Une nouvelle querelle orthodoxe autour de l'œcuménisme et du "document de Ravenne"
Nous avons signalé dans plusieurs notes tous les signes qui inclinent à l'optimisme et montrent que la marche vers l'unité dans l'Orthodoxie est en bonne voie. Oui, il semblait possible d'envisager la fin des divisions nées depuis plus d'un siècle, et surtout à la suite des tragédies du XXe. Mais voilà qu'une nouvelle division nous menace par suite de la grande maladresse de quelques théologiens qui ne sentent pas les convictions profondes du "Peuple orthodoxe", pourtant seul détenteur de la Vérité. Il s'agit de l'opposition au "document de Ravenne" qui semble se transformer en un grand mouvement anti-œcuménique.

Une naissance aux forceps

Je ne vais pas revenir en détail sur le "document de Ravenne" en lui-même: JF Colosimo lui a consacré un "Bloc note" très détaillé et orthodoxie.com en a publié le texte en français. Mais voici quelques points essentiels à la compréhension de la situation:
* Ce texte a été discuté et approuvé par les membres de la « Commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre l’Église catholique romaine et l’Église orthodoxe » lors de la dixième session plénière de la Commission à Ravenne (8–15 octobre 2007), sans l’Eglise orthodoxe russe, dont la délégation avait quitté la rencontre à cause de la présence des représentants de l’Eglise apostolique d’Estonie. La validité du texte était déjà posée…

* Il traite de la primauté dans l'Église au 1er millénaire, avant le schisme et détermine le sens de cette primauté au sein de la tradition indivise du premier millénaire; les deux délégations (catholique et orthodoxe) « concordent sur le fait que Rome, en tant qu'Église qui "préside à la charité" occupait « la première place » dans l'ordre canonique (par 41). Le document ne traite pas des privilèges du Pape mais fixe la procédure à venir pour en discuter, et commente ainsi l’activité conciliaire de l’Occident et de l’Orient chrétiens après le schisme : « les deux Églises continuaient à convoquer des conciles dans les moments de crise grave. À ces conciles participaient les évêques des Églises locales qui se trouvaient en communion avec le siège de Rome, et de façon similaire, même si cela était compris d'une manière différente, les évêques des Églises locales qui se trouvaient en communion avec le siège de Constantinople » (par.39)/VG: c'est moi qui fais ressortir/.

* Il a été accueilli avec satisfaction par l'Église Catholique, qui y voit un texte de référence sur une compréhension de la primauté commune aux orthodoxes et aux catholiques, mais dés le début il a provoqué des remous dans l'Église Orthodoxe: l'Eglise russe et la Sainte-Communauté du Mont-Athos l'ont rejeté d'entrée et aucune Église ne l'a accepté à ma connaissance.

Où est le problème?

Ce texte donne lieu à des commentaires diamétralement opposés chez les Orthodoxes:

* Pour les uns (essentiellement Constantinople, les autres Églises étant restées silencieuses…) les résultats de la session étaient «définitivement positifs», en ce que «pour la première fois, le terme primus a été utilisé dans le sens qu’il avait dans le tradition du premier millénaire, toujours dans un contexte synodal» a dit le métropolite Jean (Zizioulas) de Pergame, coprésident de la commission pour la partie orthodoxe
* Pour les autres (essentiellement l'Eglise russe au départ) le document établi un parallèle entre la « communion avec Rome » en Occident et la « communion avec Constantinople » en Orient comme condition et/ou critère d’ecclésialité, de catholicité, de conciliarité alors que « le critère de catholicité dans l'Église orthodoxe a toujours consisté dans la communion eucharistique et canonique des Églises locales entre elles, et non pas dans la seule communion avec le siège de Constantinople » proclame Mgr Hilarion (Alfeev), de Volokolamsk, chef de la délégation russe à Ravenne.

Notons que la question était posée, en fait, dès la session précédente de la Commission mixte en 2006, à Budapest: Mgr Alfeev avait déjà refusé le texte du document de travail et le comité de rédaction avait proposé, en février 2007, une formulation acceptable pour Moscou qui ne mentionnait plus la « communion avec le siège de Constantinople ». Le retrait de la délégation russe a donc permis de revenir à la première mouture dans le document final. On pouvait alors penser que l'Église russe se trouvait isolée dans son opposition…

Orage et amalgame

Mais la dispute tourne à l'orage et divise toute l'Orthoxie: comme l'écrit orthodoxie.com une «Confession de foi contre l’œcuménisme» est proposée à la signature des fidèles orthodoxes depuis le mois d’avril 2009, notamment sur plusieurs sites Internet. Ce document constitue une charge violente contre toute forme de dialogue interconfessionnel, amalgamé avec l'œcuménisme qui "est le nom commun pour les pseudo-Églises de l’Europe occidentale (…) Leur nom commun est en fait «panhérésie»". Il condamne "ceux qui se meuvent dans cette irresponsabilité œcuméniste, quelle que soit leur place dans l’organisme ecclésial, se trouvent en contradiction avec la tradition de nos saints et par voie de conséquence en opposition avec eux. Et conclu "C’est pour cette raison que leur attitude doit être condamnée et rejetée par l’ensemble des hiérarques et du peuple fidèle."

