La philocalie de la mégapole (partie II )
« De la foi dans la grande ville » : un entretien avec l’archiprêtre Nicolas Balachov, vice-président du département des relations extérieures du Patriarcat de Moscou

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L’esprit « club »

Il est bon que toutes les paroisses d’une grande agglomérations soient différentes et ne se ressemblent pas l’une à l’autre. Cependant l’esprit « club » présent dans certaines paroisses est de toute évidence un phénomène dangereux. Les gens se retrouvent dans ce genre de communautés selon des critères bien spécifiques. L’Eglise cesse d’être œcuménique dans ces communautés qui se transforment en « club » réunissant des membres intéressés par ceci ou par cela. Cela présente un danger. Chaque réunion eucharistique est un lieu où le plérôme de l’Eglise est présent.

- Ces paroisses se transforment rapidement en « groupuscules » et nous voyons apparaître des fractions tels que les « artiomoviens », « les vorobieviens » et « les kotchetkoviens » (selon les noms de prêtres populaires en Russie).

Notre avenir dépend pour beaucoup de l’équilibre que nous trouverons entre unité et spécificité. Je n’ai rigoureusement rien contre les offices destinés aux enfants. En officier une dans une cathédrale de province a été une grande joie pour moi. Il est difficile pour les enfants de rester debout pendant deux heures ou plus, puis d’aller dans les clases de l’écoles du dimanche. En l’occurrence un office de une heure auquel les enfants participent très activement donne de bons résultats. Je suis heureux quand je vois des croyants qui se réunissent en communauté et se consacrent à un travail en commun.
Il en est autrement quand des chrétiens se regroupent en fonction de tel ou tel « profil » spécifique et choisissent pour ainsi dire « à la carte » les services religieux qui leur paraissent nécessaires. L’Eglise réunit des fidèles appelés par Dieu. L’Eglise locale, celles de Rome, de Corinthe, d’Ephèse, de Novo-Giréevo (une banlieue de Moscou)se sont formées le Jour du Seigneur, parce que c’est là qu’Elles sont et qu’Elles ont été appelées par le Seigneur. La « sélection » est déterminée par la communauté de la foi et un lieu de résidence commun.

Imaginons nous une paroisses dont les fidèles auraient en commun la foi orthodoxe et l’appartenance au même parti politique. Voilà, par exemple, la paroisse où vient faire ses dévotions M. Grégoire Yavlinsky et les membres de « Yabloko », le partir qu’il dirige. La paroisse est décorée des emblèmes du parti, les membres du conseil paroissial sont tous encartés. Voilà une autre églises, ce sont les croyants affiliés au parti communiste qui s’y sont regroupés. Ceci n’a rien à voir avec l’Eglise : les croyants laissent à la maison leur carte du parti.
Bien sûr, il existe des paroisses dont les fidèles sont unis par la foi ainsi que par certains autres traits ou intérêts communs. Ces communautés ne laissent pas venir à elles ceux qui leur paraissent « étrangers », cela a quelque chose d’aliénant et de dangereux. La proximité n’est pas dans les agglomérations un facteur aussi importants que dans les régions rurales.

- Est-ce que Moscou est une ville difficile pour un croyant ?

Je suis à Moscou depuis longtemps, j’y éprouve jusqu’à présent une sorte d’inconfort. Les cadences, les stress me fatiguent. Ce sont des pesanteurs constantes qui m’empêchent de me concentrer. A quel on est autre pendant les vacances, seul dans la forêt, tout y glorifie le Créateur, même si l’on a pas de voix on se joint à ce Gloria. Mais c’est à Moscou que ma vie s’est faite. Lorsque je vois par ma fenêtre des paysages urbains dont la nature est absente et qui relèvent de la science-fiction je ne reconnais pas la ville où je suis né. Je ne peux cependant m’empêcher d’aimer ce que je vois.
Les premiers chrétiens étaient des citadins. « Rural » et « païen » sont désignés en latin par un seul et même mot, paganus. C’est dans les villes que le christianisme a trouvé ses sources, il y a des sages pour dire que sa dernière période sera également urbaine.

