Carol SABA : LIBAN, 2ème lettre ouverte à Emmanuel Macron
LIBAN : 2ème lettre ouverte à l’occasion du 2ème voyage d’Emmanuel Macron au Liban qui commence lundi soir. Une lecture de la situation contextuelle actuelle et des raisons d’espérer. Cet article est un ensemble composé de la lettre elle-même plus et de trois annexes qui constituent une analyse de fond.

Par Carol SABA, Avocat franco-libanais au Barreau de Paris et de Beyrouth, Vice-président de la Commission internationale « Paris-Beyrouth » de l’Ordre des Avocats de Paris, Responsable de la Communication de l’Assemblée des Evêques Orthodoxes de France, écrivain et chroniqueur (Il s’exprime ici en son nom personnel)

« Oui, M Macron, Ecoutez FAYROUZ ! Elle vous dira ce qu’est vraiment le Liban ! Mais de grâce, M le Président, ne soyez pas contaminé par nos politiciens ! »

« Monsieur le Président. Je vous fais une lettre, Que vous lirez peut-être, Si vous avez le temps ». Sans être « déserteur », j’emprunte à Boris VIAN, ces paroles pour vous adresser un salut républicain franco-libanais et pour vous parler du LIBAN.

Cette lettre ouverte, à la veille de votre voyage à Beyrouth, n’a d’autres ambitions que de rappeler l’essentiel de certains CONSTATS de la situation de crise libanaise, complexe et dramatique, et à formuler des PROPOSITIONS qui seraient nécessaires pour aider les libanais à s’en sortir, par le haut.

« Vers l’Orient compliqué, je m’envole avec des idées simples ». La formule célèbre du Général de Gaulle en 1941, à la veille de son voyage en Orient, est un paradigme de volontarisme politique. Aujourd’hui, vous semblez emboiter le pas, M. le Président, à votre célébrissime prédécesseur, non sans détermination ni courage, en vous rendant au Liban, ce 1er septembre 2020, à un moment crucial et dramatique de la vie politique et sociétale de cette nation fière et aimante.

Cette visite devait répondre à l’invitation, plus ancienne, des autorités libanaises, pour venir participer aux festivités commémoratives du 100ème anniversaire de la déclaration du « Grand Liban » par un des grands commis de la France, le Général Henri GOURAUD, « un chef et un homme de caractère », disait de lui son maître dans l’art de la guerre, le Maréchal Lyautey. Mais c’était sans compter sur l’explosion criminelle du 4 août dernier au vieux port de Beyrouth qui a bouleversé cet agenda mais aussi, a planté un « avant » et un « après » 4 août 2020, dans la vie politique et nationale libanaise. Une nouvelle et grande fracture est née. Une plaie profonde s’est ouverte. Elle ne se renfermera pas de sitôt.

C’est donc votre deuxième visite en tant que chef d’Etat, en moins d’un mois ! Votre premier déplacement, M le Président, a été au surlendemain de l’explosion criminelle du 4 août dernier au vieux port de Beyrouth. Ce séisme, un véritable crime contre l’humanité, a littéralement soufflé des pans entiers des beaux quartiers traditionnels du front de mer de cette belle ville côtière ancestrale qui, ancrée en Orient, ne cesse de regarder l’Occident.

Vous avez été, avec compassion et attention, au chevet d’une nation amie meurtrie par une explosion criminelle sans précédent. Vos mots et gestes ont marqué les esprits et les cœurs de tous les libanais. Ils ont mis du baume sur les blessures ouvertes des libanais et ont apaisé quelque peu les visages crispés et ensanglantés mais n’ont pas pu, cependant, éponger la colère incommensurable d’une population aussi bien meurtrie que trahie et qui demande, une fois pour toute, justice, réparation morale et matérielle, et solution politique définitive.

A corps défendant, vous vous êtes jeté, M. le Président, manches retroussées à la manière d’un KENNEDY, dans les ruines de Beyrouth détruite, blessée et meurtrie. La ville qui accueillie jadis la première école de droit dans le monde, la Cité des milles senteurs d’encens et d’agrumes, celle qui chante aussi bien PIAF, AZNAVOUR, MACIAS, les BEATLES que FAYROUZ, OUM KOULTHOUM et CHEIKH IMAM, est pied à terre sans être à terre. Elle vous a été reconnaissante d’avoir parlé avec force et émotion, à la douleur de ses enfants renversés par le drame, et encore drapés de la digne poussière de l’indigne et innommable explosion du 4 août 2020.

