Hégoumène Ephrem Meziani: mon chemin vers l'Eglise Orthodoxe russe
PARTIE 1: VERS L'ORTHODOXIE

L'hégoumène Ephrem est aumônier de la chapelle Saint-Nicolas de la Maison russe à Sainte-Geneviève-des-Bois . Quand nous nous sommes rencontrés, je lui ai demandé comment il est devenu orthodoxe et il a accepté que nous échangions sur ce sujet pour en faire un article.

Comme dans le cas du père Georges Leroy , qu'il a d'ailleurs rencontré, son parcours présente un témoignage intéressant sur les voies de ces conversions qui témoignent de la réussite du témoignage et de la mission des Orthodoxes en Europe occidentale. Initiée par des migrants, cette Orthodoxie répond ainsi aux besoins spirituels de certains autochtones qui, pour être très minoritaires, n'en apportent pas moins une contribution essentielle au rayonnement de notre foi autour de nous.

*Note: il m'a semblé intéressant d'ajouter des notes au témoignage du père Ephrem pour mieux situer les différents protagonistes. Je les ai insérées dans le texte pour en permettre une lecture commode eu égard au format du blog qui ne permet pas de renvois faciles.

Hégoumène Ephrem Meziani: mon chemin vers l'Eglise Orthodoxe russe
DU ROLE DES CHATS DANS LES VOIES DE DIEU

Père Ephrem: Les voies de Dieu sont impénétrables. Rien ne semblait me destiner au départ à rejoindre l'Église orthodoxe russe. Je suis né dans une famille catholique, Maman était très pieuse et je fus un jeune Catholique fervent et engagé, fréquentant en particulier l'aumônerie du lycée. Bien que très jeune, je suivis avec intérêt le concile Vatican II dont j'espérais un renouveau, un nouvel élan pour l'Église. Mais les résultats m'ont extrêmement choqué: j'avais 17-18 ans quand la réforme liturgique a été appliqué (1966-67) et je n'acceptais pas cette désacralisation de la messe; il se passait des choses invraisemblables et à mon sens pas correctes dans notre paroisse: c'était une renonciation, une trahison des valeurs et de la Tradition. Je n'avais rien contre le passage au français, mais les textes – c'était n'importe quoi, des prières qui ne voulaient rien dire; il n'y avait plus aucun respect pour l'autel, les Saintes espèces, les prêtres avaient troqué la soutane pour des jeans et l'aumônier mettait la Résurrection en question…

Q: vous avez alors suivi le courant intégriste?

Père Ephrem: Non, j'ai rejoint l'Église Melkites à Saint Julien le Pauvre*. Les Melkites viennent du Liban. Ils se sont détachés du patriarcat orthodoxe d'Antioche pour rejoindre l'Église catholique au XVIIIè siècle en gardant le rite byzantin. Leur primat porte le titre de patriarche d'Antioche (http://www.pgc-lb.org/fre/home). L’église Saint-Julien-le-Pauvre est très belle. C'est l'une des plus anciennes églises de Paris. *

* Note: La première attestation de l’église Saint-Julien-le-Pauvre date de 507 et l'église actuelle est de style roman du XIIe siècle. Elle fut longtemps la chapelle de l'Hôtel Dieu; confisquée à la Révolution, elle fut ensuite laissée à l'abandon puis devint la première paroisse de la communauté melkite de Paris en 1888. Une magnifique iconostase en marqueterie de bois qui se marie très bien avec les piliers et les voutes romans y a été réalisée en 1900 cf.

Hégoumène Ephrem Meziani: mon chemin vers l'Eglise Orthodoxe russe
Père Ephrem: Je fréquentais donc cette communauté Melkite, dont le rite byzantin me satisfaisait; les offices avaient lieu en français et en arabe, ce qui était très beau. Les autorités diocésaines m'ont accordé une "autorisation de changement de rite" que je ne suis d'ailleurs pas allé chercher car j'étais déjà sur le départ.

Il n'y avait pas de séminaire et, toujours en recherche, j'avais alors lu "Essai sur la théologie mystique de l'Église d'Orient" de Vladimir Lossky qui m'a fortement marqué.* J'ai en effet compris la latinisation de la Liturgie chez les Uniates et je voulais retrouver la véritable source du rite.

Note: Vladimir Nikolaïevitch Lossky(1903-1958) est considéré comme un des "pères" de la théologie orthodoxe en Occident. Son grand classique, "Essai sur la théologie mystique de l’Église d’Orient", paru en 1944, est la première œuvre significative d’un théologien orthodoxe à atteindre un grand public en Europe occidentale et il a inspiré toute une génération de jeunes théologiens qui ont suivis ses enseignements (cf. http://www.pagesorthodoxes.net/theologiens/lossky/lossky-intro.htm).

