La situation au sein de l'Eglise Orthodoxe d'Amérique (OCA) a déjà été débattue sur ce blog. Nous reprenons un texte de Marie Genko paru sur Orthodoxierusseoccident
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En ce dimanche du Triomphe de l’Orthodoxie, journée durant laquelle chacun d’entre nous peux se demander quelle est sa propre responsabilité pour préserver et faire avancer le témoignage de Notre Seigneur dans le monde, je me résous à mettre en ligne les réflexions que m’inspire la désolante situation de l’OCA. Croyez bien que, si je souhaite ici donner mon sentiment, je le fais avec appréhension et ce n’est pas de ma part une démarche intellectuelle ou vaniteuse, mais le désir profond de m’efforcer de donner un éclairage positif à la réflexion, qui doit être la nôtre devant des évènements qui touchent un membre du propre corps de notre Eglise, l’Eglise du Christ.

Pour comprendre la situation de l’Eglise Orthodoxe aux USA dans les années 70 du siècle dernier, il est utile de se souvenir que les diocèses fondés par l’Eglise de Russie se sont retrouvés pris en étau, en pleine guerre froide entre, d’une part une Eglise mère captive d’un Etat athée et Ennemi, et d’autre part ses propres fidèles en désir de rupture avec cette Eglise. Il fallait à tout prix trouver une issue à cette situation. Le Père Alexandre Schmemann et les évêques dirigeants de l’OCA se sont efforcés de trouver un fondement légitime à une émancipation, que ces diocèses de l’Eglise de Russie était contraints de choisir dans l’absence d’une autre alternative.
Pour prendre ses distances de cette Eglise Mère, le mot « russe » a même été banni du nom de cette juridiction. Garder une juridiction russe soumise à Moscou, était impossible dans ce moment précis du contexte de l’Histoire.
Le Père Alexandre Schmemann s’est efforcé, avec son merveilleux talent littéraire, de faire comprendre et accepter cette autocéphalie rejetée par une majorité des Patriarcats orthodoxes. Nous pouvons lire la défense de cette prise de position dans un long article paru en Anglais le dimanche du Pardon de l’année 1971 et publié en Français en l’an 2000, dans numéro 133 du Messager Orthodoxe, disponible à la librairie Editeurs Réunis.

Le Père Alexandre y expose un véritable plaidoyer aussi limpide et accessible que possible !

Cet article mérite une longue réflexion, car il nous captive autant par son savant condensé historique de notre Orthodoxie que par la démonstration des différents sédiments qui ont progressivement construits notre Tradition. Toute la réflexion ecclésiologique du Père Alexandre semble s’élaborer sur un bien fondé évident.
Alors, la question que je me pose est pourquoi, seuls les patriarcats soumis aux gouvernements des Bolcheviques, ont-ils reconnu cette autocéphalie ?
Le Père Alexandre se pose lui-même aussi cette question, en ce qui concerne le refus du patriarcat de Constantinople et il l’explique très bien en conclusion de sa réflexion.
Pourquoi les neuf autres patriarcats, ceux qui prenaient leurs décisions en toute liberté, ne sont-ils pas tombés d’accord sur la démonstration du Père Alexandre ?

Pour moi, il y a certainement plusieurs raisons à ce refus car, c’est en termes de défense de la Foi et de protection des fidèles orthodoxes, que les patriarches prennent leurs décisions. Et non, comme nous pouvons parfois le lire, à des fins de puissance personnelle.
Pour mieux comprendre ce rejet, examinons quelques idées fortes qui se trouvent dans l’article du Père Alexandre :
Tout d’abord la pluralité des juridictions orthodoxes et leurs litiges semblent pour le Père Alexandre un contre témoignage de notre Foi parmi les hétérodoxes.

Si la mésentente entre les diverses juridictions orthodoxes est certainement un objet de scandale, je ne pense nullement que la diversité des expressions traditionnelles orthodoxes le soit à son tour. N’oublions pas que sur le territoire des USA c’est, au départ, une diaspora orthodoxe qui s’est établie.
Et le pire danger, hors d’un territoire canonique traditionnel, est sans aucun doute l’influence prégnante des hétérodoxes sur les Orthodoxes. Un autre danger, et non des moindres, est l’éventuel mimétisme, qui conduirait ces derniers à s’éloigner de leur Orthodoxie !
Car perdre l’esprit même qui anime nos prières et nos Liturgies dans chacune de nos traditions patriarcales, nous conduirait très sûrement vers la perte de l’essence même de notre Foi.

Et il n’y a là ni phylétisme, ni nationalisme, mais simplement l’attachement à une tradition cultuelle existante, non dans une Nation, mais sur un territoire canonique patriarcal donné, depuis sa création. C’est cette identité cultuelle, qui nous a nourris depuis notre enfance, ou qui, dans le cas d’une conversion, nous a permis de rencontrer le Seigneur dans une juridiction orthodoxe particulière. C’est cette identité cultuelle, qui nous attache très sûrement à notre Foi. Et cela en dépit de la formidable pression présente sur des sols non traditionnellement orthodoxes.

