" Le parfum du pays natal… "
Le père Michel Ossorgine a été rappelé à Dieu le 24 novembre 2012. Mémoire éternelle, Vetchnaïa pamjatj! L'équipe de rédaction "PO" exprime ses condoléances à sa famille, ses proches, ses paroissiens.

Mon voyage dans l’ancien domaine de la famille Ossorgine dans le gouvernement de Kalouga a commencé le jour de la fête de l'Exaltation de la Croix du Seigneur (avant la révolution ce domaine s’appelait Sergueïevo, et précédemment encore – Karovo).

Le village de Koltsovo est situé à trente quatre kilomètres de Kalouga.

Nous atteignîmes Koltsovo le soir. J’avais si longtemps cherché cet endroit ! Ce village est disséminé sur les bords élevés de la rivière Oka. C’est ici, dans ce petit coin de Russie, d’une particulière beauté, que la religieuse, Séraphima (dans le monde Antonina Mikhaïlovna Ossorguina) (1901-1985), a passé ses années d’enfance et de jeunesse. C’est elle qui m’a enseigné la langue russe. Nous fîmes connaissance en France. J’étais à l’époque un jeune étudiant de l’institut Saint Serge, institut de théologie russe à Paris, et je fus son élève de 1971 à 1973 dans le monastère de l’Intercession de la Mère de Dieu, à Bussy en Othe en Bourgogne, situé à deux cents kilomètres au sud de Paris. Dans ma vie, elle fut à la fois mon enseignante préférée et la meilleure d’entre eux.

Je fus l’un des derniers élèves de Mère (Matouchka) Séraphima alors qu’elle avait déjà pris le voile et reçu la tonsure monastique dans le monastère de l’Intercession.

" Le parfum du pays natal… "
Je me souviens comme nous étions assis ensemble et comme nous bavardions l’été dans le jardin du monastère. J’étais un élève impatient, mais elle au contraire avait une patience infinie. Je me souviens comme nous analysions ensemble un jour un récit de Soljenitsyne, « Le caneton », et malgré un laps de quarante années j’ai très bien retenu ce charmant récit. J’ai cherché à Moscou un livre le contenant et, grâce à Dieu, je l’ai trouvé.

Notre voiture s’était arrêtée à côté du clocher de l’église de l’Intercession de la Mère de Dieu,
située dans l’ancien domaine des Ossorguine. Lui seul a survécu à la merveilleuse église construite au début du XIXème siècle par la volonté de Maria Karr, l’épouse du premier propriétaire de ce domaine (décédée après avoir revêtu l’habit monastique et pris le nom de Mère Eupraxie). Le clocher très abîmé, envahi de buissons, avec ses colonnes et ses frontons, n’a pourtant rien perdu de sa grandeur initiale. Il fut un temps, où dix cloches chantaient dans ce clocher. La plus importante d’entre ces cloches pesait deux tonnes et demie. Elles furent toutes les victimes de la campagne de confiscation des métaux durant les premières années du pouvoir soviétique. La grande croix en verre qui couronnait le clocher a elle aussi disparu. Érigée en l’an 1900, elle inondait de sa lumière tout l’environnement proche. Aujourd’hui, seule sa carcasse métallique lui a survécu.

J’ai ouvert le livre de Serge Schmemann (le fils du Père Alexandre Schmemann) à la page où se trouve le plan d’ensemble de la propriété et j’ai essayé de repérer les lieux. A une dizaine de mètres du clocher se trouvait l’école de la paroisse. A présent elle est devenue une maison de repos dépendant de l’usine de turbines de Kalouga. Deux femmes, employées dans cette maison de repos, Lydia et Tamara se sont approchées de nous. Un moment donné j’ai laissé tomber :

« Ils ont démoli l’église et n’ont laissé que le clocher… » Lydia qui lisait le livre de Serge Schmemann, réagit immédiatement :
« Mais ce n’est pas nous qui avons détruit l’église ! » - « Oui, je sais --leur ai-je répondu – je ne vous accuse pas ».
A Sergueievo, l’église subsista jusqu’en 1952. Les communistes donnèrent l’ordre de la détruire, sous le prétexte d’un besoin de briques pour la construction d’un dépôt. Le sacrilège fut commis par un ivrogne local, le paysan Prokhor, qui échangea des centaines de briques contre un litre de vodka. Lorsque Prokhor démoli l’église les anciens du village le menacèrent de lui trancher la tête s’il touchait au clocher. Ainsi le clocher fut sauvé et Prokhor mourut dans sa maison lors d’une de ses habituelles crises d’ivrognerie.
Mère Séraphima, qui fut la dernière survivante des enfants de Michel Ossorguine, n’était pas au courant de la démolition de l’église. En 1982 elle écrivait :

« L’église est-elle conservée à Sergueievo ? Nous savons qu’elle l’était toujours en 1931, mais nous ne possédons plus aucune information depuis ».

A une centaine de mètres du clocher se trouve le parc de tilleuls entourant la demeure du domaine. Pour la première fois de ma vie, je pus voir toute une forêt de vieux et imposants tilleuls. La clôture du parc a disparu, mais l’allée principale qui le traverse dans toute sa longueur, se distingue parfaitement jusqu’à ce jour. « L’allée de Cupidon » ombragée, longue de trois cents mètres est particulièrement belle.