Père Ephrem: Vladimir Lossky avait fait partie de l'Église orthodoxe russe et je me suis adressé à l'église de la rue Pétel, cathédrale de l'Église russe à Paris, pour demander s'il n'y avait pas de paroisse francophone. Mais le prêtre que j'y ai alors rencontré m'a éconduit sans autre forme de procès en disant que l'Orthodoxie n'était pas pour des gens comme moi…

Question: vous avez du être déçu? Rebuté?

Père Ephrem:
Un petit peu…! Mais c'est là qu'interviennent les chats: me promenant souvent au "Jardin des Plantes", j'y remarquais une personne peu ordinaire qui venait régulièrement donner à manger au chats perdus qui infestaient les lieux. Sa tenue indiquait un ecclésiastique et j'osai l'aborder pour lui faire part de mes interrogations. Il s'agissait en fait de l’évêque Teofil Ionescu, primat de l'Église orthodoxe roumaine de Paris.*

* Note: Après la Deuxième Guerre mondiale et l’installation du communisme en Roumanie (1948), l'Église orthodoxe roumaine de Paris se coupe de la juridiction canonique du Patriarcat roumain, se constituant dans une éparchie orthodoxe roumaine hors frontières … Elle est revenue au sein de l'Eglise-mère le 10 mai 2009 (http://www.mitropolia.eu/fr/site/149/).


Question:
il vous a orienté vers une paroisse roumaine?

Père Ephrem: Pas du tout. Il me conseilla d'aller à la paroisse Saint Irénée, 96, bd Auguste Blanqui (Paris 13), église-cathédrale de l'ECOF*. J'avais entendu parler de cette "Église Catholique Orthodoxe de France" et je savais qu'elle se trouvait alors dans un "vide canonique", sans aucun rattachement depuis 1966, mais Mgr Teofil me rassura en disant "qu'il avait des plans pour cette juridiction." Et en effet, l'ECOF fut reçue sous l'omophore du patriarcat de Roumanie de 1970 à 1993, et j'y fus très bien accueilli.

* Note: pour ceux qui veulent en savoir plus sur l'ÉCOF, voir le très intéressant exposé du Père Marc Génin à L’Institut Saint Serge le 27 septembre 2013; "Nouvelle Forme de Communauté Orthodoxe, l’ECOF",http://stjeansanfrancisco.pafeos.org/spip.php?article59

Hégoumène Ephrem Meziani: mon chemin vers l'Eglise Orthodoxe russe
UN SAS VERS L'ORTHODOXIE

Question:et vous êtes ainsi devenu orthodoxe?

Père Ephrem: Absolument! J'y appris les fondements de l'Orthodoxie en suivant les cours de "l'Institut St Denis"* et je fus ordonné diacre en 1973 puis prêtre célibataire en 1975, après avoir obtenu ma licence de "l'Institut St Denis"*; je célébrais, participais à la vie de la communauté, aux assemblées diocésaines…

* Note: L'institut St Denis, qui existe toujours (http://www.institut-de-theologie.fr/), fut crée par l'ÉCOF et le patriarcat de Moscouen en 1944 comme un pendant francophone à l'ITO St. Serge (alors entièrement voué au russe et au slavon). Il était dirigé par Vladimir Lossky jusqu'en 1953. Une fusion des deux Instituts fut envisagée en 1945, lorsque le métropolite Euloge, recteur de l'ITO en sa qualité de primat de l'Archevêché russe, décida de revenir à l'Église russe, et deux jeunes professeurs de l'ITO, le père Alexandre Schmemann et le professeur Constantin Andronikoff, acceptèrent d'y professer au début (1945-1946), mais se retirèrent rapidement après le rappel à Dieu du métropolite Euloge et la nouvelle rupture entre l'Archevêché et Moscou.

Question: Mais vous ne restèrent pas longtemps à l'ECOF?

Père Ephrem: En effet, ce fut plutôt une transition. Le père Eugraph Kovalevsky, fondateur de l'ÉCOF qui fut sacré évêque sous le nom de Jean de Saint-Denis en 1964 dans l'Église russe hors frontières, était décédé depuis quelques années et il avait été remplacé par l'archiprêtre Gilles Bertrand-Hardy, sacré évêque dans l'Église de Roumanie sous le nom de Mgr Germain en 1972. Il commença à introduire des innovations personnelles qui éloignaient l'ECOF de la Tradition orthodoxe. Il refusait de se plier aux injonctions du patriarcat de Roumanie et, lorsque je lui ai fait remarquer qu'il rompait ainsi la communion avec le plérôme des évêques orthodoxes il me répondit "je suis en communion avec les ancien évêques des Gaules," à quoi je rétorquai "mais ils sont morts, Monseigneur!" Et je décidais de quitter l'ÉCOF.

Question: Vous n'avez donc pas attendu la dislocation de cette juridiction?

