LA PAROISSE de la SAINTE TRINITE à Clichy 1927-1972
par Igor OROBCHENKO

Quand les Russes sont poussés par le besoin, ils sont entreprenants. Arrivés dans le pays d’accueil, de multiples associations virent le jour : militaires, religieuses, artistiques, éducatives, caritatives !

Les anciens combattants se regroupèrent par armes, école ou campagnes... On ouvrit des écoles du jeudi, on bâtit des églises, de nombreux journaux de différentes tendances firent leur apparition, etc...A Clichy-la-Garenne, où plus de 60 familles se retrouvèrent aux environs de 1927, elles s’organisèrent en communauté. En 1941, l’on recensait 332 Russes émigrés. Une paroisse orthodoxe du nom de « Paroisse orthodoxe russe de la Sainte-Trinité » fut créée, un magasin ouvrit ses portes, une association se mit à vivre activement.

* * *
L’ancienne église et la première (parce que il y en a eu deux), était située au 15 rue KLOCK, dans des locaux prêtés par la communauté protestante (Pasteur Maroger) je crois.En guise de locaux c’était un entrepôt ou même une ancienne grange, en bois, qui formaient un U avec une cour couverte de gravier et avec des platanes dont un descendant existe encore à ce jour.

LA PAROISSE de la SAINTE TRINITE à Clichy 1927-1972
Le premier prêtre de Clichy était le père Constantin Zambregitsky d’origine polonaise me semble-t-il. Il avait une grande barbe toute noire qui nous chatouillait le visage quand il nous embrassait. Sa chasuble immense sentait l’encens. Il aimait jouer avec les enfants, nombreux à cette époque, il nous chahutait, nous caressait la tête, nous parlait de Dieu.

Il a eu une triste fin, mais nous verrons cela plus tard.

Une dizaine d’années plus tard, vers 1938, les protestants demandèrent de retrouver leurs locaux et prièrent gentiment les russes de trouver un autre endroit pour leur église. Ce fut l’angoisse et des activités frénétiques... les réunions de l’association des paroissiens, les recherches d’un nouvel endroit, les fonds à réunir !...Un an s’écoula jusqu’à ce que quelqu’un trouve à Clichy un local vacant situé au 13 rue du Docteur Emile Roux. Cet endroit n’était pas très engageant.... dans une arrière cour d’un vieil immeuble vétuste, tout noir.

LA GUERRE EST ARRIVÉE 1939-1945

Pendant la guerre, la communauté russe vivait péniblement comme d’ailleurs toute la France. L’alimentation manquait et la faim tenaillait les estomacs. Du fait qu’il s’agissait d’une communauté religieuse, les autorités délivraient des tickets d’alimentation spéciaux, ce qui permettait de faire quelques repas. Un recensement eut lieu à Clichy en 1941. Les Russes venaient en deuxième position après les Italiens, soit 330 plus 3 Ukrainiens et 4 Géorgiens.

Nos bonnes ménagères s’organisèrent pour créer quelque chose genre cantine, et les dimanches après la liturgie célébrée par le père Constantin les paroissiens allaient se restaurer. Je me souviens de plusieurs repas pris avec mes parents, presque toutes les fois il nous était servi avec des kotelettes faites en majeure partie de pain et un peu de viande, grillées au saindoux douteux, mais comme c’était bon quand on a faim !
Ce qui était curieux, c’est qu’une vodka au goût bizarre apparaissait de temps en temps sur les tables, toutefois à raison d’un petit verre seulement. L’ambiance était lugubre, on grelottait de froid, une petite loupiote éclairait faiblement le local. La discussion s’animait un peu lorsque les adultes commentaient les nouvelles diffusées par les journaux.

LA PAROISSE de la SAINTE TRINITE à Clichy 1927-1972
Après la fin de la guerre, arriva une période critique pour la colonie russe de Clichy.

Une « amnistie » fut décrétée par Staline pour les émigrés russes blancs, un Métropolite soviétique arriva à Paris où il rencontra le Métropolite Euloge qui dirigeait l’église russe occidentale, et durant un certain moment il a semblé que l’émigration fût conquise par l’idée d’un retour à la mère patrie.
Des « garanties » étaient données pour que chacun, retournant en Russie soviétique trouve un travail à sa mesure et un lieu de séjour suivant les possibilités gouvernementales.
On sait maintenant ce qu’il advint des personnes et familles qui crurent... Ils finirent très rapidement leurs jours dans le Goulag, incarcérés sous un quelconque prétexte.

