Père Georges Florovsky: "Création et Rédemption"
Père Georges Florovsky est décédée le 11 août 1979

Vladimir Golovanow

« Le Verbe s'est fait chair » : telle est la joie ultime de la Foi chrétienne. C'est la plénitude de la Révélation. Le même Dieu incarné est à la fois Dieu parfait et homme parfait. La signification plénière et le but ultime de l'existence humaine est révélée est réalisée dans et par l'incarnation.

Il descendit des cieux et sauva la terre pour unir l'homme avec Dieu pour toujours. «Et il s'est fait homme». Le nouvel âge a commencé. Nous comptons maintenant les «anni Domini». Comme saint Irénée l'écrivait : «le Fils de Dieu devient le fils de l'homme afin que l'homme puisse devenir le fils de Dieu» (Adv. Haer. III, 10, 2 p. 302)

De "synthèse néo-patristique" qui devint l'axe de recherche de cette école Georges Florovsky


Georges Vassilievitch Florovsky (en russe: Георгий Васильевич Флоровский) (1893-1979), est l'un des plus grands théologiens orthodoxes du XXe siècle. Il fut le premier inspirateur du groupe de Paris et mit en avant l'idée théologique; il fut aussi l'un des pionniers du mouvement œcuménique dès 1927. Il a participé à la fondation de l’Institut Saint-Serge de Paris, où il enseigna la patrologie (1925-1948), relança le séminaire Saint-Vladimir de New York, dont il fut le doyen (1950-1955), et enseigna dans les universités de Harvard, Princeton et Holly Cross.

Outre plusieurs ouvrages fondamentaux, il a publié de nombreux articles aux Etats Unis, la plupart en anglais, qui ont été édités en 14 volumes dans "Collected works" dont 2 ont été traduits par Jean-Louis Palierne, ("Les voies de la théologie russe", Lausanne, L'Âge d'Homme, coll. "Sophia", 2001). Le père Georges Leroy met en ligne sa traduction commentée du ch. 5, "Redemption" du volume 3 (ici en PDF), " (p. 95-159), qu'il "met en dialogue" avec ses propres études.

Père Georges Florovsky: "Création et Rédemption"
Je vous propose ici la préface et la postface du père Georges Leroy, en espérant que vous serez nombreux à découvrir ce texte inédit en français de Florovsky, traduit dans une langue fluide et particulièrement bien présenté par le père Georges Leroy. (Les sous-titres et notes sont de VG)

Au-delà des limites du temps et de l’espace.

(Préface du père Georges Leroy)

***

Nous avons maintenant terminé la présentation générale du schéma de la Rédemption (1). Il nous paraît intéressant de "mettre en dialogue" ce que nous avons découvert, avec un texte remarquable de Georges Florovsky. Il s’agit d’une étude consacrée, elle aussi, au thème de la Rédemption. Dans le texte dont nous communiquons ici la traduction française, la pensée de Florovsky se déploie avec la plus grande clarté, dans une constante fidélité à la Tradition de l’Église. Cette pensée est lumineuse et claire; elle tranche sur le flou et la nébulosité que nous constatons habituellement chez les penseurs russes.

Avec tout le respect que nous devons au Père Paul Florensky, le « Léonard de Vinci » de la pensée théologique russe, il faut bien avouer qu’après la lecture des innombrables pages de son ouvrage fondamental : «La colonne et le fondement de la vérité», on n’est pas plus avancé pour autant… Il en est de même pour le Père Serge Boulgakov : il est incontestablement un penseur d’une grande envergure, mais après avoir lu un bon nombre de ses œuvres, on n’est toujours pas en possession d’une définition claire de la « Sophia ». Comme chez Dostoïevski, dans cette pensée foisonnante, luisent les éclairs d’aperçus marqués par le génie. Dans les écrits de Florovsky, l’atmosphère est tout autre : sa pensée est tout aussi claire que celle de Vladimir Lossky. On a reproché à Vladimir Lossky des simplifications excessives : des distinctions abruptes effectuées sans opérer toutes les nuances nécessaires.

C’était le prix de la clarté de l’exposition des idées. Nous nous permettons de préférer la clarté à l’exhaustivité, et nous sommes tout surpris de nous retrouver en une telle familiarité avec la pensée du Père Georges Florovsky, alors même qu’il est de culture slave. Au-delà des limites du temps et de l’espace, nous nous offrirons le rare privilège d’écouter les réflexions de ce penseur remarquable : c’est ce que nous donne la magie de l’écrit.