Le Père Alexandre se tourne ensuite vers une analyse de la Tradition orthodoxe et vers les critères de compréhension de cette Tradition. Il affirme, et cette affirmation est pour nous une évidence, que la Tradition canonique est, pour les orthodoxes, l’étalon de leur jugement. Le Père Alexandre s’efforce de justifier l’absence des mots « autocéphalie » et « juridiction ».dans la Tradition et les Canons de l’Orthodoxie. Il s’attache à nous démontrer que plusieurs Traditions consécutives se sont mises en place
Dans la Tradition primitive, il rappelle qu’une communauté autour de son évêque est l’Eglise Locale et que la plénitude de l’Eglise Locale dépend en premier lieu de son unité de Foi, de Tradition et de vie avec l’Eglise universelle, il souligne l’absence de subordination d’une Eglise à une autre Eglise, sans exclure pour autant l’ordre et la hiérarchie entre elles :
Ce qui me frappe plus particulièrement est cette dernière affirmation, qui souligne qu’il n’y a pas, dans cette Tradition primitive, un vide de hiérarchie ou d’ordre ! Car si l’évêque, comme l’écrit encore le Père Alexandre, est le garant de l’union entre les évêques, il apparaît évident que les décisions mettant en jeu le fonctionnement de l’Eglise toute entière doivent se prendre dans le consensus de tous les évêques, et non par la volonté d’un seul patriarche, ou d’une minorité d’entre eux.

Car il faut bien comprendre que l’autocéphalie accordée à l’OCA, sans le consensus de tous les prélats orthodoxes responsables, constitue un fâcheux précédent d’insubordination justement à la Tradition d’ordre et de hiérarchie de notre Eglise.
Dans son article, le Père Alexandre tout en poursuivant la défense de l’autocéphalie de l’OCA, nous brosse un magistral tableau de la symphonie byzantine et nous explique que l’Eglise devient inséparable de la Société. Cette antique approche orthodoxe des relations entre l’Eglise et l’Etat, nous donne à réfléchir sur les habitudes prises dans plusieurs pays orthodoxes ! Car beaucoup d’entre nous s’étonnent, par exemple, du soutien du gouvernement russe à l’Eglise orthodoxe en Russie !

Le Père Alexandre nous parle aussi de la montée en puissance du patriarcat de Constantinople, qui entraîne une subordination de fait des autres évêques et aussi un changement de mentalité par rapport à l’Eglise primitive.
Il poursuit en développant un point de l’Histoire où apparait, dans la tradition ecclésiale, la notion de Nation chrétienne, notion qui peut dériver vers un danger de réduction de l’Eglise à un concept nationaliste, concept qui est opposé à la vision du Père Alexandre du devenir de l’Eglise Locale.
Car le Père Alexandre reconnaît trois sédiments de la Tradition orthodoxe et il estime qu’aucune étude sérieuse n’a été faite de leur inter relation, il parle même d’atrophie de la pensée ecclésiologique durant plusieurs siècles. Il parle ensuite des conditions de fonctionnement du patriarcat de Constantinople, sous la domination ottomane, et du fait que la mentalité impériale de ce patriarcat s’est trouvée renforcée par le système politico religieux turc, qui fit de ce patriarche le chef des chrétiens de cet empire.
Mes connaissances sont bien trop élémentaires pour discuter de l’atrophie de la pensée ecclésiologique dans l’Histoire de l’Orthodoxie, mais une telle affirmation me semble tout de même probablement excessive !

Ensuite, le Père Alexandre juxtapose plusieurs faits et idées: le fait nouveau d’une orthodoxie en Amérique qui se crispe sur un mode identitaire. Le fait ancien, que sur tous les territoires orthodoxes, tous les orthodoxes présents, même issus d’un autre patriarcat commémorent le patriarche de ce territoire. Et enfin le Père Alexandre revient à l’idée de la tradition primitive de l’Eglise, à savoir le principe d’un évêque sur un territoire donné.
La juxtaposition de ces faits et de ces idées est intéressante en elle-même puisque, comme je l’ai écrit plus haut, la crispation, ou plutôt la fidélité à son identité cultuelle est la meilleure protection du chrétien orthodoxe, en minorité, parmi des hétérodoxes. Le problème de l’unité ecclésiale américaine est soulevé ici à la lumière d’un cas de figure nouveau : celui des les Etats Unis, qui ne sont pas encore un territoire canonique traditionnellement lié à un patriarcat orthodoxe. Pour ce qui est de la Tradition primitive du principe d’un évêque sur un territoire donné, je ne peux que répéter, qu’il y a là une notion de consensus et aussi d’obéissance qui me semblent malheureusement absentes de l’exposé du Père Alexandre.
Cet exposé se poursuit par une explication conséquente des raisons de la violente réaction du patriarche de Constantinople à l’octroi de l’autocéphalie à l’OCA ! Le Père Alexandre commence par un éloge du patriarche Athénagoras et il répète, ce qu’il a dit précédemment, à savoir que la mentalité de l’universalité de l’empire romain d’abord, puis byzantin ensuite, a marqué d’un sceau indélébile la compréhension du monde du patriarcat œcuménique. De même qu’il a persuadé les Grecs de leur primauté et leur rend difficile la compréhension du monde orthodoxe post byzantin. L’autre idée reprise dans ce point est celle du rôle joué par la domination turque sur Constantinople et son influence, contradictoire, en apparence, sur le nationalisme grec et sa conception universaliste.
En ce qui concerne cette approche, je ne peux que répéter ce que j’ai écrit plus haut : Je suis intimement convaincue que seul l’intérêt des orthodoxes en diaspora a guidé la décision du Sa Sainteté le patriarche Athenagoras.
Le Père Alexandre termine son plaidoyer pour l’OCA en revenant sur la place du Patriarche œcuménique au centre du monde orthodoxe et en insistant aussi sur l’hellénisme des Grecs, il écrit :« La primauté œcuménique devient la primauté des Grecs. »

