De chair et de sang
Par le père Jean Valentin Istrati (prêtre roumain)

Mes relations avec mon corps sont à la fois très compliquées et très prenantes. Ce corps constitue une partie de mon moi et j’y suis « incorporé ». C’est aussi une entité indépendante de mon « moi » et qui est sujette à la douleur. Je suis conscient des difficultés que j’éprouve à commander mon corps. Les pères du désert disaient que le corps est autant un excellent serviteur qu’un mauvais maître. Le corps a vocation à obéir à l’âme mais il tend à prendre les commandes de notre être tout entier.

Ma chair et mon sang représentent un tout, un ensemble de réalités et de limites qui me définissent mais cela d’une manière non exhaustive. Mon immortalité est située dans mon âme. Je crois cependant qu’à la fin des temps mon corps reviendra à la vie. L’une des restrictions qui limitent mon corps est d’ordre spatial. Je me trouve à chaque instant dans un endroit donné, et nulle part ailleurs. Mais cette unité de lieu inhérente à mon corps ne s’applique pas à la pensée, aux sentiments, à l’amour : ils peuvent, comme le vent, se transporter dans des endroits étrangers et lointains.

J’aime mon corps et je le respecte car «nul n’a jamais haï sa propre chair ; on la nourrit au contraire et on en prend bien soin. C’est justement ce que le Christ fait pour l’Eglise » (Ep. 5, 29). Nous prenons soin de notre corps même si celui-ci, lorsque malade, nous fait chaque jour souffrir. Les maladies sont également une sorte de butoir auquel nous nous heurtons. Le corps véhicule nos souffrances et nos péchés. Nous avons avec lui une relation d’amour-haine. L’organisme humain est aussi source de plaisirs. Il est une preuve tangible de la nature éphémère propre à nos existences. Notre chair nous rappelle quotidiennement que nous sommes mortels. Les douleurs et les faiblesses dont souffre notre chair sont une cause de tourments incessants. Les maladies corporelles nous font sans cesse penser à la mort.

Le respect que je dois manifester à l’égard de mon corps a pour raison que ce corps est le temple du Saint Esprit (1 Co 6,19). Le Christ est venu dans ce monde dans la chair, Il est mort dans sa chair, Il est ressuscité dans la chair, Il est monté au Ciel dans la chair et il nous donne sa chair lorsque nous communions dans l’eucharistie. Il nous montre ainsi la valeur de notre corps, habitacle de la temporalité et antichambre de l’éternité. Ce n’est que corporellement que nous sommes aptes à faire le bien ou à commettre le mal. Le corps est ainsi le domicile de notre liberté.

L’apôtre Paul dit : «la chair et le sang ne peuvent hériter du Royaume de Dieu » (1 Co, 15, 50). Ils prennent fin au seuil de l’éternité pour retourner à la terre, devenir des fleurs et des arbres, pour nourrir les futurs possesseurs d’autres corps.

Mon corps est une entité unique et inimitable. La chair et le sang reviennent à la terre tandis que la lumière et les ténèbres que nous avons méritées sont là pour l’éternité. Dans la vie future je ne serai pas défini par la chair et le sang mais par ma participation à la sainte liturgie des siècles, ma communion avec le Chair et le Sang du Christ. Je deviendrai moi-même une parcelle du Corps du Christ, ce qu’est Son Eglise. Le carême est le remède spirituel qui nous permet de renoncer aux passions de notre chair et de notre sang et de communier avec le Corps et le Sang de l’Agneau de Dieu devenant un tout : « car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang vraiment une boisson » (Jn 6, 55).

Traduction Nikita KRIVOCHEINE
"Плоть и кровь" Священник Иоанн Валентин Истрати Pravoslavie ru
"Parlons d'orthodoxie" père Jean Valentin Istrati

Rédigé par Nikita Krivocheine le 4 Juin 2012 à 09:18 | 0 commentaire | Permalien


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