Admirable récit de Jean-Christophe Buisson " Le Figaro" de la vie au monastère du Valaam. Nous en donnons des extraits

C'était il y a vingt-cinq ans exactement, moins d'un mois après la chute du mur de Berlin. Arrivant par le lac Ladoga pris par les glaces, six hommes en robe posaient le pied sur la principale des cinquante îles de l'archipel de Valaam, au nord-est de Saint-Pétersbourg. Six moines, dont les frères aînés avaient été chassés de ce lieu par les autorités soviétiques en 1940 après la guerre d'Hiver entre l'URSS et la Finlande, qui avait elle-même conquis cette terre russe au lendemain de la révolution d'octobre 1917. Après sept décennies de parenthèse profane, la vie «normale», c'est-à-dire orthodoxe, allait pouvoir reprendre sur l'«Athos russe».

Mieux: ce jour béni de reconquête pacifique survenait un 30 novembre. C'est-à-dire le jour de la saint André, cet apôtre mort sur la croix, fondateur de l'Église de Constantinople, évangélisateur de Kiev, capitale de la première Russie. Le plus beau des symboles.

<...> Les six moines retroussèrent leurs manches, retournèrent chercher icônes et archives sauvées jadis du feu et de la furie rouge et ramenèrent les frères qui, comme eux, vivaient en Finlande en attendant la chute du communisme, prêts à revenir s'installer là où, depuis mille ans, bat une partie du cœur de l'orthodoxie russe. Déterminés, avec ou sans le concours des autorités politiques, à raviver la flamme d'une foi étouffée, écrasée, persécutée////

<...> Valaam est, comme Patmos, une île où soufflent tendrement les vents du nord et de l'Esprit. Le rythme de la vie monastique y est calqué sur celui d'une nature locale sauvage, omniprésente, impressionnante, calme, apaisante. Les côtes austères et rocheuses ont cet aspect splendide des terres proches des temps mythiques du commencement du monde. Depuis la pointe Fedorovski, où le regard peut embrasser la partie nord de l'île, on ressent l'étrange impression d'être plongé dans un film de Pavel Lounguine (L'Ile) ou d'Andreï Zviaguintsev (Léviathan). Au loin, il n'est pas rare d'apercevoir la silhouette sombre d'un moine qui, comme le père Séraphim (un Français installé seul dans le skit de Smolensk), rejoint d'un pas tranquille son ermitage, à moins qu'il ne parte ramasser du bois ou des champignons dans les forêts de cèdres et de bouleaux où vivent en paix rennes et sangliers: les moines ne mangent jamais de viande.///

Trou noir de soixante-dix ans

<...> Il faut rendre aux César ce qui leur appartient. Si le monastère de Valaam, comme ceux de Novgorod, de Pskov ou de Valdaï ont pu renaître, ils le doivent à l'énergie des patriarches de l'Église orthodoxe (Alexis II, puis Kirill, depuis 2009) mais aussi au bon cœur des autorités politiques comme de nombreux citoyens (anonymes ou célèbres, très fortunés ou non, russes ou étrangers). Sortant d'un trou noir de soixante-dix ans au cours duquel des centaines d'évêques et des dizaines de milliers de prêtres ou de moines avaient été éliminés et plus de 100.000 lieux de culte fermés, reconvertis ou rasés, l'Eglise nationale a bénéficié de la générosité d'un Etat lui accordant des avantages fiscaux et de celle de particuliers qui, comme la famille Timtchenko, à la tête de la Fondation Neva, a participé et participe, entre autres, à la reconstruction et l'embellissement du monastère de Valaam.

<...> Ici, tout le monde se souvient de Poutine venant en personne inaugurer, en 2008, le dernier-né des ermitages de l'île… qui porte son prénom. Dans l'ermitage Saint-Vladimir, plafonds et murs sont recouverts de scènes colorées de l'Ancien Testament, de bestiaires incroyables, de vies de saints grandioses et de grassouillets séraphins. Sous les toits, renouant avec une tradition du XIXe siècle, quand des artistes de l'Académie impériale des arts comme Ivan Chichkine venaient travailler à Valaam où ils disaient trouver une inspiration particulière, deux jeunes moines sont en train de peindre des icônes: le frère Hyéronime s'attelle à une Vierge à l'Enfant, son compagnon, un diptyque inspiré de l'Ancien Testament. Autour d'eux, des petits pots de pigments et des dizaines d'ouvrages sur les icônes byzantines, russes, grecques et macédoniennes. Mais aussi une chaîne stéréo et une pile de CD laissant penser que tout contact avec le monde contemporain n'a pas été coupé: y figurent la BO du film d'Emir Kusturica, Arizona Dream, et un best of de U2.

<...> Mgr Pankras a le souvenir très vif de son arrivée sur l'île en 1993. Vivant dans la laure de la Trinité-Saint-Serge, près de Moscou, iI avait demandé au patriarche Alexis II de le muter sur le mont Athos, au lieu de quoi ce fut «l'Athos du Nord», Valaam… «Quand je suis arrivé, après ma toute première expérience de voyage sur un bateau, de surcroît pris dans une tempête, ce fut un immense choc. Il y avait alors seulement une vingtaine de moines et la plupart des bâtiments se trouvaient dans un état de délabrement terrible. Je fus presque envahi par un sentiment de désespoir.»....SUITE "Le Figaro" le 28/11/2014 Dans ces monastères bat le cœur de l'orthodoxie russe

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 28 Novembre 2014 à 20:45 | 1 commentaire | Permalien



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