Parmi les « retournants » il y avait Mme Olga Ignatieff avec son frère Serge et le père Constantin Zambregitsky dans la courette. Ce dernier était un chaud partisan du retour. Il finit dit-on là-bas dramatiquement… en prison où il mit fin à ses jours.Les restants ne reçurent qu’une seule lettre de tous ceux qui partirent, elle émanait justement des Ignatieff où ceux-ci ne tarissaient pas d’éloges sur la situation...

A Clichy, cette "amnistie" eut pour conséquence de casser en deux la communauté. Il y avait ceux (les Retournants) qui y crurent et les autres (les Restants) plus méfiants. Des disputes surgirent, on se traita de bolcheviks ou d’attardés. .Le père Constantin Zambregitsky fut enthousiaste (il avait propension à cela) pour le départ.
Dès ce moment, une bonne moitié des paroissiens quitta l’église et l’association. Avant de partir, le père Constantin s’arrangea à transférer l’église de Clichy au Patriarcat le Moscou, représenté en France par l’église de la rue Pétel.

LA PAROISSE de la SAINTE TRINITE à Clichy 1927-1972
Photo: 2) Vera ; 4) Madame Adamson ; 5) Père Constantin Zambregitsky ; 7) Nicolas Youmatoff 11) Madame Staroselskaïa ; 12) Marina ; 13) Hélène Vallier 16) Jacques Maskarachvili ; 18) Odile Versois ; 21) Alexis ; 22) Olga

II exhorta ses paroissiens à prendre le passeport soviétique vendre leurs affaires et retourner en Union Soviétique.Environ 40 % des familles le suivirent.

La rupture fut consommée avec le départ des « retournants », l’église perdit une bonne partie de sa chorale et des éléments actifs de la communauté, un nouveau prêtre fut nommé, père Choumkine un homme très bon, mais n’ayant pas le don de la parole pour essayer de clarifier ce qui pouvait l’être.

Nous sûmes beaucoup plus tard, par des rumeurs, le sort du père Constantin Zambregitsky; il serait mort, pendu dans une prison du GOULAG. / précision de N.Krivochéine /: " ce n'est pas en prison mais chez soi que le père Constantin a mis fin à ses jours dans la ville De Kostroma. Ce après de décès de Olga Ignatieff suite à la tuberculose dont elle souffrait depuis longtemps. Ils avaient été logés par la municipalité dans un sous-sol très humide et sans chauffage"


Après le départ des « retournants » la communauté russe s’étiola progressivement...

Dans les années 1950/1960 l’on voyait encore du monde lors des liturgies du Dimanche et même à Pâques il y avait encore une cinquantaine de personnes pour l’office de la nuit. Une procession s’organisait, elle sortait de l’église faisait un tour sur elle-même dans la minuscule courette, le père Georges Choumkine annonçait « le Christ est ressuscité » et on revenait dans 1’ église.

La chorale, encore dirigée au début de cette période par M. Babtchenok, chef de chorale confirmé, chantait fort convenablement. Mais ensuite lorsqu’il quitta la paroisse, les choses changèrent, et ce fut de plus en plus affligeant. La direction fut reprise par M. Romanoff, vers 1965 mais les chanteurs s’étaient dispersés... Les chants devinrent dissonants ce qui influa sur le moral des derniers fidèles. Dans les années 1968, le père Choumkine décéda et fut remplacé, par le père André Mitnikoff, homme chaleureux, sérieux, appliqué dans l’exercice de sa fonction. Il eut à souffrir de la désaffection des paroissiens qui réfutaient l’appartenance de l’église au patriarcat de Moscou et se plaignaient de la chorale. Le dernier « staroste » était M. Pissarenko et le bibliothécaire Anatole Orobchenko.

Peu de temps après 1970, le père André, constatant l’absence quasi totale des paroissiens aux offices, demanda à partir dans la maison de retraite russe de Sainte-Geneviève-des- Bois où on avait besoin d’un prêtre à demeure. Atteint d’une grave maladie il y est décédé deux ans après.

Le patriarcat de Moscou affecta en 1972 à l’église de Clichy, l’Higoumène Cyrille, non russe...
Puis l’église ferma, on ne sait pas ce que devinrent ses biens, on n’eut plus de nouvelles sinon que la bibliothèque fut vendue au poids à un marchand de papier. La boutique russe de M. Artëm ferma, car il partit dans une maison de retraite russe qu’il n’apprécia pas du tout. Il mourut rapidement

M. Sementchenko, officier des cosaques du Kouban, fut le dernier militaire combattant décoré, à disparaître à l’âge de 92 ans en 1987.

