V.G.

Le père Alexandre a fait paraitre sur PO et sur son blog un commentaire qui fait le point sur la situation du patriarcat d'Antioche après l'élection du nouveau patriarche. Ce texte me semble très intéressant car il donne des informations sur une Eglise dont nos média parlent très peu, alors même qu'elle est majoritaire parme les Chrétiens de Syrie et fait donc partie de ces minorités menacées par les conflits en cours.J'ai ajouté les titres et les notes au texte du père Alexandre. (V;G.)

Un patriarche de grande tradition monastique passé par Paris
Par l'archiprêtre Alexander Winogradsky Frenkel - av Aleksandr (Jérusalem) (1)

Le Patriarche Youhanna X d'Antioche et de Tout l'Orient a été élu rapidement, le 17 décembre, suite au décès du Patriarche Ignace IV d'Antioche le 5 décembre dernier Certains ont été étonnés de cette élection, de la réunion dans des délais très courts du Saint Synode de l'Eglise d'Antioche. On peut sans doute parler dans ce cas d'un dynamisme réel et d'une capacité indubitable à faire face directement et sans détours à une situation sociale, économique particulièrement difficile, à un imbroglio politique et spirituel.

Le nouveau patriarche élu, Mgr Jean (Youhanna) Yazigi fut installé par le Patriarche Ignace IV comme responsable spirituel du Patriarcat d'Antioche en Europe occidentale et centrale en 2008. Jusqu'à la réunion du synode qui l'a élu, Mgr Youhanna résidait principalement à Paris d'où il rayonnait en Europe selon une tradition bien implantée parmi les responsables des Eglises orthodoxes en diaspora (2). Il est membre de l'AEOF.

On peut dire que, d'une manière ou d'une autre, son élection était un peu prévisible. Il est un homme instruit, formé dans la tradition byzantine classique. Il étudia à Thessalonique, ce qui l'a ancré dans cet héritage fondamental de l'Orient chrétien et à Balamand, là-même où il vient d'être choisi comme patriarche.

C'est un homme de grande tradition monastique. Originaire de Mar Maritha en Syrie, il connaît de l'intérieur son pays, son histoire, et surtout ses grands besoins spirituels, le courage qu'il faut pour assurer un témoignage authentique et non-antagoniste de la foi chrétienne, orthodoxe et byzantine, issue de la première Eglise née de l'hellénisme, du sémitisme puis de l'arabité.

L'Eglise des premiers "Chrétiens"

On ne peut oublier aujourd'hui l'importance du Patriarcat d'Antioche. Il est utile de souligner qu'il fut sans le premier vrai siège apostolique, inauguré en diaspora de Jérusalem, donc du lieu-même de la naissance du Christianisme. C'est là, en effet, que les croyants reçurent pour la première fois le nom de "chrétiens" (Actes des Apôtres 11, 26). Il faut remarquer qu'en araméen le terme utilisé est "khristyané/ܚܪܝܤܜܝܓܐ" et provient donc du grec et non de l'araméen vernaculaire.

C'est dans cette bourgade aujourd'hui turque (3) que grandit la première communauté ecclésiale porteuse de l'Eglise universelle ou "Ecclesia universa". Jérusalem restera toujours "la Mère de toute les Eglises de Dieu", son titre officiel pour un patriarcat créé tardivement, ce qui représente en soi un sorte d'extravagance historique (4). Antioche "tire sa source de l'élan apostolique initial" et qui s'est déployé dans le monde entier: "Vous serez mes témoins à Jérusalem et jusqu'aux extrémités de la terre" (Actes 1, 8).

Le Patriarcat d'Antioche est multiple: il est réputé avoir été directement fondé par l'apôtre Pierre et par Saint Paul. A ce titre les Eglises d'expression syriaque comme les Assyriens Apostoliques ou Nestoriens de l'Eglise d'Antioche et de Toute l'Orient on conservé des formes archaïques de la langue sémitique. La langue des Jacobites ou Syrien-orthodoxes, mais aussi des autres juridictions initialement basées à Antioche (Maronites ou Melkites orthodoxes et catholiques) sont imprégnées de formes directement issues du grec et de la pensée byzantine.

