Un témoin de son temps. A la mémoire de l’archiprêtre Nicolas Lossky
Une nécrologie signée par le père Dimitri Aguéev, disciple de Nicolas Lossky

A la suite d’une longue maladie l’archiprêtre Nicolas Lossky, théologien et linguiste, a été rappelé à Dieu le 23 octobre 2017 à l’âge de 87 ans. Le père Nicolas a été mon directeur de thèse lorsque j’étudiais à l’Institut de théologie Saint Serge, à Paris. Il y a enseigné pendant de longues années, cela bien qu’à l’époque les relations inter juridictionnelles étaient plus que difficiles. Le défunt était ami avec nous tous, ni à l’archevêché, ni au patriarcat de Moscou on ne l’a jamais considéré comme étant un « agent double ».

Rare qualité dans la diaspora que de rester tolérant. Le père Nicolas n’était pas un émigré, c’était un authentique européen et en même temps un vrai russe. Spécialiste de la littérature anglaise, il connaissait en profondeur la théologie, c’était un musicien de talent, un chef de chœur et une fin connaisseur de l’iconographie.

Père Nicolas était le digne héritier de la grande dynastie des Lossky. La liste de ceux par qui il a été formé, qu’il a fréquenté est plus qu’impressionnante.
Son office funèbre a été célébré à l’église Saint Serge. C’est un choix profondément juste et symbolique. Le père Nicolas représentait parfaitement « l’école de Paris », la renaissance religieuse du XXe siècle, ceci tout en restant immuablement fidèle au patriarcat de Moscou.

Le défunt a toujours préconisé le français en tant que langue liturgique. Il a consacré beaucoup de forces et de temps à cette cause, ce en quoi il a perpétué l’œuvre de son père. En effet Vladimir Lossky a, conjointement avec le père Michel Belsky, été le fondateur de la première paroisse francophone de Paris, celle de Notre-Dame-joie-des-affligés et Sainte-Geneviève , Diocèse de Chersonèse (PM ). C’est dans cette église que le jeune célébrant Nicolas Lossky a rencontré sa future épouse, Véronique Belsky, petite-fille du recteur de la paroisse. C’est dans cette église que Nikolaï Vladimirovitch a pendant de longues années dirigé la chorale, puis y a officié.

Un témoin de son temps. A la mémoire de l’archiprêtre Nicolas Lossky

En janvier 2002, à la suite du sacre épiscopal de Monseigneur Hilarion (Alféev) nous étions à Paris et avons célébré la divine liturgie dans cette église, située dans le V e arrondissement, dans un petit local entre une épicerie et une buanderie. Tout était très simple, ce qui m’a fort étonné, accoutumé comme je l’étais à la rigueur et à la solennité des offices tels qu’on les célébrait à Moscou. C’est alors que j’ai pour la première fois senti la réalité de la tradition multiséculaire chrétienne en pays de Gaule. Après l’office Nicolas Lossky et son épouse Véronique, il était encore laïc, nous ont invité au restaurant. Notre entretien fut des plus intéressants.

Peu après Nicolas fut ordonné diacre. Je lui ai demandé :

- Pourquoi si tard ? Pourquoi avez-vous attendu si longtemps ?
- Dimitri, jeune, j’ai décidé de servir l’Eglise et j’ai fait part de cette décision à mon évêque. J’estimais que cela était suffisant et que l’Eglise elle-même décidera des modalités de ce service. J’ai donc œuvré en tant que laïc et attendu. Maintenant je trouve que j’ai suffisamment attendu, je veux officier moi-même.

Je me suis dit « quel curieux petit vieux qui attend que l’Eglise décide pour lui. Il faut chercher à obtenir ce que l’on veut ». Cette manière de faire m’a paru étrange. Mais le temps aidant j’ai moi-même adopté ce principe de vie. Chaque fois qu’il faut faire un choix entre « chercher à obtenir et faire confiance » je me souviens du père Nicolas.

