Un texte fondateur

Comme l'écrit Mgr Ware (cf. article précédent) le projet alternatif prend la lettre du patriarche Alexis II, adressée au clergé et aux fidèles orthodoxes d’origine et de tradition russe en Europe Occidentale le 1 avril 2003, comme texte fondateur: il propose la " … création en Europe Occidentale d’une Métropole réunissant plusieurs diocèses et incluant toutes les paroisses, les monastères et les communautés orthodoxes d’origine et de tradition russe qui souhaiteraient la rejoindre. Nous prévoyons d’accorder à cette Métropole les droits de l’Autonomie avec élection du Métropolite par le Concile Métropolitain, composé des évêques, des clercs et des laïcs, selon les statuts qu’il sera nécessaire d’élaborer avec le concours des représentants de toutes les parties de la diaspora orthodoxe d’origine russe présente dans les pays d’Europe Occidentale. (…) Nous fondons notre espoir que la Nouvelle Métropole autonome, qui réunira tous les fidèles de tradition orthodoxe russe des pays d’Europe Occidentale, servira au moment choisi par Dieu, de creuset à l’organisation de la future Eglise orthodoxe Locale multiethnique en Europe Occidentale, construite dans un esprit de conciliarité par tous les fidèles orthodoxes se trouvant dans ces pays."

Bien entendu, ce texte est le résultat d'un travail préalable du patriarcat, avec Mgr Antoine (Londres) et Mgr Serge (Paris) – la lettre cite d'ailleurs les "souhaits exprimés en particulier par l’Assemblée diocésaine du diocèse de Souroge et (…) les conclusions de la commission "Avenir de l’Archevêché des églises orthodoxes russes en Europe Occidentale", créée il y a deux ans par feu l’Archevêque Serge de bienheureuse mémoire." (Une proposition similaire avait été faite en février 2001 par Mgr Cyrille de Smolensk, alors président de la Direction des relations extérieures de l'Église russe; elle avait été déclinée par le bureau de l'Archevêché parallèlement à la création de la commission mentionnée ci-dessus. Cf. "Messager Diocésain" N° 14 (Rapport moral 1998-2001).

Des réalisations concrètes mais incomplètes

Ce projet suit l'exemple concret de l'Amérique du nord: création d'une grande métropole multinationale (quand Saint Tihon était à sa tête), puis autonomie (et même autocéphalie en Amérique), rassemblement avec les autres Orthodoxes (Mgr Jonas, actuel primat de l'Église Orthodoxe en Amérique s'y emploi). Et ce modèle fonctionne avec l'Église Hors Frontière (EHF), qui rejoint le patriarcat en prenant la forme de la Métropole décrite plus haut. La prochaine étape a été suggérée par Mgr Marc de Berlin il y a quelques mois: création de plusieurs Métropoles continentales regroupant les diocèses de l'EHF et ceux du patriarcat, qui auront, bien évidement, la même autonomie que l'EHF actuellement. Ceci devrait intervenir avant 2012, expiration de la forme provisoire actuelle de l'EHF prévue par le texte de l'unification. L'Archevêché de Daru y aurait bien évidement sa place… mais ce n'est pas actuellement son plan!

La suite du projet, à ma connaissance, n'a jamais été plus explicitée que dans la lettre citée ci-dessus. Il y a néanmoins quelques prémices sur lesquels nous pouvons conjecturer:

- L'Église russe soutien la nécessité d'unifier la diaspora orthodoxe: dans sa lettre du 18 mars 2002 au patriarche Bartholomé I , le patriarche Alexis II était d'accord que "En dépit des Saints Canons, les Orthodoxes, en particulier ceux qui vivent dans les pays occidentaux, sont divisés en groupes ethnico-raciaux. Les Eglises ont à leur tête des évêques choisis pour des considérations ethnico-raciales. Souvent ces derniers ne sont pas seuls dans chaque ville et parfois n'entretiennent pas de bonnes relations et se combattent ", ce qui "est une honte pour toute l'orthodoxie et la cause de réactions défavorables qui se retournent contre elle" ".
Et concrètement, l'Église russe soutient les efforts d'unification tant à Chambésy que dans les assemblées auxquelles elle participe (France et Amérique du nord en particulier). Il n'y a donc aucune raison que, les grandes métropoles une fois établies, elles ne continuent pas ce processus à l'exemple de l'OCA.