Des textes de ce type circulent depuis longtemps parmi les groupes extrémistes non canoniques (habituellement qualifiés de «zélotes», au premier rang desquels se trouvent les «vieux-calendaristes») mais, fait nouveau, la "Confessons" est cette fois promue et approuvée par des personnalités connues et des fidèles rattachés canoniquement à l’Église orthodoxe, et en premier lieu l'Église de Grèce. Elle a recueilli à ce jour 8600 signatures, dont une liste impressionnante de métropolites et évêques grecs, serbe et bulgare, d'higoumènes du Mont-Athos et d’importants monastères de Grèce, de Chypre, de Serbie et des États-Unis, de professeurs de facultés de théologie et de clercs, moines et moniales de Grèce, du Mont-Athos, de Serbie, de Roumanie, de Palestine et de divers autres pays. La Sainte-Communauté du Mont-Athos, plusieurs métropolites, et un professeur de dogmatique de l’Université Aristote de Thessalonique ont publié des déclarations indépendantes allant dans le même sens. Cette réaction a pris suffisamment d’ampleur pour inquiéter le patriarche de Constantinople Bartholomée et son adjoint en matière de politique extérieure (qui est le principal artisan de la politique de rapprochement avec Rome et le président de la Commission internationale mixte de dialogue du côté orthodoxe), le métropolite Jean de Pergame, qui ont tous deux publié des déclarations où est clairement évoqué un risque de schisme au sein de l’Église orthodoxe.

Mais personnellement il me semble que, si risque de schisme il y a, c'est entre un petit groupe qualifié dans la "Confession" de "hiérarques et théologiens œcuménistes", et la grande masse des fidèles et clercs de terrain, dont l'Église russe est un bon exemple; de plus, bien que le "document de Ravenne" ne soit pas cité dans la "Confession", il est visiblement la source de cette explosion: il suffit de visiter les blogs qui proposent la "Confession" et, dans sa lettre adressée«à tous les métropolites de l’Église d’Hellade au sujet de la Confession de foi contre l’œcuménisme», le métropolite de Pergame Jean (Zizioulas) le confirme: "un confrère, professeur de théologie, connu pour son inimitié envers ma personne, a rendu visite à un hiérarque de l’Église d’Hellade et lui a déclaré qu’il savait avec certitude (!) que l’union avait déjà été décidée (à Ravenne !) et que sa proclamation n’était qu’une question de temps!!!" (/VG: les point d'exclamation sont dans le texte/.
Ce passage illustre bien toutes les confusions que provoque le document de Ravenne et il apparaît donc que, en refusant le texte poussé par Constantinople, Mgr Hilarion représentait bien plus que l'Église Russe; il était en fait le messager d'un mouvement de fond de toute l'Orthodoxie, alors que les délégués des autres Église semblent avoir perdu le contact avec leur troupeau qui les désavoue. Le problème c'est que, maintenant, le rejet de ce document, maladroitement imposé à Ravenne, provoque une réaction incontrôlable qui risque de balayer et réduire à néant tous les efforts de dialogue et de rapprochement entrepris depuis prés d'un siècle. Déjà la prochaine session de la Commission mixte, prévue à Chypre du 16 au 23 octobre 2009, est remise en question, l'Église de Bulgarie ayant fait savoir qu'elle ne participera pas et la position de Moscou n'étant pas connue.

Je reprends pour conclure la conclusion du "Bloc-note" de JF. Colosimo mentionné plus haut, plus actuel que jamais: "comment une entreprise œcuménique finit-elle par déboucher sur une fracture intra-confessionnelle ? Nul doute qu’il y a là un mystère à méditer. Mais s’étonnera-t-on que, in fine, le Saint–Esprit se révèle une fois de plus le champion de l’antisystème ?"

Rédigé par Vladimir Golovanow le 15 Octobre 2009 à 18:50 | 139 commentaires | Permalien



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