Des paroisses d’Europe sont de retour dans l’Église russe : comment et pourquoi est-ce arrivé ?
Mi-septembre certains paroissiens ont pleuré de joie pendant les offices. Quelle blessure sur le corps de l’Église russe a-t-elle enfin commencé à cicatriser ces derniers temps ? Pourquoi cette souffrance a-t-elle mis tant de temps à être surmontée ? La revue « Foma » s’entretient de l’événement historique dont nous avons été témoins récemment, avec l’évêque de Zelenograd Savva /Toutounov/ , vice-chancelier du Patriarcat de Moscou.

Mgr Savva vit aujourd’hui en Russie et célèbre dans l’Église orthodoxe russe. Mais quand il était enfant, lui et sa famille fréquentaient l’une des églises de l’Archevêché en France. Il a été témoin de la vie des paroisses russes en Europe alors qu’elles étaient séparées de l’Église russe, et il comprend bien les raisons pour lesquelles leur retour à la maison a suscité une telle émotion chez le clergé et les fidèles.

Le 4 septembre 2019, une nouvelle page de l’histoire de la Guerre civile a été tournée : le Saint Synode a accueilli au sein de l’Église orthodoxe russe le chef de l’Archevêché des paroisses de tradition russe en Europe occidentale, l’archevêque Jean (Renneteau), ainsi que toutes les paroisses et leur clergé qui le souhaitaient. Deux semaines plus tard, lors de la réunion pastorale de l’Archevêché, une majorité absolue des membres du clergé de celui-ci a décidé de rejoindre le Patriarcat de Moscou ; le 7 octobre le Saint Synode a statué de recevoir l’Archevêché dans les rangs de l’Église orthodoxe russe.

Le dimanche 3 novembre, au cours de la liturgie célébrée en l’église du Christ Sauveur à Moscou, sa Sainteté le Patriarche Cyrille a remis à l’archevêque Jean de Doubna la gramata synodale du rattachement de l’Archevêché des paroisses de tradition russe en Europe occidentale à l’Église orthodoxe russe. L’office solennel célébré en l’église du Christ Sauveur dans le cadre des festivités organisées du 2 au 4 novembre, fut ainsi le point d’orgue de la réunion de l’archevêché des paroisses de tradition russe en Europe occidentale à l’Église orthodoxe russe.


L’Archevêché est l’héritier de l’un des fragments, résultats des événements du début du 20e siècle, et de la cassure de l’Église orthodoxe russe qui s’en est ensuivie. Ce fragment s’est construit avec les paroisses fondées par les russes ayant fui en Europe après la révolution de 1917. Au début celles-ci dépendaient de l’Église russe, mais en 1931, à la suite d’une série d’événements tragiques qui ont provoqué une scission, les paroisses dirigées par le métropolite Euloge (Gueorguievski) ont rejoint le Patriarcat de Constantinople. Si l’Archevêché revient aujourd’hui au sein du Patriarcat de Moscou, c’est que Constantinople lui-même l’a provoqué, en abrogeant l’année dernière le « statut particulier » garantissant à l’Archevêché de conserver ses particularités liturgiques et administratives.

***

Monseigneur, sur les réseaux sociaux on a écrit que certains paroissiens qui ont rejoint le Patriarcat de Moscou, avaient les larmes aux yeux en entendant le diacre proclamer le nom du Patriarche Cyrille. Qu’est-ce qui les a ainsi touchés ?

Mgr Savva: Bien sûr, les gens étaient très heureux. Mais à mon avis les raisons en étaient diverses.

Certains paroissiens ont toujours ressenti de façon très forte leur lien avec l’ancienne Russie, et se souviennent qu’ils sont les descendants d’émigrés russes. Bien sûr, essentiellement ils appartiennent aux générations les plus âgées.

Une autre partie des paroissiens, pour qui cet événement a une grande importance, sont ceux qui ont émigré ces dernières années. Il se sont toujours considérés comme membres de l’Église russe et ne comprenaient pas vraiment les raisons de la rupture.