- Par contre l'Église russe s'oppose fermement à tout ce qui pourrait apparaitre comme la copie de l'uniatisme et empiéterait sur le territoire canonique de Rome, soutenant que c'est l'Église romaine qui est l'Église locale en Europe occidentale conformément à la règle canonique rappelée dans l'article précédent. Cela correspond bien à la pratique réciproque actuelle, puisque nos évêques ne sont pas établis dans des villes où il y a des diocèse romains (Chersonèse, titre de l'archevêque français du patriarcat de Moscou, comme Comane, titre de l'archevêque de Daru, ou Souroge, pour la Grande Bretagne, sont d'ancien évêchés de Russie, et même le titre de métropolite de France, que porte le représentant de Constantinople, ne vient concurrencer aucun diocèse romain…) et, réciproquement, il n'y a pas de diocèses catholiques concurrençant ceux de l'Église russe.

Nous pouvons donc imaginer que plusieurs grandes métropoles autonomes, issues des patriarcats, coexisteraient en Europe occidentale avec l'Église romaine, chacune restant canoniquement rattachée à son patriarcat d'origine et étant, de ce fait, une extension de son propre territoire; et cela resterait ainsi jusqu'à ce qu'une solution soit trouvée au schisme romain… Bien que basée sur des réalités concrètes et en voie de réalisation, ce projet d’organisation provisoire de la future Eglise orthodoxe Locale multiethnique en Europe Occidentale n'est pas vraiment satisfaisant par son coté inachevé, tant d'un point de vue intellectuel que d'un point de vue canonique; d'où le non que je lui donne: "pragmatique flou".

ANALYSE CRITIQUE:

- Ce projet est-il phylétisme (1)? C'est la principale accusation que lui font ses détracteurs (sans jamais la justifier sérieusement) et le p. Wladimir Yagello y avait répondu dès décembre 2003 "…Il est vain d’invoquer le phylétisme, qui n’a rien a voir dans cette affaire…. Actuellement (en 2003) les Roumains ont réalisé cette unité en Europe Occidentale, et je n’ai pas entendu parler de phylétisme à cette occasion, ni de protestations d’aucune sorte, ni de manifestation de haine. Nous ne pouvons que nous réjouir de constater que les Roumains, très divisés, se sont réconciliés et ont retrouvé l’unité de leur communauté. Les Serbes sont unis et fideles a leur Eglise Mère, et des français de souche se sont intégrés a leur diocèse…". Et en effet, il n'est pas question, dans ce projet, "de distinctions de races, des querelles, d’émulation et de divisions nationales" comme est défini le phylétisme. Au contraire, il est précisé qu'il s'agirait d'abord d'une "métropole multinationale", à l'exemple de ce qu'est déjà l'Église russe (plus de 50% de ses diocèses sont hors de Russie), puis "la future Eglise orthodoxe Locale" est vue "multiethnique en Europe Occidentale". L'accusation parait donc totalement infondée et on voit mal ce qui pourrait empêcher un patriarcat d'assurer un support pastoral à ses fidèles qui se trouvent en dehors des territoires d'aucune Église orthodoxe. Comme l'écrit le p. Wladimir, et comme je le soulignais dans l'article précédent, tous les patriarcats font de même et ils ne vient à l'esprit de personne de les déclarer tous hérétiques…

- Ce projet ne donne pas de solution canonique: c'est la principale critique qu'on peut réellement adresser à cette idée: elle ne s'appuy pas sur des bases canoniques fermes et ne permet pas d'en finir immédiatement avec le "scandale" des diocèses multiples sur le même territoire. Mais faut-il "tirer des plans sur la comète" irréalistes? Cette vision a justement l'avantage de s'appuyer sur la réalité vécue par l'Église, ses avancées concrètes obtenues en moins de 10 ans, et c'est bien cela qui constitue la base et l'essence même des canons orthodoxes: c'est la vie de l'Église qui manifeste la volonté de son Chef, le Christ, agissant par le Saint Esprit.

