André Desnitzky : La foi des Pères à Ravenne
Traduction Dimitri Garmonov

Nous nous sommes habitués à percevoir l’orthodoxie en tant que foi des Pères. Mais en quoi plus exactement les Pères croyaient-ils ? Dans les bibliothèques, on peut trouver des centaines de volumes en langues anciennes, mais personne n’en a lu ne fût-ce qu’une une dixième partie.

Ce qui concerne des recueils courts et des exposés libres sur la question, leurs auteurs y exposent souvent leurs propres opinions autant que la foi même des pères.


Nous pourrions vérifier chaque phrase citée bien que ce ne soit pas si simple : comment peut-on être certain que la citation n’est pas mise hors du contexte, qu’elle n’est pas interprétée librement et qu’il ne s’agit pas d’un simple lapsus ?

La foi des pères dans son unité, sa plénitude et son accessibilité à tous, où est-elle ?



J’ai un moyen très simple pour la retrouver : il faut visiter des églises où les pères ont prié et faire connaissance de l’iconographie de ces lieux.

Mais c’est un luxe quasi inaccessible – à l’époque iconoclaste, presque toutes les images ont été détruites. L’art d’Eglise de l’époque tardive n’est pas moins splendide, mais il est tout de même différent de celui de l’époque de saint Basile le Grand et de saint Jean Chrysostome. Dans nos églises, on peut toujours entendre les textes liturgiques créés par eux, mais admirer les intérieurs des églises de l’époque est presque impossible.

Cependant, il existe des exceptions peu nombreuses : par exemple, Ravenne, dans le nord de l’Italie. Etant capitale à l’époque, mais investie par les barbares et donc perdue pour l’empire, elle a pu sauver son passé de l’annihilation iconoclaste. Y ont été préservées plusieurs églises et baptistères ainsi que le mausolée d’une dame noble. Tous ces monuments sont ornés de mosaïques datant du Ve et du Vie siècles. Je n’ai pas l’intention de m’approfondir dans les détails de l’histoire et la description de ces monuments que l’on peut trouver dans n’importe quel guide ou même sur le Wikipédia. Simplement, quelques impressions d’ordre général.

Ve et Vie siècles… L’empire romain occidental est proche de sa fin : son territoire est déchiré par des tribus barbares, ils ne sont pas que sauvages, mais aussi hérétiques (au premier sens du mot) – la majorité de ces populations confessait l’arianisme. En Orient, c’est l’empereur Justinien qui, au prix d’énormes efforts, refoule les invasions barbares, mais même lui ne sera plus capable de restaurer l’ancienne grandeur. Tout tombe en ruines, partout le sang et les flammes… Et nous dit que les orthodoxes de l’époque devraient dénoncer les hérétiques, glorifier la puissance des armes impériaux, pleurer l’ancienne grandeur de l’Empire.

Non, il ne s’agit point de cela ! Les mosaïques de Ravenne racontent tout autre chose.

Je vais commencer par une vétille. Un jour un prêtre a grondé ma fille de 12 ans pour le fait de porter un petit dauphin en collier. Elle avait évidemment une croix, mais, selon le prêtre, le pendentif ne pouvait pas voisiner avec elle. A Ravenne, nous avons vu les portraits des douze apôtres entourés, chacun, de deux dauphins. En effet, qu’y-a-t-il de mal dans les dauphins ?

A Ravenne, on s’étonne de la liberté absolue des formes de l’expression. Les mosaïques sont créées avec une ancienne technique classique : on utilisait des procédés habituels en leur donnant un nouveau contenu. La Baptême du Seigneur : le Christ nu se dresse dans la rivière, Il n’a pas de barbe, Il est tout jeune. On a droit de corriger l’artiste : le Christ est allé prêcher quand il était assez mûr ; il était incroyable pour un Juif de cette époque de ne pas porter une barbe et se dénuder en public. Mais c’est une image conditionnée car elle continue la tradition du portrait héroïque antique : sur le corps nu, rien n’est caché, mais rien n’est souligné non plus, et ce procédé ainsi que le jeune âge de l’héros sont des plus importants. Le peintre chrétien n’est pas arrêté par le choix des moyens – il parle avec les hommes de son époque avec leur langage habituel.

Encore un troisième personnage dans le Baptême, après le Christ et saint Jean-Baptiste, est la rivière Jourdain représentée comme un vieillard respectable avec une carafe. Dans l’iconographie d’aujourd’hui, on peut également le retrouver, mais plutôt comme une partie du paysage tandis qu’à Ravenne, il participe directement au Baptême. Est-ce aussi un procédé artistique antique, pourrais-je dire, un héritage païen… ou le dépassement du paganisme ? L’univers est plein des esprits des rivières et des montagnes, de divinités de divers niveaux qui s’inclinent devant leur Créateur et Rédempteur.
André Desnitzky : La foi des Pères à Ravenne

André Desnitzky : La foi des Pères à Ravenne
Parmi d’autres sujets extraordinaires, celui du Bon Pasteur avec ses brebis et un Agneau. Nous ne nous sommes pas habitués à des représentations symboliques et paraboliques du Christ, mais elles sont acceptées. Une image particulièrement forte se trouve près de la sortie du mausolée : c’est la dernière image que l’homme voit avant de quitter ce lieu de recueillement. A la sortie des églises médiévales, on représentait plus souvent le Jugement Dernier pour rappeler notre responsabilité tandis qu’ici on a recours à une autre chose, d’ailleurs non moins importante.