Un témoin de son temps. A la mémoire de l’archiprêtre Nicolas Lossky

Une fois, alors que je travaillais à la Représentation du patriarcat de Moscou auprès des organisations européennes de Bruxelles nous avons invité le père Nicolas afin qu’il intervienne à une conférence. Avant le début des travaux, la conférence se tenait dans une église, nous avons rapidement célébré les vêpres afin de gagner du temps. Nous nous étions dit que le père Nicolas viendra fatiguer par son voyage et qu’il faudra commencer sans attendre. Il en fut attristé car il souhaitait concélébrer avec nous.

Sa communication présentée il se mit à évoquer des souvenirs. Une fois qu’il était à Moscou, c’était encore l’époque soviétique, il passait en taxi le long de l’enceinte du Kremlin et se posa la question « Quand pourra-t-on célébrer dans les cathédrales du Kremlin ? »
Il lui a été donné de vivre jusqu’à la réalisation de ce souhait, il a vu beaucoup de choses, a été un témoin marquant de son époque. Je suis reconnaissant à Dieu de me l’avoir fait rencontré.

СВЯЩЕННИК ДИМИТРИЙ АГЕЕВ Свидетель эпохи. Памяти протоиерея Николая Лосского Traduction Nikita Krivochéine , ami du défunt depuis 1939
Un témoin de son temps. A la mémoire de l’archiprêtre Nicolas Lossky

Слева направо: священник Иакинф Дестивель (сотрудник Папского совета по христианскому единству), Дмитрий Синяков (ныне иеромонах Александр – ректор Парижской православной семинарии), богослов Изабель Дандья, Димитрий Агеев (ныне священник), монах-бенедиктинец Антоний Ламбрехтс, епископ (ныне митрополит) Иларион (Алфеев), Вероника Лосская, Николай Лосский. январь 2002 г. Фото из архива автора

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Lire aussi La CROIX : L’archiprêtre Nicolas Lossky, figure majeure de l’émigration russe de Paris, est mort, lundi 23 octobre à l’âge de 87 ans. Les funérailles ont eu lieu mercredi 25 octobre en l’église Saint-Serge à Paris.

Petit-fils du philosophe russe Nicolas Lossky et fils du grand théologien orthodoxe Vladimir Lossky, il a été une voix forte de l’orthodoxie et de l’œcuménisme. Né le 20 novembre 1929, Nicolas Lossky, docteur ès lettres, fut professeur de civilisation britannique à l’université de Paris-X-Nanterre où il a été, de 1970 à 1976, membre de l’équipe de direction présidée à l’époque par René Rémond. À partir de 1976, il est professeur d’histoire de l’Église en Occident à l’Institut de théologie orthodoxe de Paris (Institut Saint-Serge). Il occupe aussi pendant six ans, de 1990 à 1996, le poste de directeur de l’Institut supérieur d’études œcuménique à l’Institut catholique de Paris. Nicolas Lossky a été un acteur constant du dialogue œcuménique. Spécialiste de l’anglicanisme, le théologien a notamment été membre, de 1974 à 1998, de la commission Foi et Constitution du Conseil œcuménique des Églises, du Groupe mixte de travail entre l’Église catholique et le Conseil œcuménique des Églises de 1998 à 2006, et de la commission mixte française de dialogue catholique-orthodoxe française pendant plus de 20 ans. SUITE

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 2 Novembre 2017 à 20:14 | 1 commentaire | Permalien


Commentaires

1.Posté par Le père Nicolas Lossky (1929-2017), un conciliateur le 03/11/2017 23:28
Octobre 2017, une tribune hommage d’Olga Lossky, écrivain, petite fille du prêtre et théologien orthodoxe Nicolas Lossky décédé le 23 octobre dernier.
La DC

