Archimandrite Sabba (Toutounov): Migration - patrie terrestre et patrie Céleste
L’archimandrite Sabba (Toutounov), responsable adjoint des services administratifs du patriarcat de Moscou

Le père Sabba réfléchit à la manière de maintenir ses liens avec le pays même lorsque l’on réside à l’étranger. Est-ce que la nostalgie de la patrie terrestre peut induire la volonté de rejoindre la patrie Céleste ?

- Souvent les gens se disent que si leurs compatriotes s’exilent à l’étranger, c’est que notre pays est mauvais. On pourrait croire que ceux qui restent vivent dans « un mauvais pays ». Or, la Russie n’est pas le seul pays dont les habitants choisissent de s’établir à l’étranger. Au début des années 90 j’étais en terminale en France et nos enseignants nous parlaient de la fuite des cerveaux vers les Etats-Unis. La Russie ne fait donc pas exception.Faut-il avoir de ces phénomènes migratoires une appréciation d’ordre moral ? Chaque cas est individuel, chaque cas est l’expression d’un destin. Les voies du Seigneur sont impénétrables. Si quelqu’un ne se pose pas en critique lorsqu’il se décide d’aller vivre à l’étranger et ne se justifie pas en disant « tout est terrible en Russie » mais reconnaît qu’il s’en va parce qu’il ne sent pas à l’aise là où il est cela signifie que cette personne opte pour une approche plus responsable.

C’est une minorité qui quitte le pays.

Tôt ou tard nous quittons tous notre foyer et nos parents qui nous élevé. Mais quitter un foyer n’est pas assimilable à partir de son pays. Si vous dites aux vôtres : « Je pars, je romps toutes mes attaches avec vous parce que vous n’êtes pas des personnes vraiment libres », les membres de votre familles se sentiront profondément vexés. Si vous expliquez votre départ par votre désir de vivre de par vous-même, de poursuivre vos études et de trouver un emploi intéressant alors que vos parents vous restent chers, la situation se présente tout à fait différemment. Un départ forcément triste mais tout à fait compréhensible.

Le maintien des contacts est essentiel pour quelqu’un qui part résider à l’étranger.

Vous avez quitté vos parents mais vous pensez à eux et vous en prenez soin. Vos parents ont pris leur retraite et vous les aidez. Ceci peut servir d’analogie. Comment se portent les diasporas les mieux organisées, les Arméniens, les Grecs, les Chypriotes ? Les contacts avec le pays d’origine sont maintenus. Les émigrés viennent en aide à leur pays. Il est difficile d’imaginer un Grec ou un Arménien se mettre à vilipender leur pays. Pays qu’ont, peut-être, quitté leurs ancêtres mais qui leur reste si proche. La vision du régime, des gouvernants peut être critique mais le pays n’en reste pas moins une patrie. Il n’y a pas hostilité entre ceux qui sont partis et ceux qui ont préféré rester.

Or, en Russie cette hostilité est bien présente.

Il y a, bien sûr, une minorité bruyante qui part en s’exclamant « Rien ne va plus en Russie ! » mais qui, une fois à l’étranger, dit en public comme en privé tout le mal du monde de la Russie. Tout cela se déverse sur les sites, qu’ils soient russes ou étrangers.
Il arrive souvent qu’un exilé dont les attentes se sont pleinement réalisées : emploi satisfaisant, revenu agréable, sentiment d’épanouissement, intégration dans le nouvel espace culturel se mette subitement à souffrir de l’éloignement de son pays. La nostalgie est un état qui favorise la prise de conscience du fait que la Russie reste une patrie. Il est difficile de faire marche arrière lorsque la personne est bien installée dans la vie. Mais c’est à ce stade que commence souvent une étape nouvelle : l’émigré s’empresse d’aller dans les centres culturels russes, dans les paroisses. Et cela même si l’église n’était jamais fréquentée avant le départ du pays. Itinéraire vers la patrie céleste via la patrie terrestre.

Les chrétiens n’ont, bien sûr, qu’une patrie, la patrie Céleste.

Or, il faut une maturité pour l’atteindre et c’est l’Eglise qui nous apporte cette maturité, grâce au Corps mystique du Christ. Il ne convient pas d’identifier ou de restreindre l’Eglise ou l’Orthodoxie à des paramètres ethniques. Il serait tout aussi erroné de faire abstraction des traditions nationales et culturelles. En effet, ces traditions sont chères aux cœurs de ceux qui constituent l’Eglise. Si l’Eglise ne prenait pas en compte ces traditions elle risque de s’aliéner ceux qui en font parie.

L’apôtre Paul qui a dit « qu’il n’y a ni Juif, ni Hellène » et dont on dit qu’il est l’apôtre des païens n’a jamais omis de souligner l’amour particulier qu’il portait au peuple juif. Après sa conversion Paul a passé la plus grande partie de sa vie loin de sa Palestine natale, dans des terres païennes, en « émigré » comme nous l’aurions dit maintenant. Pendant tout ce temps, et malgré de nombreux conflits avec eux, il s’est préoccupé des Juifs.

Paul était prêt à souffrir pour eux, fût-ce au prix d’être éloigné de Dieu mais se sacrifiant pour que les Juifs viennent à Jésus : « J’éprouve une grande tristesse et une douleur incessant en mon cœur. Car je souhaiterais d’être moi-même anathème, séparé du Christ, pour mes frères, ceux de ma race selon la chair, eux qui sont Israélites, à qui appartient l’adoption filiale, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses et aussi les patriarches, et de qui le Christ est issu selon la chair, lequel est au-dessus de tout, Dieu béni éternellement ! Amen » (Rm 9, 2-5).

"Neskoutchny Sad" Aрхимандрит САВВА (ТУТУНОВ): Эмиграция: отечество земное и небесное

Traduction Nikita Krivocheine
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"PO" L'higoumène Sabba (Toutounov): Pourquoi restructurer l'Eglise russe?
Un nouveau livre de l’higoumène Sabba (Toutounov) : « Les réformes diocésaines »

Ce qui a été écrit il y a 90 ans est toujours d’actualité : A l’occasion du 100ème anniversaire du Concile Local de l’Eglise Orthodoxe Russe de 1917 – 1918

Rédigé par Parlons d'orthodoxie le 31 Octobre 2012 à 20:44 | 1 commentaire | Permalien



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