Archiprêtre André Novikov:  A quoi conduit « le papisme oriental »
Voici un article important signé par un théologien connu, spécialiste de la question de la primauté au sein de l'Église orthodoxe universelle
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La politique du « papisme oriental » systématiquement menée par le patriarcat de Constantinople a essuyé ces dernières semaines deux graves revers. Le prestige du Phanar ainsi que les relations interorthodoxes en ont pâti. Un troisième échec paraît inévitable si les Phanariotes persistent dans la mise en œuvre de leur idéologie.

Premier revers : le patriarcat de Constantinople décide, à la grande surprise des orthodoxes, de faire revenir à l’état laïc et de déchoir de son rang l’évêque Basile (Osborne). Tout récemment il avait provoqué une scission au sein du diocèse de Sourozh, patriarcat de Moscou, en Grande-Bretagne. En dépit du droit canon l’évêque Basile avait rompu avec l’Eglise russe et été reçu à bras ouvert par le Phanar. Par la suite une sorte de compromis avait été trouvé : rétrospectivement l’évêque transfuge a formulé une demande de lettre dimissoriale à laquelle le patriarcat de Moscou a accédé levant l’interdit dont Mgr Basile avait été frappé. Ces concessions avaient été faites pour maintenir la paix au sein de l’Eglise.

Quoi qu’il en soit il s’agissait bien d'un schisme qui avait été soutenu sans réserve par le Phanar dans l’esprit de ses revendications papistes à exercer les pleins pouvoirs au sein de la diaspora orthodoxe. Malgré cet arrangement formel les nouveaux Phanariotes londoniens sont restés en belligérance à l’encontre de leur Eglise Mère. Le groupe peu nombreux qui avait suivi Basile Osborne a poursuivi la bataille judiciaire. Les tribunaux britanniques les ont déboutés de leurs prétentions à se voir reconnaître propriétaires de la cathédrale de l’Assomption à Londres qui avait toujours appartenu au patriarcat de Moscou. A la suite de ces échecs Osborne et les siens sont allés jusqu’à dire que la justice de Sa Majesté était partiale et acquise à la Russie laissant même entendre qu’il y avait eu concussion et chantage émanant de Moscou. Les juges britanniques n’étant, en bref, que des agents du régime poutinien. Pour ceux qui connaissent l’attitude des autorités britanniques à l’égard de la Russie et l’authentique indépendance de la justice anglaise tout ceci relève de la pure hystérie…

Quelles sont donc les raison qui incitent le patriarcat de Constantinople à adopter des sanctions aussi strictes à l’égard d’un évêque qui a rendu à la politique du « papisme oriental » des services aussi éminents ? Il a été officiellement précisé qu’il s’agissait de satisfaire le souhait de cet évêque « exemplaire » qui avait décidé alors qu’il allait sur ses quatre-vingt ans de connaître les joies de la vie en famille en se mariant, en répudiant ses vœux et en renonçant à la prêtrise. Il n’y pas là matière à malveillance : il s’agit d’une réelle tragédie personnelle. Mais qui est en réalité le héros de cette tragédie ? Basile Osborne a été plus que virulent dans la campagne polémique qu’il a conduite contre l’Eglise orthodoxe russe, la presse russophobe prophanariote y compris en Russie l’avait porté aux nues : Osborne, disaient ces journaux, serait le fidèle continuateur de l’œuvre du métropolite Antoine (Bloom), le père fondateur de l’orthodoxie britannique, un hiérarque d’une spiritualité élevée. Le patriarcat de Moscou ne le méritait pas! L’appareil « brutal et froid » de l’Eglise orthodoxe russe aurait écrasé ce trésor inappréciable de l’esprit. La patience de ce « vaillant combattant contre le totalitarisme moscoutaire » aurait cédé à l’afflux d’immigrés orthodoxes russes en Grande-Bretagne et leur irruption dans le petit mode anglicisé du diocèse de Sourozh…

Ces Russes fraichement débarqués avaient l’impudence d’exiger de participer aux sacrements, à la vie de la communauté. Osborne et ses partisans n’étaient pas disposés à accepter ce « diktat » ! Mais est-ce que le microcosme cher à Osborne correspondait aux principes fondateurs du diocèse de Sourozh, ceux de la mission orthodoxe ? A l’époque du métropolite Antoine le troupeau orthodoxe russe avait volontiers accepté nombre de britanniques de souche sans craindre de voir se diluer la tradition.

