Alors que s’ouvre, vendredi 5 mars au Louvre, l’exposition « Sainte Russie », explication sur cet objet emblématique des églises orthodoxes, symbole à la fois de la limite séparant le monde divin du monde humain, et du lien entre ces deux mondes.

Qu’est-ce que l’iconostase ?


L’iconostase est une cloison d’icônes qui, dans les églises de rite byzantin (1), sépare la nef du sanctuaire où se tient le clergé célébrant la liturgie eucharistique. Les icônes peuvent être simplement posées côte à côte sur des travées horizontales, ou alors séparées par des demi-colonnes, parfois richement ornées, ce qui ajoute à l’impression de profusion.
Si l’iconostase est apparue relativement tard dans les églises orientales, elle est l’héritière de la balustrade en bois ou en pierre qui, dès le IVe siècle au moins, séparait le sanctuaire de la nef.

Au début du Ve siècle, on voit apparaître en plus quatre colonnes surmontées d’une architrave sculptée, des icônes du Christ et de la Vierge venant s’intercaler entre les colonnes. Au VIe siècle, Justinien fait dresser à Sainte-Sophie douze colonnes au milieu desquelles, pendant la liturgie, s’ouvrent les portes royales.À l’époque toutefois, les différences avec l’Occident latin sont relativement ténues puisque celui-ci connaît aussi une séparation du sanctuaire et de la nef (le jubé) qui perdurera jusqu’à la Contre-Réforme.

Comment est-il apparu ?

Après la victoire de l’orthodoxie sur l’iconoclasme (843), les icônes vont devenir plus fréquentes sur l’architrave, en particulier celle du Christ, entouré de la Vierge et de saint Jean-Baptiste. C’est l’origine de la Déisis , véritable point de départ de l’iconostase orthodoxe. À peu près à la même époque, avec la fixation du calendrier liturgique, on voit aussi apparaître une rangée d’icônes représentant les douze grandes fêtes de l’orthodoxie. On n’en est pas encore, toutefois, aux iconostases monumentales d’aujourd’hui.

Pour la théologienne orthodoxe Élisabeth Behr-Sigel, cette cloison ouverte « symbolisait la distinction sans séparation en même temps que la rencontre, dans la liturgie, du monde céleste, éternel, et du monde terrestre, éphémère ; de l’Église glorieuse déjà élevée aux cieux en Christ et en la personne de la Mère de Dieu, et de l’Église souffrante et militante, en chemin ».

C’est en Russie, vers le XIIIe siècle, que va apparaître l’iconostase telle que nous la connaissons aujourd’hui. Dans l’orthodoxie, en effet, l’église, « ciel sur la terre », se doit d’être tout entière une icône du Royaume. Mais les murs des églises en bois ne permettent pas l’utilisation de fresques, comme à Byzance : tout le programme théologique de la décoration de l’église va donc se reporter sur la seule iconostase.

Portée par l’âge d’or de l’iconographie russe, celle-ci va alors prendre des proportions monumentales, comme à la cathédrale de l’Annonciation, au Kremlin (1405), premier exemple connu en la matière : à la fin du XVe siècle apparaît ainsi la quatrième rangée d’icônes (consacrée aux prophètes) et, au XVIe siècle, la cinquième rangée (celle des patriarches).

C’est ce modèle d’iconostase à cinq rangées d’icônes qui va se répandre à travers le monde orthodoxe à partir du XVIIe siècle, alors même que, sous l’influence occidentale, elle va prendre en Russie des formes très diverses : iconostase baroque éclatée (comme celle de la cathédrale Saints-Pierre-et-Paul, 1720) ou, au contraire, iconostase classique très austère avec une place de l’icône de plus en plus réduite. Il faut attendre le début du XXe siècle pour que le modèle traditionnel finisse par s’imposer.

Quel est le sens de l’iconostase ?
Pour un orthodoxe, l’iconostase ne se conçoit pas comme une barrière séparant le sanctuaire de la nef, mais plutôt comme le témoignage d’une nouvelle communion. « Les Pères la comparent à la limite entre deux mondes : le divin et l’humain, le monde éternel et le monde passager, explique Léonide Ouspensky, grand spécialiste de l’icône russe. Limite séparant le monde divin du monde humain, elle est en même temps un lien entre ces deux mondes qui les unit en un tout unique au moyen d’images ; en effet, ces images expriment un état de l’univers où toute séparation est abolie, un état de la créature réconciliée avec Dieu et pacifiée en son propre sein » (2).

