Père Alexis Yastrebov : « Pays de l’Est » à Venise
Traduction Elena Tastevin

Selon le Centre d'étude de l'opinion VTZIOM, le nombre de personnes qui n’envisagent pas d’émigrer de Russie a augmenté de 75% à 88%. Plus de 40 mille personnes quittent la Russie chaque année. Cependant, ces derniers temps ce chiffre tend à diminuer. Quel est le profil des émigrés ? Le père Alexis Yastrebov, recteur de l’église des Saintes Femmes Myrophores (PМ) à Venise nous parle de la situation en Italie.

- Père Alexis, qui sont les immigrés en Italie ?

- Je parlerai plutôt de Venise que de l’Italie. Les émigrés de Russie sont peu nombreux. Ils sont des hommes d’affaires qui montent leur affaire et des femmes ayant épousé des italiens. Mais j’aurai du mal à définir leur nombre. Malheureusement, il faut constater que les russes sont rares dans les paroisses orthodoxes. Souvent les émigrés russes se passent parfaitement de l’Eglise. Etant russe moi-même, j’en suis désolé. Nous officions essentiellement pour des moldaves et des ukrainiens.

Père Alexis Yastrebov : « Pays de l’Est » à Venise
Les motifs des moldaves et des ukrainiens sont claires : la situation économique est difficile dans leurs pays. Les ukrainiens viennent surtout pour gagner leur vie.

Ce sont souvent des femmes de plus de quarante ans. Elles viennent gagner pour aider leurs enfants, jeunes spécialistes qui, chez eux, reçoivent pour leur travail 10 dollars par mois. C’est souvent la fatigue qui les fait rentrer en Ukraine. Il est difficile de travailler sans week-ends ni jours fériés quand on n’est plus jeune. En revanche, les émigrés moldaves sont des jeunes qui ne dédaignent pas un travail bien rémunéré même s’il est peu qualifié. Ceux-ci restent et fondent des familles.

-Avez-vous tout de même des paroissiens russes ?
- Ils sont en minorité. Dans 99% des cas il s’agît des femmes mariées aux italiens. Par exemple, une paroissienne, une scientifique, qui a rencontré son mari en Russie. Elle a émigré dans les années 90. Quelques personnes sont arrivées il y a cinq ou six ans. Plusieurs couples se sont mariés religieusement de mon temps, mais ils ne viennent plus à l’église. Certains d’entre eux ont eu des enfants que j’ai baptisés. D’autres ont baptisés leurs enfants dans la foi catholique.

- Est-ce que vous avez des paroissiens qui ont émigrés pour des raisons politiques ?
- Personne. A mon avis, tout cela est tiré par les cheveux.

- Est-ce qu’il y a des jeunes qui viennent faire leur études et restent ensuite ?
- Autant que je sache, pratiquement tous les étudiants rentrent chez eux. Je n’en connais qu’un qui nous a aidés à faire notre site. Il est parti à Amsterdam et s’y est marié.

- Quel est la situation sociale de vos paroissiens émigrés, quel est leur niveau de culture ?

- Il faut probablement parler de leur ex statut social. Ici ils sont tous égaux. Tous se trouvent dans les mêmes conditions que ce soit des ingénieurs, des personnes avec deux formations supérieures ou sans. Ils deviennent le plus souvent auxiliaires de vie, femmes de ménage etc.
Je connais des personnes avec un passé criminel dans leur pays d’origine. Ils ont fui à Venise. Devenus croyants ils ont changé du tout au tout. C’était une véritable renaissance. Le niveau culturel des personnes est différent. En général, les nouveaux venus sont d’un milieu modeste. Nous tâchons d’élargir leurs connaissances dans la mesure où tous sont sensibles à la culture. Par exemple, dimanche prochain nous irons à Ravenne pour y admirer les célèbres mosaïques. Les paroissiens ont réagi avec intérêt alors qu’auparavant ils n’avaient consenti qu’à participer à des pèlerinages. Nous irons bientôt à Aquilée qui abrite également de magnifiques mosaïques.

- Quelles sont les difficultés de la vie pour ces migrants ?
- Le plus simple serait de dire qu’ils ne sont pas chez eux. Nous appartenons à un autre peuple. Il n’est parfois pas facile de trouver une langue commune avec les italiens et d’accepter leurs attitudes si différentes des nôtres.
Certains disent que les « émigrés envahissent l’Italie ». Souvent c’est justifié par les comportements des émigrés mais il y a aussi des préjugés.
Depuis déjà 9 ans notre paroisse n’a pas de local. Nous pouvons être mis dehors à tout moment. C’est psychologiquement difficile. Les fidèles apportent des choses à l’église pour l’embellir et je dois refuser.
En Russie, nous sommes à la maison. Malgré des inconvénients il y est possible de construire une église en faisant appel aux donateurs. Ici j’officie pour quelques dizaines de personnes qui se sont réunies autour de la paroisse. Elles ne sont pas riches, elles vivent dans le besoin.