Père Georges Florovsky: "Création et Rédemption"
La résurrection de la Nature humaine

En prenant connaissance de la pensée de Georges Florovsky, nous avons eu le sentiment de nous trouver dans le même univers spirituel que celui qui s’est constitué progressivement, au fur de notre description du grand dessein de la Rédemption. En fait, la pensée de Florovsky est "libérante" par rapport à l’augustinisme qui a imprégné la pensée occidentale chrétienne jusqu’à un passé récent. Inspiré par les Pères Grecs, Florovsky nous donne une vision du Salut apporté par le Christ, tout illuminée par la Résurrection. L’incarnation elle-même est comprise comme étant la résurrection de la Nature humaine. Florovsky nous donne une contemplation du mystère de la Croix, au-dessus de toute compréhension rationnelle. Il affirme hautement que Dieu ne demande les souffrances de personne ; bien au contraire, Il s’en afflige. Florovsky scrute le mystère de la mort, s’appuyant sur la pensée de saint Athanase, dont nous avons remarqué une limite. Il montre que la rédemption est par-dessus tout le fait d’échapper à la mort et à la corruption.


L’accomplissement de la rédemption se trouve donc dans la résurrection. Florovsky écarte toute compréhension étroitement juridique du Salut apporté par le Christ. Il souligne puissamment le fait que la mort est une catastrophe pour l’homme : la conscience que la mort "n’est pas faite pour l’homme" est ainsi posée comme étant le principe de base de toute l’anthropologie chrétienne. Florovsky remarque le reproche que Celse faisait aux Chrétiens : d’être « aimant la chair » - car ceux-ci reconnaissaient pleinement la place légitime du corps et de la matière dans le processus de la résurrection. Une entière reconnaissance du rôle du corps et de la matière en général, dans l’accomplissement de notre vocation d’êtres humains appelés à la divinisation, tout cela va être perdu ultérieurement en Occident, avec la place démesurée accordée à la « concupiscence » augustinienne - et en Orient aussi, à cause de la généralisation d’une sorte de « stoïcisme chrétien » qui imprégna fortement la pensée monastique.

Florovsky nous donne une excellente synthèse de la pensée de Saint Grégoire De Nysse, permettant de discerner comment le corps ressuscité n’est nullement une pure et simple recréation, par rapport au corps charnel antérieur. Il s’attaque ensuite à la question du temps, et montre à ce propos l’insuffisance de la pensée grecque classique.

Le « passeport » indispensable pour effectuer la traversée,

Il aborde ensuite le thème du sacrifice, puis dévoile la signification plénière du Baptême. Il montre que la mort du Christ sur la Croix est authentiquement un sacrement, ce qui fait que sa signification n’est pas seulement morale, mais authentiquement sacramentelle et liturgique. Au sein même de la mort du Christ, il montre qu’il s’agissait d’une « mort incorruptible » en laquelle commence authentiquement la résurrection. Mystère de deuil et mystère de joie, mystère de scandale et de gloire, l’ensemble des aspects de la Croix est montré par la plume vraiment inspirée de Florovsky. Il montre ensuite les arcanes du triduum mortis, les jours mystérieux et sacramentels de la résurrection. Après une réflexion sur l’Hadès, il nous montre nous-mêmes comme étant co-ressuscités avec le Christ. Il s’agit là d’une véritable recréation de la Nature humaine. D'une façon fort intéressante, il montre le caractère à la fois « contraignant » de la résurrection et par là-même d’une certaine « violence de la grâce » - mais bien sûr, un tel don demande notre participation, demande à la fois le sacrifice de soi-même et l’offrande de la totalité de notre personne au Christ.

La pensée de Florovsky s’attarde maintenant à la signification complexe et multiple du baptême. Là aussi, l’apocatastase de la Nature n’abolit pas la volonté libre. Le repentir est scellé par la grâce dans les sacrements. - Généralement, lorsque la pensée grecque rencontre un problème théologique, elle le résout en opérant une nouvelle distinction. Ici, le baptême que l’on constate être reçu « en similitude », donne le Salut en réalité. Florovsky souligne le passage de saint Cyrille de Jérusalem, où ce dernier affirme que dans les fonts baptismaux nous mourons et sommes ensevelis « imitativement » alors que le Salut est en sa réalité même. Dans le baptême, nous vivons une «résurrection homiomatique» comme le dit assez curieusement un penseur russe (*). Ainsi donc, c’est accompli selon la Nature, et c’est effectué "imitativement"...

