Sous le titre "NOTRE HERITAGE N’EST PAS A BRADER" le forum de l'Acer publie un article de Serge RUNGE qui ne manque pas d'intérêt. J'en donne ci-dessous l'essentiel, en ajoutant mes titres et un commentaire final:
1) 80% intéressants malgré quelques dérives 2) 20% de polémique inutilement agressive
3) Un avis personnel


1- 80% intéressants malgré quelques dérives
et que je transcrit in extenso: il me parait important et mes commentaires suivront.

Citation: "Personne ne peut nier que notre Archevêché (des églises orthodoxes russes en Europe occidentale) a été créé pour abriter des paroisses russes et qu’elles ont été à l’origine du développement de l’orthodoxie en Europe au 20e siècle. Depuis il s’est étendu à des paroisses dont les traditions culturelles sont plus proches des pays qui les accueillent et une certaine diversité est enrichissante. Elle est même d’autant plus appréciable qu’elle se crée spontanément, par choix et non par opposition au choix des autres, qu’elle se construit au nom de ce qu’elle pense juste et non au détriment de ce dont elle est issue. La liberté est l’une des caractéristiques de l’exarchat, qu’elle trouve ici une application visible : le choix de chacun est respectable, il sera d’autant mieux respecté que ce respect est réciproque.