Mais que ce soit dans l’orthodoxie ou dans les Églises catholiques de rite oriental, des voix s’élèvent aujourd’hui questionnant non l’iconostase elle-même, mais sa forme trop monumentale, appelant à un retour aux traditions plus anciennes. C’est ce qu’explique l’archiprêtre Lambert van Dinteren, recteur de la paroisse orthodoxe de Nantes, dont l’église est ornée d’une « iconostase ouverte » : « Toute notre liturgie est une liturgie du “nous”, de tout le peuple, prêtre, diacre, lecteur, chœur et tous ceux présents. Dans notre paroisse, nous célébrons la liturgie le plus possible de façon à ce que chacun et chacune soit impliqué. Notre iconostase ouverte va dans le même sens : nous célébrons “ensemble” la liturgie, c’est “le Corps du Christ” qui s’y unit, le Corps du Christ dont le Christ est la Tête et nous tous les membres ».

Nicolas SENÈZE

La CROIX

(1) Principalement les Églises orthodoxes et certaines Églises d’Orient unies à Rome.
(2) Le sens des icônes, de Léonide Ouspensky et Vladimir Lossky, Cerf, 204 p., 68 €.

Rédigé par l'équipe de rédaction le 28 Février 2010 à 18:44 | 5 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Daniel le 28/02/2010 20:21
Une remarque : le dernier paragraphe me semble généraliser à l'excès ce désir d'allègement des iconostases... Cela est vrai chez "les schmémaniens" qui sont surtout présents dans l'archevêché Rue Daru (enfin dans les paroisses francophones ou certaines on supprimé l'iconostase) et dans l'OCA aux Etats-Unis. La citation du prêtre de Nantes est du pur schmémanisme : « Toute notre liturgie est une liturgie du “nous”, de tout le peuple, prêtre, diacre, lecteur, chœur et tous ceux présents. Dans notre paroisse, nous célébrons la liturgie le plus possible de façon à ce que chacun et chacune soit impliqué. Notre iconostase ouverte va dans le même sens : nous célébrons “ensemble” la liturgie, c’est “le Corps du Christ” qui s’y unit, le Corps du Christ dont le Christ est la Tête et nous tous les membres ».

A comparer avec ce qu'en dit Jean-Claude Larchet à ce sujet dans la recension d'un livre du Père Alexandre Schmeman : http://www.orthodoxie.com/2006/09/recension_litur_1.html

"Il n’est pas exact par exemple de parler d’une concélébration entre les ministres et le peuple (p. 4) ou d’une « concélébration de chacun avec tous » (p. 8), d’affirmer que « ce n’est pas le clergé qui officie », mais que « tous sont consacrés, tous célèbrent » (p. 90), que la fonction première de l’officiant est de « former, exprimer et maintenir l’unité du peuple de Dieu » (p. 97). Il n’est pas exact non plus de présenter la synaxe « comme l’acte premier et fondamental de la liturgie » (p. 5) ou la Liturgie comme « le sacrement de l’assemblée » (p. 97), ni de présenter l’Eucharistie comme étant « d’abord le don et l’accomplissement de l’unité de la foi et de l’amour » (p. 151)."

Il est dommageable que les seuls personnes orthodoxes ayant voie au chapitre sont les membres de la Fraternité orthodoxe, ou proches de ses thèses, car numériquement, ils ne représentent absolument rien dans l'orthodoxie mondiale, ce qui ne les empêchent pas de présenter leur point de vue comme le point de vue orthodoxe par excellence...

2.Posté par vladimir le 01/03/2010 10:26
Cher Daniel,
Là je suis d'accord avec vous... en grande partie.

Oui la Fraternité orthodoxe ne représente pas grand chose dans l'orthodoxie mondiale mais présente son point de vue comme le point de vue orthodoxe par excellence (j'en parle par ailleurs à propos de leur rêve d'Église autocéphale).

Mais le p. Alexandre Schmemann n'a jamais proposé de supprimer l'iconostase. Au contraire, il en soulignait le rôle essentiel de "lien entre ces deux mondes qui les unit en un tout unique", comme le dit l'article, qui est essentiel pour témoigner du Royaume ici et maintenant. Et c'est là, pour le p. Alexandre, le rôle essentiel de la Sainte Liturgie, dans laquelle s'accomplit l'Église. Le titre de son dernier ouvrage l'indique d'ailleurs empressement: ' L’Eucharistie, Sacrement du Royaume'. De même le p. Alexandre était un liturgiste stricte et ne se permettait aucune des fantaisies qu'introduisent nos "modernistes" en prétendant s'appuyer sur sa doctrine: par exemple j'ai vu récemment ajouter un phrase au canon eucharistique et faire psalmodier la prière avant la communion par l'assemblée pendent la communion du clergé: le p. Alexandre n'a jamais proposé cela.