Enfin la troisième partie comprend ceux qui ont pris à cœur le passage de Monseigneur Jean dans le Patriarcat de Moscou. Ce sont en grande partie des descendants des émigrés russes, la plupart du temps complètement assimilés à leur environnement occidental et ayant même pratiquement oublié la langue russe, mais aussi des personnes originaires des pays d’Europe occidentale, membres de paroisses de tradition russe. Pour eux, rejoindre l’Église russe permet de conserver toutes les spécificités de leur vie paroissiale telles qu’elles se sont développés au sein de l’Archevêché. L’Église russe a protégé leur Archevêché de la débâcle suscitée par Constantinople.

À la suite des récents événements, un prêtre d’Europe, jusque-là critique du Patriarcat de Moscou, a écrit à un de mes amis, que, bien sûr, il fallait suivre Monseigneur Jean au sein du Patriarcat de Moscou, parce que l’Église orthodoxe russe – « a été la seule à faire preuve de miséricorde envers nous ». Comme elle l’avait annoncé, l’Église orthodoxe russe, durant sa réunion synodale du 7 octobre, a statué de maintenir l’Archevêché ainsi que les traditions dans lesquelles elle vit – administratives, liturgiques…

Il y a vraiment dans les paroisses d’Europe occidentale beaucoup de belges, de français, d’autres européens de souche ?

Mgr Savva: Oui, c’est l’un des fruits de l’activité pastorale des prêtres et des théologiens de l’émigration russe. On peut évoquer des noms comme celui de Vladimir Lossky ou de son fils Nicolas, devenu plus tard prêtre… Une grande partie des paroissiens des paroisses d’Europe occidentale sont originaires de ces pays. Ce sont des gens actifs, beaucoup d’entre eux s’engagent dans le patriarcat de Moscou pour suivre Monseigneur Jean – qui d’ailleurs est lui-même un français de souche.

Vous avez étudié en détail l’histoire de la création de l’Archevêché. Quelles étaient vraiment les raisons profondes de la division de l’Église russe à l’époque ?

Mgr Savva: Elles prennent leur racine dans le régime politique de l’Union Soviétique. Dans les années 1930 les relations des paroisses à l’étranger avec le synode de Moscou étaient devenues difficiles du fait du contexte politique. En conséquence l’Église russe hors-frontières a choisi la voie de l’autonomie totale, quant au métropolite Euloge (Gueorguievski), qui se trouvait à la tête des paroisses russes en Europe occidentale, a décidé de rejoindre temporairement le Patriarcat de Constantinople. Tout cela a eu lieu dans le contexte de l’absence de liberté en U.R.S.S.

Certaines paroisses sont cependant restées au sein du Patriarcat de Moscou, plus tard leur nombre a grandi. Que serait-il arrivé, si tout le monde était resté ? Il est difficile d’en parler en mode subjonctif. Mais je pense que c’est justement parce que peu de paroisses à l’étranger étaient rattachées au Patriarcat de Moscou, qu’elles ont pu continuer à vivre plus ou moins tranquillement.
Je suis justement en train de lire des extraits du journal de Pierre Evgrafovitch Kovalevsky : il était le premier sous-diacre du métropolite Euloge jusqu’à la mort de celui-ci. Pierre Kovalevsky a vécu jusqu’en 1978, il a laissé un journal d’un grand intérêt. Il y raconte, par exemple, qu’en 1945 la représentation permanente de l’Union Soviétique à Paris a déclaré que tous les émigrés de Russie qui en feraient la demande pourraient obtenir la citoyenneté soviétique. Après la victoire contre l’Allemagne nazie il régnait en Europe une grande exaltation, et certaines personnes brûlaient du désir de rentrer en Russie soviétique.

Mais très vite il devint clair, que le pouvoir soviétique n’envisageait pas pour toutes ces personnes qu’elles rentrent en Union Soviétique ; l’idée était que, devenues soviétiques, elles resteraient en France et dans les autres pays où elles vivaient. Kovalevsky estimait que le pouvoir soviétique voulait faire de ces gens des agents répandant son influence en Occident.

