Des rives de la Volga aux rivages de la mer Jaune
"Pendant la Semaine sainte Grand-mère allait souvent à l’église. Je me rappelle son visage, quand elle priait Dieu, appuyée sur sa canne. Quel visage elle avait ! Des larmes coulaient lentement sur ses joues et tombaient goutte à goutte sur le sol, et dans ses yeux il y avait tant de foi, de foi profonde, exceptionnelle. Je n’étais alors qu’une toute petite fille et je ne comprenais pas Grand-mère, je ne comprenais pas sa vie, sa foi et son amour pour les hommes."

Véronique Jobert a traduit les souvenirs exceptionnels de sa tante, qui, après avoir survécu au massacre de sa famille par les bolchéviks, narre ici sa fuite de la famine qui touche la Russie en 1921, un périple qui les mènera des rives de la Volga jusqu'aux rivages de la Mer Jaune.

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Ekaterina Dmitrievna Ilyina, ma grand-mère, après avoir passé 18 ans en émigration à Harbin, s’installa à Shanghaï en 1938. En 1954 elle quitta la Chine pour Moscou, où vivait sa fille Natalia, rapatriée en URSS à la fin de 1947. Ekaterina Dmitrievna avait toute sa vie gardé les innombrables lettres écrites par sa mère de Leningrad, ainsi que ses propres archives. Elle rapporta tous ces documents précieux en URSS. A la mort de ma tante Natalia Ilyina qui était devenue écrivain, j’héritai de toutes ces archives familiales. J’ai déjà publié en Russie de nombreuses lettres d’Olga Alexandrovna Voeïkova, mon arrière-grand-mère. Cette dernière avait correspondu avec sa famille émigrée en Chine à partir de 1920.

Des rives de la Volga aux rivages de la mer Jaune
Photo: Harbin, 1925. Olga Alexandrovna Voeïkova, Alek, Moussia, Alexandre Dmitrievitch Voeïkov

J’ai retrouvé tout récemment un document resté inédit, écrit par sa petite fille Moussia, fille naturelle de son fils aîné Alexandre Dmitrievitch Voeïkov, émigré en Chine. Moussia était née en 1914 à Syzrane, sur les bords de la Volga. Elle avait échappé au massacre dont furent victimes en juin 1918 sa tante et sa grande-tante Mertvago dans leur propriété familiale et fut recueillie par sa grand-mère Olga Alexandrovna, qui avait elle-même trouvé refuge auprès d’une parente à Samara. Dans le récit poignant qui suit, elle raconte ses premiers souvenirs, remontant à cette époque. Or en 1921 sévit en Russie une terrible famine qui fit plus de cinq millions de morts. C’était il y a 100 ans. Elle est évoquée par Moussia.

En 1924 Moussia partit, accompagnée par sa grand-mère et son demi-frère Alek, rejoindre son père en Mandchourie. Comme sa mère, morte très jeune, Moussia souffrait de la tuberculose et en mourut en 1934, à l’âge de 20 ans. Elle a dû écrire ce récit en Chine, après son mariage en 1930 à Tsingtao. Elle parle dans ces pages de ses premières émotions de petite fille grandissant à la campagne, non loin de Syzrane. Elle évoque tous ceux qui l’entourèrent dans son enfance. Ce sont, notamment, sa tante Maria Dmitrievna Denissova, la fille cadette d’Olga Alexandrovna, avec son mari Vassili Denissov, et son cousin germain Ioura. Sa description des mœurs et coutumes de la paysanne pieuse Davydovna qui est la mère de Vassili, des fêtes religieuses ayant encore cours est un témoignage précieux et très émouvant.

Cette publication se veut un hommage à la mémoire de tous les membres de ma famille ayant traversé ces dures épreuves. Mention spéciale doit être faite de celle que Moussia appelle tante Nadia, la mère d’Alek. En juillet 2020 une plaque fut apposée à Saint-Petersbourg à leur « dernière adresse ». On peut y lire qu’en 1935 Nadejda Alexandrovna Bachmakova fut exilée à Astrakhan, à l’âge de 49 ans, comme « élément socialement dangereux », puis arrêtée à l’automne 1937 et fusillée le 17 janvier 1938 à Stalingrad.

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Véronique Jobert est agrégée de russe, professeur émérite de l’université de Paris-Sorbonne. Elle a publié en Russie plusieurs volumes de lettres écrites par son arrière grand-mère, et continue de travailler sur de riches archives familiales rapportées de Chine en URSS en 1954.
Des rives de la Volga aux rivages de la mer Jaune

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 27 Juin 2021 à 22:03 | 1 commentaire | Permalien


Commentaires

1.Posté par Baron André le 28/06/2021 13:53
Merci, Madame, de nous faire part, ainsi, des souvenirs douloureux de votre grand-mère, de votre famille ; et, à travers elle, un hommage à ce valeureux peuple russe.

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