Sur les ruines de la ville de Beyrouth encore dévastée, vous avez évoqué M le Président, la nécessité d’un nouveau Pacte social et politique au Liban. Oui, cela est indispensable ! Au juste, le Liban a besoin d’un « renouveau » de son Pacte qui a été dévoyé par toutes les forces politiques depuis l’indépendance, au profit du népotisme et du clientélisme, exception faite du Général CHEHAB, le seul président qui a voulu moderniser le pays, asseoir la citoyenneté par des institutions républicaines, supprimant les liens d’intermédiation communautaire, entre le citoyen et l’Etat. Il a été empêché par la classe politique conservatrice de l’époque, aussi bien musulmane que chrétienne, soucieuse de ses privilèges, ce qui n’a pas tardé à fragiliser l’Etat Central, à favoriser les replis identitaires, à faire monter davantage les communautarismes et les séparatismes, et à précipiter le Liban progressivement vers l’abîme.

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La fragilisation de l’Etat central a ouvert ainsi le pays, et a rendu le Liban perméable à toutes les formes d’instrumentalisation de ses faiblesses par les conflits régionaux et internationaux. Le Liban est devenu alors une caisse de résonance des tensions explosives de la région. Vers la fin des années 60 du siècle passé, le Liban a entamé alors ses multiples descentes aux enfers. Il est temps qu’il s’en sorte !

Pour sauver le Liban, M. le Président, il faut libérer les libanais des poids internes de cette classe politique corrompue et insensible qui empêche tout renouveau d’une part, et de toutes les influences étrangères et des ingérences externes, quelles qu’elles soient, qu’elles viennent de l’Occident ou de l’Orient, qui les pèsent et les empêchent de vivre dans la liberté et la dignité.

Votre volontarisme politique, aux élans gaullistes, M le Président, à vouloir aider le peuple libanais pour mettre fin à ses souffrances et pour remettre les choses à l’endroit dans sa vie politique nationale, ne nous a pas laissé insensibles. Il nous touche au plus profond de nous-mêmes, et nous donne espoir. Les libanais aussi, M le Président, sont exemplaires de volontarisme. Il a fallu quelques jours pour que les expressions apolitiques de solidarité des jeunes et des moins jeunes, viennent aider à relever la capitale de ses ruines et à déblayer non seulement les débris de l’innommable, mais aussi, la crasse de leur classe politique pointée du doigt.

Mais, SACHEZ M. LE PRESIDENT que, s’il est vrai que les libanais sont exemplaires, de courage et de résilience, et qu’ils renaissent tel un phénix de leurs cendres après avoir été consumés par les flammes des drames sans nom qu’ils éprouvent à chaque fois dans leurs chairs et leurs biens.
SACHEZ M. LE PRESIDENT, qu’ils ont atteint là, avec ce drame innommable, un paroxysme irrémédiable et un degré insondable dans le vécu de la douleur, dans le ressenti du dégoût et dans l’expression de la colère. Plus rien ne sera comme avant M. le Président, même si nos politiciens, insensibles et manquant d’empathie, rêvent encore de reprendre le dessus et de poursuivre leur commerce politique.

De grâce, M le Président, écoutez ce que notre icône nationale, FAYROUZ, notre ambassadrice aux étoiles, qui porte le vrai Liban éternel et réel dans sa voix et dans sa conscience, vous dira et ne vous laissez pas contaminer par nos politiciens, anciens féodaux et néo-féodaux de toutes espèces, qui se battent entre eux et qui cherchent, ensemble, continuellement, quand ils sont attaqués, des « arrangements » pour se régénérer et garder le pouvoir qu’ils ne lâchent pas depuis des décennies. Comble de la schizophrénie et du déni de réalité, ils continuent à évoquer devant vous et la communauté internationale, les vertus de notre système parlementaire et notre gouvernance … comme s’ils n’avaient pas mis en panne notre démocratie centenaire et l’ont dévoyée.

Faites attention, M. le Président, que cette classe politique qui cherche à sauver sa peau, ne vous dévoie de l’essentiel. La question n’est plus, aujourd’hui, celle de la nomination d’un nouveau premier ministre. Quel qu’il soit, et quelles que soient ses expertises, sa compétence et/ou incompétence, il ne pourra rien faire si les mêmes causes qui produisent les mêmes effets, sont toujours là. La question n’est pas, non plus, dans la forme du gouvernement, de « mission » comme vous le souhaitez, ou de (fausse) entente nationale, comme le souhaitent certains. La question n’est plus celle d’un calendrier de réformes à mettre en œuvre, pourtant indispensables. La seule question est de déterminer qui empêche la mise en œuvre des réformes et pourquoi !