Je n’exclus pas, que les représentants des juridictions à l’étranger de l’Église russe ne craignaient quelque chose de ce genre. D’où leur répugnance à être ensemble. La situation politique était tout de même assez complexe. Cependant, je tiens à le souligner, le métropolite Euloge a toujours insisté sur le fait que le passage des paroisses d’Europe occidentale dans la juridiction de Constantinople était temporaire ! Le métropolite Euloge lui-même a rejoint en août 1945 le Patriarcat de Moscou, mais il est mort peu de temps après, et les paroisses qu’il dirigeait revinrent à Constantinople. Mais, je le répète, cette séparation a toujours été considérée comme temporaire – jusqu’à ce que les conditions de vie de l’Église ne se normalisent, jusqu’à ce que les échanges avec le trône patriarcal de Moscou ne rencontrent plus d’obstacle.
Des paroisses d’Europe sont de retour dans l’Église russe : comment et pourquoi est-ce arrivé ?

Quels étaient les obstacles à ces échanges ?

Mgr Savva: Je pense qu’en Europe occidentale l’on craignait – avec raison ou non, je n’en jugerai pas – que les décisions prises à Moscou concernant les paroisses à l’étranger, ne seraient pas entièrement exemptes de politique. Que Moscou ne tiendrait pas compte de la spécificité des paroisses agissant dans des pays qui à cette époque se trouvaient en opposition à l’U.R.S.S.

On dit que Constantinople a joué un rôle non négligeable dans cette séparation ?

Mgr Savva: En 1931, lorsque le Patriarche Photius de Constantinople a accueilli Monseigneur Euloge et les paroisses qu’il dirigeait et qui cherchaient un asile, le tomos du rattachement soulignait que ces paroisses restaient russes et qu’elles devraient un jour revenir dans l’Église russe. Mais en 1945, après le bref retour des paroisses d’Europe occidentale au sein du patriarcat de Moscou, le patriarche de Constantinople faisait déjà valoir ses droits exclusifs à diriger toutes les paroisses situées hors des territoires des Églises autocéphales. Dont les paroisses de tradition russe en Europe occidentale. Dès après la guerre et durant toutes les années qui on suivi, Constantinople a insisté de plus sur l’exclusivité de ses soi-disant droits. Bien sûr, cela a gravement influé sur les relations ultérieures entre l’Archevêché et le Patriarcat de Moscou.

Les paroissiens des églises russes souffraient-ils vraiment de leur séparation de l’Eglise russe ? La vivaient-ils comme une tragédie ?

Mgr Savva: Personnellement je n’ai pas eu ce sentiment d’une rupture tragique. J’étais tout de même un émigré de seconde génération et je me rendais très souvent en Russie – au moins une fois par an. Je communiais et je me confessais sans problème dans les églises russes. Et de façon générale, j’ai grandi dans l’attente constante de voir un jour le pouvoir soviétique disparaître et de pouvoir rentrer en Russie.

Cependant, le clergé du Patriarcat de Moscou, celui de l’Église russe hors-frontières et de l’Archevêché des paroisses de tradition russe en Europe occidentale ne célébraient pas ensemble. Il y avait des exceptions : bien sûr, pas au niveau des évêques, mais parmi les prêtres : par exemple, lors des offices célébrés dans les camps d’enfants, qui rassemblaient en été des enfants des trois juridictions. En France il y en avait deux : le camp de l’ACER, et celui de l’organisation des « Vitiaz ». Les enfants qui y allaient, venaient de paroisses diverses, et les prêtres leur donnaient la communion sans se demander d’où ils venaient.

En ce qui concerne les laïcs, bien sûr chacun avait son église où il allait, mais il n’était guère exceptionnel de voir les paroissiens d’une juridiction se rendre dans l’église d’une autre juridiction et y communier. Je ne l’ai jamais fait, parce que dès mon plus jeune âge j’ai servi dans une seule et même église, mais je pense que cela arrivait.

En d’autres termes, la séparation n’était que nominative ?

