Vladimir Golovanow

Protohistoire

Rappelons que l'Église de Bulgarie tire ses origines du patriarcat d'Ohrid crée par le tsar Samuel 1 en 927 et transformé en archevêché autocéphale dépendant de Constantinople après la conquête de la Bulgarie médiévale par l'empereur byzantin Basile II "le Bulgaroctone" en 1020. Cette situation perdura après la chute de Byzance, le patriarche de Constantinople étant institué par le Sultan "ethnarque des chrétiens," rouage de l'administration ottomane et seul interlocuteur du sultan pour le millet des « Roumis » (chrétiens).

Au XIXe siècle, avec le "réveil des nationalismes", les Bulgares voulurent se libérer de la sujétion au Patriarche de Constantinople en prémices d'une indépendance politique et proclamèrent unilatéralement l'autocéphalie de leur Église en 1872, avec l'appui du gouvernement ottoman mais sans l'accord du patriarche de Constantinople qui décida de s'y opposer.

Lire aussi Accusé d’avoir tenu des propos blessant les sentiments religieux et patriotiques des Bulgares, le patriarche de Constantinople n’a pas été reçu par le premier ministre


Un concile "général" fut donc convoqué à Constantinople auquel ne participèrent que les Eglises soumises à l'empire ottoman: Patriarcats d'Antioche, de Jérusalem et d'Alexandrie, Eglise de Chypre (les Russes l'appellent "le synode grec" car les primats de ces Églises étaient tous des Grecs). Ce concile déclara les évêques de l'Eglise bulgare schismatiques et condamna le « phylétisme» mais l'Eglise bulgare fut néanmoins constituée, non reconnue par les Eglises grecques mais en communion avec l'Eglise russe jusqu'en 1946 quand son autocéphalie fut enfin reconnue par le Patriarcat de Constantinople...

"Guerres et confusions de la péninsule balkanique au XXe siècle."

Mais son "territoire canonique" a fluctué en suivant les perturbations politiques du XXe siècle. Lors de l'indépendance de la Bulgarie (traité de Berlin, 1878), l'empire ottoman gardait le contrôle de la Thrace et de la Macédoine, provinces peuplées de Bulgares, Macédoniens, Grecs, Turcs et Roumains (c'est de là que vient le nom de la macédoine de légumes, car les peuples de la région apparaissaient comme un mélange de couleurs sur les cartes de l'époque…) et il y avait donc des diocèses de l'Église de Bulgarie dans ces territoires.

RETOUR A 1872 POUR L'ÉGLISE ORTHODOXE DE BULGARIE?
Les différentes guerres du XXe, y compris la dernière, firent varier les frontières et provoquèrent d'importants échanges de populations. Des objets précieux appartenant aux différents monastères et églises ont alors été emportés: un inventaire spécial annexé au traité de Neuilly (1919) dresse ainsi une liste d'objets monastiques devant être rendus à la Grèce. L'essentiel provient du monastère Kosinitsa ou Eikosifinissa en grec (fondé à l'époque byzantine par saint Germain, l'un des apôtres des Slaves, Grecs et Bulgares en revendiquent l'origine; c'est aujourd'hui un monastère de femmes dépendant de la métropole de Drama (Macédoine orientale, Grèce) qui compte 25 moniales en 2013). Mais nombre de ces objets se trouvent dans des collections privées aux Etats-Unis et en Europe occidentale. Ainsi plus de 10 précieux manuscrits médiévaux ont été identifiés dans la bibliothèque de l'Université de Princeton (les mss Garrett 5, 6, 14, 16…).

Pour ceux qui se trouvent en Bulgarie, un accord signé avec la Grèce en 1964 lui attribue ces trésors, ce qui a permit au Musée National d'Histoire de Sofia d'organiser l'été dernier une exposition des principaux objets sacrés provenant de Kosinitsa qui avaient été conservés dans des fonds secrets depuis 1919. En fait partie en particulier une extraordinaire icône de la Vierge Marie avec des reliques de quatre saints.

