Les restaurateurs de Novgorod vont reconstituer d’anciennes fresques à partir de trois millions de fragments
Le Centre de restauration de Veliki Novgorod a reçu les fragments manquants des compositions murales vieilles de 637 ans de l’église Saint-Sauveur de la Transfiguration, catholicon du monastère du Sauveur-sur-Kovalev

Le Centre de restauration de la peinture monumentale de Veliki Novgorod est un établissement unique en Russie.

C’est là que plusieurs ateliers ont envoyé toutes les compositions murales de l’église Saint-Sauveur de la Transfiguration du monastère du Sauveur-sur-Kovalev, pour que les restaurateurs puissent poursuivre leur travail d’une extrême minutie : la reconstitution d’une image de 15 x 20 cm nécessite plus de trois semaines, et pour faire revivre toutes les fresques d’une église il faut parfois des dizaines d’années.

La méthode élaborée par les époux Grekov, explique la responsable du Centre Tamara Anissimova, facilite considérablement la tâche des artistes restaurateurs : la collecte et le tri des éclats des fresques sont effectués sur le lieu même des fouilles, conformément à leur disposition sur les murs du monument. Toute cette « poussière des siècles », parfois au sens propre, certains fragments ne mesurant que quelques millimètres, est rassemblée au Centre de restauration.

La reconstitution des compositions représentant des saints et des mégalomartyrs, ainsi que des scènes de batailles, se poursuit depuis 40 ans déjà. Une partie des fresques a été présentée dans des musées de Veliki Novgorod, à des expositions à Francfort-sur-le-Main et Moscou.

- Comme la plupart des églises de Novgorod vieilles de 700 à 800 ans, l’église Saint-Sauveur du monastère du Sauveur-sur-Kovalev fut détruite pendant la Grande Guerre patriotique. De toutes les peintures murales d’une surface de 450 mètres carrés qui recouvraient l’intérieur du bâtiment de la coupole jusqu’à l’autel, seuls 16 mètres carrés sont parvenus jusqu’à nos jours, raconte l’artiste restauratrice Marina Pinkoussova.

Une technologie unique en son genre

Sur une petite planchette posée sur le bureau de Tamara Anissimova on voit un fragment d’une fresque de l’église de l’Annonciation, dont les ruines se trouvent dans l’ancienne place forte de Riourik. Il a fallu 21 jours pour réunir et reconstituer, à partir de 140 fragments, un détail de 15 x 20 cm, qui nous permet déjà de voir que la fresque représente une figure vêtue de brocart doré, pour lequel l’artiste médiéval a utilisé différentes nuances d’ocre.

Ces fragments ont été enfouis au XIVe siècle, puis ensevelis sous les décombres de l’église pendant la Grande Guerre patriotique, explique Anissimova. L’été dernier les archéologues ont commencé de sérieuses fouilles sur ce site, pendant la première saison les restaurateurs ont réussi à extraire 29 000 fragments. Les travaux se poursuivront cette année.
Les restaurateurs de Novgorod vont reconstituer d’anciennes fresques à partir de trois millions de fragments

- En notre qualité d’artistes restaurateurs nous avons bien évidemment gêné le travail des archéologues, sourit Anissimova. Ils disent toujours : nous allons extraire vos fresques nous-mêmes, avec nos pelles. Et nos cœurs saignent dès que nous voyons une pelle…

Ces fragments ont une particularité : on y trouve beaucoup d’éléments concassés, autrefois entiers, et il n’est pas conseillé de les extraire à la main, le matériau pouvant éclater en mille morceaux. C’est pourquoi lors de l’extraction les chercheurs novgorodiens ont utilisé le cyclododécane, un matériau de restauration spécial qu’on applique au pinceau sur les fresques endommagées. La masse incolore se fige, en offrant la possibilité de replacer le fragment directement sur la planchette, puis le produit s’évapore à l’aide d’air chaud.

