Justine

Tel est donc l'origine véritable du Grand Carême et non pas, comme certains ont écrit, la préparation des catéchumènes au baptême.

Le Saint et Grand Carême des sept semaines avant Pâques fut institué par les Apôtres. C'est ce dont témoignent les écrits de nombreux Saints Pères, notamment Saint Jérôme au 4e siècle, dans son Epître 41 à Marc, no 3 (ed. Labourt, tome 2, p. 88), St Léon au 5e siècle, dans son Sermon VI sur le Carême, 2 (SC 49, p. 57), et St Dorothée de Gaza au 6e siècle, dans ses "Oeuvres spirituelles" (SC 92). (1) Dans la XVe Instruction; au chapitre 159 de ce livre, écrit donc vers 550-560, nous lisons:

"Dans la Loi, Dieu avait prescrit aux fils d'Israël d'offrir chaque année la dîme de tous leurs biens (cf. Nombres 18). Ce faisant, ils étaient bénis en toutes leurs œuvres. Les saints Apôtres, qui le savaient, décidèrent, pour procurer à nos âmes un secours bienfaisant, de nous transmettre ce précepte sous une forme plus excellente et plus élevée, à savoir l'offrande de la dîme des jours mêmes de notre vie, autrement dit leur consécration à Dieu, afin d'être, nous aussi, bénis dans nos œuvres et d'expier chaque année les fautes de l'année entière.

Ayant fait le calcul, ils sanctifièrent pour nous, parmi les 365 jours de l'année, les sept semaines de jeûne. Car ils n'assignèrent au jeûne que sept semaines. Ce sont les Pères qui, par la suite, convinrent d'ajouter une autre semaine, à la fois pour exercer à l'avance et comme pour disposer ceux qui vont se livrer au labeur du jeûne, et pour honorer ces jeûnes par le chiffre de la sainte Quarantaine que Notre-Seigneur passa Lui-même dans le jeûne.

Car les huit semaines font quarante jours, si l'on en retire les samedis et les dimanches, le jeûne du Samedi Saint excepté, celui-ci étant sacré entre tous et l'unique jeûne du samedi dans l'année. Or, les sept semaines sans les samedis et les dimanches font 35 jours. En ajoutant à ceux-ci le jeûne du Samedi Saint et celui de la moitié que constitue la nuit glorieuse et lumineuse [de la Résurrection], on obtient trente six jours et demi, ce qui est très exactement la dixième partie des 365 jours de l'année. Car le dixième de trois cents, c'est trente; le dixième de soixante, six; et le dixième de cinq, un demi – ce qui fait trente-six jours et demi, comme nous le disions. C'est pour ainsi dire, la dîme de toute l'année que les saints Apôtres ont consacrée à la pénitence, pour purifier les fautes de l'année entière." (op. cit., Instruction XV, chap. 159, p. 447-449)

Tel est donc l'origine véritable du Grand Carême et non pas, comme certains ont écrit, la préparation des catéchumènes au baptême. Cette préparation était bien sûr insérée dans le Carême, comme le montrent les catéchèses de Saint Cyrille de Jérusalem (4e siècle), ce qui était naturel, puisque le caractère fondamentalement pénitentiel du Carême s'accorde avec le repentir du catéchumène qui laisse derrière lui sa vie ancienne loin de Dieu et s'apprête à être incorporée au Saint Corps du Christ. Ce caractère pénitentiel dès les premiers siècles est illustré également par la coutume des grands anciens de Palestine (St Euthyme, St Gérasime, Saint Sabas et les autres) de se retirer dans la solitude du désert profond pendant la période du Grand Carême et s'y adonner, selon l'exemple donné par le Seigneur Lui-même, aux plus grandes austérités, pour ne revenir auprès de leurs frères que le samedi de Lazare et célébrer tous ensemble la Semaine Sainte et la Résurrection.

