Bartimée

Tant qu'à se mêler des affaires de l'Eglise d'occident comme pour la question du mariage du clergé catholique, revenons-y aussi au sujet de la privation de la grâce eucharistique pour les plus purs des humains. C'est dans le cadre du dialogue officiel catholiques/orthodoxes que la question doit être sortie de sous le boisseau et mise à l'ordre du jour, il est temps, il y a du travail.

Est-ce parce que l'excommunication de fait des petits baptisés catholiques concerne des êtres silencieux et sans défense que le sujet est constamment évité ? Sans doute pas. Mais alors ?
On ne peut que constater le déni de cette question aux multiples implications, son occultation systématique dans le champ des débats et colloques officiels, le silence des instances œcuméniques, l'amnésie et l'évitement calculé de regarder en face cet ostracisme des petits.
Et ce alors même que le jeûne eucharistique n'est plus qu'un souvenir en occident - il n'est d'ailleurs jamais imposé aux petits orthodoxes - et que la communion y est distribuée anonymement que l'on soit baptisé ou non, à l'exclusion des petits.

Quoiqu'il en soit rendons hommage au P. Boris qui a osé aborder en profondeur cette vraie question il y a quarante ans dans le livre à trois voix "Baptême, sacrement d'unité" Paris, 1971, dans lequel il fait référence à l'article de Dom Lambert Beauduin qui fut publié intégralement dans la revue "La Maison-Dieu" en 1946.

Extraits de l'article de Dom Lambert Beauduin, moine bénédictin, fondateur de Chevetogne, intitulé : "Baptême et Eucharistie", publié intégralement dans la revue catholique "La Maison-Dieu" en 1946. (Ouvrage cité par P. Boris Bobrinskoy dans le livre à trois voix : " Baptême, sacrement d'unité" Paris, 1971).

BAPTÊME ET EUCHARISTIE

(...) Pourquoi toute l'antiquité a-t-elle soudé dans une seule fonction cultuelle la collation de ces deux sacrements : le baptême et l'eucharistie ?
- La nature de ces rapports
Il existe entre ces deux sacrements un rapport organique, intrinsèque, qui tient à la nature même de ces deux réalités. Le baptême nous destine aux saints mystères; il est tout orienté vers eux; il les appelle et les postule; il est aiguillé, polarisé vers l'eucharistie, comme l'aimant vers le pôle. L'eucharistie est dans le baptême comme le fruit est dans la fleur. La parole du Maître : "Si vous ne mangez la chair du Fils de l'Homme et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez point la vie en vous", fait entrevoir l'intimité et la profondeur de ces relations; et la tradition chrétienne ne s'y est pas trompée. Faute de cette union inséparable et vitale, dont nous aurons à préciser les exigences, le baptême est vain et inefficace; c'est un moyen inutile qui manque sa fin; un temple sans sanctuaire et sans autel. Le baptisé qui reste étranger à l'eucharistie est un fils sans piété filiale et sans amour : un saint avorté.
- Les données de l'histoire
La discipline ancienne de l'Église nous révèle une simultanéité constante dans l'administration de ces deux sacrements. Jusqu'au XII° siècle environ, l'initiation chrétienne comprend invariablement le baptême, la confirmation et l'eucharistie (...).
À partir du IV° siècle, aux cathéchumènes adultes se joignent de plus en plus nombreux des nouveaux-nés. (...) Or, pour eux, aucune distinction disciplinaire : c'est le même jour, au cours de la même cérémonie, que le néophyte reçoit les trois sacrements de l'initiation, sans qu'aucune différence soit envisagée. Les nouveaux-nés eux aussi, font leur première communion le jour de leur baptême. (...) La tradition de l'Église d'Afrique est identique; et saint Augustin(+431) parle rarement du baptême conféré à l'enfant sans mentionner l'eucharistie. "Le pape Innocent, de bienheureuse mémoire, écrit-il, l'a dit lui-même : sans le baptême et sans la participation au Corps du Seigneur, les petits enfants n'ont pas la vie".(...)
Le fait que l'on applique aux enfants la même discipline qu'aux adultes, sans l'ombre d'une hésitation, prouve que cette coutume était considérée comme pleinement conforme à la nature des choses.
A l'époque de Charlemagne (...) On possède les pontificaux et les rituels de tous les principaux diocèses des anciennes Gaules. (...) (...) l'eucharistie est inséparable du baptême : ni l'omission de la confirmation, ni l'impuissance physique de l'enfant à communier sous les espèces du pain, ne dispense le nouveau baptisé de la participation aux mystères eucharistiques dans la nuit même de son baptême jusqu'au XIIè siècle .
- La rupture
Dès 1196, Eudes de Sully, évêque de Paris, dans sa lettre synodale, défend strictement la communion des petits enfants.
(...) En 1215, le IV° concile de Latran consacrait la discipline nouvelle. Dans son canon 21 il permettait de retarder jusqu'à l'âge de discrétion l'admission des enfants à la première communion. (...)
- La doctrine du Concile de Trente (...)
Un canon spécial (...) : "Si quelqu'un dit que la communion de l'eucharistie est nécessaire aux petits enfants, avant qu'ils soient " parvenus à l'âge de discrétion, qu'il soit anathème." (...)
- Les errements théologiques du XIII° au XVI° siècle
(...) Le concile de Constance adressa une requête à l'empereur pour lui demander de faire cesser la communion des petits enfants dans tout son royaume.
(...) Au concile de Bâle plusieurs orateurs demandent une condamnation explicite et positive (...) : c'est commettre une grande irrévérence envers ce très divin sacrement que d'admettre des enfants avant l'âge de raison.
La doctrine de l'Église sur notre sujet : avant l'âge de raison la communion n'est pas indispensable.(...)

