« C’est vous qui périrez par le glaive » : le Saint patriarche Tikhon au Conseil des commissaires du peuple
Traduction pour "PO" Nikita Krivocheine

Le jour du premier anniversaire de la révolution, le 13 (26) octobre 1918, le patriarche Tikhon a rédigé une lettre adressée au parti bolchevik. C’est avec profondeur et précision qu’il y dresse le premier bilan de la prise du pouvoir par les soviets. Voici cette lettre :
« Tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive » (Mt,26,52).

* * *
Nous vous renvoyons à cette prophétie du Sauveur, vous qui régissez les destinées de la patrie, vous qui vous nommez vous-mêmes « commissaires du peuple ». Voilà toute une année que vous détenez les rênes du pouvoir. Vous vous apprêtez à célébrer le premier anniversaire de la révolution d’octobre. Mais le sang de nos frères impitoyablement tués sur vos ordres clame au ciel et Nous ordonne de vous dire la vérité, si amère soit-elle.

Quelles ont été les promesses que vous avez faites au peuple en vous emparant du pouvoir et en l’appelant à vous faire confiance ? Qu’avez-vous fait de ces promesses ? En vérité « vous lui avez donné une pierre à la place du pain et un serpent à la place du poisson » (Mt,7,9-10). Vous avez promis la paix à un peuple exténué par une guerre sanguinaire vous avez promis « la paix sans annexions et sans contributions ».

« C’est vous qui périrez par le glaive » : le Saint patriarche Tikhon au Conseil des commissaires du peuple
A quelles conquêtes pouviez-vous renoncer, vous qui avez conclu au nom de la Russie un Traité de paix honteux ?

Vous n’avez même pas osé rendre publiques toutes les dispositions de ce Traité infamant. Il ne s’agit plus « d’annexions et de contributions » mais de notre grande patrie humiliée et démembrée. Pour vous acquitter du tribut qui a été imposé au pays vous exportez secrètement en Allemagne de l’or qui n’a pas été accumulé par vous.

Vous avez confisqué à nos guerriers tout ce au nom de quoi ils avaient vaillamment combattu. Vous avez incité ces guerriers hier encore courageux et invincibles à fuir le champ de bataille et à ne plus défendre la patrie. Vous avez éteint dans leurs cœurs une vérité intangible : « Nul n’a plus grand amour que celui-ci : déposer sa vie pour ses amis » (Jn,15, 13). Vous avez substitué à la patrie la notion vide d’internationale. Mais vous savez parfaitement que les prolétaires de tous les pays sont les fils fidèles de leurs patries et non leurs traîtres.

Ayant renoncé à défendre la patrie contre ses ennemis extérieurs vous vous êtes mis renforcer les effectifs de votre armée. Mais contre qui conduirez-vous vos troupes ?

Vous avez divisé la nation en camps hostiles l’un à l’autre et précipité le pays dans un combat fratricide d’une cruauté sans égale. La haine est venue évincer l’amour chrétien, la lutte des classes est perfidement venue se substituer à la paix. On n’entrevoit pas la fin de la guerre que vous avez déclenchée car vous voulez faire triompher le spectre de la révolution mondiale aux dépens des ouvriers et des paysans russes.

La Russie n’avait nul besoin du Traité de paix honteux que vous avez conclu avec l’ennemi extérieur, c’est vous qui souhaitiez un tel Traité car vous voulez définitivement ruiner la paix du pays. Personne ne sent plus en sécurité maintenant, tous vivent dans la frayeur permanente d’être pillés, chassés de chez eux, exécutés. Des innocents sont emmenés par centaines, ils moisissent des mois entiers dans les prisons, ils sont exécutés sans autre forme de procès, sans même que soient respectées les procédures rudimentaires que vous avez établies. Sont passés par les armes non seulement ceux qui sont coupables à vos yeux mais aussi ceux qui sont manifestement innocents à votre regard. Ces victimes sont appréhendées en tant « qu’otages », ils sont ensuite tués en vengeance de crimes commis par des personnes qui non seulement n’ont rien à voir avec ces « otages » mais souvent par vos propres partisans ou par vos amis. Des victimes totalement innocentes sont massacrées en fonction d’accusations arbitraires.

Des évêques, des prêtres, des moines et des moniales sont exécutés car accusés du crime nébuleux et indéfini de « contre révolution ». Les orthodoxes sont punis en surcroît car privés des derniers sacrements et des ultimes consolations. Les dépouilles des fusillés ne sont pas remises à leurs proches et ne peuvent donc être inhumées comme il se doit.


Tout ceci n’est-il pas une manifestation de cruauté inouïe de la part de ceux qui se font passer pour les bienfaiteurs de l’humanité ? De ceux qui ont le front d’affirmer que naguère ils ont eu beaucoup à souffrir des autorités de l’époque ?