i[Que l’orthodoxie de langue locale soit vivante et florissante, on ne peut que s’en réjouir. Elle n’a toutefois aucune raison d’essayer de se mettre en opposition ou de prendre la place des paroisses de tradition russe qui ont perpétué l’héritage préservé par l’Archevêché. Il est à espérer qu’aucun problème d’identité ne se posera aux fidèles issus d’Europe occidentale ou d’Afrique où l’orthodoxie est moins traditionnelle. Comme le précise M. Daniel Struve - l’Eglise n’a pas à être l’otage de problèmes culturels - cependant elle peut être intimement liée à la culture, surtout pour ceux des descendants de l’émigration russe qui ont choisi de garder le privilège d’être biculturels.
Les paroisses de langue locale sont complémentaires de celles qui sont dans le prolongement du concept d’origine, c’est à dire de langue et de tradition russe dont l’Archevêché a été le garant et le perpétuateur. En 1988 nous avons fêté le millénaire du Baptême de la Russie – mille ans !
C’était il y quelques années à peine, tout le monde s’en souvient et pourtant, le mur de Berlin était encore debout et l’URSS ne laissera la place à la Fédération de Russie que 3 ans plus tard.
Depuis, c’est à dire depuis moins de 20 ans, l’Eglise Orthodoxe Russe se reconstruit. Des gens formidables participent à cette reconstruction, clercs et laïcs. Mais l’entreprise est gigantesque, à la mesure du pays et des 75 ans pendant lesquels la destruction de l’Eglise a été la règle. Il est admis que 25 ans équivalent à une génération. En trois générations il reste bien peu d’un héritage spirituel surtout quand il est combattu. Récemment, Sa Sainteté le patriarche Cyrille a déclaré(1) « Actuellement notre Eglise assure son ministère dans un cadre engendré par de longues décennies d’athéisme étatique lorsque les gens étaient artificiellement isolés de leur propre tradition spirituelle et dans une large mesure, culturelle. »
Et de fait, ceux d’entre nous qui ont l’occasion d’aller en Russie constatent dans les églises une ambiance différente de ce que l’on connaît ici et ce sentiment est souvent conforté par les échanges que l’on peut avoir avec le clergé et les fidèles sur place. Dans une interview publiée dans « Ogoniok » numéro 15 du 19 avril 2010(2), le père Georges Mitrofanov de Saint-Petersbourg illustre certaines des difficultés rencontrées par une église en reconstruction : « Pour devenir prêtre, il n’est pas obligatoire chez nous d’avoir une formation théologique particulière, ni même un quelconque niveau d’instruction générale » et plus loin « […] aujourd’hui à peine plus d’un tiers de nos prêtres ont fait des études au séminaire ou à l’académie de théologie ». Son jugement sur la situation est clair « nous devons bien comprendre qu’aujourd’hui nous formons une société d’athées baptisés qui croient en tout un nombre de superstitions païennes ou relevant de la magie et vers qui il faut aller à nouveau prêcher le Christ »
Or, la tradition de l’église russe est toujours vivante. Plus de 90 ans, presque un siècle s’est écoulé depuis le dernier Concile de l’Eglise Russe, la révolution et l’émigration qui ont conduit à la création de l’Archevêché des églises orthodoxes russes en Europe occidentale. Depuis ce temps, la continuité historique a été assurée par l’Archevêché et cela n’est d’ailleurs remis en cause par personne. Même le président de l’OLTR (« Mouvement pour une orthodoxie locale de tradition russe ») l’a répété très récemment : « A en juger par ce qui se disait et s'écrivait en son (Archevêché) sein aux cours des années passées, les membres de cet exarchat se voyaient plusieurs missions. La première et la plus importante était absolument claire : il fallait donner la possibilité aux dizaines de milliers de réfugiés russes, s'étant trouvés hors de leur pays, de continuer à vivre une vie en Eglise. Cette vie «en Eglise» devait se faire selon les indications laissées par le concile de Moscou de 1917/1918, lequel avait couronné le renouveau de l'Eglise russe au 19ème siècle. Très tôt apparut aussi la conscience qu`il fallait témoigner de l'Orthodoxie devant l'Occident dans lequel les émigrés se sont trouvés plongés. Enfin, quand il fut clair que le retour ne se ferait pas dans de brefs délais, apparut le souci d'enraciner l'orthodoxie en Occident et parallèlement, de remplir un rôle de «conservatoire» de la tradition russe, tellement fut terrible la crainte de voir le régime soviétique détruire jusqu'au bout toute trace de christianisme en Russie. Au début, l'exarchat parvint à remplir cette mission de façon exemplaire. Grâce au dévouement des prêtres et évêques qui se sont trouvés dans l'émigration et à la ferveur du troupeau le nombre des églises se multiplia, surtout en France. »(3)
Beaucoup d’entre nous qui avons eu la chance d’avoir été éduqués en Occident car descendants de l’émigration blanche ou appartenant à des vagues d’émigration ultérieures qui ont fuit l’arbitraire, sommes et doivent être conscients de l’importance de l’héritage qu’a perpétué l’Archevêché, comme en sont conscients ceux qui de Russie, rejoignent aujourd’hui de bonne foi nos paroisses russophones du patriarcat de Constantinople. Ils ne le font pas par hasard contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire. Ils y cherchent et y trouvent ces traditions et ces valeurs de tolérance, de liberté et d’indépendance que l’Exarchat a, lui, appliqué et développé dans la continuité du Concile de Moscou. Cet héritage issu d’une Russie profondément orthodoxe, conservé et développé ici depuis près de 100 ans est vivant, apprécié, et recherché par ceux qui l’ont perdu. Des tentatives de récupération d’églises, brouillonnes mais aux conséquences tragiques, ont eu lieu, comme la triste histoire des paroissiens de l’église Saint Nicolas à Rome (4) qui depuis, ont vu leur église fermée et ont demandé à revenir au sein de l’exarchat. Elles ne peuvent guère servir d’exemple à la précipitation, au contraire, leur multiplication ne ferait que créer un fossé inutile. D’ailleurs on peut se demander quels sont les véritables objectifs de ceux qui tentent de remplacer une discussion constructive, préalable à toute décision responsable, par une marche forcée et provoquer ainsi une opposition entre des juridictions dont la complémentarité n’a jamais été aussi évidente.
La valeur symbolique de l’affaire de Nice est relative dans la mesure où elle se place dans une dimension politique et peu spirituelle ou culturelle. Les tentatives de récupération d’églises à caractère historique, d’archives et de monuments, symboles convoités pour assouvir un besoin de prestige et polir une image sont néfastes pour tous. On ne peut que souhaiter voir la Russie, dans sa capitale et dans ses villages, bénéficier rapidement des mêmes investissements, proportionnellement au nombre de fidèles que ceux réalisés ici. Plusieurs dizaines de millions d’euros pour le terrain qui va accueillir une nouvelle cathédrale au centre de Paris, dont la construction va elle-même atteindre des sommes impressionnantes et on nous annonce aussi au même endroit un grand centre culturel. C’est également en France qu’a été ouvert un séminaire tout neuf, alors que l’Institut de Théologie St Serge existe, qu’il est loin d’être saturé, que son enseignement est renommé dans le monde entier et connu en Russie sous le nom « d’Ecole de Paris ». Nous avons la chance de vivre ici dans un environnement où chacun a le choix, y compris de sa juridiction et peut le mettre en pratique sans contrainte, beaucoup le font. Il est pitoyable ou grotesque de lire que certains prétendent « s’échapper » de temps en temps dans l’église d’une autre juridiction pour y trouver la sérénité : pourquoi ne pas y aller tout le temps ? pour faire de « la résistance » comme on lit aussi? Cela expliquerait que le dimanche, dans certaines églises, soient très visibles des individus qui utilisent le reste de la semaine à les dénigrer. Dans l’interview déjà citée, Sa Sainteté le Patriarche Cyrille s’exprime ainsi : « Je surveille la façon dont certains journalistes décrivent nos relations avec le patriarcat de Constantinople. Lorsque l’on lit ces commentaires et pronostics sombres, on a l’impression qu’il s’agit d’une opposition, presque d’une guerre. Mais aucun de ces pronostics pessimistes ne s’est réalisé. Et même, les relations entre nos patriarcats ont atteint un niveau de qualité nouveau, la visite de Sa Sainteté le Patriarche Œcuménique à notre Eglise en est la meilleure preuve. » Dans l’héritage que nous avons reçu, les valeurs culturelles sont intimement liées aux valeurs spirituelles. Par leur exemple et leur enseignement nos aînés ont tenté de nous transmettre, le respect de l’histoire mais aussi des autres, la correction dans l’expression, en un mot - la bienséance. Parmi les nouveaux arrivés, la plupart nous ont rejoint avec des intentions honnêtes et partagent ces valeurs. Toutes les opinions sont respectables, le choix se fait selon sa propre appréciation, non par opposition au choix des autres ni à leur détriment. Le choix respectable de chacun sera d’autant mieux respecté que ce respect est réciproque.
Il serait regrettable que les donneurs de leçons sans scrupules et sans passé prennent le pas sur ce que beaucoup d’entre nous ont en commun et que seuls certains ont oublié. Il n’est pas besoin d’être du même avis pour discuter, par contre il est indispensable de revenir, d’accentuer ou de persister dans la forme civilisée de débat à laquelle nous avons été formés. Notre communauté a connu d’autres débats dans des circonstances graves et autrement difficiles. Dans sa préface du « Congrès Russe à l’Etranger – 1926 » (5) Alexandre Soljenitsyne qualifie ainsi la qualité des débats entre les représentants des organisations russes engagées dans la lutte contre le bolchevisme mais aux sensibilités différentes : «[ils avaient] dans leurs discussions la clarté de l’énoncé, (non sans l’ajout de charmantes tournures désuètes), la bienveillance dans les débats, une prise en compte scrupuleuse des différentes opinions, un respect minutieux des procédures. Et toute cette culture a été utile devant la difficulté de concevoir un programme […]».
Nous pouvons faire abstraction des tournures désuètes mais garder le reste en mémoire. Il serait regrettable qu’en ces mêmes trois générations, dans un contexte non contraint, la civilité disparaisse. L’incivilité est un phénomène actuellement marginal même si sa violence le rend très visible, employons-nous à empêcher une dérive. Il est possible d’ailleurs, qu’un débat constructif et civil fasse apparaître des points de vue moins distants sur les principes : jusque là on ne s’est vu asséner qu’une seule soi-disant « vérité ». (…) Les églises et les paroisses de l’Archevêché des Eglises Russes en Europe Occidentale même dans des bâtiments historiques sont aussi avant tout des églises qui méritent le respect.
Pourquoi ne pas les rendre à leur destination originale – la prière ?

