Bien peu d'informations ont filtré sur les résultats de cette rencontre tant attendue: 2 communiqués (1) et 2 articles (2) dont les "nuances" amènent plus de questions que de réponses. C'est néanmoins à partir de ces documents que je vais proposer une analyse de la situation et je serais évidement très intéressé si des avis plus compétents ou informés pouvaient intervenir et compléter.

LA PART DE SUCCÈS

C'est bien entendu que ces rencontres aient lieu et que le dialogue reprenne entre orthodoxes qui est un grand succès. De plus, ce dialogue progresse: les deux communiqués annoncent des avancées sur la question de la diaspora, qui était la priorité à l'ordre du jour par décision de la Réunion au Phanar des Primats et des délégués des Églises orthodoxes locales (synaxe) en octobre 2008. Les documents préparatoires de 1990, 1993 et 1995 ont été précisés, corrigés et complétés et approuvés à l’unanimité(3); de même la Conférence "a décidé de créer de nouvelles Assemblées épiscopales dans certaines régions du monde pour régler la question de la Diaspora", en a précisé les objectifs(4) et "a également approuvé le projet modifié du règlement définissant les fondements de l'activité des assemblées épiscopales régionales dans la diaspora orthodoxe".

Aucun des documents définitifs n'a été publié, mais en fait toutes ces décisions restent, à ce stade, des "avis d'experts". Pour être applicables et avoir une valeur canonique, elles doivent encore être approuvées par les Églises de façon conciliaire (Saint Synode ou Concile selon le cas). On peut donc imaginer que c'est dans le cours de ces processus d'approbation que chaque Église les portera à la connaissance de ses membres…

Il est en tout cas indéniable qu'un grand pas en avant a été franchi et l'orthodoxie dispose d'une bonne base pour avancer vers le règlement de ce problème de diaspora orthodoxe, qu'aucun des communiqués ne qualifie de "soi-disant" (5) et que Mgr Jean définit comme "les fidèles orthodoxes installés dans les régions situées en dehors des frontières traditionnelles des Églises orthodoxes locales'. Dont acte

CE QUI SUSCITE DES INQUIÉTUDES

Il parait claire que cette réunion n'a pas aplani les divergences ecclésiologiques qui étaient apparues. La meilleure preuve en est qu'il n'y a pas eu de communiqué commun et celui de Mgr Jean apparaît, de fait, comme une position personnelle au même titre que celui du département des relations extérieures apparaît comme définissant la position de la seule Église orthodoxe russe. Les autres délégations gardent le silence et nous ne pouvons que conjecturer l'objet et la portée des divergences. Comme la différence entre les deux communiqués porte sur la présidence des Assemblées épiscopales, point mis en avant par l’Église orthodoxe russe dès avant la conférence, il semble que ce soit là la question qui fait problème. Et il s'agit bien évidement d'un point important pour la suite: on ne peut imaginer aucune création nouvelle d'Assemblée épiscopale, ni aucun progrès dans le fonctionnement de celles qui existent (et de l'AEOF en premier lieu) tant qu'il ne sera pas tranché…

De plus, cela n'augure rien de bon pour la suite: les points laissés pour les prochaines réunions sont encore plus litigieux (6) car ils mettent en question des prérogatives de Constantinople qui sont en débat.

UN DÉBUT DE POLÈMIQUE

Les deux articles donnent, chacun dans son sens, un éclairage plus polémique qui montre probablement mieux l'ambiance que les communiqués officiels diplomatiquement lissés.

- Interfax titre "les propositions ‘anti-monopolistiques’ (sic) du patriarcat de Moscou sont mieux prises en compte à Chambesy" et continue en citant la déclaration préalable de l'archevêché de Chersonèse (voir par ailleurs sur ce forum) et le communiqué du département des relations extérieures qui précise à propos des Assemblées épiscopales, comme celui de Mgr Jean, que "les décisions dans les ces assemblées doivent être prises sur le fondement du consensus des Églises dont les évêques sont présents dans l'assemblée. L'activité de l'assemblée épiscopale n'admet aucune ingérence dans la juridiction diocésaine de chaque évêque-membre et ne doit pas limiter les droits de son Église…". Ce titre me parait très exagéré car, comme je l'ai montré, c'est justement sur cette position de Moscou que le consensus ne s'est pas fait.