Ne vous suffit-il pas d’avoir plongé vos mains dans le sang du peuple russe ? Sous divers prétextes, - contributions, réquisitions et nationalisations vous avez poussé le peuple à se livrer à des pillages éhontés. C’est à votre incitation que sont dilapidés et pillés les terres, les domaines, les usines et les fabriques, les maisons, le bétail, l’argent, les objets, les meubles et les vêtements… On a commencé à arguer du prétexte « méchants bourgeois » pour ruiner des personnes aisées, puis ce fut le tour des paysans laborieux et disposant d’un patrimoine : la dénomination « koulak » servit de prétexte à les piller. Vous avez ainsi multiplié le nombre des laissés pour compte. Mais vous ne pouvez pas ne pas savoir que la ruine d’un très grand nombre de citoyens conduit à la disparition de la richesse nationale et que c’est le pays même que l’on ruine.

En faisant miroiter aux yeux d’un peuple ignare et mal instruit la promesse d’une fortune rapide et impunie vous avez sali sa conscience, vous avez fait taire en lui la voix de la conscience. Mais quels que soient les prétextes que l’on trouve aux crimes qui sont commis, assassinats, viols, pillages, ces crimes continueront à clamer vengeance.

« C’est vous qui périrez par le glaive » : le Saint patriarche Tikhon au Conseil des commissaires du peuple
Vous avez promis la liberté.

La liberté qui, bien comprise, est un grand bien. Liberté par rapport au mal, liberté qui n’empiète pas sur celle des autres et qui ne verse pas dans l’arbitraire. La liberté que vous avez donnée donne cours aux viles passions de la foule, à l’impunité des assassins, c’est la liberté de piller et d’humilier. Voilà en quoi consiste la liberté que vous avez apportée. Toute manifestation de liberté civique et spirituelle est implacablement étouffée. De quelle liberté peut-il s’agir s’il est impossible d’acheminer sa nourriture, de louer un logement, d’aller s’installer dans une autre ville ? De quelle liberté peut-il s’agir si des familles entières, si tous les habitants d’un immeuble sont expulsés et que leurs biens sont jetés à la rue ? De quelle liberté peut-il s’agir quand les citoyens sont artificiellement divisés en catégories dont certaines sont vouées à la famine et à la ruine ? De quelle liberté peut-il s’agir alors que personne n’ose parler ouvertement sans craindre d’être accusé de contre révolution ? Ou sont la liberté de parole et de presse ? Où est la liberté de prédication ? De très nombreux prédicateurs ont déjà payé leur courage par leur sang. L’opinion, le libre débat sont réduits au silence. La presse, hormis celle du parti bolchevik, est muselée.

L’absence de liberté se fait tout particulièrement sentir dans le domaine de la foi. Il ne passe un jour sans que vos journaux ne publient des articles diffamatoires noircissant l’Eglise du Christ, des mensonges à propos de ses serviteurs, des calomnies et des blasphèmes. Vous humiliez les serviteurs de l’Eglise, vous forcer des évêques à creuser des tranchées (Mgr Hermogène, évêque de Tobolsk, par exemple), vous forcez les prêtres à accomplir des tâches salissantes, vous avez confisqué les biens de l’Eglise accumulés par de nombreuses générations de croyants. Vous avez sans le moindre prétexte fait fermer de nombreux monastères et chapelles. Vous avez restreint l’accès au Kremlin de Moscou, ce patrimoine sacré du peuple croyant.

« Et que dirai-je encore ? Car le temps me manquerait » (He 11, 32). Que puis-je encore dire à propos des malheurs qui ont frappé notre patrie ? La Russie, naguère grande et puissante, est tombée en loques. Le pays connaît une disette sans précédent, la famine et les frimas. Les villes risquent de dépérir car les campagnes ne produisent plus. Nous sommes voués à souffrir votre cruelle domination.

Pendant longtemps encore l’âme du peuple continuera à s’en ressentir car vous y avez noirci l’image de Dieu et vous y avez imprimé celle de la Bête…


Il ne nous appartient pas de juger les pouvoirs terrestres car toute autorité admise par Dieu obtiendrait Notre bénédiction si cette autorité était en réalité au service de Dieu. Si elle agissait pour le bien des subordonnés. Mais le pouvoir vous sert à persécuter vos proches et à exterminer les innocents. Je m’adresse à vous : célébrez le premier anniversaire de votre pouvoir en faisant libérer les détenus, en mettant fin à l’effusion de sang, à la violence, à la ruine, à la persécution des croyants… Cessez de détruire et rétablissez l’ordre et la légalité. Donnez au peuple le repos qu’il mérite et qu’il souhaite à la suite des luttes fratricides. Sinon, « Oui, je vous le dis, il en sera demandé compte à cette génération » (Lc, 11, 52). « Tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive » (Mt, 26 , 52).

Tikhon, patriarche de Moscou et de toute la Russie

Site "Vosvratchenie"


Rédigé par Parlons d'orthodoxie le 18 Novembre 2018 à 13:23 | 4 commentaires | Permalien



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