"Heureux donc, frères", poursuit Saint Dorothée, "celui qui, en ces jours saints, se garde bien, et comme il convient. Car s'il lui est arrivé, comme homme, de pécher par faiblesse ou par négligence, Dieu a précisément donné ces saints jours pour qu'en s'occupant soigneusement de son amé avec vigilance et humilité, et en faisant pénitence pendant cette période, il soit purifié des péchés de toute l'année. Alors son âme est soulagée de son fardeau, il s'approche avec pureté du Saint Jour de la Résurrection et, devenu un homme nouveau par la pénitence de ces saints jeûnes, il participe aux saints Mystères sans encourir de condamnation, il demeure dans la joie et l'allégresse spirituelle, célébrant avec Dieu toute la sainte Cinquantaine [Πεντηκοστήν, c'est à dire les 50 jours de Pâque à la Pentecôte]. Car la Cinquantaine est, comme on dit, la résurrection de l'âme, et c'est pour marquer cela que nous ne fléchissons pas le genou à l'église durant toute la Cinquantaine." (loc.cit., chap.160, p. 449)

Plus loin, Saint Dorothée énumère ce en quoi consiste cette purification des péchés: tout d'abord, évidemment, en évitant l'indiscrétion dans la nourriture, "laquelle, selon les Pères, engendre tout mal en l'homme". Mais à part cela, "il faut éviter pareillement tout autre péché et jeûner aussi bien de la langue et du ventre, en nous abstenant de la médisance, du mensonge, du bavardage, des injures, de la colère, en un mot de toute faute qui se commet par la langue. Il nous faut également pratiquer le jeûne des yeux en ne regardant pas de choses vaines, en évitant l'effronterie de la vue, en ne dévisageant personne impudemment. Il faut interdire de même aux mains et aux pieds toute action mauvaise. Pratiquant ainsi un jeûne recevable, comme dit Saint Basile, en nous abstenant de tout mal qui se commet par chacun de nos sens, nous approcherons du saint jour de la Résurrection renouvelés, purifiés et dignes de participer aux Saints Mystères, comme nous l'avons dit déjà. Nous sortirons d'abord à la rencontre de Notre Seigneur et nous L'accueillerons avec des palmes et des rameaux d'olivier, tandis qu'assis sur un ânon, Il fera son entrée dans la Cité sainte."

"Assis sur un ânon, qu'est-ce à dire? Le Seigneur s'assied sur un ânon afin de faire revenir l'amé, devenue, selon le prophète, (Ps 48,21), stupide et semblable aux animaux sans raison, afin que Lui, le Verbe de Dieu, la soumette à Sa Divinité. Et que signifie 'aller à Sa rencontre avec des palmes et des rameaux d'olivier'? Lorsque quelqu'un est allé guerroyer contre son ennemi et revient victorieux, tous les siens vont à sa rencontre avec des palmes pour l'accueillir en vainqueur.... Nous irons donc nous aussi à la rencontre du Christ Notre Seigneur avec des palmes, comme au-devant d'un vainqueur, puisqu'Il a vaincu l'ennemi pour nous, et avec des rameaux d'olivier pour implorer Sa miséricorde, afin que, comme Il a vaincu pour nous, nous soyons, nous aussi, en L'implorant, victorieux par Lui et porteurs de Ses emblèmes de victoire, non seulement de la victoire que Lui a gagnée pour nous, mais aussi de celle que nous-mêmes nous aurons gagnée grâce à Lui, par les prières de tous les Saints. Amen." (ibid., chap. 164-165, pp. 455-457)

(1) Que dans certains endroits on ait suivi des règles divergentes ne change rien au fait que c'était là le sens et la règle du Carême en Terre Sainte, centre spirituel du monde chrétien ancien et berceau de notre vie liturgique orthodoxe.





Rédigé par Justine le 18 Mars 2014 à 09:36 | 0 commentaire | Permalien


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