- L'article de "La Croix", basé sur une analyse de Carol Saba, responsable de la communication de l'AEOF, est nettement plus polémique. Ainsi, insistant sur les désordres de la diaspora, il écrit que "aux États-Unis, l'Église orthodoxe d'Amérique a proclamé sont autocéphalie, reconnue par le Patriarcat de Moscou mais pas par les autres" ce qui est faux: l'autocéphalie de l'OCA a été accordée par son Église mère, le Patriarcat de Moscou, et est reconnue par plusieurs autres Églises, et pas des moindres (Bulgarie, Géorgie, Serbie etc.). Et pour tirer les conclusions de la conférence de Chambésy, il reprend l'affirmation de Mgr Jean (7) pour estimer qu'il s'agit là "d'un revers pour Moscou, qui demande que ces présidents soient au contraire élus par leur assemblée".

Ces deux présentations en termes de "succès" ou "revers" de l'une des positions montrent bien que nous ne sommes plus sur le terrain du débat théologique (rappelons que "théologie" signifie "connaissance de Dieu"!), où l'on chercherait humblement à discerner une réponse du Saint Esprit, mais bien dans cet affrontement tristement humain qu'avait si bien décrit l'an dernier Philarète, pseudo-patriarche de Kiev, cité ailleurs sur ce forum. Je n'ai évidement aucune compétence pour trancher cette question théologique controversée et, ne connaissant pas la teneur des débats et les avis des autres Églises, il me semble difficile de savoir quelle position aurait l'avantage, mais il est claire que la position de Moscou en général a été renforcée en obtenant l'absence de l'Église non reconnue d'Estonie dans la juridiction du patriarcat de Constantinople, qui avait provoqué le départ de la délégation de l'Église russe lors des pourparlers de Ravenne (8) et bloqué le dialogue préconciliaire(9).

ET NOUS?

Nous n'avons aucune information sur la composition des autres délégations, mais la délégation de l’Église orthodoxe russe en tout cas comprenait des personnalités bien au fait des problèmes de notre diaspora: Mgr Hilarion de Volokolamsk y participe depuis plus de 10 ans et y a consacré l'essentiel de son ministère épiscopal et Mgr Marc de Berlin (Église russe hors frontières) en fait totalement partie. Il est d'ailleurs bien triste de constater une fois encore que Daru est privé de toute participation en persistant dans son rattachement provisoire à Constantinople. Nos excellents théologiens sont de fait exclus des débats panorthodoxes de haut niveau et contraints de rester, en quelque sorte, entre eux…

Notes:
(1) Mgr Jean de Pergame et Service communication du département des relations extérieures, cités par ailleurs sur ce forum. Ceux qui présentent le premier comme "Le communiqué final de la conférence panorthodoxe préconciliaire à Chambésy du 6 au 12 juin 2009", comme orthodoxie.com, me semblent bien exagérer: ce texte est simplement titré "communiqué", signé du seul Mgr Jean qui, malgré son titre de Président, ne peut engager toute la conférence comme je l'expose plus loin.
(2) "La Croix", cité sur Orthodoxie.com et Interfax en russe.
(3) Les textes de base en sont connus: cf. ici et ici pour les premiers, je n'ai pas de références pour le dernier.
(4) "Tous les évêques des Églises orthodoxes qui exercent leur ministère pastoral au sein des communautés existantes dans chacune de ces régions sont membres de ces Assemblées. Les Assemblées épiscopales ont pour mission de manifester et de promouvoir l’unité de l’Eglise orthodoxe, d’exercer ensemble la diaconie pastorale des fidèles de la région et de rendre au monde leur témoignage commun. Les décisions des Assemblées épiscopales sont prises conformément au principe d’unanimité des Églises représentées au sein de ces Assemblées par des évêques." d'après Mgr Jean, et le texte du département des relations extérieures et quasi identique, aux nuances de traduction prés. Cela me fait d'ailleurs penser qu'il y a bien eu tentative de communiqué commun dont ce texte aurait pu faire partie…
(5) Terme utilisé dans le message commun diffusé à l’issue la synaxe d'octobre 2008.
(6) "Mode de proclamation de l'autocéphalie et de l'autonomie, ordre des dyptiques" d'après le communiqué du département des relations extérieures.
(7) "Les présidents des Assemblées sont des évêques du Patriarcat œcuménique dans la région donnée, et en leur absence, les évêques suivants conformément à l’ordre des dyptiques des Églises"
(8) Dernière réunion du dialogue théologique Catholiques-Orthodoxes.
(9) Comme l'écrit fort justement "La Croix": "La période creux qui a suivi /les premières conférences/ s'explique par les évolutions dans les Pays de l'Est après la chute du Communisme, et par les tensions entre le Patriarcat de Moscou et celui de Constantinople, cristallisé autour de l'orthodoxie estonienne.

Rédigé par Vladimir Golovanow le 24 Juin 2009 à 23:18 | 26 commentaires | Permalien



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