Au-delà même des compromissions qui sont les siennes, la classe politique actuelle, M. le Président, est « captive » d’équations internes et d’allégeances externes qui la rendent réticente à agir d’elle-même. Le Liban vit ainsi depuis des années dans le dévoiement par cette classe politique, de la notion de démocratie « consensuelle » qu’elle a transformée en un système de « géopolitique à somme nulle » où toutes les forces qui se partagent le pouvoir, croisent le fer entre elles et quand elles sont attaquées, elles s’allient entre elles contre tous les autres tiers, même s’il s’agit du peuple libanais lui-même, toutes communautés et appartenances confondues. C’est ainsi que, à chaque drame, tout le monde est « responsable » mais personne n’est « coupable » ! Obliger cette classe politique à appliquer les réformes, c’est lui faire signer son arrêt de mort ! Elle fera tout pour l’en empêcher.

La question essentielle aujourd’hui, M. le Président, est celle de savoir comment sauver le Liban et non pas, comment sauver sa classe politique. Cela ne peut plus se passer autrement que par la mise en œuvre d’un PLAN DE SALUT NATIONAL, avec la désignation d’une nouvelle gouvernance politique « transitoire » qui reçoit les pleins pouvoirs législatifs pour pouvoir agir selon un agenda de salut national sur des sujets et des thématiques bien spécifiques avec pour objectif de renouer avec la confiance du peuple et de la communauté internationale (passation des réformes les plus urgentes, reconstruction de Beyrouth, l’enquête et les responsabilités, les élections législatives anticipées, la sauvegarde de l’économie et les finances publiques, etc.), avec un calendrier limité dans le temps, comme l’a fait le Général de Gaulle dans un autre contexte, pour sortir la France de la corruption de la IVème République française, et renouer avec la confiance et le redressement national.

Ce PLAN DE SALUT doit être mis en œuvre avec les libanais de bonne volonté, de l’intérieur et de la diaspora, et qui sont nombreux sans attaches ni allégeances politiques, avec le « soutien » de la communauté internationale, en prenant bien soin, ce qui est capital, de respecter les fondements et fondamentaux de la « souveraineté » de l’Etat libanais et dans le respect du droit national et international. Si la gouvernance politique libanaise actuelle est en défaut, M. le Président, le Liban en tant que sujet de droit international public, ne l’est pas. C’est ce sujet-là, et pas la classe politique libanaise, qu’il convient d’aider aujourd’hui à franchir cette crise en vue de la reconstitution démocratique du pouvoir.

Relayant les craintes de beaucoup de mes compatriotes, il y a lieu de dire, haut et fort, NON au soutien de la France, si celle-ci doit se plier aux petits arrangements d’une classe politique totalement déconsidérée par l’ensemble du peuple libanais. Cette classe a perdu toute crédibilité aux yeux des libanais, qu’il convient de remplacer sans provoquer un désordre national, voire même de juger, en fonction des responsabilités qui sont les siennes. La France doit œuvrer pour une sortie de crise, radicale et pérenne, pour le Liban.

Mais on ne peut, M. le Président, avancer vers une solution pérenne de la crise libanaise sans en situer le contexte historique et les fondamentaux de la « question libanaise ».

Les trois annexes, ci-joint, proposent donc une lecture globale qui se développe selon TROIS AXES.

En premier, (ANNEXE I) il y a lieu de bien comprendre l’enjeu libanais comme un enjeu français, voir même européen, qui concerne tout le monde libre et de situer la diplomatie d’influence française, ses forces et ses faiblesses, au regard de la situation géopolitique complexe en Méditerranée orientale. Un deuxième axe, (ANNEXE II) mettra en relief à votre attention, vous qui êtes dans la filiation de la pensée du grand maître PAUL RICOEUR, l’importance du « récit national » libanais comme vecteur de choix et facteur d’éclairage des bonnes politiques et décisions nationales. Il est temps de bien situer le récit national libanais qui n’a pas débuté qu’en 1920, pour connaître la perspective historique qui est celle du Liban, passé, présent et avenir. In fine, (ANNEXE III), il y a lieu de tirer les leçons essentielles de la crise libanaise, et de déterminer, aujourd’hui, les raisons d’espérer et les sorties de crise, pérennes.

