Anne de La Cerda

Un concert du pianiste Cyprien Katsaris a été donné le 23 septembre dernier au profit de la restauration de l’Eglise Russe de Biarritz fait revisiter la riche histoire de ce monument historique récemment classé qui s’inscrit dans le célèbre paysage de la Grande Plage et de l’Hôtel du Palais

Au XIXème siècle, Biarritz s’était métamorphosé en un phare rayonnant depuis que Napoléon III et Eugénie avaient drainé le monde entier avec ses têtes couronnées, ses hommes politiques et ses grandes fortunes. Parmi les nouveaux touristes, les Russes furent attirés par la douceur du climat et le charme de la villégiature basque. De plus en plus nombreux, ils appréciaient les bienfaits de l’Océan. Cependant il fallait aussi satisfaire leur vie spirituelle. Il fut donc décidé de construire un lieu de culte à Biarritz.

C’est en septembre que la saison russe de velours, drapée de ses vagues, commençait à battre son plein. Les bals s’organisaient dans l’ancienne demeure de la Villa Eugénie transformée en Hôtel du Palais. Dans un de ses salons, l’établissement avait accueilli une chapelle orthodoxe russe consacrée le 12 septembre 1887 à l’initiative du père Hérodion qui officiait également à l‘église russe de Pau. « Après la chute de Napoléon III (1870), le nouveau gouvernement républicain avait refusé l’autorisation d’une église russe à Biarritz ».

Biarritz : devant l’Hôtel du Palais, l’église russe en péril
Finalement, ce n’est qu’en 1888, avec le soutien de l’Empereur Alexandre III et du père Hérodion, que les autorités françaises autorisèrent la construction d’une église à condition qu’aucune cloche n’y soit placée. En 1889, après l’achat du terrain - au nom de l’Empire russe - dans le lotissement de l’ancien Domaine Impérial, en face de l’Hôtel du Palais, les travaux avaient été financés par de nombreux donateurs réunis au sein d’un comité constitué autour des princes Nicolas d’Oldenbourg et Michel Wolkonsky ; de nombreux nobles, la famille Elisseev (le Hédiard russe), le peintre de « la neuvième vague » Avaïzovsky ainsi que son collègue Makovsky) y ont également participé à leur manière.

Lire aussi OLTR- le nouvel éditorial de février 2015: "La préservation de nos églises - le cas de l’église russe de Biarritz"

Les architectes Nikonoff (russe attaché au Saint Synode) et Tisnès (français de Biarritz) établirent les plans qui comprenaient également la construction d’un appartement privé pour le prêtre. Le 12 septembre 1890, autour d’un chapelet de personnalités russes et françaises, l’église fut consacrée à saint Alexandre Nevsky et à la Protection de la Mère de Dieu.

En présence du maire de Biarritz et des autorités locales, le nouveau marguillier, le prince Michel Wolkonsky, grand maître de la Cour d’Alexandre III et membre de l’Académie des Beaux-Arts, accueillaient le cortège des invités d’honneur : l’Ambassadeur de Russie, le baron Mohrenheim, venu de Paris, la princesse Katia Dolrouky, ancienne épouse morganatique d’Alexandre II, le duc et la duchesse de Leuchtenberg, le comte Orloff-Davidoff, etc.

Une église en péril

La décoration intérieure fut réalisée en 1892 par deux architectes-décorateurs, le russe Lipsky aidé par de Ramonborde. A l’intérieur de l’édifice, l’iconostase en bois doré de Saint-Pétersbourg avec les icônes de la Mère de Dieu et du Christ, est muni de « portes royales » ornées des archanges saint Gabriel et saint Michel. A la base de la coupole centrale, les peintures des quatre évangélistes dans des médaillons contemplent les paroissiens. Tout autour, les murs sont garnis d’icônes, dont celles de Saint Georges terrassant le dragon de la marine, de la Protection de la Mère de Dieu, ainsi que celle du célèbre iconographe russe Dimitri Stelletsky…

Réalisé par l’entreprise Maumejean, le vitrail de la croix à palmettes et fleurons colorés du Saint Sépulcre au-dessus de la porte intérieure illuminait déjà de ses rayons rouges le narthex et l’intérieur de la nef lors du mariage du Grand-Duc Dimitri Romanoff (frère de la Grande-Duchesse Marie de Russie et ami du prince Félix Ioussoupoff) avec Audrey Emery (en 1924). En une autre occasion, les funérailles du jeune prince Wladimir Bariatinsky, âgé seulement de vingt-six ans, assombrissent d’un voile noir la saison estivale.

Lors de la révolution russe de 1917, selon l’image du remarquable ouvrage « Les aigles foudroyés » de Frédéric Mitterrand, tout a basculé. Aristocrates, anciennes fortunes, artistes russes, survivants riches de souvenirs parlant un français châtié (la langue diplomatique utilisée dans toutes les cours européenne !), atterrissent l’été à Biarritz. A partir des années trente, les bals de charité ne suffisent plus pour subvenir à l’entretien de l’église russe de Biarritz qui commence progressivement à se dégrader.

En 1984, à l’initiative du recteur de la paroisse, le Père Jean Baikovs, l’édifice religieux avait reçu des dons venus du monde entier, et parmi les généreux donateurs on trouvait le célèbre écrivain Alexandre Soljenitsyne. Il y a quelques années, le metteur en scène André Mikhalkov avait également effectué un legs.

L’église, si elle était passée au patriarcat de Moscou, aurait pu être entièrement restaurée à l’instar de la cathédrale russe de Nice. Cependant une partie minoritaire des paroissiens - certains d’origine russe ou slave et d’autres nouvellement convertis – s’y opposèrent.

Aujourd’hui l’état de l’église est devenu catastrophique !

Depuis plusieurs mois, un échafaudage soutient le fronton défaillant de la façade Sud qui menace de s’effondrer. Chaque mois, la paroisse ne pouvant pas encore entreprendre ces travaux, est obligée de débourser 1300 € pour financer l’échafaudage.

A l’extérieur, sa couverture en plomb est en fin de vie. De plus, à divers endroits, les murs en pierre rongés par le sel sont poreux. Les joints dégradés, les eaux de ruissellement pénètrent à l’intérieur des maçonneries. A l’intérieur, le cerclage en acier qui porte la coupole centrale est rouillé à certains endroits, c’est pourquoi il a été posé un filet de protection.

« Il faudrait effectuer ces restaurations d’urgence », explique l’architecte du patrimoine en charge de l’église, Catherine Matveieff, dont le père d’origine russe avait épousé une Béarnaise au Pays Basque. « Ce monument exceptionnel à l’élégante architecture byzantine, unique dans notre région, situé en face de l’hôtel du Palais, dans la Zone de Protection du Patrimoine Architectural et Urbain de Biarritz, est remarquable tant au niveau de son style que de son histoire », note cette experte en restauration qui la fit récemment inscrire et classer à l’inventaire des Monuments Historiques.

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 24 Septembre 2015 à 17:57 | 6 commentaires | Permalien



Recherche



Derniers commentaires


RSS ATOM RSS comment PODCAST Mobile