Il n’existe pas de « chapelles à part » au sein de l’Eglise du Christ, l’Orthodoxie est universelle, elle est ouverte à tous sans exception. Il n’y a pas en Orthodoxie de place pour mettre y isoler « les vieux, ou les nouveaux arrivés ». Les motivations de Basile Osborne n’étaient pas exclusivement d’ordre idéologique.

Il peut arriver à chacun de vouloir se marier, nous n’avons pas à juger. L’Eglise a prévu une procédure de réduction à l’état laïc pour les prêtres qui souhaitent conclure un deuxième mariage. Mais comment ne pas observer qu’un évêque qui à l’âge de 72 ans renonce pour se marier à ses vœux monastiques et à sa prêtrise n’est pas chose courante. Nous ne sommes pas là dans le monachisme bouddhiste, souvent temporaire.

Que dire dans ces circonstances du patriarcat de Constantinople ? Fermant les yeux sur tous les faux pas d’Osborne le Phanar en faisait le porte drapeau dans la lutte qu’il mène pour conquérir le pouvoir au sein de l’Eglise. Le patriarcat œcuménique peut-il continuer à dire que l’itinéraire d’Osborne est celui que devrait suivre l’Orthodoxie en diaspora ?

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Deuxième revers : le grave conflit qui a éclaté entre Constantinople et l’Eglise de Grèce.

Conflit dans lequel s’est impliqué l’Etat Hellène. L’ex métropolite Panteleimon d’Attique destitué de son rang par son Eglise et emprisonné pour prévarications financières et comportement amoral a interjeté appel auprès du patriarche Bartholomé. Celui-ci répondit à ce recours par une lettre adressée au primat de l’Eglise de Grèce, l’archevêque d’Athènes Hiéronyme. Dans cette lettre le patriarche exigeait de réexaminer certaines des procédures judiciaires appliquées dans le dossier du métropolite Panteilemon. L’archevêque d’Athènes exprima sa stupéfaction. Ce à la suite de quoi Constantinople s’ingéra grossièrement dans les affaires intérieures de l’Eglise de Grèce en ajournant arbitrairement l’élection des métropolites des diocèses nouvellement formés de Kifissia et d’Ilia (à la suite de la division du diocèse d’Attique à la tête duquel se trouvait Panteleimon), ceci jusqu’à la révision de l’affaire Panteleimon.

Les Églises de Constantinople et de Grèce sont des Églises autocéphales sœurs. Elles sont indépendantes l’une de l’autre pour tout ce qui concerne leurs affaires intérieures, leur administration ainsi que leur justice ecclésiale. Selon la doctrine du « papisme oriental » que Constantinople cherche à imposer au monde orthodoxe le Phanar s’arroge cependant des droits et des pouvoirs supra autocéphaliques. Le Phanar s’accorde ainsi le droit d’examiner des recours à l’égard des décisions de leur hiérarchie émanant des clercs appartenant à d’autres Églises orthodoxes. Le patriarche de Constantinople estime disposer de pouvoirs judiciaires suprêmes par rapport à l’ensemble des Églises autocéphales. Il agit en conséquence dans la logique de cette doctrine en acceptant d’examiner des recours, en prononçant des verdicts et en décrètant des mesures disciplinaires en cas de non application de ses décisions (séquestre de biens, etc.).

Il est évident que cette doctrine est en violation flagrante avec le droit canon en vigueur au sein de l’Eglise orthodoxe. Rappelons que jusqu’à des temps récents le primat de l’Eglise grecque s’était montré être un allié fidèle du patriarcat de Constantinople. Il déclarait admettre le bien fondé de certains droits spécifiques que s’arroge le Phanar. L’archevêque d’Athènes a accompagné le patriarche Bartholomé lors de sa visite en Ukraine à l’époque Youchtchenko, visite peu amicale à l’égard de l’Eglise russe pour le moins que l’on puisse dire. L’archevêque Hiéronyme a ouvertement déclaré ne pas vouloir s’en tenir à l’attitude de son prédécesseur l’archevêque Christodoulos, un grand ami de l’Eglise orthodoxe russe, fidèle aux saints canons. Hiéronyme souhaitait s’orienter sur le Phanar. Aussi, il a reconnu la primauté du patriarche de Constantinople sur l’Eglise Hellène. Tout ceci cadrait bien avec des menées géopolitiques antirusses qui étaient inspirées de l’étranger. Mais lorsque le Phanar est passé de la parole aux actes pour appliquer à l’église grecque les principes du « papisme oriental » cela ne s’est pas trouvé du goût de l’archevêque Hiéronyme et des autres évêques grecs. Des sources proches du gouvernement grec ont indiqué que les relations entre Hiéronyme et le patriarche Bartholomé étaient devenues très tendues. Un article récent qui n’a pas pu paraître sans l’assentiment de l’archevêque Hiéronyme disait : « Le patriarche Bartholomé trouble le peuple grec et son Eglise. En ces temps difficiles notre patriarche œcuménique pense à élargir sa « souveraineté ecclésiale » aux dépens de l’autocéphalie de l’Eglise de Grèce. Il vient vers nous non en père mais en conquérant. Il cherche à limiter notre intégralité ecclésiale, le patriarche souhaite faire ressortir de sa juridiction le dossier de notre frère archevêque condamné pour malversations financières. Il exacerbe la situation pour que ne soit pas ignoré sa volonté de pouvoir examiner des recours…

