L’archiprêtre Georges Mitrofanov : «  L’Eglise orthodoxe russe, un besoin de glasnost »
Les défenseurs des droits de l’homme craignent que les actions de la mouvance intégriste ne provoquent des affrontements sanglants. Il s’agit en particulier des « scieurs de croix » d’une part et des « détachements orthodoxes », de l’autre, qui s’en prennent aux tee shirts « sacrilèges ». Ces derniers temps toute une série de scandales ont éclaté autour de l’Eglise orthodoxe russe. « Fontanka.ru » s’en est entretenu avec l’archiprêtre Georges Mitrofanov.

p. G.Mitrofanov – J’ai le sentiment qu’aucune des parties en présence ne procède à une analyse poussée de ses propres positions. La société russe est très fatiguée, elle n’a pas assez la foi, elle bouillonne. Tous ces mouvements ne dépasseront pas les limites du petit hooliganisme. Les « scieurs de croix » ne souffrent pas, heureusement, la comparaison avec les anarchistes des années 70 du XIX siècle. La vie spirituelle et l’horizon de nos contemporains ont perdu de leur envergure. S’il s’agit des « détachements orthodoxes populaires », ils ne sont qu’une pâle imitation des « détachements de volontaires auxiliaires de la milice » de l’époque soviétique. Tout ce qui est en train de se passer montre que nous appréhendons d’une manière très superficielle la vie religieuse, morale et politique de la Russie.

Fontanka.ru: - Quelle est la vision du clergé ?

p. G.M. : - J’ai à maintes reprises dit que les orthodoxes avaient oublié le Christ. Les clichés laïcs, disons le soviétiques, se sont substitués, cela même dans les milieux d’Eglise, à la foi chrétienne. Imaginez-vous des « vigiles populaires orthodoxes » qui malmèneraient les pharisiens à l’époque de Jésus ?

F.ru. : - Cependant, des hommes d’Eglise aussi réputés que l’archiprêtre Vsevolod Tchapline interviennent ces derniers temps au nom de la défense de la foi contre le sacrilège laïc. N’est-ce pas lui qui a approuvé l’activité des « vigiles populaires orthodoxes » ?

p. G.M. : - Ma réponse sera sans doute un peu brutale. Mais je ne crains pas de dire que de mon point de vue, celui d’un prêtre orthodoxe, les prises de positions du père Vsevolod offensent bien plus les fidèles orthodoxes que l’action du groupe punk. En effet, les Pussy Riots se sont produites d’une manière fugace alors que le père Vsevolod intervient de jour en jour et chacune de ses déclarations me fait rougir de honte pour notre Eglise orthodoxe russe.

F.ru. : - Cependant les déclarations du père Vsevolod Tchapline sont perçues par la majorité comme étant l’expression des vues officielles de l’Eglise ?

p. G.M. : - Cela s’explique par les fonctions qu’occupe le père Vsevolod. Alors qu’il n’est par le porte-parole officiel de l’Eglise.

F.ru. : - Pourquoi, en l’occurrence, ses prises de positions ne suscitent pas de démentis émanant des structures ecclésiales ? Les voix d’autres représentants du clergé ne se sont pas fait entendre ?

p. G.M. : - Il m’est difficile de vous répondre. J’admets que le père Vsevolod n’est plus tout à fait en contact avec la réalité ce qui expliquerait ses fréquentes et tapageuses interventions. Il n’a pas l’expérience d’un recteur de paroisse. Toute sa vie s’est passée au sein de divers services synodaux, toute sa vie il a appartenu à « la nomenclature » de l’Eglise. Jamais il n’a enseigné dans des lycées religieux ou dans des écoles de théologie. Aussi, les médias et l’Internet ont peu à peu évincé de son champ de vision la vie russe telle qu’elle existe, celle de l’Eglise et celle de la société. Lorsque vos activités ne sont que médiatiques on peut se laisser allez à modeler le monde tel qu’on voudrait le voir, à en faire un monde virtuel. Cette vision, pour attrayante qu’elle puisse être, n’a cependant rien de commun avec le monde réel.
Voilà plus de vingt ans que j’enseigne à l’Académie de théologie de Saint Pétersbourg et que je suis en charge d’une paroisse. C’est sans hésiter que je peux dire que ce ne sont ni les Pussy Riots, ni les propensions pédophiles de Gabriel García Márquez ou de Vladimir Nabokov qui sont les problèmes qui se posent en premier dans notre vie en Eglise. Ce ne sont pas eux qui sapent les fondements de notre société. Lorsque j’entends un prêtre affirmer ce genre de choses deux explications me viennent à l’esprit : soit leur auteur a perdu le sens des réalités, soit il s’agit d’un cynisme qui cache une profonde indifférence à l’égard des difficultés quotidiennes de nos contemporains.