Pourquoi le souligner? Nous fêterons l'an prochain le 1700ème anniversaire de l'Edit de Milan qui permit aux Chrétiens de trouver une place reconnue sinon prédominante dans l'empire romain d'Orient et d'Occident. La Pentarchie originelle - aujourd'hui souvent critiquée - est le berceau-même de l'Eglise. Elle l'est aussi en sa pensée et son expression grecque. Elle s'est répandue dans le monde entier comme le fruit de cette pensée singulière qui avait si profondément marqué les Juifs d'Alexandrie. La Septante fut de fait le produit "unanime" des Sages du judaïsme qui effectuèrent cette traduction de l'hébreu en langue grecque, permettant ainsi une confrontation-dialogue avec la tradition hébraïque et araméenne de la Bible et du Talmud. Le judaïsme commémore cette traduction quelques jours après la fête de la Dédicace, voici donc une semaine (!).

Le Patriarcat d'Antioche est clairement défini en arabe comme le "Batriiarkyyat Antakiya wa-sa'ir al-Mashriq li'l-Rum al-Urthuduks ou Patriarcat d'Antioche et de l'Orient/Mashrek Roum (romain) Orthodoxe" expression qui gagne aussi du terrain à Jérusalem et est courante en arabe. "Romain orthodoxe" du Mashrek oriental en complément du Maghreb occidental. Le territoire du patriarcat s'étend à la péninsule arabique et jusqu'à la Mésopotamie, berceau d'Abraham, le père des croyants et du monothéisme.

En réponse à l'oppression ottomane, le Patriarcat d'Antioche a su s'installer avec bonheur à Damas, donc au lieu de la rencontre de Saint Paul avec les toutes premières communautés. On aime à évoquer la primauté de Pierre sur ce premier siège qui se constitua en autonomie canonique. On se souviendra que l'Eglise d'Antioche confirma l'autocéphalie de l'Eglise de Géorgie dès 466 A.D.

Une vocation originelle, prophétique dans la région et bien au-delà

L'Eglise d'Antioche a aussi développé une très riche tradition de langue et d'expression théologique en langue arabe. Cet élément est essentiel dans le contexte actuel. Il y a un rôle capital que l'Eglise peut jouer dans le dialogue ténu entre l'arabité chrétienne et celle de l'Islam qui semble aujourd'hui majoritaire. A ce niveau, il est urgent de redécouvrir les fondamentaux des Eglises locales issues de Jérusalem. Elles ont développé cette capacité proche et moyenne-orientale à expliquer la richesse de la Foi.

Le Patriarche Ignace IV avait bien déclaré que l'Islam est "l'hôte du Christianisme". Au 21ème siècle, un propos de cette nature doit être compris. A Jérusalem, nous soulignons avec réalisme que sous le régime ottoman comme depuis l'an 637 A.D., les chrétiens vivent grâce au "Décret" ou "Achtiname" accordé par le Calife Omar-Ibn-Omar au Patriarche grec-orthodoxe Saint Sophronios de Jérusalem. Ce décret n'a pas été aboli. Il garde son actualité et a placé les Chrétiens de la Sublime Porte sous le joug e la loi musulmane.

Il y va donc d'une subtile relation intra et inter-ecclésiale, au sein de tous ceux qui se disent fils et filles de ce Patriarcat d'Antioche. On ne saurait oublier les liens historiques qui le lient avec l'Eglise orthodoxe de Chypre.

Ces liens s'étendent ensuite au difficile dialogue avec une arabité diversifiée, intérieure au monde de l'Islam. A cet égard, le nouveau patriarche jouit précisément d'une expérience universitaire, théologique, d'un héritage spirituel vaste et riche qu'il pourra - avec l'aide de Dieu et des croyants - incarner pour le bénéfice des chrétiens de Syrie, du Liban et des nombreuses diasporas.