Je voudrais mentionner brièvement une autre représentation du Jugement Dernier sur l’île de Torcello située au nord de la lagune de Venise, bien que ces mosaïques semblent apparaître 600 ans plus tard que celles de Ravenne, époque du Moyen Age tardif. La scène du châtiment des pécheurs y trouve un lieu modeste tandis que les sujets principaux sont consacrés à la rencontre joyeuse par les fidèles du Seigneur Ressuscité : la mer restitue les naufragés et même les bêtes sauvages rapportent les corps humains déchiquetés. Satan se situe tout en bas avec les siens comme un personnage de peu d’importance.

En effet, les mosaïques de Ravenne sont christocentriques, mais y sont représentées des scènes non seulement du Nouveau, mais aussi de l’Ancien Testament. Dans le sanctuaire, le sacrifice d’Abel, Moïse auprès du Buisson ardent ou avec les Tables de la Loi sur la montagne de Sinaï, Abraham en compagnie des trois anges ou prêt à sacrifier son fils Isaac : toutes cela constitue l’histoire de notre salut et nous amène à l’Eucharistie. Un des procédés importants des iconographes de cette époque consiste à conjuguer plusieurs sujets en une seule image car l’histoire sacrée est tout entière présente dans l’Eucharistie.

Dans les mosaïques de Ravenne, tous les sujets sont axés sur le Christ et convergent vers Lui.

Plusieurs saints sont représentés, mais ils ne cachent pas le sanctuaire - au contraire, ils mènent les fidèles au Seigneur : une procession commence à l’entrée et se dirige vers le sanctuaire. Au-dessus de tous – le visage du Sauveur, de ce Bon Pasteur et de l’Agneau qui a été sacrifié pour le salut de chacun d’entre nous. A l’époque de la construction de ces églises, il n’y avait pas encore d’iconostase, mais une simple barrière destinée à marquer les limites et non pas cacher la célébration des yeux des fidèles.

La famille impériale est aussi représentée dans le sanctuaire. Mais en dehors on ne peut pas la voir, elle occupe une place peu importante – juste pour rappeler aux presbytres l’Empire qui a chassé les hérétiques, a repoussé les barbares et a construit cette église. L’Empire est là, mais l’église n’en parle guère plus.

D’ailleurs, on ne peut pas tout raconter sur Ravenne et aucune illustration ne peut transmettre les impressions que l’on y ressent depuis les premières minutes. Tu es comme chez toi, tu le sens. Il y a 1500 ans, le culte et les coutumes étaient différents, les églises ne ressemblent pas aux nôtres, mais c’est le même christianisme, la même Tradition dans laquelle nous avons vu la Vérité.

Ce christianisme était joyeux, solennel, ouvert et libre bien qu’il existait dans un monde agité et affligé. Ce christianisme parle en toute quiétude une langue compréhensible par sa beauté et parle principalement de l’essentiel sans recourir à des accessoires. C’est la foi apostolique, la foi des Pères, la foi orthodoxe, la foi qui a affermi l’Univers.

André Desnitzky : La foi des Pères à Ravenne

André Desnitzky : La foi des Pères à Ravenne
Андрей Десницкий "Вера отцов: Равенна" Pravmir

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 17 Octobre 2013 à 06:15 | 0 commentaire | Permalien



1.Posté par Tchetnik le 10/09/2013 10:05
Il est à noter également que les représentations du Seigneur que l'on peut contempler au Mont Sinai, à Daphni, à Ravennes, à sainte Sophie ou à Cefalu, oeuvres d'artistes Byzantins, reprennent les traits sémites qui figurent sur le Saint-Suaire et qui proviennent de sa redécouverte (avec ou sans le Mandylon, à savoir le vrai « suaire » ou confondu avec) lors d’une inondation à Edesse en 544. La représentation classique avec barbe et cheveux date de là. Auparavant, la représentation sans barbe « à la romaine » était bien plus fréquente.

Pour les Pères de l'Église, on peut en télécharger en français sur:

http://www.patristique.org/

en anglais sur:

http://www.ccel.org/fathers.html

ou consulter la Patrologie de Migne sur:

http://khazarzar.skeptik.net/pgm/PG_Migne/


2.Posté par justine le 17/10/2013 19:49
Représenter des dauphins dans des mosaiques qui illustrent la Création par Dieu et porter l'image d'un dauphin autour du cou à la place de la Croix, ce ne sont pas là deux choses équivalentes. Ne soyons donc pas si irréfléchis.

3.Posté par Vladimir.G le 17/10/2013 21:59
"il n’y avait pas encore d’iconostase, mais une simple barrière destinée à marquer les limites et non pas cacher la célébration des yeux des fidèles."

Je regrette cette simplification du rôle liturgique de l'iconostase dans un texte particulièrement intéressant et de haute tenue: non, l'iconostase n'est pas là pour "cacher la célébration des yeux des fidèles." Elle représente «le voile déchiré de la chair du Christ qui, grâce à son contenu iconographique, n'est pas une séparation, mais au contraire l’union de deux mondes – terrestre et céleste – tout en marquant la délimitation entre eux».
Léonide Ouspensky, "La question de l’iconostase"; « Messager de l’Exarchat du Patriarche Russe en
Europe Occidentale, n° 44, 1963, p. 250 (en russe).


NB: André Desnitzky est docteur ès lettres, diplômé de l'Université de Moscou, chercheur à l'Institut de l'orientalisme de l'Académie des Sciences de Russie, consultant à l'Institut de traduction de la Bible.

4.Posté par Mischa le 17/10/2013 23:47
Господи ! Это так красиво! Всем нужно ехать и смотреть. Был там три раза. Очень советую взять бинокль, потому что огромные своды а там детали мозаики!

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