Nous pressentons que le fait d’établir une telle distinction, si commode soit-elle, ne résout pourtant pas le problème de fond. Comment se fait-il qu’il soit aussi inefficace, même auprès des croyants ? On vous dit mille fois que vous êtes rénové, et il est bien difficile de le percevoir durablement en soi. Certes, il faut tenir compte de notre condition de pécheurs invétérés. Mais cela n’explique pas totalement le tiédissement et pratiquement la faillite de ce symbole fondamental du christianisme. Il me semble que le privilège que nous avons de vivre au XXIe siècle, malgré les redoutables problèmes qui se posent à notre génération, nous permet de concevoir aisément l’existence d’autres espace-temps, et partant, d’autres dimensions du réel. Nous pouvons imaginer le baptême comme étant le « passeport » indispensable pour effectuer la traversée, prenant comme point de départ notre monde soumis à la corruption, et ayant comme point d’arrivée le Royaume, illuminé par la Lumière vivifiante de la Divinité. Bien évidemment, la possession d’un tel « passeport » ne suffit pas, tout en étant néanmoins indispensable. Il nous faut encore acquérir un «billet d’avion», et cela, nous ne pouvons le faire que par notre propre labeur. Avec un peu d’humour, nous pouvons préciser notre propos en affirmant que, pour éviter le pélagianisme, ce « labeur » est abondamment subsidié par l’Aide divine...

D’autre part, cette conception du Salut comme d’un mystique « changement de lieu » permet de retrouver la dimension cosmique du christianisme, perdue depuis de nombreux siècles, au profit d'une vision individualiste du pardon du péché, compris comme étant une forme de culpabilisation. Comme le remarque Florovsky, de même que le baptême se réfère à la seule et unique mort et résurrection du Christ, l’eucharistie et la même toujours et partout : un seul et unique Agneau mystique est immolé dans la dimension du Royaume, sacrifice qui se répercute d’innombrable fois en notre univers, sans pour autant perdre quoique ce soit de son unicité ontologique. Florovsky désigne l’eucharistie comme étant la cime de nos aspirations, là où le Commencement et la Fin sont réunis. - La pensée de Florovsky est riche et multiforme, et à ce titre peut nous servir de base d’inspiration. De nombreux thèmes présents dans l’œuvre de Florovsky ne demandent qu’à être développés, car les richesses de signification que nous présente la révélation sont véritablement inépuisables.

Note de VG:

(*) "homiomatique" est un néologisme que le père Georges transcrit de l'anglais "homiomatic", terme crée par le père Florovsky à partir de "ὁμοίωμα" – "homoiôma, atos", objet ressemblant, image (cf. explication du père Georges dans le texte). Cela nous a permis un débat intéressant sur le sens des mots que nous utilisons. Nous n'avons pas pu identifier le "Russian scholar" auquel Florovsky dit avoir emprunté le mot; par contre le terme slavon et russe „подобие" apparait très souvent comme traduction de ὁμοίωμα dans les sources russes. „Подобие" signifie "similitude/semblable/ rassemblant/ressemblance": ainsi Dieu créa l'homme "по образу и подобию Своему" (à Son image et à Sa ressemblance), dans Rm 6.5 " … une mort qui ressemble à la Sienne, … une résurrection qui ressemblera à la Sienne" donne " … подобием смерти Его, … и подобием воскресения" et dans Rm 8.29 l'apôtre nous appelle"... à être semblables à l'image de Son Fils" = "быть подобными образу Сына Своего".

"Подобие Bоскресения" – "semblable à la Résurrection" se rencontre assez souvent dans les explications du baptême chez les théologiens russes, en faisant justement référence à RM 6.5., et il me parait probable que Florovsky le savait. Peut être même est-ce à cette expression là qu'il fait référence dans sa phrase "Baptism is a "homiomatic resurrection" to use the phrase of one Russian scholar." Mais pourquoi éprouve-t-il le besoin de forger ce curieux néologisme "homiomatic"? Pourquoi "similar" n'aurait pu convenir? Ni le père Georges Leroy ni moi n'avons trouvé de réponse satisfaisante…

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 11 Août 2020 à 13:30 | 1 commentaire | Permalien



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