RETOUR A 1872 POUR L'ÉGLISE ORTHODOXE DE BULGARIE?
Le patriarche Bartholomée met les pieds dans le plat!

Le patriarche était en Bulgarie du 7 au 10 Novembre à l'invitation du président Rossen Plevneliev qui lui a conféré la plus haute décoration du pays, la Stara Planina de première classe et sa visite avait démarré normalement, avec la Liturgie de dimanche dernier concélébrée avec le patriarche de Bulgarie Néophyte, des visites de monastères, une conférence à l’Académie des sciences qui l’a faite doctor honoris causa… Mais durant l'audience du 9 novembre chez le chef de l’État, le patriarche a déclaré sans aucun détour diplomatique qu'il voulait profiter de l'occasion de cette visite et du "climat de confiance mutuelle, d'amitié et de sincérité" pour soulever la question du retour au Patriarcat œcuménique des objets liturgiques de valeur saisis lors des "guerres et confusions de la péninsule balkanique". "Ce serait un évènement historique de votre présidence qui ouvrirait une nouvelle page d'or dans les relations entre la Bulgarie et les peuples orthodoxes voisins et l'Europe unie" a conclu le prélat. Soulignons que les diocèses des territoires du nord de la Grèce d'où proviennent ces objets sont toujours dans l'obédience canonique de Constantinople actuellement même s'ils sont administrés par l'Église de Grèce car ils faisaient partie de l'empire Ottoman jusqu'en 1913 (traité de Bucarest).

Cette déclaration n'a pas été appréciée du côté bulgare et les autres manifestations prévues durant la visite du patriarche Bartholomée ont été annulées sans explication, en particulier une rencontre avec le premier ministre Boïko Borissov ainsi qu'une conférence de presse commune avec le patriarche Néophyte…

Ethnophilétisme et dyptiques…

L'homélie du patriarche Bartholomée après la Liturgie avait déjà provoqué des remous dans la presse populaire dont les gros titres parlaient «d'humiliation», avant de s’inviter dans les débats du Parlement où l’opposition socialiste va demander des comptes au président pour cette invitation. Le patriarche y avait en effet longuement traité de «l’ethnophilétisme», qualifié de "véritable plaie de l’orthodoxie", ce qui a rappelé les mauvais souvenirs de 1872 aux Bulgares qui y ont vu une remise en cause du caractère autocéphale de leur Église.

Pour corser la situation il était prévu de remettre au patriarche Bartholomée, durant la conférence de presse annulée, un texte intitulé "Appel de l'ensemble de la populaire de Bulgarie" signé par 256 universitaires, des professeurs universitaires, des intellectuels et des personnalités publiques, appelant à rendre au Patriarcat de Bulgarie "sa cinquième position dans les dyptiques qui est légitime historiquement".

Rappelons que ni la question des dyptiques ni les conditions d'octroi de l'autocéphalie n'ont trouvé de consensus lors des discussions interorthodoxes préconciliaires… La 5ème place des dyptiques est actuellement occupée par le patriarcat de Moscou!

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 13 Novembre 2015 à 15:30 | 5 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Le patriarche Bartholomeos provoque une polémique en Bulgarie le 13/11/2015 17:54
Lors de sa visite en Bulgarie, du 8 au 10 novembre, le patriarche œcuménique Bartholomeos Ier de Constantinople a demandé le retour en Grèce d’objets sacrés saisis par les Bulgares dans le Nord de Grèce lors de la Première Guerre mondiale. SUITE La Croix

2.Posté par justine le 14/11/2015 17:19
Une bonne chose résulte de cette histoire: les Bulgares réfléchiront dorénavant deux fois avant de re-inviter le patriarche Bartholomée. Quant au reproche d'éthnophylétisme, c'est devenu un lieu commun du Phanar, curieusement aveugle à son propre péché dans ce domaine, puisqu'il juge inferieur tout ce qui n'est pas grec-byzantin et surtout phanariote...

