" En fondant l'Église durant la Cène le Christ a prié pour que les apôtres en gardent l'unité à l'exemple de l'unité qui existe entre le Père et le Fils: "Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé." (Jn. 17: 21). L''Église n'est pas simplement une association humaine: l'apôtre Paul la compare à un corps: "de même, nous qui sommes plusieurs, nous sommes un seul corps dans le Christ, et membres les uns des autres, chacun pour sa part," (Rom 12:25); l'unité des Chrétiens est ainsi d'une nature supranaturelle et demande donc des efforts exceptionnels pour être préservée." Métropolite Hilarion de Volokolamsk, février 2015.

Le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou (DREE) a donné deux conférences le 5 et 6 février aux universités de Winchester et Cambridge sur le thème "la coopération interchrétienne a-t-elle un avenir?".

Le texte est disponible en russe et en anglais. Le métropolite y expose en fait la position de l'Église russe concernant la coopération interchrétienne et, en attendant la parution d'une version en français, je vous en propose une synthèse. V. Golovanow

Divergence des trois traditions de l'Église

Après avoir rappelé la différence entre "l'hérésie", dont les tenants sont rejetés du sein de l'Église, et le "schisme", scission causée par des différents non dogmatiques et qui pouvait se résoudre par la diplomatie entre hiérarchies, voire par l'intervention des autorités civiles, le métropolite fait l'historique des trois grands schismes qui divisèrent le corps du Christianisme universel en plusieurs "familles d'Églises" (sic): au Ve siècle les Églises "Préchalcédoniennes" ou "Orientales", au XIe siècle "le schisme est provoqué par des causes plus ecclésio-administratives que dogmatiques: la rupture de communion entre les patriarcats de Rome et de Constantinople en 1054" et enfin la Réforme, il y a bientôt 500 ans (1517 – les 93 thèses de Luther…), que l'Église d'Angleterre rejoignit en 1534.

Et les trois traditions de l'Église ont évolué de façon divergente:

- La tradition orthodoxe, y compris les Églises préchalcédoniennes, a conservé la doctrine et l'ecclésiologie des premiers temps du Christianisme et de la tradition byzantine;
- L'Église catholique s'est aussi efforcée de garder les traditions du premier millénaire du christianisme occidental. Les divergences dogmatiques entre Catholiques et Orthodoxes "sont moins substantielles que celles qui séparent, par exemple, les Catholiques des Protestants."
- La Réforme a donné naissance à un très grand nombre de petites communautés et de courants nouveaux sur la base du Christianisme et le Protestantisme actuel "devient une notion toute relative" (sic).

Le dialogue interchrétien achoppe sur le sécularisme

Le XXe siècle a vu naitre le "mouvement œcuménique" qui se fixait au départ le but de renouveler l'unité perdue entre les Chrétiens. Un moment important en a été la fondation du Conseil Œcuménique des Églises (COE) juste après la guerre, qui a permis à plusieurs générations de Chrétiens de découvrir la foi et la vie de leurs frères en Christ qu'ils ne connaissaient pas. Une autre étape importante fut le concile catholique de Vatican II (1962-65) qui ouvrit à la plus importante des confessions chrétiennes la voie du dialogue, tant avec les Orthodoxes et les Préchalcédoniens qu'avec les confessions protestantes. Ce dialogue se développe toujours actuellement.

Mais ce dialogue n'a pas permis de rapprocher les positions. Au contraires, les divergences entre Orthodoxes et Catholiques d'un côté et le monde protestant de l'autre sont devenues plus importantes qu'il y a 50-70 ans.

L'un des défis essentiels rencontrés par l'ensemble du monde chrétien durant les derniers siècles est celui du sécularisme dont l'esprit, basé sur le matérialisme et l'athéisme, s'impose dans l'ensemble de la société occidentale au XXe siècle. Le sécularisme européen est particulièrement agressif et appel à expulser complètement la religion de la vie sociale et à refuser les normes morales fondamentales qui caractérisent toutes les religions traditionnelles.

Comme le montrent la promotion du mariage homosexuel au même plan que le mariage traditionnel, la propagande agressive des relations homosexuelles et le droit d'adoption pour les couples homosexuels, c'est la destruction systématique des normes traditionnelles du mariage et de la famille qui est l'un de principaux axes de l'offensive séculariste actuelle. La valeur absolue de la vie humaine est aussi remise en cause: l'euthanasie est légalisée dans nombre de pays et le meurtre des enfants dans le sein maternel est devenu habituel. La jeunesse est élevée dans le culte de la consommation, de la permissivité, de la liberté sexuelle et cette liberté dévoyée est censée se justifier par le droit de chacun au bonheur personnel.