CONCLUSION

"À un niveau pragmatique, je parle avec beaucoup d’hésitation. Je n’ai pas de plan à proposer, je n’ai aucune solution toute faite." disait Mgr Ware (ibidem) et il parait claire qu'il n'y a pas de solution canonique évidente tant les circonstances actuelles sont nouvelles: "On sait que les canons ont été composés par l’Église à des époques et dans des circonstances différentes, écrivit le p. Alexandre Schmemann, le plus souvent dans le but de corriger des déviations de la vie ecclésiale ou en rapport avec de circonstances nouvelles de la vie de l’Église. Ainsi à leur naissance les canons étaient déterminés par la situation historique pour laquelle ils avaient été composés. (…) Quand nous essayons de déterminer la norme canonique de notre organisation ecclésiale dans les circonstances où Dieu a voulu nous faire vivre, nous devons avant tout autre chose nous rappeler ce que l’Église a toujours et partout manifesté par son organisation externe, ce contenu essentiel qui est aussi ce que nous indiquent les canons."

Les deux démarches proposées ont des cotés positifs et peuvent sans doute se compléter pour définir cette nouvelle approche des canons dont nous avons besoins.
"Je ne sais pas si nous devons nous attendre à ce que le troisième millénaire voit nécessairement arriver le «triomphe de l'orthodoxie» avait dit feu Mgr Serge en 1999. Ce que je sais, c'est que notre tâche est une tâche de fourmi, nous devons pas à pas construire autour de nous un monde fondé sur l'Évangile, sur l'amour, sur le respect de l'autre." Je crois profondément que les porteurs des 2 visons devraient se rejoindre là-dessus, au lieu de se quereller, pour trouver ensemble, et avec l'aide du Saint Esprit, comment porter au monde le Message du Christ.


(1) Le concile de Constantinople de 1872 avait condamné le phylétisme comme hérésie en le définissant ainsi: "I) Nous réprouvons, nous blâmons et nous condamnons le phylétisme, c’est-à-dire les distinctions de races, les querelles, l’émulation et les divisions nationales dans l’Église de Jésus-Christ"



© Pour "Parlons d'orthodoxie" texte par V.Golovanow


Rédigé par Vladimir Golovanow le 10 Février 2010 à 11:03 | 10 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Marie Genko le 10/02/2010 15:09
Cher Vladimir,
Je viens de lire votre texte ci-dessus et je dois dire que je vous suis entièrement.
Puisse le Ciel nous éclairer tous et faire revenir la paix dans notre Église.
J'espère qu'Irénée et Daniel voudront bien nous donner leur point de vue!

2.Posté par Irénée le 12/02/2010 09:57
Merci Vladimir pour ce superbe travail de synthèse qui éclaire et précise beaucoup de points de vue présentés ici.
Je reste malgré tout un peu gêné par cette approche privilégiant d'abord les juridictions "russes"
l'OCA a été beaucoup plus large dans sa volonté de rassemblement...
Je reste persuadé qu'une approche plus englobante est nécessaire, en deux mots : un métropolite (ou un archevêque) élu par l'ensemble des paroisses présentes en France (ou plus largement en europe occidentale), une certaine autonomie reconnue par toutes les Eglises orthodoxes, et des évêques autour de lui, ayant la charge prioritairement des personnes présentes sur ce territoire et souhaitant garder leurs usages, leurs langues, et leurs racines.
Ceci laisse aussi une place pour un évêque plus particulièrement chargé des paroisses francophones (par exemple).
Nous n'avons plus ainsi de risque phylétiste, tous les évêques travaillant ensemble autour de leur primat. Ainsi toutes les "juridictions" sont vraiment réunies, et en fonction des besoins pastoraux, la vie de l'Eglise s'organise...
Vouloir réunir les juridictions russes en ne se préoccupant pas des autres risque à mon avis de cristalliser une situation qui demeurera très insatisfaisante.
Excusez ma réponse trop succinte,mais je n'ai pas le temps d'écrire un long message ce matin...
Bonne journée à tous

3.Posté par vladimir le 13/02/2010 13:34
Merci Marie et Irénée de votre approbation.
Tout comme le projet 1, je ne fais que présenter ce projet 2 en cherchant les commentaires qui ont été faits à leurs sujet.