3.Posté par Vladimir.G: Ambassade de France: "Le tollé Les prétentions de Bartholomée Ier, patriarche œcuménique en visite à Sofia, écœurent les Bulgares" le 14/11/2015 23:15
Le tollé
Les prétentions de Bartholomée Ier, patriarche œcuménique en visite à Sofia, écœurent les Bulgares

Le patriarche œcuménique Bartholomée Ier, en visite officielle en Bulgarie (voir notre revue d’hier), a été gratifié hier de la plus haute décoration honorifique nationale, l’ordre de Stara Planina de 1er rang. Celle-ci lui est attribuée par le président de la République « pour ses efforts à l’encouragement du dialogue interreligieux et pour son engagement avec les problèmes de l’humanité ».

Dans son allocution, le président Rossen Plevneliev a relevé la riche activité de l’hôte œcuménique en faveur de l’orthodoxie et de la consolidation de l’entente et de la tolérance entre tous les chrétiens et tous les cultes.

En réponse, Bartholomée Ier a salué la Bulgarie pour les progrès réalisés au cours des dernières décennies et son évolution en tant que membre de l’EU. Soulignant les liens particuliers unissant le patriarcat de Constantinople et l’Eglise « locale » bulgare, il a insisté sur le rôle du patriarche bulgare Néophyte pour le renouveau de cette dernière. « Toutefois, particulièrement utile en vue du progrès et du développement de la Bulgarie au sein de l’EU, mais aussi en vue de l’unité de l’Eglise avec le monde orthodoxe et, avant tout, avec le patriarcat œcuménique, sera la restitution des objets saisis pendant les guerres et les troubles dans les Balkans, des objets sacrés et liturgiques, à leurs ayants droit, les saints diocèses et les saints monastères en Grèce du Nord, notamment à Seres, Xanthi et Drama. […] Le fait que ces précieux objets ne sont pas à leur place est un péché devant Dieu et les hommes. Une plaie grave pour l’orthodoxie », a souligné le patriarche œcuménique (24 Tchassa). Selon lui, la restitution de ces objets pourrait marquer un moment historique dans le mandat du président Plevneliev et ouvrir une nouvelle page dans les relations de la Bulgarie avec ses voisins et avec les Etats membres de l’UE.

Les propos de Bartholomée ont provoqué une vive indignation parmi les membres du Saint-Synode qui ont refusé de poser pour la photo traditionnelle après la cérémonie, indique Troud. Selon ce journal, les dignitaires s’étaient sentis humiliés à plusieurs occasions par le comportement arrogant de Bartholomée : le titre de « Sa Béatitude », au lieu de Sa Sainteté, donné sans cesse à Néophyte, chef d’une Eglise indépendante, les propos d’une certaine nature schismatique de l’Eglise bulgare [vis-à-vis du patriarcat de Constantinople], l’épithète « locale » donnée à une Eglise autocéphale, etc.

Les réseaux sociaux ont éclaté de colère. La conférence de presse que le patriarche œcuménique devait donner hier soir a été annulée.

La rencontre prévue avec le premier ministre pour 8h30 ce matin a été également annulée. Devant le site en ligne Epicentre, M. Borissov explique qu’il avait décidé de ne pas recevoir Bartholomée à cause de son comportement dédaigneux vis-à-vis du patriarche de Bulgarie et son ton pontifiant vis-à-vis de l’Eglise bulgare. « Dès que j’ai su les propos qu’il avait tenus dimanche dernier, lors de la liturgie à St Alexandre Nevski, j’ai décidé de ne pas le voir », déclare M. Borissov qui se dit scandalisé par les prétentions de Bartholomée pour des objets sacrés bulgares dont l’emplacement avait été définitivement établi [en Bulgarie] par des traités. « Bartholomée réclame depuis longtemps ces saints objets et la première fois qu’on avait posé cette question devant moi, j’ai demandé à les voir. Des objets uniques en leur genre, particulièrement précieux, dont la Bulgarie ne doit en aucun cas se séparer. Mon refus a été signifié au patriarche œcuménique lors de mon premier mandat à la tête du gouvernement. Et pourtant, le patriarcat de Constantinople ne cesse de me harceler. La Grèce, de son côté, essaie de les marchander contre les ossements et le linceul du tsar Samouïl. Mais cette question fait l’objet de négociations entre la Bulgarie et la Grèce et ne relève nullement des compétences du patriarche œcuménique », indique le premier ministre.