Ainsi il faut distinguer les commentaires personnels du p. Alexandre de leur application par ses trop zélés "disciples". Si les premiers son DISCUTABLES et doivent donc être discutés, comme le font Jean-Claude Larchet (ibidem) ou feu le p. Michel Pomazansky (cf. http://www.orthodoxinfo.com/phronema/pom_lit.aspx), les deuxièmes sont CONDAMNABLES, comme l'écrit Jean-Claude Larchet (ibidem): "En ce qui concerne ce dernier point, les dérives de certaines paroisses orthodoxes francophones liées à la Fraternité orthodoxe et s’inspirant des thèses du Père Alexandre ont été récemment dénoncées par Jean-Louis Palierne dans son livre 'Mais où donc se cache l’Église orthodoxe? La trop longue errance des Français' (L’Age d’Homme, 2002 ; voir en particulier la section débutant pas le chapitre intitulé « Le mythe communautaire », p. 41-48)."

Mais je pense qu'il ne faut pas "jeter le bébé avec l'eau du bain" et je suivrais encore Jean-Claude Larchet pour la conclusion (ibidem)": "Bien que la thèse que le Père Alexandre cherche à imposer constitue, par son exclusivisme et son caractère trop systématique, un prisme déformant pour l’ensemble de son commentaire, on trouvera dans ce dernier, après qu’on l’aura lu avec recul et corrigé de ses excès, de nombreux aperçus profonds dont on pourra tirer grand profit. "

3.Posté par Marie Genko le 01/03/2010 10:45

Cher Daniel,

Merci pour le lien sur l'article de Jean-Claude Larchet, je l'ai lu avec intérêt.
Le Père Alexandre Schmeman est mis au pinacle par la fraternité orthodoxe parce qu'il défend l'acculturation de l'orthodoxie en Occident, oubliant qu'il appartient justement aux Catholiques et aux Protestants de retrouver leur orthodoxie perdue et de rebâtir l'Église orthodoxe d'Occident, à partir de la foi qui nous était commune durant le premier millénaire de la chrétienté.
Le Père Schmeman, en 1960, croyait la Russie à tout jamais athée et perdue pour l'Orthodoxie.
Voilà certainement le point de départ de sa volonté d'acculturation de l'Orthodoxie russe en Occident.
Voilà, la cause d'un certain excès de modernisme local dans ses écrits!
Chose, qui n'enlève rien à l'immense travail et au service à l'Église accompli par le Père Schmeman.
Mais nul d'entre nous n'est infaillible!!!!!!!
Je suis vraiment heureuse de voir que des intellectuels de l'envergure de J.C. Larchet remettent ces écrits dans leur véritable perspective.
Je vous approuve entièrement lorsque vous dites:
"Il est dommageable que les seules personnes orthodoxes ayant voix au chapitre, sont le membres de la Fraternité orthodoxe, ou proches de ses thèses, car numériquement ils ne représentent absolument rien dans l'orthodoxie mondiale, ce qui ne les empêche pas de présenter leur point de vue comme le point de vue orthodoxe par excellence.."


4.Posté par Daniel le 01/03/2010 12:26
Il y a en effet de très bonne choses chez le Père Alexandre Scheman que je ne critique pas. C'est pour cela que je parle de "schémanisme" car il se produit une chose courante chez les hommes : un ensemble d'idées intéressantes d'une personne est ré-utilisée et systématisée par ses successeurs qui lui donnent un caractère un rien idéologique. C'est assez humain, du reste...Mais "Le grand carême" du Père Alexandre est ainsi un excellent livre...

5.Posté par Exposition d'icônes russes à Rio de Janeiro le 23/03/2012 15:13
Une exposition d'icônes russes a ouvert ses portes à Rio de Janeiro, rapporte un correspondant de RIA Novosti.

"Nous sommes heureux de présenter au public brésilien des icônes orthodoxes, un des biens culturels et religieux les plus importants de la Russie", a déclaré lors de l'inauguration de l'événement le consul général russe Andreï Boudaïev.

"Nous nous sommes efforcés d'exposer les exemplaires d'icônes russes les plus vénérés et les plus célèbres, celle de saint Vladimir (qui a introduit le christianisme comme religion officielle de Russie, ndlr), de l'apôtre André, ainsi que des copies d'icônes miraculeuses de la Vierge", a annoncé à RIA Novosti le père Vassili Guelévan, recteur de la paroisse sainte Zénaïde de Rio de Janeiro.

Plus de trente icônes sont exposées. Organisée par le consulat général russe, la paroisse sainte Zénaïde et l'Académie de philosophie du Brésil, l'exposition sera ouverte jusqu'au fin avril mais pourrait ensuite être prolongée. L'accès est gratuit.

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