La mise en perspective des chiffres est frappante : 1000 ans depuis le Baptême de la Russie, à peine 20 ans que l’Eglise se débat avec la réalité en Russie mais déjà presque 100 ans que l’Archevêché perpétue avec constance et stabilité son rôle « conservatoire » de la tradition russe.
Où serait donc l’urgence de tout bouleverser dans la précipitation, de renoncer à une institution qui a fait ses preuves et ainsi, justement à ce que tant aspirent à retrouver ? L’œuvre entreprise en Russie est immense. « Nous avons devant nous l’énorme tâche de rendre aux gens leur propre héritage – la culture orthodoxe et nous devons le faire dans des conditions que l’Eglise n’a jamais rencontrées. »1 sont les paroles de Sa Sainteté le Patriarche Cyrille.
Selon les termes de Sa Sainteté Bartholomeos 1er, Archevêque de Constantinople, Patriarche Œcuménique(6), « L’Eglise Russe est appelée à répondre aux problèmes les plus graves de notre époque, à résoudre des questions aussi capitales que la façon d’aborder le fanatisme, le nationalisme ou l’indifférence à la morale et à la religion qui caractérisent la société d’aujourd’hui. »"

]i .. Fin de citations (les phrases ci-après en " " font aussi partie du texte)
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2- 20% de polémique inutilement agressive