Dans les énormes salles voûtées du Centre, qui autrefois faisaient partie du très ancien monastère Saint-Antoine, presque trois millions de fragments sont étalés sur les tables, disposés dans les caisses et sur les planchettes avec les inscriptions « Vêtements du Christ », « Trône de la Mère de Dieu », « Ange de gauche », les dates et d’autres éléments d’attribution. Au Moyen Âge les figures des saints étaient représentées sur les murs des églises à une échelle de 1,5 à 2 tailles humaines. C’est pourquoi une table de travail pour l’assemblage des fragments d’une fresque est en fait un plateau horizontal de trois mètres sur deux.

Souvent les artistes doivent assembler les compositions à l’aveugle, mais il paraît qu’ils ont une vision particulière et savent « deviner » l’image avant même d’en réunir tous les fragments. Tamara Anissimova nous invite à nous approcher de la composition « La Résurrection de Lazare ».
Les restaurateurs de Novgorod vont reconstituer d’anciennes fresques à partir de trois millions de fragments

- Vous voyez l’œil de ce côté ? Regardez, le voilà, d’un vert éclatant, explique la restauratrice un peu contrariée par « l’aveuglement » du journaliste.

Heureusement tous les détails peuvent être identifiés grâce aux photos des fresques prises avant la guerre – les dessins, calques et même les photos en noir et blanc réalisées par des amateurs d’antiquités dans les églises novgorodiennes au XIXe– XXe siècle aident beaucoup le travail des artistes. En outre, les spécialistes du Centre ont déjà scanné une partie des fragments de la peinture, et les ordinateurs « suggèrent » les endroits les plus probables où peuvent se trouver certains débris.

Les monuments de Novgorod sont si célèbres que tout fragment ou élément d’un décor « rapporté du néant » deviendrait un chef d’œuvre et un événement mondial, poursuit l’interlocutrice de l’agence.

- Actuellement nous travaillons sur les peintures murales de trois églises de Novgorod : le Saint-Sauveur-sur-Kovalev, l’église de l’Annonciation de l’ancienne place forte, l’église de la Dormition-sur-les-champs de Volotovo, et partiellement l’église Saint-Michel-l’archange du monastère Skovorodski, qui a reçu son nom grâce à la configuration de son terrain, énumère Anissimova, en ajoutant que les fresques de l’église Saint-Georges du monastère Iouriev du XIIe siècle attendent leur tour.

Une tâche particulière attend les artistes restaurateurs qui devront travailler avec les fragments de la peinture trouvés au fond de la rivière Volkhov. D’après les collaborateurs du Centre, les trouvailles des archéologues aquanautes sont des témoignages exceptionnels de la vie de cette ville médiévale.

- À l’époque rien n’était jeté, et lorsqu’on rénovait les peintures de la cathédrale Sainte-Sophie, la principale église de Novgorod, le plâtre récupéré servait à renforcer les piliers du pont, poursuit Anissimova. Le pont sur la rivière Volkhov réunissait les deux parties de la ville. D’après la légende, c’est sur le pont Veliki que les Novgorodiens « réglaient leurs comptes » après l’assemblée populaire, et les mécontents étaient jetés dans la rivière.

- Bien évidemment, l’humanité peut se passer des fresques anciennes, mais la vie spirituelle en serait appauvrie. Les exemples novgorodiens de la peinture monumentale sont de sublimes œuvres d’art, des monuments culturels d’envergure mondiale.

Outre Anissimova, une dizaine d’enthousiastes travaillent au Centre. Selon la technicienne Elena Kononova, chaque artiste garde dans sa tête au moins une quinzaine de compositions.

- Lors du tri parfois on a un déclic, et on comprend qu’il est là, le morceau manquant. Ainsi d’après le fragment d’une boucle mesurant 2 cm on a réussi à reconstituer presque la totalité d’une figure de la composition de deux mètres « Le Martyr Mokiy » de l’église de la Dormition-sur-les-champs de Volotovo, se souvient-elle.

Les artistes du Centre travaillent simultanément sur 155 compositions (leur nombre total s’élèvant à 195). Dix-huit d’entre elles ont déjà réintégré les églises de Novgorod.

Yulia Guenerozova et Photos
Traduction Elena Lavanant pour "PO"

Les restaurateurs de Novgorod vont reconstituer d’anciennes fresques à partir de trois millions de fragments

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 25 Avril 2018 à 08:00 | 0 commentaire | Permalien



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