V.G.

Cette intéressante conférence provoque déjà de nombreuses réactions et demande une analyse fouillée. J'en propose un commentaire des points principaux qui n'est pas exhaustif car cette conférence est très riche.

Une position minoritaire

Le professeur Arjakovsky est un grand connaisseur de "l’école de Paris", spécialiste en particulier de sophiologie et du mouvement œcuménique. Dans cette conférence il représentante bien cette tendance très "parisienne" dont je qualifie le projet d'Eglise locale de rêve (1). Ce courant est probablement majoritaire à Daru, en tout cas dans les instances dirigeantes, mais ses représentants ne sont pas conscients qu'ils ne représentent qu'une toute petite minorité dans l'ensemble de la diaspora orthodoxe: "les autres Églises n'acceptaient même pas l'idée du passage de leurs "diasporas" dans la juridiction du patriarche grecque" écrivait le P. Jean Meyendorff à propos de la fondation de l'OCA (2) et cela s'applique parfaitement à la majeure partie de la diaspora encore aujourd'hui. Le professeur Arjakovsky semble vouloir faire croire qu’il parle au nom de toute la diaspora

Un point d'achoppement

Il insiste sur la distinction de l'organisation ecclésiologique entre "modèle territorial", découlant du lien avec l'Eglise mère, et modèle "parisien" (3), centré sur l'évêque. Je pense en fait qu’il s’agit plutôt d’un malentendu : contrairement au français, où le mot "locale" désigne les deux concepts, la langue russe distingue clairement (4) la communauté épiscopale d'une ville autour de son évêque (местная церковь) et un groupe ecclésial de plusieurs communautés épiscopales autour d'un synode et d'un primat (ПОместная церковь) (5). Mais une fois cette question linguistique résolue, tout le monde semble d'accord sur les différents niveaux d'organisation de l'Eglise.

Par contre il y a une différence fondamentale d'interprétation des canons concernant la diaspora qui n’est pas abordée dans la conférence: Constantinople défend le principe de la soumission de toutes les diasporas au siège œcuménique alors que Moscou, soutenu par les autres grandes Eglises, entend que chaque diaspora garde des liens avec son Eglise-mère (6). Je suis, tout comme Marie (ibid. commentaire 34), heureux que le professeur Arjakovsky confirme les bonnes relations entre les patriarches de Moscou et de Constantinople et j'espère que cela permettra de surmonter cette difficulté qui est l'un des points d'achoppement de la préparation du concile.

L'icône de la Trinité

En fait le professeur Arjakovsky semble oublier cette composante essentielle de l’Orthodoxie que sont les Eglises locales. Marie le souligne (ibid. commentaire 32) en se plaçant sur un plan culturel et en introduisant de façon originale la problématique très actuelle de la mondialisation. Mais la question va bien au-delà puisque qu'il s'agit d'un point théologique fonda,ental: les Eglises locales, par leur "unité dans la diversité", participent à la voie du Salut. En effet, contrairement aux Catholiques ou Protestants, nos Eglises locales ne sont pas de simples divisions administratives; elles ont leur charisme propre et forment une "icône de la Trinité" dans l’Eglise comme l’écrit Mgr Kallistos de Diokleia (7). C'est par l'intermédiaire de son Primat que chaque évêque communie à l'ensemble de l'Eglise, et chaque croyant participe ainsi à la communion de toute l'Eglise qui constitue le Corps du Christ; c'est fondamentalement différent du principe romain où les évêques sont tous en lien direct avec le Pape et, en insistant outre mesure sur le rôle de l'évêque au cœur de la "petite Eglise locale" (местная церковь) comme si le lien avec le Primat et la participation à la "grande Eglise locale" (ПОместная церковь) n'existaient pas, les représentants de cette approche tombent en fait dans une vision très "romaine" de l'Eglise.
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(1) ICI
(2) P. Jean Meyendorff; nécrologie du p. Alexandre Schmemann annexée à l'édition russe du Journal, après une 1ère publication ds St Vladimir's Theological Quarterly, 28, 1984, pp 3-10. Traduit du russe par V. Golovanow

(3) Je l'appelle ainsi parce qu'il me semble avoir d'abord été développé à Saint Serge, par des théologiens comme les pères Meyendorff et Schmemann, puis repris par les théologiens de Constantinople comme Mgr Jean de Pergame "l’ecclésiologue attitré du Patriarcat de Constantinople". Cf.
(4) Il semblerait qu'en grec l'appellation "topike ekklesia" induise la même confusion qu'en français. C'est du moins ce qui ressort des écrits de Mgr Jean de Pergame (ibid.)
(5) ICI/Cf.
(6) Cf. Sur le sujet la lettre du patriarche Alexis II du 18 mars 2002
(7) cf. Mgr Kallistos Ware, évêque de Diokleia, "L'Orthodoxie. L'Eglise des sept Conciles", Cerf Paris 2002, p. 311

Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 4 Janvier 2013 à 11:18 | 5 commentaires | Permalien



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