Le Patriarcat d'Antioche a une antenne connue à Moscou. Il est aussi présent, à l'appel d'autres juridictions orthodoxes, dans le pourtour de l'Arabie, en particulier dans les Emirats. Il y a une réelle influence spirituelle et confessionnelle à assurer pour un nombre croissant d'expatriés qui travaillent dans ces pays, orthodoxes des Pays de l'Est, de Russie, d'Ukraine et aussi d'Irak et d'Iran.

Membre des mouvements chrétiens du Proche-Orient, le Patriarcat d'Antioche peut aussi trouver des pistes novatrices pour la poursuite d'une tradition vivante en liaison avec la tradition hellénistique au sein de communautés arabes et sémitiques. Le lien avec la matrice de Jérusalem et l'Eglise d'Alexandrie devient aussi l'une des priorités pour des actions convergentes.

Il y a bien une vocation originelle, prophétique dans la région et bien au-delà, dans des diasporas présentes sur tous les continents. Cet appel est dynamique et réclame le courage de la foi.

Le Christianisme peut-il disparaître du Mashrek, de l'Orient traditionnel? L'histoire des Chrétiens orientaux fut une suite longue et dramatique de tragédies le plus souvent ignorées. A Jérusalem, les sites les plus sacrés du Christianisme furent maintes fois détruits. Entre l'Euphrate et le Nil, la région est "tellurique". Elle est tentée par l'invariance. Pourtant, les envahisseurs, les puissances coloniales, les groupes de fidèles et de clercs qui quittent régulièrement les juridictions traditionnelles, - rien n'a vraiment pu entamer la persévérance et la présence souvent héroïque des témoins du Christ né à Bethléem et ressucité à Jérusalem, annoncé à Antioche.

L'Eglise orthodoxe russe a tissé des liens anciens avec le Patriarcat d'Antioche (5). Comme d'autres juridictions orthodoxes ou orientales, ces liens peuvent ouvrir à une meilleure connaissance réciproque, à un vrai charisme de la foi, au-delà ou par-delà les intrigues politiques ou humaines.

Nous vivons une période forte de renouveau générationnel à l'intérieur des Eglises. Le Patriarche Youhanna (Jean) X continue d'ouvrir les portes de la foi authentique.
...........................................................
(1) Le père Alexandre Winogradsky, prêtre orthodoxe à Jérusalem, décrit son ministère sur son blog (http://abbaa.blog.lemonde.fr/ et https://sites.google.com/site/hebrewinchurch/home) et intervient aussi sur PO (http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/search/Winogradsky/)
(2) http://www.antiocheurope.org/en/page/details/21/Biography
(3) http://fr.wikipedia.org/wiki/Antioche

(4) C'est par le canon 7 du 1er Concile œcuménique (Nicée 1, 325) que "Jérusalem, bien que soumise au métropolite de Césarée, se voyait attribuer le 4ème place d'honneur" après Rome, Alexandrie et Antioche. Constantinople se verra attribuer la 2ème place "après l'évêque de Rome, précisément parce que Constantinople est la deuxième Rome" par le canon 3 du 2ème Concile œcuménique (Constantinople 1, 381). Cf. Mgr Kallistos Ware, évêque de Diokleia, "L'Orthodoxie. L'Eglise des sept Conciles", Cerf Paris 2002, p. 32-33.

(5) Des représentants du patriarcat d'Antioche étaient présents lors de la réunion de sept Églises orthodoxes locales à Moscou le 21 novembre 2011, ce qui lui permet de faire le lien avec les 5 "anciennes Eglises" qui s'étaient réunies à Constantinople en septembre de la même année.


Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 28 Décembre 2012 à 09:42 | 10 commentaires | Permalien



Recherche



Derniers commentaires


RSS ATOM RSS comment PODCAST Mobile