Tout ceci démontre une profonde crise spirituelle du point de vue biblique, un renversement des valeurs du bien et du mal; les droits des individus sont placés au-dessus de l'intérêt général et cela conduit à l'exacerbation des tensions sociales.

Le clivage entre "traditionnalistes" et "libéraux" prend le pas sur les différences dogmatiques

Les Églises chrétiennes ne peuvent répondre à ce défis qu'en se référant à la Révélation divine transmise par la Bible. Nous pouvons diverger sur l'interprétation de la Sainte Tradition, mais la Bible est unique et la doctrine morale y est exposée très clairement. Pourtant nous voyons certaines Églises chrétiennes préférer prendre d'autres critères moraux; des impératifs non pas théologiques mais sociaux, voire politiques commencent à modifier leur doctrine morale qui s'éloigne de plus en plus de ce qui est écrit dans le Nouveau Testament: dans la parole du Christ, les épitres de saint Paul. On peut ainsi séparer les Chrétiens en deux groupes, les "Traditionaliste" et les "Libéraux", et ce clivage est bien plus important que les différences entre Orthodoxes et Catholiques ou entre Catholiques et Protestants.

Certains "Libéraux" considèrent que l'Église doit être suffisamment "inclusive" pour admettre les standards alternatifs de comportement et les bénir pour marcher au pas de la modernité, alors que les "Traditionalistes" les accusent de rejeter les normes fondamentales de la doctrine morale chrétienne. Pour les Orthodoxes il ne s'agit pas de "rationalisme", mais du respect de la Révélation divine contenue dans les Saintes Écritures. Et nous devenons ainsi divisé sur les fondements mêmes de notre témoignage; nous ne parlons plus d'une même voix; nous ne prêchons plus le même message spirituel et ne pouvons plus défendre solidairement les principes moraux qui ont servi de fondement à la communauté chrétienne depuis des siècles.

Dérives dans le monde protestant

Un exemple concret est donné par l'Église anglicane: le dialogue théologique, mené très sérieusement depuis les années 1830, avec l'Orthodoxie n'est plus possible après les ordinations épiscopales de femmes, qui correspondent à la prise en compte des revendications féministes et non à un besoin théologique, et surtout la bénédiction des unions homosexuelles, reconnues comme "normales", et l'ordination des homosexuels à la prêtrise et à l'épiscopat. L'Église orthodoxe n'est pas intolérante envers les "personnes ayant une orientation sexuelle non traditionnelle". "Nous leur donnons notre attention pastorale comme aux autres croyants sans autoriser aucun ostracisme, moquerie ou injure. Mais nous refusons catégoriquement de reconnaitre que le péché devienne la norme, de déclarer qu'une conduite peccamineuse soit promue. Nous considérons tout péché comme une maladie qui demande un traitement" (sic).

Malgré cela, le dialogue continue avec les communautés qui restent fidèles à la doctrine évangélique, comme par exemple avec les Baptistes du sud ("Southern Baptist Convention", SBC, USA) ou les Évangélistes de Billy Graham. Et, en dehors du dialogue théologique, la coopération entre l'Orthodoxie et les différentes confessions protestantes ce développe dans la sphère sociale, de l'aide aux déshérités au soutien des Chrétiens persécutés dans le monde; "cela se fait sans effacer ou passer sous silence les différences qui font obstacle au rapprochement, mais nous cherchons, au contraire, à les surmonter.

Le dialogue avec l'Église catholique est le plus prometteur

Le catholicisme reste attaché à la Tradition et l'amélioration des relations vient de l'accent mis sur ce qui réunit et non ce qui divise: un héritage commun qui permet aux deux confessions de témoigner au monde ensemble les valeurs permanentes de l'Évangile. C'est une "alliance stratégique" (sic) où il n'est pas prévu d'union formalisée, impossible actuellement, mais il faut apprendre à agir comme des alliés face aux défis du monde.

Le plus important actuellement c'est la défense des Chrétiens en Afrique et au Moyen Orient qui subissent des persécutions inouïes, mais aussi la défense des valeurs chrétiennes et la lutte contre la discrimination des Chrétiens qui prend de plus en plus d'ampleur en Europe occidentale. Les Chrétiens doivent faire preuve de solidarité et, pour ce double combat, l'alliance peut rallier ceux des Chrétiens du monde protestants qui ne sont pas indifférents au sort de leurs frères et sœurs persécutés. "Je veux espérer que nous saurons surmonter nos désaccords internes pour agir ensemble là où se pose la question du présent et de l'avenir du Christianisme."

Et, pour conclure, le métropolite laisse ouverte la question "la coopération interchrétienne a-t-elle un avenir?" Il appelle les Chrétiens à leur responsabilité, "qui nous a été confiée par le Christ Lui-même" tout en soulignant que l'unité ne peut se faire ni en rejetant les normes fondamentales de la morale chrétienne ni en tentant de suivre les courants changeants des modes sociétales, mais sur la base de la Vérité révélée transcrite dans la Bible "Car personne ne peut poser d'autre fondement que celui qui est pose, lequel est Jésus Christ" (1 Cor 3:11.)