Je censurer ces 20% que en toute bonne conscience car, en focalisant l'attention, ils privent le reste du texte de toute valeur et, en définitive, lui font manquer son but. Il s'agit là du ramassis habituel d'insinuations anonymes non fondées ("l’attitude agressive et les méthodes douteuses de quelques nouveaux croisés dont le zèle n’égale que le manque de références et de culture", " quelques dilettantes obscurantistes fraîchement «auto-orthodoxisés» de le transformer en organe de propagande où la politique est omniprésente.", "Ils sont irrévérencieux et méprisants vis à vis de l’Archevêché, prônent sa disparition et allument des scandales dans nos paroisses sans l’ombre d’un scrupule") et d'attribution à l'adversaire de ses propres méthodes ("Ces mêmes donneurs de leçons se répandent dans des organes de presse anciennement respectables ou sur internet", " Leur acharnement à user du « nous » et tenter de démontrer avec insistance qu’ils « en font partie » ", "ils calomnient, dénigrent, nient et détournent l’héritage spirituel, historique et culturel conservé et développé depuis près de 100 ans - l’Emigration", " Ils trouvent parfois pour les épauler des individus également sans scrupules et aux ambitions personnelles à la marge de cet héritage culturel et de la culture tout court ", et enfin recours au mythe "de manœuvres délibérées de déstabilisation dans des paroisses appartenant" de l'Archevêché, ce mythe permettant de nier l'existence d'une forte minorité favorable au rapprochement avec le patriarcat qui parfois, comme à Lyon ou Rome, décide majoritairement du changement de juridiction d'une paroisse.

Mais ce qui est intéressant de remarquer, c'est que le seul adversaire désigné est l'OLTR, c'est à dire le groupe qui œuvre sans relâche au rapprochement de l'Archevêché et de l'Église russe: "A sa création l’OLTR avait suscité l’espoir d’un débat intellectuellement honnête" écrit S. Runge avant de déverser le tombereau d'insanités citées plus haut. Ce point mérite d'être relevé car il semblerait montrer une volonté de ménager l'Église russe en ne l'attaquant pas de façon directe.

Car l'essentiel du texte, que je qualifie d'intéressant, balance entre d'une part des analyse pertinentes de l'histoire de l'Archevêché et de la situation de l'Église russe et d'autre part un refus de la réalité remplacé par les élucubrations traditionnelles sur "la main de Moscou":
- Ainsi d'abord du parallèle entre les besoins internes de l'Église russe, énormes et reconnus, et ses efforts pour accompagner sa diaspora. Comme si une Église pouvait négliger une partie de son troupeau!
- Ainsi aussi de l'amalgame entre le politique de prestige poursuivie par l'État russe et sa volonté claire de se placer dans la continuation de l'empire russe et, là encore, les besoins internes de l'Église. Comme si chacun n'avait pas ses propres priorités, par delà leurs liens évidents et naturels.

3- Un avis personnel

Malgré ces gros défauts, je trouve ce texte en définitive plutôt intéressant:
- d'abord parce que, quantitativement, les passages positifs prennent 4 ou 5 plus de place que les autres
- ensuite parce que ne craint pas d'affirmer la "russité" de notre héritage et de rendre hommage à la réalité de l'Église russe au-delà des mythes et dénigrements systématiques que nous lisons trop souvent par ailleurs,
- le rappel à la nécessité d'un dialogue civilisé parait particulièrement bienvenu après les réactions excessives au jugement de Nice ou à l'appel du patriarche de Roumanie et la publicité donnée, sur le même forum, aux insanités du Nouvel Observateur.
- je trouve aussi raisonnable l'idée force du texte: " Où serait donc l’urgence de tout bouleverser dans la précipitation". Cela me semble ouvrir une possibilité de discuter de l'avenir qui semblait totalement absente jusqu'ici
- enfin et surtout parce que je me rallie totalement à sa conclusion: "L’idée d’un affrontement sans merci entre deux ou trois camps irréductibles est caricaturale, erronée et nuisible. Il y a évidemment compatibilité entre les juridictions et actuellement, la complémentarité est la seule à pouvoir allier l’histoire et l’avenir. "

Bien entendu, nos esprits chagrins s'accrocheront aux 20% polémiques pour juger ce texte comme une nouvelle attaque contre les partisans du dialogue avec l'Église russe. Je crois pourtant que ces 20% ne sont que le tribut payé à la faction belliqueuse, pour sauver la face, par quelqu'un qui a compris que l'avenir d'un Évêché isolé était sans espoir et qu'un aggiornamento de sa politique était nécessaire. Comme je crois Serge RUNGE représentatif de la majorité actuelle de l'Archevêché, cela confirmerait l'espoir d'ouverture que j'avais cru percevoir dans le compte rendu de l'Assemblée générale de l'Archevêché, avec les interventions des pp Nicolas et Christophe et cette proposition du p. Boris de "mise en place d’un groupe de réflexion pour entrer en contact avec les autres juridictions". Il n'y aurait plus qu'à espérer que des propositions concrètes de dialogue vont suivre des deux cotés…

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Notes de l'article original de Serge RUNGE et les commentaires à propos de l'article ICI

Rédigé par Vladimir Golovanow le 22 Juin 2010 à 21:08 | 5 commentaires | Permalien



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