Père Georges Mitrofanov: inculquer une vision chrétienne de l'existence
En avril dernier, en pleine affaire Pussy Riot (1), Guénady Ziouganov, le dirigeant du PC russe (KPRF), avait volé au secours de l'Eglise russe en déclarant "Si vous mettez côte à côte le code moral du fondateur du communisme et le Sermon sur la Montagne de Jésus Christ vous serez surpris: ils correspondent pratiquement mot pour mot." Puis, citant l'apôtre Paul "Que celui qui ne travaille pas ne mange pas"(2 Th 3.1), il a déclaré que c'est là la principale devise du communisme. (2)

Interrogé sur ces déclarations, le père Georges a d'abord dit (3) que, Ziouganov faisait de l'opportunisme en imitant son idole Staline, qui avait autorisé l'Eglise de 1941 à 1945 pour l'instrumentaliser à son profit puis, dès 1949, relancé les persécutions. "C'est la manière habituelle des communistes – s'approprier ce qui ne t'appartient pas et essayer d'en tirer profit".

"Deuxièmement, continue le père Georges, il faut regarder cela d'un point de vue chrétien. Si les communistes se présentent comme les représentants politiques du monde orthodoxe russe, c'est que quelque chose ne va pas dans ce que nous faisons.

Notre Eglise a accueilli trop vite beaucoup de gens qui ont été toute leur vie des impies, des antichrétiens conscients ou non. Avec une facilité incroyable ils se sont mis à fréquenter les offices, de préférence à Pâques et à Noël, à se signer, même à jeûner, sans réfléchir sérieusement au Christ et sans chercher à changer de vie, à se repentir. Et notre vie dans l'Eglise est maintenant dominée par ces personnes qui n'ont rien à faire du Christ, qui ne voient pas la nécessité de se transformer spirituellement, de devenir d’authentiques chrétiens.

L'Eglise les attire par ce que rien n'y change et parce que, comme dans tout système totalitaire, on n'a pas besoin d'y assumer des responsabilités, mais il suffit de marcher en rangs serrés vers un but certainement juste et lointain. De plus, comme dans le communisme, pour aller vers ce but il n'est pas besoin de se remettre en cause et, si quelque chose ne va pas, on peut en accuser les autres: au lieu de l'impérialisme international ce sera l'Occident déchristianisé. Et on va aussi se chercher des ennemis comme avant; non plus des agents de l'impérialisme, mais des hérétiques, des néo-rénovateurs, des gays et toute sortes de "libérastes" (4). Ces gens parlent de l'Occident minable et de leur propre grandeur avec juste un changement d'accent: nous ne vivons plus dans un pays extraordinaire, l'URSS qui construit le socialisme, mais dans la Sainte Russie qui, évidement, est plus inspirée et plus juste que les autres pays "déspiritualisés". Comme on le voit, les idéologèmes sont identiques, inébranlables… on les a simplement habillés d'attributs orthodoxes.

Nous entendons peu les laïcs, voire même les clercs, parler du Christ, de la nécessaire transfiguration spirituelle de son âme, de sa propre imperfection. Mais nous entendons évoquer la nécessité de faire revivre la grandeur du pays, la condamnation des attaques des multiples ennemis, externes ou internes, la répétition incessante de l'idée que la Russie, provisoirement pauvre mais de ce fait pleine de spiritualité, résistera à l'Occident dénué de toute spiritualité. De la bouche des prêtres nous entendons souvent ces mêmes slogans politiques que proposent les "eurasiens" (5)- stalinistes à la mode du jour: on ne peut quasiment plus faire la différence! Et le plus terrible c'est que l'Eglise cesse d'être l'Eglise du Christ pour devenir une organisation ritualiste de propagande panrusse: elle combine en fait les éléments d'un organisme de propagande et d'une société de pompes funèbres, quelque chose de purement fonctionnel qui n'a rien à voir avec les âmes.

Nous constatons qu'il y a des gens qui se considèrent comme orthodoxes parmi les partisans du parti communiste. C'est un grand sacrilège vis à vis des saints martyrs du XXe siècle que nous venons de canoniser.

Comment leur répondre?

Etant professeur de l'Académie théologique de St Petersbourg, je me fixe comme l'un des objectifs de mon enseignement, de mes publications et de mon activité missionnaire d'éveiller chez nos contemporains un sentiment de culpabilité et de honte pour ce qu'a été notre pays durant les soixante-dix ans de communisme. Comme membre de la commission synodale de canonisation qui a préparé la canonisation de la synaxe des néomartyrs et confesseurs de Russie, la glorification des néomartyrs, j'ai toujours considéré cette canonisation comme une barrière infranchissable à toute synthèse du communisme et du christianisme.

Partout ou apparaissent les communistes commencent immédiatement des persécutions contre les Chrétiens et là où les peuples sont réellement chrétiens les communistes ne peuvent pas prendre le pouvoir. Chez nous, non seulement les communistes se sont emparés du pouvoir, mais ils ont dirigé notre pays et, il faut bien le reconnaître, chez nous personne n'a chassé le communisme. Il a pourri de lui-même quand il s'et révélé non-concurrentiel. Pourquoi cela a-t-il été possible justement dans notre pays? Comme historien et prêtre orthodoxe je dois malheureusement constater que le peuple russe, à la différence d'autres peuples, était spirituellement moins armé pour résister à la tentation de l'utopie communiste. Visiblement mes prédécesseurs, les clercs orthodoxes qui ont fait l'éducation du peuple russe pendent mille ans, n'ont pas su faire naître chez lui une vision chrétienne de l'existence qui lui aurait permis d'identifier la tromperie spirituelle du communisme.

Alors mille ans pour rien?

Non! Si la Russie n'avait pas eu mille ans d'histoire chrétienne il n'y aurait pas de Russie en tant que telle! Mais je me pose la question pourquoi certains peuples ont pu résister à la tentation du communisme et du fascisme et d'autre ont cédé à ces tentations? Pour moi comme Chrétien, prêtre, historien il n'y a qu'une seule réponse: quand les gens sont réellement ecclésialisés ils ont dans l'âme cette vision chrétienne de l'existence et ils sont capable de surmonter de très nombreuses tentations, y compris dans les sphères politique, sociale et idéologique. Et si on n'a pas cette vision de l'existence, il est facile de succomber aux tentations et ensuite de combiner dans sa vie le communisme athée et la fréquentation de l'église orthodoxe."

Traduit et adapté par VG

Notes du traducteur

(1)
(2). Notons que le 27 août Ziouganov a fait un parallèle entre la momie de Lénine et les reliques du monastère des grottes à Kiev (http://www.newsru.com/religy/27aug2012/zyuganov.html) et le 27 octobre il a cité Lénine: "nous devons attirer dans le parti social-démocrate tous les ouvriers qui ont gardé la foi en Dieu ICI
(3)
(4)Néologisme péjoratif apparu en russe dans les années 1990
(5) Néologisme péjoratif qui fait référence au mouvement "néo-eurasien" animé par Alexandre Douguine,
......................................
"PO" Archiprêtre Georges Mitrofanov





Rédigé par V.Golovanow le 1 Novembre 2012 à 11:06 | 23 commentaires | Permalien



Recherche



Derniers commentaires


RSS ATOM RSS comment PODCAST Mobile