Article du père Michel Polsky, écrit en 1952: Aperçu de la situation de l’Exarchat russe dans la juridiction œcuménique (1)
Texte inédit traduit pour PO par Marie Genko

Aperçu de la situation de l’Exarchat russe dans la juridiction œcuménique Holy Trinity monastery Jordanville USA

Le diocèse russe en Europe occidentale, à présent exarchat du patriarcat œcuménique de Constantinople, est composé des anciennes et des nouvelles paroisses et églises des exilés russes et il faisait partie du corps de l’Eglise de Russie jusqu’en 1931 lorsqu’il se soumit au patriarcat œcuménique.

L’archevêque Eloge fut nommé le 2 octobre 1920 à la tête des églises russes d’Europe occidentale de façon provisoire. Cela fut une décision de la Haute administration ecclésiale, formée en 1919 et qui se trouvait au sud de la Russie en raison de la guerre civile et à cause de la séparation d’une partie des diocèses du centre de l’Eglise.

Le 26 mars 1921, le synode patriarcal de Moscou déclara par décret qu’il reconnaissait l’archevêque Eloge dans cette fonction « en vertu de la décision de la haute instance dirigeante de l’Eglise à l’étranger » Ces églises d’Europe occidentale étaient auparavant gérées par le métropolite de Petrograd

Le 30 janvier 1922, le même synode éleva l’archevêque Eloge à la dignité de métropolite; ce décret fut accompagné des paroles suivantes : « à votre attention…en vertu de votre position importante en tant que responsable des églises russes d’Europe occidentale»

A la fin de la réunion du synode de la haute administration ecclésiale en mai 1922, le patriarcat de Moscou confia l’administration temporaire des paroisses russes à l’étranger au métropolite Eloge (Décret N°348 du 5 mai 1922) alors qu’il était membre de cette assemblée constitutive à l’étranger depuis le jour de sa fondation en ce lieu. Le métropolite Eloge, en accord avec tous les prélats, refusa fermement (déclaration du 8 août 1922) la charge de l’administration de toutes les églises à l’étranger et entra à nouveau en tant que membre dans la nouvelle organisation du synode des hiérarques. Toutefois le sens propre de ce décret, concernant un changement dans l’organisation de l’administration à l’étranger, restait immuablement le même pour tous les hiérarques : La composante de l’Eglise russe à l’étranger ne pouvait être, et restait toujours inchangée, uniquement dans la juridiction de l’Eglise de Russie et la nomination du métropolite Eloge par le centre de l’Eglise russe en était une confirmation. Le métropolite Eloge lui-même le comprenait ainsi.

Le Concile de toute l’Eglise de Russie du 7 décembre 1917, décida de répartir tous les diocèses de l’Eglise Orthodoxe de Russie en cinq groupes, à la fin de pouvoir convoquer les hiérarques représentants leurs diocèses dans la composition du Saint Synode du patriarcat. Le cinquième groupe comprenait aussi le diocèse d’Amérique du Nord avec les missions du Japon, de la Chine, d’Ourmi.

En conséquence, les représentants des diocèses et des missions à l’étranger prenaient part à la plus haute administration de l’Eglise au même rang que tous les diocèses sans aucune différenciation. Et jamais ne se posa la question de transmettre les églises à l’étranger à qui que cela soit, comme par exemple au patriarcat de Constantinople.

Le patriarcat de Constantinople décréta le 5 avril 1922 la création de son Exarchat en Europe occidentale. Par les lettres de créance de mars et avril 1923 et juin 1924, il nomma à la tête de la chaire de Londres le métropolite Germanos Fiatirski et il déclara non canonique le métropolite des églises russes d’Europe occidentales, celui-ci n’ayant pas le droit d’administrer ces églises.

Le patriarche de Constantinople déclara que l’Eglise de Russie n’a pas le droit d’administrer quelque église que cela soit en dehors du territoire de son Etat. Et que par conséquent toutes ces Missions et diocèses à l’étranger (c'est-à-dire le Japon, la Chine, l’Amérique et les autres) doivent se soumettre au patriarcat œcuménique.

Sa Sainteté le Patriarche Tikhon en 1923 et 1924 protesta contre la violation des droits de l’Eglise de Russie par le patriarcat de Constantinople en Finlande et en Pologne et à l’encontre des représentants de l’Eglise russe à l’étranger. Le synode des hiérarques russes par une succession de lettres contesta les prétentions du patriarcat œcuménique en Europe. Le métropolite Eloge rejetait lui aussi ces prétentions à l’unisson avec le synode des hiérarques russes et en 1926 (dans une lettre en date du 18 mai, adressée au patriarche Dionisio) il écrivit (qu’un acte d’interférence dans les affaires intérieures de l’Eglise autocéphale de Russie par le patriarcat de Constantinople ne pouvait canoniquement se justifier).