Lien + Photos Les Russes à Clichy par M. Igor OROBCHENKO

LA PAROISSE de la SAINTE TRINITE à Clichy 1927-1972

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 27 Janvier 2017 à 10:52 | 4 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Marysia Bielien (J. Dufieux) le 10/02/2019 18:16
J'ai connu la paroisse russe de Clichy durant les années 60, ayant à plusieurs reprises eu la possibilité d'y être reçu par le Père Georges Choumkine ainsi que par son épouse.

Le magnifique travail de Mr. Igor Orobchenko permet de façon très communicative de faire revivre le souvenir de toute une époque qui fut en un temps bien héroïque avant de peu à peu s'éteindre, à Clichy comme malheureusement en bien d'autres lieux.. A l'infinité de détails contenus dans ce texte, je me permets d'ajouter quelques précisions: Selon mes souvenirs, gravement malade, le Père Georges Choumkine s'est établi à la Maison de Retraite Russe de Sainte-Geneviève-des-Bois à la fin de l'année 1964 et il est décédé en janvier 1965.

Son successeur au rectorat de la paroisse russe de Clichy, le Père André Mitnikoff, à la suite de son ordination sacerdotale a été nommé au tout début de l'année 1965 sur décision de Mgr. Antoine de Souroge (Bloom).

Durant l'été 1972, le Père André a été nommé en tant que desservant à l'église Saint Nicolas de la Maison de Retraite Russe de Sainte-Geneviève-des-Bois, sur décision de l'évêque Pierre de Chersonèse (L'Huillier). Peu après, la paroisse de Clichy a été définitivement fermée. Le Père André est lui-même décédé en mai 1975.

2.Posté par Daniel le 11/02/2019 10:49
Une page d'histoire bien tragique... Triste sort que celui des retournants...

3.Posté par Vladimir G: le père Georges Choumkine : "un prêtre humble et pieux" le 11/02/2019 11:55
D'après les informations que j'ai pu recueillir, le père Georges Choumkine fut le recteur de la paroisse Notre-Dame Souveraine à Chaville en 1929-1931. Voici ce qu'en écrit Mgr EULOGE dans ses mémoires "Le chemin de ma vie": " Avec le père Choumkine, un prêtre humble et pieux, l’église s’embellit. Il y eut des dons d’icônes et d’objets liturgiques ... /Mais/ Le père Choumkine ne
pouvait pas mener un travail actif et créatif. La paroisse devint tellement pauvre qu’elle ne pouvait plus verser sa part de revenus à l’administration diocésaine. Voyant cela, j’ai transféré le père Choumkine à Grenoble" (https://eglise-orthodoxe.info/80eme-anniversaire-de-la-paroisse-notredame-souveraine-a-chaville/). Il y resta, semble-t-il, jusqu'à la fin de la guerre quand il rejoignit la paroisse Notre Dame de Toute Protection, à Lyon.

Là "il a rassemblé les jeunes pour leur enseigner la foi orthodoxe et les traditions russes, recréant ainsi une vie culturelle... Mais en 1946 la paroisse suivit le père Georges dans la juridiction du patriarcat de Moscou, pour changer de cap deux ans plus tard quand la majorité des paroissiens est revenue dans l’archevêché, dirigé à l’époque par le métropolite Vladimir, successeur du Métropolite Euloge" (http://exarchat.eu/spip.php?article841). Le père Georges continuât à animer une paroisse dépendant de Moscou pendant quelques temps avant de rejoindre Paris et la paroisse de Clichy.

4.Posté par Vladimir G: le père Georges Choumkine : "un prêtre humble et pieux" le 11/02/2019 12:08
PS: C'est le père Georges qui a célébré les obsèques de saint Alexis d'Ugines, le 22 août 1934.

Et en 1938, il fit installer l’iconostase de l’église de Grenoble, peinte par son ami Dmitri Stelletski (1875-1947), sculpteur, décorateur de théâtre et célèbre peintre iconographe. Il avait aussi lui faire faire une iconostase pour l'église de Lyon après la guerre, mais le projet n'alla pas au delà de la réalisation des seules portes royales, tant du fait du départ du père Georges que du décès de l'artiste (février1947).

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