Je pense que votre idée, Irénée, n'est pas du tout incompatible avec ce projet 2 au contraire: l'élection du Métropolite et l'autonomie sont clairement mentionnée dans la lettre du patriarche Alexis 2. ainsi que son utilisation comme "creuset pour l’organisation de la future Eglise orthodoxe Locale multiethnique en Europe Occidentale, construite dans un esprit de conciliarité par tous les fidèles orthodoxes se trouvant dans ces pays." Et ce qui est essentiel pour l'ecclésiologie orthodoxe, c'est son rattachement canonique. Là il est clairement rattaché au patriarcat de Moscou, comme était claire le rattachement de la métropole qui précédait l'OCA et qui incluait des paroisses de différentes origines, comme vous le précisez, et comme c'est le cas de l'OCA actuelle: elle inclut, parallèlement aux diocèses territoriaux, un "diocèse bulgare", et le primat de l'OCA est aussi exarque du patriarche de Bulgarie, un "diocèse albanais" et un "archidiocèse roumain" (cf. http://www.oca.org/DIRlists.parish.asp?SID=9).

Je citerais à ce propos un exemple caractéristique de ce que, à mon sens, il conviendrait de mettre en place: lorsque en 1912 les Grecs orthodoxes d'Amérique adressèrent une requête pour l'envoi d'un évêque grec à Sa Sainteté le Patriarche de Constantinople Joachim III, le Patriarche ne l’a ni envoyé lui-même, ni n’a adressé cette requête à l'Eglise orthodoxe de Grèce mais il a recommandé d'en référer à l'Archevêque Platon d'Aléoutie et d'Amérique du Nord afin que cette question soit tranchée par le Saint Synode de l’Eglise orthodoxe russe (cf. http://oltr.france-orthodoxe.net/html/patriarches2002fr.html).

Par contre, et c'est la faiblesse du projet 1, si "un métropolite (ou un archevêque) élu par l'ensemble des paroisses présentes en France (ou plus largement en Europe occidentale)", était mis en place par les "Assemblées épiscopales" issues de Chambésy 4, à quelle Église-mère se rattacherait-il?

4.Posté par Irénée le 13/02/2010 15:11
Merci Vladimir pour ces compléments d'analyse, je partage tout à fait cette approche...
Pour moi, la réponse à votre question finale est assez simple : cet archevêché (ou métropole) devrait se rattacher à l'Eglise de Constantinople, et ce pour diférentes raisons : siège oecuménique, conformité aux canons, composition actuelle du paysage orthodoxe en France.
La condition bien entendu restant l'engagement de l'Eglise de rattachement à laisser une autonomie suffisante, et à reconnaître, le moment venu, l'autonomie plus complète.
C'est aussi la raison pour laquelle j'avais exprimé ici la nécessité d'un état des lieux en France (nombre de prêtre, de paroisses, rattachement canonique etc.) afin de voir plus nettement dans quelle direction travailler. Il s'agit de tenir compte de la réalité écclésiale, plutôt de de se limiter à des positions de principe ou d'attachement culturel ou sentimental.

