qui est en lui ! Comme il est dit dans les Apophtegmes des Pères du désert : « Tu n’as pas honte de te mettre en colère et de mal parler à ton frère ? Il est le Christ et en le blessant, c’est le Christ que tu blesses ! » (10)

Bien-aimés dans le Seigneur,

Ce dimanche est appelé celui du « triomphe de l’Orthodoxie », c’est-à-dire de la victoire de la vraie foi sur les hérésies (outre l’iconoclasme, le synodkion du jour rejette « toutes les innovations, passées ou futures, contraires à l’enseignement de l’Église » (11 ). Cette victoire est surtout, selon le métropolite Antoine de Souroge, « celle de Dieu […] sur le péché de l’homme » (12) . Qu’il en soit ainsi dans notre propre vie : réjouissons-nous de cette fête, honorons les icônes, mais aussi l’icône vivante qu’est notre prochain ! N’oublions pas les commandements de Dieu : le premier « et le second qui lui est semblable » (Mt 22, 39).
« La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant » , (13) dit saint Irénée de Lyon.
« Va et, toi aussi, fais de même ! », prescrit le Seigneur (Lc 10, 37). Amen.
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i[ 1- « Décision et anathèmes de Nicée II (787) », Les Conciles œcuméniques. Les décrets, II, Paris, 1994, p. 305.
2- Saint JEAN DAMASCÈNE, La foi orthodoxe, suivie de Défense des icônes, Paris, 1966, p. 227.
3- Ibid.
4- P. FLORENSKY, « L’iconostase », La perspective inversée, suivie de L’iconostase, Lausanne, 1992, p. 139.


5 - E. LÉVINAS, Ethique et infini, Paris, 1982, p. 91sv.
6 - Triode de Carême, ton 2.
7- Saint BASILE LE GRAND, Sur l’action de grâce, 2, PG 31, 221 C.
8 - Saint GRÉGOIRE DE NAZIANZE, Poésie dogmatique, PG 37, 690.
9 - Cf. 1 Jo 3, 2 ; Rm 8, 29 ; 1 Co 15, 49 ; 2 Co 3, 18 ; Col 3, 10, etc.


10 - Saint DOROTHEE DE GAZA, « Vie de Dosithée », Œuvres spirituelles, Paris, 1963, p. 131.
11- Synodkion du septième Concile œcuménique sur l’orthodoxie (Triode de Carême).
12- Métropolie ANTOINE DE SOUROGE, Bo имя Отца и Сына и Святого Духа. Проповеди [Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Homélies], Moscou, 1999, p. 219.
13- Saint IRÉNÉE DE LYON, Contre les hérésies, IV, 20, 7.]i

Lire aussi Parution aux Éditions Sainte-Geneviève du livre du P. Serge Model, « Toute terre étrangère est pour eux une patrie ». 150 ans de présence orthodoxe en Belgique (1862–2012)

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 1 Mars 2015 à 09:04 | 1 commentaire | Permalien



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