Note: Début 1993 le Saint Synode de l’Eglise roumaine retire la juridiction canonique de l'ECOF et destitue Monseigneur GERMAIN de toute fonction épiscopale. Celui-ci refuse de s'y plier mais la révélation de son mariage en 1995, en rupture de ses vœux monastiques, provoque un scandale en 2001. Une partie des paroisses quittèrent l'ECOF pour former "l'Union des associations cultuelles orthodoxes de rite occidental" (UACORO) et beaucoup rejoignirent, sur une base individuelle, la juridiction du patriarcat de Serbie ou d'autres juridictions canoniques. Actuellement l'ECOF, toujours dirigée par Mgr Germain, n'a pas de rattachement canonique mais revendique toujours prés de trente paroisses en France et à l'étranger (Suisse, Allemagne, USA, Argentine… Cf. http://eglise-orthodoxe-de-france.fr/)

Père Ephrem: Non. Dès 1976 je prenais contact avec «l’archevêché russe-orthodoxe en Europe occidentale» (cf. http://exarchat.eu/) où je fus reçu le 1 juin 1976 par Mgr Georges (Tarasov, cf. http://exarchat.eu/spip.php?article132). J'y reçu la tonsure rasophore l'année suivante et passai la licence de théologie à l'ITO St Serge. Plus tard je rejoignis l'Église russe…

Mais ceci est une autre histoire!

À suivre Parti II: "Rejoindre l'Église russe."
V.G.

Photo: Mgr. Nestor de Chersonèse, l'hégoumène Ephrem Meziani et le protodiacre Alexey Sobolev administrent les Saints Sacrements aux retraités de la Maison russe à Sainte-Geneviève-des-Bois
Hégoumène Ephrem Meziani: mon chemin vers l'Eglise Orthodoxe russe

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 21 Mai 2016 à 08:36 | 3 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Yves Leroy - Higoumène Georges le 20/05/2016 03:38
Cher Vladimir, quelle excellente idée avez-vous eue de poursuivre vos articles sur « les trajets d'une vie » !

Il nous faut également être reconnaissants au Père Éphrem Meziani, pour avoir accepté de nous révéler quelques traits de son cheminement personnel. - Je me rappelle fort bien du Père Éphrem, lorsque j'étais étudiant à l'Institut Saint-Serge. Certainement, nous nous sommes rencontrés - soit à l'Institut même - soit sur le seuil de l'église de N-D. des Affligés, cette paroisse orthodoxe francophone qui est riche d’une longue histoire, et qui a vu passer tant de personnalités remarquables.

Le Père Éphrem est passé par l'ECOF, qui fut la « porte d'entrée de l'Orthodoxie », pour toute une génération. En ce qui me concerne, mon cheminement ne m'a pas emmené dans cette direction. Par contre, je suis heureux de voir que le Père Éphrem a, lui aussi, lu la « Théologie mystique de l'Église d'Orient », et que la découverte de cet ouvrage a appuyé de façon très sensible sa démarche vers l'Orthodoxie. Personnellement, ce fut l'un des livres importants que j'ai lus dans mon existence, et je conserve toujours précieusement dans la bibliothèque l'exemplaire maintenant jauni qui, à l'époque, m'a fait découvrir un nouvel univers. J'avoue que j'ai hâte - comme certainement de nombreux lecteurs du blog - de découvrir la deuxième partie, et de jeter un regard indiscret (!) sur la vie du père Éphrem, au sein de l'Église russe. Le chemin de vie d'une personne est, en quelque sorte, la ligne d'écriture tracée par l'Esprit Saint, en notre monde qui change et évolue à chaque instant. Ce qui est étonnant, c'est de voir la constance et l'inaltérabilité du message de l'incarnation et de la résurrection de l'Homme-Dieu, au long des mutations de notre monde contemporain, et suivant l'incroyable diversité des destinées de chacun. Une ligne d'or traverse l'Histoire, et c'est celle de la Foi qui, semblable à un rayon laser, trace une ligne lumineuse où étincelle comme des poussières brillantes, chaque existence personnelle.

2.Posté par Daniel le 20/05/2016 06:32
@ Père Yves Leroy

Le Dieu-Homme et non l'Homme-Dieu pour parler du Christ.

3.Posté par Vladimir. G: PO est un lien entre les Orthodoxes francophones le 21/05/2016 16:29
PO est un lien entre les Orthodoxes francophones
XB!

Christ est ressuscité cher père Georges!

Un grand merci pour votre soutien!

Vous ne semblez ci-bien dire: vous verrez dans la partie II que N-D. des Affligés a jouée un rôle dans le parcours du père Ephrem.

Je suis heureux de voir que cette publication vous a permis de vous retrouver après tant d'années, comme me l'a dit le père Ephrem.

Et j'ai l'intention de continuer mes articles sur « les chemins vers l'Orthodoxie» au fur et à mesure de mes rencontres physiques ou virtuelles... Je pense que c'est la meilleure réponse que je puisse apporter au débat sur les "paroisses nationales", l'usage du slavon... Ces exemples démontrent en effet que tout cela fait partie du Projet divin!

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