5.Posté par Marie Genko le 13/02/2010 17:52
Cher Irénée,
Merci pour vos intéressantes réponses!
Je pense comme vous qu'un état des lieux serait une excellente chose.
Pour moi, notre situation en Europe occidentale est vraiment complètement différente de celle de l'OCA!
Pour être situe en terre barbare, l’OCA aurait du, dès sa fondation, pour être en accord avec le concile de Chalcedoine, se tourner vers le patriarcat de Constantinople. Ce qui n’a pas été le cas pour la simple raison que l’orthodoxie a été apportée aux Etats Unis majoritairement par des missionnaires russes.
Je suppose que c’est la raison profonde des divergences à son sujet entre Constantinople et Moscou.
En ce qui concerne l’orthodoxie en Europe occidentale, seul un véritable état des lieux permettra de déterminer si la majorité des paroisses sont déjà retournées vers leurs Eglises mères respectives.
Personnellement je ne vois pas en quoi une métropole russe serait à long terme une entrave à la fondation de l’Eglise locale ?

6.Posté par Irénée le 13/02/2010 19:36
Chère Marie,
Pour répondre à votre question finale, il me semble simplement que cette metropole ou archevêché n'a pas à être russe, grecque ou javanaise...mais simplement une Eglise qui réponde aux besoins des fidèles locaux, quellles que soient leurs origines...S'il se trouve que de nombreuses communautés souhaitent suivre les usages russe, parfait ! si un tiers des paroissent souhaitent continuer à utiliser le slavon à côté du français, tant mieux ! mais cela ne doit pas en faire une Eglise russe.
Comme je l'avais écrit ici il y a quelques mois, il existe une Eglise du Christ en Russie, mais le terme même d'Eglise russe me gêne.
Selon loi il devrait donc exister une Eglise orthodoxe à l'intérieur de laquelle on puisse respecter la pluralité des usages et des cultures, mais parfaitement unie autour du Christ et de son évêque par autre chose qu'une éventuelle origine nationale plus ou moins lointaine.
Si vous prenez l'exemple de l'Eglise en Finlande, elle est incontestablement à 95% de culture russe, ce qui n'empêche ni l'autonomie, ni l'usage du finlandais, ni la parfaite orthodoxie...

7.Posté par vladimir le 14/02/2010 16:13
Je suis d'accord qu'un état de lieu serait une chose excellente: je ne suis même pas parvenu à retrouver une liste des paroisses orthodoxes en France! Mais il me semble que la prépondérance de Constantinople, que vous soutenez, se heurte à au moins 3 obstacles:

1/ CANONIQUE: voir la réponse très circonstanciée que le patriarche Alexis 2, de bienheureuse mémoire, consacra à cette question dans sa lettre au patriarche Barthélemy 1 du 18 mars 2002 (cf. http://oltr.france-orthodoxe.net/html/patriarches2002fr.html). En voici les principaux passages:

" ... ces terres éloignées / d'Amérique et d'Australie/ n'ont aucun lien avec les trois diocèses mentionnés dans le canon et n'en sont même pas limitrophes, et, d’autre part, la majorité des fidèles des Eglises sur ces territoires ne sont pas des indigènes mais des représentants DE PEUPLES TRADITIONNELLEMENT ORTHODOXES AVEC LEURS TRADITIONS RELIGIEUSES QU'ILS SOUHAITENT CONSERVER. /c'est moi qui met en majuscules – cela me semble essentiel!/ Pour ce qui est de l’appartenance juridictionnelle des territoires canoniques appartenant à l’Eglise de Rome avant le schisme de l’an 1054, aucune décision ayant autorité panorthodoxe n'a été prise par l’Eglise.

Tout cela est étayé aussi par des faits historiques indiquant que jusque dans les années vingt du vingtième siècle il n'y avait aucune autorité de fait du patriarche de Constantinople sur toute la diaspora orthodoxe dans le monde entier, et qu’il ne prétendait pas non plus à une telle autorité. A titre d'exemple, en Australie la diaspora orthodoxe était initialement desservie par Jérusalem et le patriarcat de Jérusalem y envoyait des prêtres. En Europe occidentale, dès le commencement, les paroisses et les communautés orthodoxes dépendaient canoniquement de leur Eglises mères et non pas de Constantinople, de même que dans d'autres parties du monde où pour suivre l’enseignement du Christ (Matthieu 28, 1-20) des missionnaires zélés des Eglises locales orthodoxes, y compris celle de Constantinople, prêchaient l! 'Evangile et baptisaient les aborigènes qui devenaient enfants de l’Eglise, qui les avait éclairés par le baptême.