Nous dûmes déployer beaucoup d’efforts pour retrouver, au milieu des épais fourrés, des buttes de briques et d’autres matériaux de construction. C’est tout ce qui reste des dimensions imposantes de la demeure de cette propriété. Demeure fortifiée, construite au temps de Catherine la Grande par le général Vassily Kar (1730-1806). D’après des informations datant de 1841, cette propriété de 8327 hectares, comprenait des forêts, des champs, des rivières et huit villages habités par des serfs, dont le nombre était de 600 âmes. Serge Kar, le fils du général, vendit en 1843 la propriété familiale d’une étrange façon. Il jouait aux cartes dans un club anglais à Moscou et il annonça tout d’un coup d’une voix forte à toute la salle, qu’il vendait sa propriété pour six cent mille roubles.
Aussitôt fusa la réponse : « J’achète! ». C’est ainsi que Sergueïevo devint la propriété de Mikhaïl Guerassimovitch Ossorguine, grand-père du dernier possédant de la propriété, Mikhaïl Mikhaïlovitch Ossorguine.

Loin du nid de gentilhomme

Mikhaïl Ossorguine et sa famille furent chassés de Sergueïevo en octobre 1918 en tant « qu’ennemis et exploiteurs du peuple » La demeure fut entièrement détruite par un incendie en 1923. La version officielle fut la suivante : l’incendie fut provoqué par des réactionnaires membres d’une bande d’ex Blancs. En réalité les circonstances furent différentes. Les paysans détestaient les membres de la commune du village, qui occupaient la demeure après la révolution et qui s’étaient emparé des meilleures terres et des meilleurs outils. C’est la raison pour laquelle ils mirent le feu à une habitation occupée par les communistes, lorsque ces derniers s’absentèrent pour fêter le premier mai.

Nous savons que Mikhaïl Ossorguine, profondément croyant, n’était pas indifférents aux besoins des paysans. Il fonda une école paroissiale à Sergueïevo (1887) et créa la fraternité de Sainte Juliana pour venir en aide aux fidèles nécessiteux. L’exil des Ossorguine de Sergueïevo eu lieu en octobre 1918. Mikhaïl Mikhaïlovitch adressa quelques paroles à ceux qui se pressaient autour des calèches. Il désigna tout ce qui l’entourait, le bâtiment central, les ailes, le parc de tilleuls et il dit :
« Je sais que ces évènements sont passagers. Prenez soin de tout. Il est possible de créer ici un merveilleux sanatorium, ou une maison de soins. Servez vous de cette demeure, mais ne la détruisez pas ! » Déjà, durant les années de la première guerre mondiale, les Ossorguine avaient transformé leur maison en hôpital. Beaucoup de femmes pleuraient. Il s’inclina dans quatre directions et dit : « Pardonnez-moi, s’il m’est arrivé de faire du tort ou d’offenser l’un d’entre vous ». Les paysans essuyaient leurs larmes. Enfin les calèches se mirent en marche. De nombreux paysans accompagnèrent les Ossorguine jusqu’à la gare de chemin de fer de Fersikov et les aidèrent à charger leurs bagages dans le train.

Après leur expulsion de Sergueïevo, les Ossorguine vivaient dans les environs de Moscou. Et en 1931, grâce à l’aide de Catherine Pechkov, la femme de Maxime Gorki, ils réussirent à obtenir un passeport et partir pour Paris, où ils retrouvèrent les trois aînés de leurs enfants, Mikhaïl, Serge et Sophie- et leurs petits-enfants. En 1931 treize membres de la famille Ossorguine purent émigrer à l’étranger. Parmi ces treize émigrés, trois sont encore vivants aujourd’hui : l’archiprêtre Mikhaïl Ossorguine, fils de Georges Ossorguine et d’Alexandra Galitzine, et deux des enfants de Juliana Mikhaïlovna Samarina : Mikhaïl Sergueïevitch Samarine et Juliana Sergueïevna Samarina. Un livre de souvenirs de l’archiprêtre Mikhaïl Mikhaïlovitch, l’aîné, se prépare à être publié ; ces souvenirs ont été rédigés par ses proches et sa petite fille, Juliana Sergueïevna.

Le prince Gregory Troubetzkoy (1873-1929), parent des Ossorguine écrivit :

« La perte de foyers familiaux, semblables à celui de Sergueïevo, a été une perte irremplaçable pour la Russie. Et la seule consolation est qu’il est impossible de détruire sans laisser de trace les bonnes semences, qui durant de longues années ensemençaient une terre fertile » Leur souvenir se transmet jusqu’à présent de génération en génération !

J’ai prié dans ce clocher en ruines afin que le Seigneur me permette de reconstruire la magnifique église de Sergueïevo, dans laquelle tant de générations de paysans et d’aristocrates russes ont servi ensemble « Le seigneur de toutes choses ».

Traduit pour « Parlons d’orthodoxie » par Marie Genko
Photo des archives de Serge Schmemann

L’auteur du récit est l’archiprêtre Sava Mikhaïlidis Revue « Orthodoxie et époque contemporaine » N°11 (27) année 2009

Père Michel Ossorguine. Histoire d'une famille - Les Russes sans la Russie. 28 août 2011 RTR PLANETA

Rédigé par Parlons d'orthodoxie le 24 Novembre 2012 à 08:10 | 8 commentaires | Permalien



Recherche



Derniers commentaires


RSS ATOM RSS comment PODCAST Mobile