En conséquence toute l’organisation de l’Eglise et la soumission de son organe de gestion canonique excluait complètement la possibilité du départ d’un diocèse hors de la juridiction de son Eglise de Russie et une telle défection ne pouvait apparaître qu’en conséquence d’un acte arbitraire, ou non réglementaire de séparatisme schismatique, un acte rompant l’unité de sa propre église.

Voilà quelle était la situation au moment de la fondation de l’archevêché.

A la suite de ses sollicitations pour élargir ses droits, le métropolite Eloge, le 16/29 juin 1926, rompit démonstrativement ses liens avec le concile des hiérarques à l’étranger, ce qui entraîna son interdiction.

Durant une année son diocèse et lui-même existèrent sans aucune autorité supérieure, déclarant qu’ils détenaient des droits particuliers. Droits auxquels le métropolite Eloge avait renoncé quatre années auparavant.

Enfin la confirmation de ces droits parvint au métropolite Eloge en 1927 en provenance du patriarcat soumis au pouvoir soviétique (décret N°93 du 14 juillet) Son administration ne s’étendait pas au-delà de son ancien diocèse. Enfin à cause d’une insoumission de sa part aux directives bolcheviques, transmises par l’entremise du patriarcat de Moscou, le métropolite Eloge fut privé de son droit d’administrateur (30 juin 1930) et interdit de célébrations (24 décembre 1930).

La justesse du chemin choisi par le synode et le conseil des Hiérarques à l’étranger, qui conservaient leur auto administration et leur indépendance par rapport à l’église entravée du patriarcat de Moscou, était à nouveau démontrée.

Le métropolite Eloge ne revint pas vers le synode. Il s’enfuit de ces deux structures ecclésiales dans lesquelles il avait été interdit. C’étaient pourtant les deux structures ecclésiales, reconnues par lui, et auxquelles il s’était volontairement soumis.

Ainsi, il quitta librement sa propre Eglise.

Le patriarche de Constantinople, en dépit de toutes les règles de l’Eglise, (par le décret du 18 février 1931) reçut dans sa structure ecclésiale un métropolite interdit.

De cette façon le métropolite Eloge, en la personne duquel étaient confirmés les droits de l’Eglise russe à l’étranger, trahit et ses propres convictions et la décision du pouvoir de notre Eglise russe et il trahit également les principes du Concile de Russie de 1917 concernant la partie de l’Eglise russe à l’étranger lorsqu’il se soumit au patriarcat de Constantinople en 1931.

Ce diocèse russe s’appela désormais Exarchat du patriarche œcuménique (titre de Constantinople). Comme dans le Passé, ce fut le synode des hiérarques, qui resta fidèle à l’Eglise russe et fut-ecclésiale, formée en 1919 et se trouvant au sud de la Russie en raison de la guerre civile et de la séparation d’une partie des diocèses du centre de l’Eglise, nomma le 2 octobre 1920 le défenseur des ses Biens à l’étranger.

Cependant cette démarche manifestement arbitraire ne fut pas considérée comme une enfreinte aux lois. Des deux côtés, autant le métropolite Eloge que le patriarche de Constantinople, déclarèrent officiellement et avec fermeté en 1931 que ce détachement du diocèse de l’église russe et son union à Constantinople était une mesure provisoire.

La preuve de ce fait fut, que le métropolite Eloge accepta comme une vérité le mirage d’une Eglise russe libérée, et qu’il revint dans le sein du patriarcat de Moscou. Et fut accepté par celui-ci le 11 septembre 1945.

Mais comme il ne demanda pas le consentement du patriarche de Constantinople pour quitter son patriarcat. On peut dire qu’il resta toute une année (jusqu’à sa mort le 8 avril 1946) à la fois dans deux juridictions, celle de Moscou et celle de Constantinople, en qualité d’exarque des deux Eglises.

Dans quelques jours vous pouvez suivre 2eme partie

Nous avons publier beaucoup "Les nouveaux martyrs de la terre russe" éditions Résiac, archiprêtre Michel Polsky, 1976

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 11 Décembre 2019 à 09:12 | 1 commentaire | Permalien


Commentaires

1.Posté par Alexandre le 17/12/2019 13:11
Mieux vaut tard que jamais !

L’article du Père Polsky traduit par M Genko vient éclairer une situation oubliée depuis longtemps. L’Archevêché (du temps de Constantinople) a toujours présenté sur son site la vulgate selon laquelle Mgr Euloge aurait reçu directement du Patriarche Tikhon la bénédiction pour conduire les paroisses russes occidentales, alors que les Mémoires de Mgr Euloge eux-mêmes précisent bien que Mgr Tikhon ne faisait que confirmer la décision de Mgr Antoine Khrapovitsky de le nommer à la tête du diocèse d’Europe occidentale !

L’interdiction de Mgr Euloge par l’EORHF en 1926 et sa volonté de créer sa propre Église sont un fait historique, et l’on voit mal qui pourrait le contester.