Pour ce qui est de l'Amérique, dès 1794, l'orthodoxie sur ce continent a été représenté exclusivement par la juridiction de l'Eglise russe qui en 1918 regroupait 300 000 orthodoxes de nationalités différentes (Russes, Ukrainiens, Serbes, Albanais, Arabes, Aléoutes, Indiens, Africains, Anglais) ; y appartenaient également les grecs orthodoxes recevant l'antimansion pour leurs paroisses de la part des évêques russe. Une telle situation était reconnue par toute les Eglises locales qui pour les paroisses américaines envoyaient leur clergé dans la juridiction de l'Eglise orthodoxe russe. Le patriarcat de Constantinople aussi s'en tenait à cette même pratique.
...
Comme nous le voyons, la faute de cette triste situation n'incombe pas à l'Eglise russe. Au contraire, s'efforçant de faire entrer l'orthodoxie américaine dans le sillage canonique, en tant qu'Eglise Mère, en 1970, elle a accordé l'autocéphalie à son Eglise Fille. Par cet acte, l'Eglise russe a agi dans les limites de sa juridiction canonique, ayant en vue une future décision panorthodoxe concernant le rétablissement d'une Eglise orthodoxe locale unique en Amérique. Nous pouvons remarquer que, déjà en 1905, un projet de création de cette Eglise avait été présenté au Saint Synode par le saint Patriarche Tikhon qui était alors l’Archevêque d'Aléoutie et d'Amérique du Nord.

Il est triste de constater que la Très Sainte Eglise de Constantinople n'a pas soutenu l’acte de 1970 et n'a pas contribué à l'union tant souhaitée. Jusqu'à présent, cela reste une cause de discorde et de mécontentement qu’éprouvent de nombreux Orthodoxes en Amérique en ce qui concerne leur statut.

Malgré l'affirmation de Votre Sainteté, à savoir "qu'aucun autre siège patriarcal n'a reçu le privilège ni le droit canonique" pour appliquer sa juridiction en dehors des provinces qui n'appartiennent pas aux territoires canoniques des Eglises autocéphales, l’histoire démontre que la 28è règle du IVe Concile œcuménique soumettant à Constantinople les trois diocèses mentionnés ne diminue en rien les droits des autres Eglises autocéphales, en particulier dans le domaine de la juridiction ecclésiastique sur le territoire des terres étrangères. Ainsi l'Eglise de Rome désignait les évêques dans presque toute l'Europe, Thrace exceptée, l'Eglise d'Alexandrie dans les pays au Sud de l’Egypte et par la suite sur presque tout le continent africain, celle d'Antioche à l'Est, en Géorgie, en Perse, en Arménie, en Mésopotamie ; la juridiction de Constantinople, quand à elle, pendant longtemps après le Concile est restée confinée aux frontières qu’étaient celles des diocèses d'Asie, du Pont et de Thrace avant ce Concile.
...
L'inclusion dans la juridiction de la Très Sainte Eglise de Constantinople de nouvelles provinces outre celles voisines de ces trois diocèses, qui a eu lieu au cours de l’histoire, n'est pas, d'après nous, liée à la règle 28 du IVe Concile œcuménique. Les raisons en furent tout à fait autres. ...

En ce qui concerne l'Eglise russe, elle était initialement soumise à l'Eglise de Constantinople non pas en vertu du canon 28 du IVe Concile œcuménique mais en vertu du principe général, selon lequel les peuples convertis se soumettent à l'Eglise mère qui les a christianisés tant qu'ils ne réunissent pas les conditions nécessaires à l'autocéphalie. En devenant église autocéphale, l'Eglise russe a reçu les mêmes droits de mission, au-delà de son territoire canonique, que les autres Eglises orthodoxes locales dans la mesure où, comme cela fut montré ci-dessus, les Saints canons ne donnent aucune préséance à quelque Eglise que ce soit pour la réalisation de ce droit.