Au début de cette réflexion, pour ne pas nuire à la compréhension de la démarche du Père Alexandre, j’ai volontairement écrit qu’il n’y avait pas d’alternative à l’émancipation de l’OCA au moment où le Père Alexandre et les autres dirigeants de l’OCA l’ont décidée. Pourtant, cela n’est pas exact ! Car une toute autre situation se serait mise en place, si les membres de l’OCA n’avaient pas été totalement aveuglés par leur querelle avec la juridiction de l’Eglise Russe Hors Frontières ! Si les membres de l’OCA avaient pris conscience que la construction de l’Eglise ne peut se faire que dans l’exemple de l’amour fraternel, dans l’ordre et dans l’obéissance au consensus de la Sagesse de toute l’Eglise ! L’OCA aurait alors, dans l’humilité et la prière, choisi de s’unir au synode de l’Eglise Russe Hors Frontières et la situation actuelle de l’Orthodoxie aux USA serait complètement différente de ce qu’elle est aujourd’hui.

Je suis profondément convaincue que tant que nous, les Orthodoxes, nous n’aurons pas compris que la force de notre témoignage est dans l’amour et le respect que nous nous témoignons les uns aux autres, Amour des fidèles pour les fidèles et des évêques pour les évêques, tant que nous ne vivrons pas nous-mêmes de cette Vérité évangélique, que nous a laissée Notre Seigneur, nous ne serons pas capables de la porter aux Nations ! Car il faut enfin que les écailles tombent de nos yeux et que nous comprenions que notre témoignage n’est pas crédible !

Est-ce vers la Foi Orthodoxe que se sont tournés ces jours –ci les évêques anglicans en rupture avec leur Eglise ? Non ! Ils ont choisi l’Eglise catholique, sa discipline et sa cohésion !
Soyons convaincus que nos continuelles disputes et nos controverses en sont la cause indubitable !
Enfin je suis persuadée, que lorsque le nombre des orthodoxes ne sera plus une misérable minorité parmi les hétérodoxes, ce jour là tous les Patriarches orthodoxes accorderont en toute confiance l’autonomie à leurs Eglises filles sur le continent américain.

Mais tant qu’un consensus de l’Eglise toute entière n’a pas bénit l’autocéphalie américaine celle-ci, à l’image du fils prodigue, ne peut que courir vers le désastre.
Je voudrais enfin demander, Pardon, à ceux qui ont la patience de me lire pour toutes mes lacunes et mes maladresses. Croyez bien que si je me suis efforcée de bien comprendre la pensée du Père Alexandre et je l’ai abordée, avec tout le respect que mérite l’œuvre de ce prêtre. Car le Père Alexandre a, tout au long de son existence, lutté de toute son intelligence et de tout son immense talent pour témoigner sa Foi orthodoxe. Les circonstances et le terrible contexte politique de l’époque l’ont amené dans une impasse. Prenons garde, et je m’adresse là aux fidèles de mon archevêché de ne pas nous fourvoyer, à notre tour, à sa suite !

Car tant que nous n’aurons pas appris à éteindre nos querelles internes et à faire confiance à nos patriarches et à nos théologiens, nous ne verrons pas la Lumière du Seigneur vivre parmi nous.

M.G.
A Meaningful Storm, some reflection on Autocephaly, Tradition and Ecclesiology
Alexander Schmemann, St. Vladimir's Quarterly,

vol. 15, n. 1-2, New York 1971, p. 4- 27


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"P.O." Une visite non officielle du métropolite Jonas (OCA) en Russie

Le dialogue entre le patriarcat de Moscou et l’OCA

Rédigé par L'équipe Rédaction le 15 Mars 2011 à 09:02 | 19 commentaires | Permalien



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