QUELQUES GRANDES CHOSES QUE FRANÇOIS ET CYRILLE NE SE SONT PAS DITES À LA HAVANE
Vladimir Golovanow

Non seulement les orthodoxes ne reconnaissent pas les sacrements catholiques comme valides, mais ils mettent en doute que l’Église de Rome soit une véritable Église. Ils l’accusent d’avoir corrompu la pureté et l'intégrité de la foi, dont ils sont les seuls gardiens.

Sandro Magister, journaliste italien, spécialiste des questions religieuses au sein de l'un des principaux journaux italiens, l'Espresso, livre une analyse des différences entre les doctrines catholiques et orthodoxes d'autant plus intéressante qu'elle est faite par un Catholique qui connait particulièrement bien le sujet.

Nous en proposons l'essentiel dans la suite des articles que nous avons consacrés aux relations entre Orthodoxes et Catholiques ( Cf*)

LA PLAIE UKRAINIENNE

Comme nous l'écrivions dans les articles cités, Sandro Magister considère que l’obstacle le plus visible à l’établissement de relations pacifiques entre Rome et Moscou est toujours constitué par les cinq millions de gréco-catholiques présents en Ukraine (Note de VG: cf. article de "La Nef" cité ci-dessus).

L’Église gréco-catholique d'Ukraine est une réalité très vivante précise Sandro Magister. En 1989, lorsqu’elle est sortie des catacombes, elle disposait seulement de 300 prêtres, qui étaient âgés, tandis qu’actuellement elle en compte 3 000, qui sont jeunes, puisque leur moyenne d’âge est de 38 ans.

Et cette Église se sent incomprise et maltraitée à la fois par Rome et par Moscou (cf. http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1351233?fr=y). Dans une interview accordée à Radio Vatican, après la rencontre des évêques ukrainiens avec le pape François le 5 mars 2016, l’archevêque majeur Shevchuck, primat de l’Église gréco-catholique d'Ukraine, rapporte que le pape a affirmé qu’il "ne sacrifierait pas une seule vie au dialogue avec Moscou, et encore moins celle d’une Église catholique orientale tout entière" et, en ce qui concerne le conflit dans les régions orientales de l'Ukraine, le pape a promis aux évêques qu’il interviendrait pour les aider.

De son côté Moscou réaffirme son irréductible hostilité envers l’Église gréco-catholique ukrainienne pour la énième fois par le numéro 2 de l’Église orthodoxe russe, le puissant métropolite Hilarion de Volokolamsk (sic), précisément en réaction aux critiques émises par Shevchuck contre le document de La Havane. Le métropolite affirme que non seulement les gréco-catholiques ukrainiens "ne sont pas disposés à écouter la voix de notre patriarche, mais qu’ils ne veulent même pas entendre celle du pape." Et des critiques encore plus radicales ont été formulées à l’encontre des gréco-catholiques dans le document publié début mars par l’Église orthodoxe ukrainienne à l’occasion du soixante-dixième anniversaire du concile de Lviv qui avait imposé le retour des gréco-catholiques dans l'Église orthodoxe en 1946 et dont ils ont subi les effets jusqu’en 1989, continue Sandro Magister.
QUELQUES GRANDES CHOSES QUE FRANÇOIS ET CYRILLE NE SE SONT PAS DITES À LA HAVANE

PAS DE RAPPROCHEMENT DOCTRINAL

"Aucune tentative de rapprochement doctrinal n’a été faite et il n’y a pas eu de discussion à propos de quelque question de dogme ou de théologie que ce soit. Et ce genre de discussions n’est toujours pas à l’ordre du jour à l’heure actuelle," a déclaré le métropolite Hilarion, et de fait François et Cyrille ont donné une bien plus grande importance au geste accompli qu’aux mots. Les véritables points de désaccord entre le catholicisme et le monde orthodoxe restent tous intacts

Sandro Magister réexamine ces points un à un en se référant à un récent article du slovaque Lubomir Zak, professeur titulaire d’introduction à la théologie et d’histoire de la théologie à l’Université Pontificale du Latran, spécialiste de la théologie orthodoxe russe (http://www.libreriadelsanto.it/ebook/2484300019470/il-cammino-ecumenico-aperto-da-unitatis-redintegratio-tra-difficolta-e-speranze-in-dialogo-con.html ).

DIFFÉRENCE DE PERCEPTION RÉCIPROQUE

Comme l'a expliqué le métropolite Hilarion de Volokolamsk, l’Église catholique romaine a "enfin" admis, à partir du concile Vatican II, "que les Églises orthodoxes sont salvifiques, qu’elles possèdent la succession apostolique ainsi que les sacrements et que la seule chose qui leur manque est la communion avec le siège de Rome" (voir aussi nos articles cités). Les décrets conciliaires "Unitatis redintegratio" et "Orientalium ecclesiarum" affirment en effet que "COMMUNIQUER À PROPOS DE CHOSES SACRÉES AVEC LES FRÈRES DES ÉGLISES ORIENTALES SÉPARÉES… EST NON SEULEMENT POSSIBLE MAIS MÊME CONSEILLÉ"… A partir de Jean-Paul II, les papes ont pris l’habitude de s’adresser au monde orthodoxe en employant l’expression "Églises sœurs" et en 2001 l’Église catholique a reconnu la validité sacramentelle de l’antique anaphore d’Addaï et Mari, en usage dans la liturgie eucharistique assyrienne, bien que cette anaphore ne contienne pas la formule qui raconte l’institution de l’eucharistie.