Telle est l'authentique tradition panorthodoxe dans cette question et la Très Sainte Eglise de Constantinople l’avait toujours respectée jusqu'au moment où le Patriarche Mélétios IV a élaboré la théorie de la subordination de toute la diaspora orthodoxe à Constantinople. C'est précisément cette théorie, à l’évidence anticanonique, qui apparaît, pour employer une expression de Votre Sainteté, "hostile à l’esprit de l'Eglise orthodoxe, à l'unité de l’orthodoxie et à l'ordre canonique". Elle est précisément l’expression "d'une intention expansionniste qui n'a pas de fondements canoniques et qui est inacceptable sur le plan ecclésiologique". En prétendant à un pouvoir spirituel universel, elle ne correspond pas à la tradition canonique orthodoxe et à l’enseignement des Saints Pères de l’Eglise, et représente un défi direct à l’unité orthodoxe. En effet, il n'y a aucune raison de convenir avec l’affirmation que l’ensemble de la diaspora orthodoxe ne se trouve point sous la juridiction spirituelle du Patriarcat de Constantinople uniquement parce qu'il "tolère cette situation temporairement et pour des raisons d'économie". Cette dernière phrase a particulièrement suscité notre incompréhension et notre inquiétude car elle semble indiquer l’intention de la Très Sainte Eglise de Constantinople de continuer à mener à l'avenir une politique unilatérale d'expansionnisme étrangère à l'esprit d’amour fraternel et de conciliarité. A cet égard, il convient de rappeler une remarque juste du Patriarche Diodore de Jérusalem de bienheureuse mémoire figurant dans la lettre à Votre Sainteté N° 480 du 25 juillet 1993, à savoir que seul le Concile Panorthodoxe a le droit de résoudre la question complexe de la diaspora. Ajoutons encore que ni la Très Sainte Eglise Orthodoxe de Roumanie ni la Très Sainte Eglise Orthodoxe de Pologne ne partagent la vision des problèmes de la diaspora orthodoxe exposée par Votre Sainteté : c'est ce qui ressort des rapports de ces Eglises aux réunions de la commission préparatoire pour le Saint et Grand Concile en 1990.

2/ DOCTRINAL: la CONCILIARITE est l'une des bases de notre foi (à la différence du catholicisme, qui la remplace par la soumission au Pape). Or Constantinople se trouve dans l'impossibilité de faire participer la diaspora car le traité de Lausanne et la loi turque n'autorisent que des citoyens turcs à participer aux instances du patriarcat et à l'élection du primat. C'est particulièrement clair dans le cas de Daru, dont aucun représentant ne participe jamais à aucune instance du patriarcat ou panorthodoxe. Est-il acceptable de voir les Orthodoxes d'Europe occidentale ainsi exclus de la conciliarité de l'Église? Pour comparer, prenons Moscou, où la majorité du Concile était le fait de citoyens de plus de 50 pays en dehors de la Russie, dont les pays occidentaux et l'EHF, et Mgr Marc de Berlin (EHF) faisait partie de la délégation à la consultation préconciliaire de Chambésy IV. Ainsi l'Église russe, qui représente les 2/3 de toute l'Orthodoxie (cf. http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/L-orthodoxie-dans-le-monde_a734.html) est, de fait, bien plus multinationale que celle de Constantinople, qui doit être Turque pour respecter la loi et les traités.