Rédigé par Vladimir Golovanow le 4 Mars 2015 à 10:49 | 3 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Gilles (Bourges) le 01/05/2015 06:23
à n' en pas douter et réponses en même prière et en actes au Christ Dieu-vivant sur La Croix : Notre Père

2.Posté par Vladimir.G: L''''Eglise orthodoxe russe affirme devoir rompre les relations avec les principales Églises protestantes de France et l''''Ecosse à cause des mariages homosexuels. le 04/06/2015 11:23
L'Eglise orthodoxe russe affirme devoir rompre les relations avec les principales Églises protestantes de France et d'Écosse à cause des mariages homosexuels.
Le Patriarcat de Moscou a déclaré le 3 Juin que les «contacts formels" avec ces deux institutions étaient inutiles après que l'Église protestante unie de France ait voté le mois dernier l'autorisation de bénir les mariages homosexuels et que l’Église d’Écosse ait approuvé l'ordination de clercs civilement mariés a des personnes du même sexe.
"Nous reconnaissons à regret, que nous avons aujourd'hui une nouvelle fracture dans le monde chrétien, non seulement en ce qui concerne les sujets théologiques, mais en ce qui concerne les questions morales" déclare le communiqué du patriarcat .
Le Patriarcat de Moscou avait déjà suspendue ses relations avec l'Église épiscopale des États-Unis en 2003 après la consécration d'un évêque ouvertement gay et avec l'Église luthérienne de Suède après sa décision de bénir des unions homosexuelles en 2005.

3.Posté par Vladimir. G: L'Eglise orthodoxe russe affirme devoir rompre les relations avec les principales Églises protestantes de France et d'Écosse à cause des mariages homosexuels. le 04/06/2015 15:04
Faisant suite à la décision de l’Église d’Écosse de permettre l’ordination de représentants des minorités sexuelles pouvant justifier de leur « union civile », et celle de l’Église protestante unie de France permettant la bénédiction des « unions homosexuelles ».

Le 16 mai 2015, l’Assemblée générale de l’Église d’Écosse a autorisé l’ordination de représentants des minorités sexuelles en union civile. Le 21 mai, elle a voté pour la poursuite de l’étude de cette question afin d’élargir ultérieurement la décision prise. Le 17 mai, le Synode de l’Église protestante unie de France a autorisé la bénédiction des « unions homosexuelles ».

L’Église orthodoxe russe a accueilli ces décisions des églises protestantes d’Écosse et de France avec une profonde déception, dans la mesure où elles sont incompatibles avec les normes de la morale chrétienne.

Nous constatons que de nouvelles divisions sont intervenues dans le monde chrétien, non seulement sur le plan théologique, mais aussi concernant la morale.

S’appuyant fermement sur une position découlant de l’Écriture Sainte, l’Église orthodoxe russe déclare en conséquence l’inadmissibilité des nouveautés susmentionnées dans la doctrine morale et est forcée de réexaminer le format de ses relations avec les églises et les communautés violant les principes de la morale chrétienne traditionnelle. Ainsi, en 2003, l’Église orthodoxe russe a suspendu ses contacts avec l’Église épiscopales des États-Unis, cette église ayant consacré évêque un homosexuel notoire. Des raisons semblables ont motivé la rupture des relations avec l’Église de Suède en 2005, qui avait alors décidé d’autoriser la bénédiction des unions homosexuelles.

Ces dernières années, nous avons suivi attentivement les discussions en cours dans les églises d’Écosse et de France. En 2013, le métropolite Hilarion, président du Département des relations ecclésiastiques du Patriarcat de Moscou, avait adressé une lettre à la direction de l’Assemblée générale de l’Église d’Écosse, exprimant ses alarmes et sa déception suite à l’autorisation donnée par l’assemblée à l’ordination d’homosexuels, exprimant l’espoir que la résolution de cette question reviendrait bientôt à la tradition apostolique. Malheureusement, cet espoir a été vain, et la mise en garde n’a pas été entendue.

S’appuyant sur les décrets du Concile épiscopal de 2008 affirmant que « l’avenir des relations avec de nombreux communautés protestantes dépend de leur fidélité aux normes de la morale évangélique et apostolique, conservées par les chrétiens durant des siècles », et sur ceux du Concile épiscopal de 2013, qui estime « impossible le dialogue avec les confessions qui violent ouvertement les normes morales bibliques », le Département des relations ecclésiastiques extérieures ne voit plus de perspectives à la poursuite ultérieures de contacts officiels avec l’Église d’Écosse et l’Église protestante unie de France.

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