Il n'y a rien de tout cela dans la perception que l’Église orthodoxe a du catholicisme, ni dans la pratique qui en découle et même la permission au clergé orthodoxe d'administrer les sacrements aux catholiques qui ne disposaient pas d’un prêtre de leur religion, accordée en 1969 par le synode de l’Église orthodoxe russe, fut annulée en 1986 (Note de VG: il y en a toutefois des exemples assumés dans le patriarcat d'Antioche.).

Les pulsions anticatholiques au sein du monde orthodoxe sont moins violentes aujourd'hui qu’au cours des années 90, période où elles atteignirent leur point culminant avec la résurrection de l’Église gréco-catholique "uniate" en Ukraine et l'expansion "prosélytique" du pape polonais Jean-Paul II vers l’Est. Cela a rendu possible l'accolade entre le patriarche de Moscou et le pape de Rome mais toutes les causes profondes de cette opposition subsistent et Zak les examine l’une après l’autre.

1. LA DIFFÉRENCE DE CONCEPTION ECCLÉSIOLOGIQUE.

Lorsque les papes qualifient les Églises orthodoxes de "sœurs", ils le font dans le cadre d’une conception de l’Église selon laquelle les évêques diocésains, dans leur totalité, sont unis à l’évêque de Rome, dont le pouvoir s’étend sur toutes les Églises particulières.

Chez les orthodoxes, en revanche, l’Église est structurée en "patriarcats" (VG: nous dirions plutôt "Églises locales"). Dans chacun de ceux-ci, les patriarches et les évêques sont élus, chaque territoire étant autonome en matière de liturgie et de discipline canonique. Selon cette manière de voir, il serait plus exact de qualifier le pape de "patriarche d'Occident", c’est-à-dire justement le titre que Benoît XVI, dans le but de faire disparaître toute équivoque, a fait retirer, en 2006, de la liste des appellations qui lui étaient attribuées dans l'Annuaire Pontifical. "Il n’est pas surprenant que même le dialogue entre les catholiques et les orthodoxes à propos de la question de la primauté du pape n’ait pu faire qu’un petit nombre de pas en avant, s’arrêtant à peu de distance de son point de départ," le professeur Zak (rappelons le rejet par l'Église russe du "document de Ravenne adopté en son absence par la commission mixte internationale en 2007. Cf. article dans "La Nef" cité).

2. "L'UNIATSIME"
(Terme péjoratif employé par le monde orthodoxe pour désigner les Églises de rite oriental qui sont unies à Rome.)

Outre les problèmes décrits plus haut, le professeur Zak analyse la nature ecclésiologique de l'opposition: "Ce qui scandalise le monde orthodoxe, c’est que les Églises orientales catholiques fassent partie d’une structure qui est non pas celle qu’ils considèrent comme originelle, patriarcale, mais la structure romanocentrique qui trouve dans l’Église de Rome son point obligatoire de référence en ce qui concerne chacun des aspects de la vie ecclésiale".

La déclaration de La Havane renvoie verbalement au passé cet "uniatisme", dont les gréco-catholiques ukrainiens sont l'exemple le plus remarquable. Cependant la question reste toujours irrésolue. Parce qu’il est vrai que Rome dit aux Églises orientales catholiques : "Soyez ce que vous étiez antérieurement". Mais, dans les faits, elle les englobe dans une structure d’Église typiquement latine et papale, que l'orthodoxie ne veut accepter en aucune manière.

3. L'HOSPITALITÉ EUCHARISTIQUE

l’Église catholique admet les Orthodoxes à la communion mais les Églises orthodoxes le refusent catégoriquement (malgré la parenthèse de l'Église russe rappelée plus haut et des dérogations dans la patriarcat d'Antioche). Et le motif de ce refus – fait remarquer Zak – est, lui aussi, théologique et ecclésiologique. Alors que l’Église catholique considère comme vrais tous les sacrements des Églises orthodoxes, il n’en est pas de même du côté des orthodoxes. Officiellement, l’Église orthodoxe n’a admis dans aucun document, décret ou déclaration que les sacrements de l’Église catholique soient vrais et salvifiques.

Et il n’y a pas que cela. Les orthodoxes mettent sérieusement en doute que l’Église catholique soit une véritable Église, contrairement à ce que l’Église catholique pense des Églises orthodoxes. Celles-ci continuent, sous le voile des amabilités œcuméniques, à proclamer que les non-orthodoxes n’appartiennent pas à la véritable et unique Église du Christ.