3/ PRATIQUE: Irénée parle de "composition actuelle du paysage orthodoxe en France." Mais d'une part ce paysage change en fonction du point de vue et, d'autre part, il n'est pas représentatif de l'ensemble de l'Europe occidentale. Je m'explique:
(i) Le cas Daru est une exception française: il constitue de loin la juridiction orthodoxe la plus importante en France mais son rattachement à Constantinople n'a été justifiée que par des circonstances exceptionnelles et un statut provisoire (cf. "Projet 1" pt a/). Après Daru, nous avons bien la "Métropole de France" de Constantinople, mais elle est minoritaire, en nombre de paroisses, dans l'ensemble de l'Orthodoxie en France (d'après une liste que je ne retrouve plus…).
(ii) Ailleurs en Europe Daru est très peu présent et Constantinople est, pour autant qu'on puisse savoir, largement minoritaire. En particulier en Allemagne, Moscou est très largement représenté, surtout parmi les immigrés russes dont le nombre est estimé entre 3 et 5 millions selon les sources. En Italie c'est le diocèse roumain qui semble particulièrement dynamique. Personnellement je ne trouve pas très pertinente la dispersion des Orthodoxes d'Europe prévue par Chambésy IV: il y aura 8 assemblées d'évêques contre 1 par continent ailleurs (cf. liste ci-dessous). N'est ce pas beaucoup trop? Le projet présenté par Alexis 2 n'est-il pas plus réaliste? Et le modèle de l'OCA, avec ses diocèses culturels et ses liens avec les Église-mères (particulièrement bien illustré par l'exarchat du patriarche de Bulgarie) n'est il pas le plus pertinent?

PJ: liste des asemblées épiscopales prévues par Chambésy IV
I, ii, iii = Ameriques du nord et du sud et Océanie
iv. Great Britain and Ireland.
v. France.
vi. Belgium, Holland and Luxembourg.
vii. Austria.
viii. Italy and Malta.
ix. Switzerland and Lichtenstein.
x. Germany.
xi. Scandinavian countries (except Finland).
xii. Spain and Portugal.

8.Posté par Irénée le 14/02/2010 19:24
Merci pour cette longue réponse et le rappel des positions de SS Alexis II.
Mais il faut tout d'abord voir de quel territoire nous parlons. Il me semble que nous soyons plus ou moins contraint de regarder ces questions d'abord au niveau national. La situation étant bien différente d'un pays à l'autre.
Et aussi en prenant un peu de distance par rapport aux déclarations, dossiers et courriers.
Ce qui est important, c'est le bien de l'Eglise, et pas d'avoir raison sur tel ou tel point. On pourrait passer des jours à rechercher des textes et des arguments. Sortons de cette spirale et soyons confiants.
Pour rester en paix pendant le Carême qui débute, j'ai décidé de m'éloigner des blogs et forums jusqu'à Pâques. Prions pour l'unité de l'Eglise et faisons un peu silence.
Pardonnez-moi si j'ai pu ici blesser l'un ou l'autre.

9.Posté par Marie Genko le 14/02/2010 19:28

Cher Vladimir,

Merci de nous rappeler à nouveau le texte de Sa Sainteté Alexis II de bienheureuse mémoire.
Merci aussi pour les précisions dans les points 2/ et 3/ .
Il est absolument clair pour tous que le Patriarche de Moscou connaît les Canons de l'Église et qu'il sait de quoi il parle.
Personnellement, j'aimerais des paroisses de tradition russe unie dans une métropole, ce qui n'empêchera pas, comme vous le soulignez, l'usage de la langue locale.
Cela aurait pour avantage, comme vous le dites, de diminuer le nombre des assemblées d'évêques et de permettre aux représentants de l'archevêché de la rue Daru de participer aux assemblées de la conciliarité panorthodoxe.
Cela serait une excellente solution d'attente du retour de nos frères séparés catholiques à la foi orthodoxe.
Car le jour où l'Église catholique nous aura rejoint dans l'orthodoxie, elle sera sans aucun doute possible EN TOUTE LÉGITIMITÉ l'EGLISE LOCALE
Prions le Seigneur pour que les fidèles de l'archevêché comprennent qu'il ne s'agit pas là d'une limitation à leur indépendance, mais au contraire d'une réelle participation à la vie de l'orthodoxie dans toute son universalité!

10.Posté par Thierry le 15/02/2010 20:25
Merci à tous, pour ces éclaircissements, ce débat courtois et fraternel ! Bien des difficultés en perspective, une situation complexe et "inédite", des lignes de partage (souvent sentimentaux ou idéologiques, les deux vont de pairs) et des blocages hérités d'une longue histoire mais qui, loin d'être figés sont en évolution, en mouvement, constamment !!
Nous avons bien besoin de ce genre de discussion éclairante...

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