Mgr Savva: Non, on ne peut non plus dire cela. Il pouvait y avoir des difficultés, par exemple pour des funérailles, si le défunt fréquentait une église d’une autre juridiction. Ou bien lors d’un mariage – si les fiancés venaient de lieux différents. J’ai entendu dire qu’il y avait eu des refus, mais personnellement je n’en ai jamais connu. On ressentait bien sûr, à quelle point cette situation était douloureuse. Le fait même pour le clergé de ne pouvoir célébrer ensemble, était significatif. Malgré tout, il arrivait à certains membres du clergé de célébrer ensemble, par exemple lors de mariages ou de funérailles : l’émigration est un cercle restreint, tout le monde ou presque se connaît ou est apparenté, quelle que soit la juridiction. Pierre Kovalevsky en donne des exemples.

Les prêtres de l’Église russe hors-frontières étaient particulièrement isolés. Le clergé du patriarcat de Constantinople occupait quant à lui une position intermédiaire.

Si la séparation était due principalement à l’existence de l’État soviétique, pourquoi alors le Patriarcat de Moscou et l’Archevêché ne se sont-ils pas rejoints en 1991 ?

Mgr Savva: Je pense que les paroisses d’Europe occidentale ont eu besoin de temps pour se convaincre que la Russie était vraiment libérée, que le pouvoir soviétique ne reviendrait pas dans un an ou deux. Puis, la dernière tentative de réunion en 1945 avait eu presque 50 ans auparavant – c’est long. Les gens ont pris des voies différentes ; et il y avait la position particulière du Patriarcat de Constantinople, dont j’ai déjà parlé.

C’est l’archevêque Serge /Konovalov/ élu à la tête des paroisses de tradition russe d’Europe occidentale en 1993, qui a initié le rapprochement avec l’Église russe. Il lui a suffi de deux ans pour obtenir que la communion eucharistique soit rétablie au niveau épiscopal. En 1995, il célébrait déjà avec sa Sainteté le Patriarche Alexis II. Je m’en souviens, c’était le dimanche des Femmes Myrrhophores, peu de temps après le Jour de la Victoire. Puis Mgr Serge a commencé d’œuvrer pour la réunion canonique – tâche beaucoup plus complexe. Il fallait surmonter la résistance de certains clercs et laïcs, qui estimaient que l’Église russe ne s’était pas libérée des conséquences de sa vie en U.R.S.S., qu’elle était toujours « soviétique ». Jusqu’à septembre dernier ce problème n’avait pas été résolu.
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Qu’est-ce qui a réellement changé pour les paroissiens des églises d’Europe occidentale qui ont suivi l’archevêque Jean ?

Mgr Savva: Avant tout, la communion eucharistique est restaurée, après avoir été rompue il y a un an, puisque l’Archevêché se trouvait au sein du Patriarcat de Constantinople. Par ailleurs, on peut dire que le statut de l’Archevêché s’est même amélioré. Pendant des années, l’Archevêché a pensé que son existence, et la sauvegarde de ses traditions, était importante pour Constantinople, que celui-ci ne prendrait jamais de décision à son sujet sans consulter ses évêques. Mais il s’est avéré que pour Constantinople, l’Exarchat n’était pas même un diocèse, simplement un ensemble de paroisses dirigé par un « exarque », c’est-à-dire un fondé de pouvoirs du Patriarche. Aussi, la décision prise par Constantinople d’abolir l’Archevêché était parfaitement logique – de son point de vue, bien sûr. De son côté, l’Église orthodoxe russe, en accueillant l’Archevêché au sein du Patriarcat de Moscou, considère celle-ci comme un diocèse à part entière ayant son propre statut, et a bien l’intention d’en respecter les traditions. De cette façon, au sein de l’Église orthodoxe russe, l’Archevêché aura une position bien plus stable que dans le Patriarcat de Constantinople.

Vous avez dit que vous étiez né dans une famille d’émigrés ? Comment votre famille s’est-elle retrouvée en Europe ?

Mgr Savva: Ma mère descend d’émigrés blancs. Ses parents sont arrivés en France dans leur enfance. Elle-même est née à Paris, c’est là qu’elle a fait ses études. Son père, un ingénieur, a commencé à voyager en Union Soviétique – à l’époque des ingénieur français coopéraient à la mise en place de divers projets en U.R.S.S. Sa femme, ma grand’mère, étaient apparentée à mon autre grand’mère – la mère de mon père. Grâce à cela, mon grand-père a rencontré les parents de mon père, puis ce fut le tour de mes parents.