F.ru : - Puisqu’il s’agit de la réalité quotidienne que direz-vous de la sentence prononcée dans le procès des Pussy Riots ? Que pensez-vous de la réaction de l’Eglise à ce procès ?

p. G.M. : - L’Eglise a fait part de sa réaction une heure et demi après que la sentence aie été prononcée. Le Conseil ecclésial suprême a publié une déclaration approuvant la sentence mais appelant à la miséricorde. Le texte ne précisait pas ce à quoi l’Eglise s’attendait. Personnellement, je considère que cette déclaration venait avec beaucoup de retard et qu’elle n’était pas sans ambiguïté. Voila plusieurs mois que cette situation existe. Déjà en avril j’avais suggéré une solution qui me paraissait parfaitement acceptable du point de vue de l’Eglise : libérer ces trois « ballerines » sous une caution versée par l’Eglise rendant ainsi deux mères à leurs enfants. Si elles avaient accepté cette proposition elles auraient de par là même fait acte de contrition. En refusant elle auraient manifesté leur rejet. Mais l’Eglise aurait agi comme elle doit toujours le faire dans des cas semblables. En effet, délibérément ou non elles ont offensé le Seigneur. Mais le Seigneur et son Eglise sont miséricordieux. Nous, les serviteurs de Dieu, devons rappeler à ceux qui offensent Dieu que le Seigneur est clément et que nous sommes disposés à manifester cette clémence. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi des vigiles sont considérés comme partie civile dans ce procès. Ce ne sont que des salariés qui, de surcroît, n’ont pas été à la hauteur de leur tâche. Une histoire de rien du tout nous a fait trébucher avec nos positions officielles et mordre la poussière aux yeux de tous. La responsabilité de ceux qui, au vu des fonctions qui sont les leurs, prennent le risque de parler au nom de l’Eglise est très lourde.

F.ru. : Les critiques de l’Eglise se réfèrent de plus en plus souvent aux périodes les plus sombres du catholicisme, l’inquisition, la chasse au sorcières, la mise des ouvrages à l’index. L’archiprêtre Dimitri Smirnov, responsable du Département de l’aumônerie militaire du Saint Synode, vient de suggérer de soumettre à expertises l’œuvre écrite de Lénine pour établir si il ne s’agit pas d’une idéologie extrémiste ?

p. G.M. : - Sommes nous des pasteurs ou des fonctionnaires d’une nouveau service « d’agitation et de propagande » ? Ce n’est pas scruter les écrits de Lénine qu’il nous faut. C’est enseigner les fondements de la foi orthodoxe que nous devons. Deux siècles se sont passés mais nous pouvons, aujourd’hui encore, appliquer à la vie ecclésiale ce qu’en avait dit Nicolas Leskov « La Russie est baptisée mais elle n’est pas éclairée ». Qu’est ce que les livres de Lénine et leur extrémisme viennent faire là dedans ? Je ne peux qu’être étonné par le père Dimitri Smirnov, recteur de huit paroisses de la capitale et responsable d’un important service du synode (service, soit dit en passant, dont nous ne connaissons pas les fonctions exactes). La situation dans nos Forces Armées devient de plus en révoltante et amorale. Je ne vois pas du tout en quoi et comment l’Eglise remédie à cet état de fait. Les malversations prospèrent, les militaires sont systématiquement humiliés, leurs droits sont brimés. Au lieu de chercher à remédier à tout cela le père Dimitri aimerait que des experts épluchent les écrits de Lénine.

F.ru. : - Peut-on s’attendre à l’ouverture d’un débat au sein de l’Eglise avec ceux dont nous venons de parler, avec ceux qui agissent au détriment de l’Eglise ?

p. G.M. : - Il nous faut, enfin, nous débarrasser de l’esprit triomphaliste qui nous a aveuglé ces vingt dernières années. Nous devons admettre que de nombreux défauts de la société sont le reflet des faiblesses inhérentes à l’Eglise. Mettons nous à parler de nos défauts avec regret, à en éprouver de la douleur, du repentir. Parlons en nous-mêmes, ne laissons pas la parole à ceux pour qui l’Eglise est une entité étrangère et hostile. Un tel débat, commençons le au plus vite, fera se manifester ceux qui souhaitent surmonter ces défauts. Ne laissons pas la situation se détériorer, ne laissons pas l’Eglise se diviser et hâtons l’amorce d’une véritable renaissance ecclésiale. La stagnation se perpétuera tant que nous n’accepterons pas le principe de la glasnost. Sinon notre isba sera remplie de détritus « à ras bord », les saletés se metterons à déborder de partout…

Interview de Ekaterina Semykina pour "Fontanka.ru" «Православной церкви пора выносить сор из избы»
Traduction Nikita Krivochéine

..........................................

Parlons d'orthodoxie L’archiprêtre Georges Mitrofanov



Rédigé par Parlons d'orthodoxie le 7 Septembre 2012 à 21:34 | 3 commentaires | Permalien



Recherche



Derniers commentaires


RSS ATOM RSS comment PODCAST Mobile