Octobre 1971. Sur les hauteurs du lac d’Annecy, Nicolas Lossky et ses amis de la revue Contacts regardent, incrédules, les voitures serpenter dans leur direction. Comme un filet jeté en eau aveugle, ils ont lancé un appel aux chrétiens orthodoxes de toutes origines présents sur le sol français. Ils ont été entendus au delà de leurs espérances. Russes, Grecs, Arabes, Roumains, Bulgares, Serbes, Français…

Tous sont venus à cette grande fête de l’unité interorthodoxe. Durant ce premier congrès organisé par ce qui deviendra ensuite la Fraternité orthodoxe en Europe Occidentale, Nicolas Lossky voit éclore les germes que son père, le théologien Vladimir Lossky, avait plantés : une orthodoxie francophone d’expression locale, en dialogue avec les chrétiens d’autres confessions présents sur le même sol. Au dessus du lac, les émigrés de divers horizons vivent le miracle de la conciliarité : par-delà leurs particularités locales, leur attachement à une autre langue liturgique que le français, le climat spirituel spécifique à leur pays d’origine, ils se découvrent Église. Corps unique qui s’enrichit de la diversité de chacun.

Cet événement fondateur – Nicolas le sait – doit se concrétiser dans des structures ecclésiales. Après le congrès d’Annecy, avec ses amis de la Fraternité orthodoxe, il pousse les évêques orthodoxes présents sur le sol français – chacun pour s’occuper des ressortissants de son pays – à s’asseoir à la même table. À envisager ensemble l’avenir de l’orthodoxie en France. De ce comité inter-épiscopal naît l’Assemblée des Évêques Orthodoxes de France (AEOF). Tous espèrent qu’elle sera une structure de transition vers une Église orthodoxe française autonome, dont l’avènement semble proche.

Mai 2015. Centre de congrès Tivoli, à Bordeaux. En soutane – il a été ordonné prêtre dix ans auparavant – le père Nicolas Lossky scrute depuis un fauteuil roulant les participants du quinzième congrès organisé par la Fraternité orthodoxe. Ils sont plus de six cents, le double d’Annecy. Réflexions, débats, célébrations liturgiques – dont une prière interreligieuse pour les chrétiens d’Orient – y connaissent la même intensité. Mais derrière la joie de se retrouver, on est loin de l’enthousiasme panorthodoxe des origines. Une certaine lassitude ombre les traits du père Nicolas. Lui qui n’a pas cessé d’être un conciliateur – entre les patriarcats de Moscou et de Constantinople en tension, entre les confessions chrétiennes désunies, entre le milieu athée dans lequel il aura mené sa carrière universitaire d’angliciste et les cercles croyants – assiste à la naissance de nouvelles fractures au sein de son Église.

Clivage entre les « progressistes » et les « traditionalistes », repli identitaire des Églises sur leurs prérogatives nationales, luttes de « pouvoir » là où il ne devrait être question que de « service » – un mot cher à Nicolas Lossky qui n’a jamais brigué aucune position dans l’Église. Le rêve de l’Église locale – dont le thème sera à peine abordé au Concile de Crète en 2016 – semble reporté aux calendes grecques. L’orthodoxie française, qui a su dans certaines paroisses mêler si harmonieusement les traditions dans le respect des origines de chacun, ressemble maintenant à un bento japonais, où chacun reste dans la petite case hermétique de son Église nationale. Les orthodoxes français, eux, sont apatrides, à moins de se rattacher à l’une ou l’autre « Église-Mère ».

25 octobre 2017. Église Saint-Serge. Autour du cercueil ouvert du père Nicolas revêtu de ses plus beaux ornements, ses arrière-petits-enfants s’émerveillent de sa barbiche toujours présente (« je croyais que les morts, ils perdaient tous leurs poils »), de son corps bardé d’icônes (de style russe) et de livres liturgiques (en grec). Le temps prend saveur d’éternité et le père Nicolas mène une conciliation ultime, laissant entrevoir qu’entre cette vie et l’autre peut exister une continuité radieuse, dans la lumière du Ressuscité.

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