Ma mère était alors interprète, à la fin des années 70 elle est venue à Moscou sur l’hôtel « Cosmos » que construisaient des français. Mes parents se sont mariés ici, et m’y ont ramené juste après ma naissance. Nous sommes rentrés en France juste avant les Jeux Olympiques de 1980.

Après cela, nous avons vécu en France, mais chaque été je venais pour 2-3 mois chez mes grands-parents, les parents de mon père, qui avaient une datcha dans la région de Moscou. Mon père n’a pas bougé de France jusqu’à la fin des années 80 : nous craignions, s’il revenait à Moscou, qu’on ne le laisse plus repartir. Mais nous étions, ma mère et mes frères, de nationalité française, et nous venions en Russie assez librement. Dans tous les cas, on nous délivrait les visas nécessaires.

Votre famille allait à l’église ?

Mgr Savva: Qui dépendait du Patriarcat de Constantinople…
Oui. C’était l’église des Saints-Constantin-et-Hélène-égaux-aux-apôtres – pour autant que je sache la toute première église construite en France par la première vague de l’émigration russe. On avait construit des églises orthodoxes en France avant la révolution de 1917, comme la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky à Paris, la cathédrale Saint-Nicolas à Nice, et d’autres ; mais de celles qui furent construites après la révolution, notre église était la première. Elle se trouve à Clamart, dans la banlieue de Paris, et à l’époque elle faisait partie du Patriarcat de Constantinople.

Quels sont vos souvenirs de la vie de l’Église de cette époque ?

Mgr Savva: Sans doute que toutes les paroisses – dans tous les cas leur très grande majorité – était très petites. Tous les paroissiens se connaissaient, le prêtre connaissait le nom de chacun. Cela marquait de façon particulière les relations au sein des communautés, la vie des paroisses.
En fait, dans tout le « Paris russe » – une dizaine de paroisses – la plupart des membres des paroisses se connaissaient et tissaient des liens étroits, beaucoup étaient apparentés. Parfois les relations pouvaient ressembler à celles des logements communautaires, aussi bien dans le bon que dans le moins bon sens : commérages qui se répandent, querelles qui fusent, etc… Mais d’une façon ou d’une autre les relations étaient très personnelles, et c’était le point fort des paroisses russes de l’étranger.

Évidemment, ce n’étaient plus des émigrés, mais les descendants de ceux qui avaient quitté la Russie dans les années 20 ?

Mgr Savva: Bien sûr, dans ma jeunesse la majorité de ceux qui avaient quitté la Russie avec la première vague de l’émigration, n’étaient plus de ce monde. À quelques rares exceptions près, comme mon arrière-grand-mère – la grand’mère de ma mère. Mon grand-père a également vécu jusqu’au début des années 1990, mais lui avait émigré dans son enfance.

Mais il y avait encore un grand nombre de ceux qu’il est convenu d’appeler « les personnes déplacées » : pendant la Seconde guerre mondiale les allemands les avaient pris dans les territoires occupés en U.R.S.S., et emmenés dans des camps en Europe occidentale ; beaucoup y sont restés après la guerre. Mais si l’on parle des représentant du mouvement blanc – bien sûr je n’ai connu les représentants que des 2ème et 3ème générations.

Quelle était leur attitude vis-à-vis de l’Église orthodoxe russe ? Ne pensaient-ils pas qu’il valait mieux se tenir loin de « l’Église soviétique » ?

Mgr Savva: Parmi les paroissiens du Patriarcat de Constantinople, je n’en ai pas souvenir. Nous comprenions tous, que l’Église russe était victime de persécutions, pendant la liturgie on disait toujours une prière pour « notre pays la Russie qui souffre». Je ne me souviens que deux-trois personnes qui, de temps en temps, médisaient de « l’Église soviétique », mais ils étaient plutôt une exception, et pour moi ils étaient bizarres.