Le Liban, M. le Président, riche de ses ressources humaines et naturelles, reste et demeure avant tout, un paradigme à préserver. Un pays « message » disait de lui le Pape Jean Paul II.

M. le Président, la refondation de la gouvernance nationale au Liban implique, en interne, un repositionnement du rapport hiérarchique de l’appartenance nationale au regard de l’appartenance communautaire, au profit de la première, mais sans supprimer la seconde, et sur le plan externe, une distanciation qui permet au Liban de se préserver des secousses régionales et internationales et d’éviter toute instrumentalisation du Liban à des fins contraires à ses intérêts. Cela implique un renforcement de l’unité nationale par une sortie progressive, bien pensée et ciblée, de la société « confessionnelle » et de l’Etat « communautaire » dans lesquels nous nous sommes installés avec complaisance, vers une « société civile laïque », un Etat qui fonde un rapport « citoyen » avec ses sujets.

La laïcité à la libanaise, doit être une laïcité « contextualisée » au vécu libanais, en séparant le religieux du politique sans le séparer de la société. Si en Occident l’accent est mis sur les droits de l’homme, au dépend des droits des communautés, parfois, et en Orient, inversement, l’accent est mis constamment sur les droits des communautés au détriment des droits de l’individu, l’expérience libanaise devrait combiner les deux et poursuivre un double objectif de préservation et d’harmonisation des rapports entre ces deux sphères de droits. Une telle laïcité devrait garantir les mêmes droits et les mêmes obligations à tous les citoyens individus mais aussi garantir les droits fondamentaux des communautés et groupements historiques du Liban. C’est ainsi que nous pourrons éviter les risques des communautarismes et des séparatismes (vous en parlez pour la France aussi) mais aussi les risques des replis identitaires, si le citoyen n’est pas reconnu dans ce qu’il « est » dans la Cité.

C’est ainsi aussi qu’une démocratie majoritaire pourrait alors coexister harmonieusement avec une démocratie consensuelle. Au Liban, la constitution unique de TAEF avait vocation à le faire. Elle a été dévoyée par la classe politique qui a détruit, pour des raisons de corruption, la démocratie « majoritaire » au profit d’une démocratie « consensuelle », dévoyée aussi. La France, forte de son expérience de la laïcité, a une grande contribution à apporter sur ce plan.

Mais, la stabilisation de la gouvernance libanaise n’est possible que si les libanais se mettent d’accord aussi sur une « formule », garantie par la communauté internationale, qui permet réellement de préserver le Liban des influences et des ingérences étrangères, aussi bien celles de l’Est que celles de l’Ouest et de faire reconnaître au Liban, un rôle spécifique de « médiateur », qui correspond à sa vocation essentielle de pays « message », un pont entre l’Orient et l’Occident. Il n’est pas aisé, mais ce n’est pas impossible, d’y arriver. Mais il faut certainement le tenter et œuvrer dans ce sens. Le Patriarche maronite en pose des jalons, pour la discussion, tous les jours. De telles vocations, dans le monde, n’ont été reconnus qu’au prix de beaucoup de larmes et de sangs versés.

M. le Président, les libanais ont traversé le Rubicon du non-retour à la situation antérieure ! Plus rien ne sera comme avant après le 4 août 2020 ! Les libanais attendent aujourd’hui, plus que jamais, de votre part, et de celle de la communauté internationale, un dénouement radical de la crise majeure que traverse le Liban.

M. le Président, les libanais refusent aujourd’hui tous les « arrangements-compromis » qu’ils ont déjà expérimentés avec cette classe politique corrompue depuis plus de trois décades, arrangements qui, même s’ils étaient garantis aujourd’hui par la France (que Dieu ne plaise !), ne tarderont pas à s’avérer être des compromissions encore plus meurtrières que les précédentes.

Les libanais veulent une sortie de crise, radicale et pérenne, M. le Président. Ne les décevez pas !

En vous souhaitant bon voyage au pays des Cèdres, veuillez recevoir, M. le Président, l’expression de mes sentiments les meilleurs et les plus respectueux.

Carol SABA
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Pièces jointes : Trois Annexes
Carol SABA : LIBAN, 2ème lettre ouverte à Emmanuel Macron

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 1 Septembre 2020 à 13:51 | Permalien



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