Que périssent des milliers d’âmes induites en tentation pourvu que le patriarcat de Constantinople ne soit pas privé de ses droits… L’action du patriarche a conduit à la formation d’une cinquième colonne consistant d’évêques hellènes. Des considérations de carrière les ont amenés à prendre « le parti de Constantinople ».

Le gouvernement grec a du intervenir dans le conflit. Son prestige commençait à souffrir des actions agressives de Bartholomé. Les relations se dégradèrent à un tel point que ce n’est pas le ministre grec des affaires étrangères qui, selon la tradition, représentait son pays à la réception solennelle offerte par le Phanar le jour de la fête du Triomphe de l’orthodoxie mais le consul de Grèce à Istanbul ! Cela en dit long, compte tenu du poids de la Grèce dans le soutien international dont bénéficie le Phanar, de la chute de son prestige.

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Il est possible que le patriarcat de Constantinople doive s’attendre à de nouveaux désagréments.

Il est, en effet, probable que l’Eglise de Bulgarie entre en conflit avec Constantinople. Le métropolite Siméon, (exarchat de l’Eglise bulgare en Europe de l’Ouest) ainsi que la majorité des clercs de cet exarchat ont refusé de se soumettre à une décision du synode de leur Eglise de démettre Mgr Siméon de ses fonctions d’exarche. La presque totalité des paroisses bulgares en Europe Occidentale soutiennent Mgr Siméon. Ce sont ces recteurs, guidés par le métropolite Siméon, qui sont entrés en pourparlers avec la chancellerie du patriarche Bartholomé en vue de transiter sous l’omophore de Constantinople. Le synode de l’Eglise bulgare les menace explicitement de ces prêtres de les interdire. A quoi faut-il s’attendre de la part du patriarche Bartholomé ? Le déplorable précédent Osborne montre que des « vétilles » telles que la juridiction canonique, les lettres dimissoriales ou, tout simplement, le statut canonique des transfuges intéressent peu le Phanar. Le fait même d’entrer en négociations avec le clergé d’une autre Eglise locale par-dessus la tête de sa hiérarchie, l’éventualité d’accepter en son sein des clercs de cette Eglise est la preuve d’un mépris total à l’égard des saints canons. C’est, tout simplement, un scandale ! C’est la manifestation d’une ignorance complète des droits à l’autocéphalie de l’Eglise bulgare.

Quelles seront les conclusions que la hiérarchie de Constantinople pourrait tirer des scandales de ces derniers temps ? Le Phanar s’est retrouvé isolé du monde orthodoxe. Il a gagné la réputation de défenseur de ceux qui brisent leurs vœux monacaux et abdiquent leur prêtrise, des voleurs et des dépravés. Constantinople prendra-t-il conscience de ce que tout cela est la conséquence logique de la politique de « papisme oriental » ? «La main de Moscou » n’est en rien impliquée dans les trois épisodes décrits plus haut…

L’unique issue de cette situation dans laquelle il s’est placé soi même serait pour Constantinople de renoncer à la conception du « papisme oriental » qui contredit l’esprit de l’Evangile et l’enseignement de l’Eglise du Christ, de revenir à une coopération fraternelle avec la famille des Églises orthodoxes locales, cela pour le plus grand bien du témoignage et de la mission orthodoxes dans le monde hétérodoxe.

Traduction abrégée « Parlons d’orthodoxie »

L’auteur est membre de la Commission théologique du Saint-Synode de l’Eglise orthodoxe russe, il fait partie du groupe de travail en charge d’étudier le problème de la primauté au sein de l’Eglise Universelle.

Rédigé par l'équipe de rédaction le 20 Mars 2010 à 21:38 | 17 commentaires | Permalien



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