Dans quelles conditions êtes-vous passé de la juridiction du Patriarcat de Constantinople à celle du Patriarcat de Moscou ?

Mgr Savva: J’ai toujours voulu revenir en Russie. Durant mes dernières années d’études à Orsay-Paris XI, j’étais sous-diacre auprès de Mgr Serge (Konovalov), et je m’apprêtais à rester à ses côtés et à l’assister autant que nécessaire. D’autant plus que Mgr Serge, comme je l’ai déjà dit, œuvrait beaucoup au retour de l’Archevêché au sein de l’Église orthodoxe russe. En 1999 il m’a envoyé étudier au séminaire de Moscou, mais je rentrais à Paris pendant les vacances scolaires et je continuais d’assister Mgr Serge. Lors de l’un de mes séjours à Paris, il m’a tonsuré moine.

En 2003, Mgr Serge est mort subitement d’un grave cancer. Il ne restait quasiment que quelques jours avant qu’il ne présente ne au conseil diocésain sa proposition de rattachement à l’Église orthodoxe russe…
Mais après la mort de Mgr Serge, le conseil diocésain et d’autres instances dirigeantes de l’Archevêché ont vu arriver des personnes qui rejetaient l’idée de rattachement à l’Église orthodoxe russe. Cette attitude n’a fait que se renforcer : l’Église russe a été de plus en plus la cible de reproches, qu’elle était trop autoritaire, qu’elle était, disaient-ils, trop proche de l’État… Je ne partageais pas ces opinions.

À mon sens, l’existence de l’Archevêché était légitime – d’un point de vue historique et canonique – justement pour mener à bien en son temps l’intention de Mgr Euloge de revenir à l’Église russe. Comme la nouvelle direction de l’Archevêché montrait clairement son refus de prendre cette voie, j’ai décidé de l’emprunter tout seul.
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Évêque de Zelenograd Savva /Toutounov/


Né en 1978 à Paris dans une famille d’émigrés russes. A vécu à Paris à partir de l’âge de 2 ans, mais, tous les étés, rendait visite à ses grands-parents en U.R.S.S., puis en Russie. À 17 ans (1995), est consacré lecteur en la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky à Paris. En 1996-1999, fait des études à l’université Orsay-Paris XI, obtenant une licence de mathématiques fondamentales. En 1999-2001 étudie au séminaire de Moscou, puis à l’académie théologique de Moscou qu’il termine en 2005 après la soutenance d’une thèse de Candidat. Avant son entrée à l’académie, est tonsuré moine par l’exarque des paroisses russes en Europe occidentale l’archevêque Serge d’Eucarpie, avec le nom de Savva (en l’honneur du saint Savva de Storoji). En 2003, quitte la juridiction de l’Exarchat des paroisses russes en Europe occidentale du Patriarcat de Constantinople.

À partir de janvier 2006, travaille au sein du département des relations extérieures du Patriarcat de Moscou. La même année, le métropolite Cyrille de Smolensk et de Kaliningrad, aujourd’hui sa Sainteté le Patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie, l’ordonne diacre puis prêtre.

En 2007, sa Sainteté le Patriarche Alexis II lui décerne la médaille de Saint Serge de Radonège pour sa participation à la restauration de l’unité ecclésiale avec l’Église russe hors-frontières. Après l’élection de sa Sainteté le Patriarche Cyrille, est nommé secrétaire de la commission de mise en place du Conseil Inter-Conciliaire, et simultanément secrétaire de la Chancellerie du Patriarcat de Moscou.

En 2010 est nommé vice-chancelier du Patriarcat de Moscou et responsable du service de contrôle et d’analyse de la Chancellerie du Patriarcat de Moscou.

Le 26 février 2019 est élu vicaire de sa Sainteté le Patriarche de Moscou et de toute la Russie, évêque de Zelenograd, avec maintien de ses missions au sein de la Chancellerie du Patriarcat de Moscou.

Source en russe

Traduction "PO"
Des paroisses d’Europe sont de retour dans l’Église russe : comment et pourquoi est-ce arrivé ?

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 28 Novembre 2019 à 02:10 | 3 commentaires | Permalien



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