-Est-ce que les émigrés s’entraident ?

- Les russes peu. Du moins, je n’en ai pas entendu parler. Leur activité principale consiste à organiser des concerts et d’autres événements de ce genre. Les communautés ukrainiennes sont plus actives en ce sens. Leur entraide est plus réelle, elle va jusqu’à la recherche du travail. Il n’y a pas non plus de coopération entre les paroisses et les associations culturelles. L’attitude est bienveillante mais il n’y a pas de communication conjointe active. Chacun va son chemin.

- Est-ce qu’il y a des difficultés dans les couples mixtes ?

- La vie est dure lorsque les femmes se marient sans amour. Après il faut vivre avec la personne qui peut être même désagréable. Il arrive que des femmes épousent des vieux. La motivation est le désir d’une vie tranquille sans besoin. Les italiens eux aussi sont différents des hommes russes : ils entourent la femme d’attention, ils prennent bien soin des enfants, ils en rêvent. En effet, les enfants sont aimés dans la société.
De plus, la législation italienne défend les droits des femmes. Certaines dames russes en profitent pour récupérer par voie judiciaire une partie de la propriété qu’elles n’ont pas aidé à constituer.
Mais en général, lorsque des personnes se marient par amour et leur objectif est de fonder une famille leur vie va plutôt bon train.

Les femmes russes ont tout de même de la peine à cause des différences de mentalité. En dépit de bonnes conditions de vie, de l’amour de l’époux et de sa famille, la femme se sent souvent mal à l’aise. La personne souffre alors que tout va bien. Par exemple, les Vénitiens n’expriment pas leurs pensées explicitement. Au lieu de dire « non », ils diront « oui » et ensuite ils chercheront à vous faire comprendre qu’en vérité c’est « non ». La personne habituée à un dialogue plus franc peut croire qu’on veut la tromper. On se heurte à une telle attitude aussi dans les administrations, c’est énervant. Suite à une réponse on fait des projets et il s’avère à posteriori que ce n’était pas la peine.

Les traditions familiales et culturelles sont différentes. Cela se voit au quotidien dans le ménage ainsi que dans la hiérarchie familiale. La mère du mari est une personne importante qui vit avec le jeune couple et participe activement à ses affaires. Les fils italiens sont très infantiles et comme on dit ici un « gars » de quarante ans est souvent non autonome. Les femmes russes sont appréciées : les italiennes sont plus émancipées, alors que la femme russe est affectueuse, belle et sans prétentions. Or, la femme a envie de vivre séparément avec sa propre famille. Elle est, cependant, obligée de gérer les choses conjointement avec sa belle-mère. Lorsque un enfant est né, tous les parents viennent le voir et chacun veut le bichonner, prendre soin de lui et donne des conseils aux parents. Les orthodoxes ont du mal à le supporter.

Les parents cherchent à les baptiser catholiques. Et cela plutôt par tradition que par une vraie foi. Le baptême en Italie est une fête d’envergure que l’on célèbre avec beaucoup d’invités. Alors que dans notre cas l’église paraît étrange. Nous parlons une autre langue. Les personnes qui baptisent leurs enfants orthodoxes accomplissent un véritable exploit vis-à-vis de leurs proches italiens.

- Faut-il officier en langue du pays où se trouve la paroisse orthodoxe ?

- Oui, bien-sûr. Nous prions en italien en partie. Par exemple, certaines litanies, le Credo, Notre Père sont en italien. Le baptême et le mariage sont souvent en italien. Dans le cas d’un couple mixte où la femme comprend l’italien, le mari ne comprend pas du tout le slavon et d’autant plus si toute la famille du mari est présent, je ne me permettrai pas d’officier en slavon. En effet, les personnes ont fait un tel effort ayant accepté délibérément de baptiser l’enfant dans une autre église.

-Est-ce que les enfants des émigrés deviennent italiens ?

-Oui, cela arrive souvent. Certaines se sentent gênés de leur nationalité. Ce sont essentiellement des femmes qui ont émigrés il y a longtemps. Leurs enfants ne parlent pas russe. Ceux qui veulent transmettre la langue et une appartenance culturelle inscrivent leurs enfants à l’école russe.


Священник Алексий Ястребов: «Понаехавшие» в Венеции "Православие и Мир"

Rédigé par Parlons d'orthodoxie le 20 Novembre 2012 à 13:00 | 3 commentaires | Permalien



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