Nous n’en sommes qu’au début de la renaissance de la foi en Russie. Mais pourquoi ne pas admettre qu’il s’agit d’un phénomène temporaire car il nous faut prendre conscience du fait que nous sommes dans ce monde une minorité en voie de disparition. Nous allons combattre jusqu'au bout pour la Sainte Russie, pour une Europe chrétienne. Entre-temps la civilisation évolue complètement à part de notre foi. Ne nous laissons pas impressionner par les statistiques qui sonnent si agréablement à nos oreilles : 78% des « Russiens » (habitants de la Fédération de Russie) se considèrent appartenir à la culture orthodoxe.( ?)

- La situation est-elle meilleure dans les campagnes ?

Ceux qui idéalisent la ruralité et disent que les campagnes sont plus chrétiennes que les mégalopoles n’ont pas raison. Tout lieu appartient à Dieu pour ceux qui Le glorifient à toute heure. Les grandes villes offrent des moyens faciles de fuir les difficultés relationnelles. Mais ces moyens véhiculent de graves tentations. Nous sommes parfois tentés d’abandonner la ville et d’aller vivre dans les campagnes. Mais ce n’est que fuir les difficultés qui existent dans les relations humaines.

- Comment définir l’essor spirituel ?

Notre développement spirituel consiste à nous imprégner de la Parole de Dieu, à rendre plus parfaites et différentes nos relations avec ceux qui nous entourent. Ce résultat peut être atteint par la participation aux sacrements, à la prière individuelle et collective. Nous portons en nous le levain d’une vie autre, d’une vie éternelle et cela nous permet de changer, de se conduire autrement que ce soit dans les transports en commun ou n’importe où ailleurs. Nous nous isolons facilement des autres et cela conduit le croyant à cesser de percevoir le prochain comme une image du Christ. Nous sommes maintenant capables de sélectionner nos proches, ils ne sont plus ceux qu la vie a placé à proximité de nous, ils sont devenus l’objet de notre choix. Nous préférons souvent à ceux qui vivent près de nous des habitants, par exemple, de Melbourne : grâce à Skype c’est si facile, peu coûteux et rapide. Il n’est pas difficile de se déconnecter d’un tel « prochain ». Internet nous permet de communiquer avec des interlocuteurs éloignés dans l’espace, et c’est très bien. Internet est en même temps un moyen de fuir ceux qui sont à coté de vous.

- La communication virtuelle comporte aussi des tentations : celle, par exemple, de quitter la conversation en débranchant tout simplement sa tablette ?

L’homme construit lui-même le modèle du monde dans lequel il veut vivre via internet. Nous en choisissons les habitants, nous en interdisons l’accès à ceux qui nous déplaisent, nous fuyons ainsi les problèmes superflus. Nous sommes les démiurges de cet univers virtuel. Un séjour prolongé dans le monde virtuel nous désocialise, nous transfère dans une irréalité par nous créée. Nos rapports au travail, à la vie, à la famille en deviennent superficiels.

- Y a-t-il une vision théologique de la chrétienté dans les grandes agglomérations ?

Nous avons la Philocalie des Pères du désert, l’expérience de ceux qui ont vécu dans des conditions totalement différentes. Cette expérience continue à nous être utile. Mais seuls peuvent y recourir des personnes mûres et qui en comprennent « le mode d’emploi ». La Philocalie ou d’autres textes des Pères de l’Eglise profitent peu à ceux qui n’ont pas accumulé dans la souffrance l’expérience spirituelle indispensable. Nous n’avons pas de Philocalie adaptées aux mégalopoles! Nous n’avons pas pris suffisamment conscience dans notre mission pastorale des conditions d’une part très confortables de l’autre traumatisantes de la vie citadine.

- Comment surmonter la fatigue dont nous souffrons dans les grandes villes ?

Vous avez raison, chaque prêtre peut, compte tenu de ses faiblesses, éprouver le désir de voir tous ses enfants spirituels, ils sont légion, qui, même à confesse, verbalisent leurs délires le laissent ne fût-ce qu’un peu tranquille. Ils ne veulent pas devenir adulte et exigent d’être traités en enfants béats. C’est d’ailleurs nous mêmes qui leur avons inculqués des comportements. Mais il nous arrive de devenir les témoins d’une repentance non feinte, et alors toute la fatigue disparaît. Nous devenons les témoins d’un miracle, celui de la libération de la souffrance. Quel bonheur que d’assister à cette renaissance !

Traduction pour "P.O." Nikita KRIVOCHEINE

Rédigé par l'équipe de rédaction le 10 Février 2011 à 15:21 | 1 commentaire | Permalien



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