Selon Monitor, il s’agit de quelque huit cents vases sacrés, icônes, reliques, manuscrits et livres liturgiques provenant souvent d’anciennes localités bulgares [situées jadis en Thrace orientale] et apportés en Bulgarie lors de la Première guerre mondiale. Selon l’article 126 du traité de Neuilly (1919), les objets en question auraient pu être réclamés par la Grèce dans un délai de trois ans, mais la partie grecque n’a jamais relevé cette question. Plus tard, en 1964, les deux pays ont signé un accord selon lequel chaque partie renonçait de toute prétention sur des monuments historiques restés sur le territoire de l’autre.

http://www.ambafrance-bg.org/Mardi-10-novembre

4.Posté par L’Église orthodoxe de Bulgarie est nominée pour le prix Nobel de la paix pour avoir sauvé 48 000 Juifs bulgares le 22/01/2017 11:23
L’Église orthodoxe de Bulgarie a publié le communiqué suivant : « L’Église orthodoxe de Bulgarie est nominée pour le prix Nobel de la paix pour avoir sauvé 48 000 Juifs bulgares des camps de la mort nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.

La nomination a été soumise officiellement au Comité Nobel au début de janvier de cette année sur l’initiative du général Efraim Sneh, ancien ministre de la santé et parlementaire israélien, de Moshe Keshet, professeur de droit à l’Université d’Haïfa et de Moshe Aloni, avocat, avec le soutien des signatures de 200 descendants de Juifs bulgares qui ont été sauvés. En elle-même, cette nomination est la reconnaissance du fait que l’Église orthodoxe bulgare a toujours été habitée par les idéaux chrétiens élevés et a montré de l’amour pour le frère, indépendamment de la difficulté des circonstances et du temps. « La crainte n’est pas dans l’amour, mais l’amour parfait bannit la crainte » (1 Jn 4,18). Pendant la Seconde Guerre mondiale, des personnes individuelles ont risqué leurs vie et ont sauvé de façon héroïque les Juifs bulgares d’une mort certaines et des persécutions, mais l’Église orthodoxe bulgare a été la seule institution religieuse sur un territoire contrôlé par Hitler à déclarer ouvertement et officiellement sa position. Grâce à la détermination et l’adhésion cohérente aux idéaux moraux évangéliques, l’Église, qui avait à sa tête l’exarque Stéphane et les hiérarques du Saint-Synode, parmi lesquels le métropolite de Vidin Néophyte, le métropolite de Vratchane Païssy et le métropolite de Plovdiv Cyrille (le futur patriarche) ont joué un rôle de premier ordre dans le salut des Juifs bulgares dans leurs diocèses. Ils ont incité la société bulgare à s’opposer à la mise en œuvre des lois discriminant les Juifs. Le lauréat du prix sera annoncé en octobre. C’est la seconde fois que l’Église a été nominée pour le prix Nobel après la proposition, en 2013, de Luchezar Toshev, membre honoraire de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe. Ce qui doit être mentionné ici est que la nomination présente vient du côté israélien et avec le soutien puissant de la communauté bulgare d’Israël.

5.Posté par Vladimir G: office d'action de grâce (moleben) dans la cathédrale St. Alexandre Nevsky de Sophia pour la bénédiction du nouveau président de la république par le patriarche de toute la Bulgarie Neophyte . le 24/01/2017 13:43
Roumen Radev, élu président de la république de Bulgarie le 16 novembre 2016 avec la soutien du parti socialiste bulgare, a été intronisé le 22 janvier et béni par le patriarche de toute la Bulgarie Neophyte au cours d'un office d'action de grâce (moleben) dans la cathédrale St. Alexandre Nevsky de Sophia.


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