Sur le site de l’Archevêché on peut toujours lire l’article du Père Schmemann de 1948 (où il traite le Père Polsky par le mépris), dont le seul argument pour contester la validité de l’EORHF était celui du sinistre franc-maçon Métaxakis : "point d’Église sans territoire", comme si l’orthodoxie mondiale en 1922 (ce que rappelle Mgr Jean de Changaï de bienheureuse mémoire) n’avait pas reconnu la pleine canonicité de l’EORHF à la suite de Mgr Dorothée de Constantinople, et comme si le 6ème Concile Œcuménique n’avait pas prévu la fuite provisoire à l’étranger pour échapper aux infidèles !
Pourquoi s’en étonner sachant que les idées de la franc-maçonnerie se sont installées sur le trône Œcuménique depuis les années 1920, avec notamment la recommandation du patriarche Grégoire VII, en 1924, de ne plus commémorer Mgr Tikhon mais de commémorer l’Église vivante soutenue par les bolcheviks ? Hélas l’Institut Saint Serge avait occulté depuis longtemps certaines vérités et il est fort bon de s’en souvenir.

2.Posté par Marie Genko le 19/12/2019 09:48
@Alexandre,

La vérité finit toujours par revenir à la surface.
Toutefois ne ranimons pas les vielles querelles, oublions les démarches dictées par l'orgueil et gardons en mémoire l'immense travail accompli par l'Archevêché pour faire connaître l'Orthodoxie sur les terres d'Occident.
Par la Grâce de Dieu notre diocèse est revenu à la place qui est la sienne.
Louons Dieu et remercions Le pour Ses bienfaits !

3.Posté par Alexandre le 20/12/2019 13:22
Je suis en parfait accord avec Marie Genko pour ne garder du passé que ce qui peut concourir à la gloire et au développement de l’orthodoxie en Occident, sauf que ma remarque concerne non seulement le passé mais le présent et l’avenir proche. Concernant un proche passé : 1965, lorsque le patriarche Athénagoras, se pliant aux pressions d’une Eglise de Moscou encore asservie, accepte de retirer son omophore à l’Archevêché et de le renvoyer à ses origines, ce dernier aurait pu s’en souvenir en se disant que si le Trône Œcuménique l’avait fait une fois il pouvait le refaire une deuxième fois, et en 2018 l’Archevêché a été prié de se désintégrer pour se fondre dans les différentes métropoles européennes de Constantinople. Le véritable lien entre l’Archevêché et Constantinople a longtemps été ailleurs : dans cet œcuménisme qui fut la marque de fabrique de l’Institut Saint-Serge, au même moment où le modernisme saisissait le siège de Constantinople. Loin de vouloir évoquer ici des questions qui fâchent, je voudrais dire que « l'immense travail accompli par l'Archevêché pour faire connaître l'Orthodoxie sur les terres d'Occident » a peut-être surtout été une présentation tendancieuse de l’Orthodoxie.

En effet, alors que l’Eglise orthodoxe a toujours condamné les hérésies romaines (condamnation par le patriarche Michel Cérulaire au 11ème, par les sièges de Moscou et Constantinople au 15ème, par le Concile de 1583, réunissant notamment Constantinople, Alexandrie et Jérusalem, et pour finir par la fameuse Encyclique des patriarches orientaux de 1848), l’Ecole de Paris, elle, s’appuyant sur Soloviev, Kartachev, Boulgakoff, a décidé de dire exactement le contraire !? La position de Moscou sur l’œcuménisme est-elle la même que celle de Constantinople ? Pas du tout : si l’Eglise russe asservie est entrée au COE en 1961 pour les besoins de la diplomatie soviétique, le patriarcat de Moscou prend ses distances aujourd’hui avec le mouvement œcuménique, qui clairement n’appartient pas à l’ADN du peuple russe.

4.Posté par Marie Genko le 20/12/2019 18:15
Je ne pensais pas que je verrais de mon vivant le retour de l'Archevêché des église russes d'Europe occidentale dans le giron de son Eglise mère. Et pourtant ce miracle a eu lieu.
Nous ne connaissons pas le dessein du Seigneur et tout miracle Lui est possible, même le retour des Catholiques vers l'Orthodoxie.

Il y a une différence entre souhaiter ce miracle de l'union de tous les chrétiens revenus à leur Orthodoxie première et un œcuménisme selon la pensée protestante parlant des branches chrétiennes d'un seul et même arbre.
Je me permets de vous conseiller de lire ce qu'écrit Mgr Luc à propos des schismatiques et des hérétiques. Les images qu'il emploie à juste raison nous enlèvent toute envie de nous unir au poison de l'Hérésie.

https://orthodoxologie.blogspot.com/2019/12/le-metropolite-ukrainien-luc-sadresse.html

Très amicalement à vous
En Christ Marie

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