Remarque de VG: Le professeur Zak souligne la différence d'approche entre Catholiques et Orthodoxes sur la communion mais il ne fait pas le lien avec la différence dans les doctrine ecclésiologiques. En effet, pour les Orthodoxes, c'est la communion "au même calice" qui fonde l'appartenance à l'Église et c'est l'intercommunion des Églises locales qui "reproduit sur terre le mystère de l'unité dans la diversité" comme une icône de la Trinité (cf. Métropolite Kallistos (WARE), L'Orthodoxie, l'Église des sept conciles, Paris, Éditions du Cerf, 2002, p.311.) Il est donc normal qu'ils n'admettent pas à l'Eucharistie ceux qui n'appartiennent pas à l'Église orthodoxe.

Pour les Catholiques, en revanche, c'est l'union à l'évêque de Rome qui fonde l'appartenance à l'Église catholique et pour communier il suffit que le baptisé confesse une unité de foi, en particulier, la reconnaissance de la validité du ministère du prêtre catholique et la présence du Christ dans le sacrement… (cf. http://temoignagechretien.fr/articles/monde/hospitalite-eucharistique

4. LES RAISONS DE LA RUPTURE ENTRE L’ORIENT ET L’OCCIDENT IL Y A MILLE ANS.

Le décret conciliaire "Unitatis redintegratio" a attribué cette rupture principalement à un "manque de compréhension et de charité mutuelles". Et il semble que le pape François pense que la question ne consiste qu’en cela.

Pour les orthodoxes, en revanche, c'est beaucoup plus grave: L’Église catholique romaine – explique, entre autres, un document solennel qui a été publié par le patriarcat de Moscou en l’an 2000 – "s’est séparée de la communion avec l’Église orthodoxe, véritable Église du Christ", parce qu’elle a corrompu la pureté et l'intégrité de la foi - cette foi qui a justement l’Église orthodoxe comme gardien et témoin – en introduisant de "nouveaux dogmes" tels que celui selon lequel le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, l’immaculée conception de Marie, l’assomption de Marie au ciel, et l’infaillibilité du pape.

'TOUS LES SACREMENTS DES CATHOLIQUES SONT DÉFECTUEUX, CE QUE SONT ÉGALEMENT BEAUCOUP DE LEURS CÉLÉBRATIONS'

"Pour les orthodoxes, c’est en raison du manque de pureté et d’intégrité de la foi – cette dernière n’étant plus en complète conformité avec la tradition apostolique – qu’est né et que persiste le problème de la véritable ecclésialité de l’Église catholique romaine et, par conséquent, celui de l’efficacité salvifique de ses sacrements," écrit le professeur Zak. "On a du mal à concevoir que le dialogue entre les catholiques et les orthodoxes puisse aboutir, dans un avenir proche, à des résultats significatifs tant qu’il n’y aura pas eu un changement, ou tout au moins une atténuation, de l’opinion des orthodoxes quant au 'manque de foi' de l’Église de Rome ; cela d’autant plus que la conviction à propos du 'manque de foi' des catholiques a même été affirmée et prêchée, dans le passé, par certains saints orthodoxes, parmi lesquels le saint évêque Théophane le Reclus**
QUELQUES GRANDES CHOSES QUE FRANÇOIS ET CYRILLE NE SE SONT PAS DITES À LA HAVANE

** Saint Théophane le Reclus (1815-1894), célèbre évêque et ascète russe, est connu pour ses ouvrages de vie spirituelle. Il a été canonisé par l'Église russe en 1988 (http://editions-syrtes.com/auteurs/saint-theophane-le-reclus/ ).

"Comme l’explique un manuel orthodoxe de théologie œcuménique qui fait autorité et qui est utilisé dans les séminaires de Moscou, saint Théophane, qui était très critique envers les confessions chrétiennes d’Occident, était persuadé que le Saint-Esprit n’agit pas en plénitude sur les non-orthodoxes et que, pour cette raison, 'tous les sacrements des catholiques sont défectueux, ce que sont également beaucoup de leurs célébrations'.

"Se conformant à l’opinion du saint, les auteurs du manuel ajoutent sans hésitation : 'Ce sont là des mots durs, mais qui donnent un jugement correct sur l’état spirituel des non-orthodoxes'," conclu le professeur Zak.

Traduction française par Antoine de Guitaut, Paris, France. Article complet sur http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1351253?fr=y

(Cf*) Catholiques (cf. http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/Differentes-positions-orthodoxes-sur-le-rapprochement-avec-les-Catholiques_a4634.html, http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/Differentes-positions-orthodoxes-sur-le-rapprochement-avec-les-Catholiques_a4637.html, http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/LA-NEF-Ou-en-sont-les-rapports-entre-l-Eglise-catholique-et-l-Eglise-orthodoxe-russe-Vers-un-rapprochement_a4461.html)

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 2 Avril 2016 à 19:01 | 2 commentaires | Permalien



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