- La doctrine de saint Thomas :
"Par le baptême l'homme est disposé à la réception de l'eucharistie, dès lors, par le seul fait que les enfants sont baptisés, ils sont destinés, par la volonté de l'Église, à recevoir l'eucharistie; et de même que c'est l'Église qui croit à leur place, c'est elle aussi qui désire pour eux l'eucharistie". (...) Et il précise à un autre endroit : "Si ce n'est en vertu du voeu (de recevoir l'eucharistie), soit que le voeu soit fait par le baptisé lui-même, s'il est adulte; soit qu'il soit fait par l'Église, s'il est enfant."

- Les applications pratiques
(...) la discipline de l'Orient comme la coutume douze fois séculaire de l'Occident méritent tous les éloges.
(...) Dès lors, sous les cendres de nos archives chrétiennes couvent encore pour nous les braises ardentes auxquelles notre piété peut se réchauffer. (...)
Des réalisations paraliturgiques peuvent seconder singulièrement ce retour à la tradition et préparer les réformes. La reconstitution (...) de l'initiation chrétienne, telle qu'elle se déroulait à Saint-Jean de Latran dans le nuit de Pâques, serait plus éloquentes que tous les plaidoyers, et décisive. Et tant d'autres fonctions liturgiques aujourd'hui abandonnées, dont on possède toute la description dans les anciennes liturgies franque, espagnole, ambrosienne ou autres, pourraient être reconstituées, avec un grand profit pour l'enseignement religieux et la formation cultuelle des fidèles.

Rédigé par Bartimée le 9 Juin 2010 à 13:53 | 3 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Irénée le 09/06/2010 15:24
Merci pour cette très bonne contribution.
Je ne crois pas pour ma part que ce sujet soit évité dans les rencontres entre Eglises. Mais par contre l'antiquité de cette discipline contestable dans l'église romaine fait que la plupart des fidèles croient qu'il s'agit là d'un poit et d'un usage qui ne fait pas question... donc pas de discussion sur ce sujet dans le monde catholique romain.
Mais il est important de rappeler que c'est bien souvent une des premières surprises de nos amis cathos venant pour la première fois dans une église orthodoxe de voir tous ces enfants et bébés qui communient....
Enfin, et cette question de la communion en est un très bon exemple, il faut prendre au sérieux ces questions de praxis dans l'Eglise, car bien que n'étant pas du domaine du dogme, il y a là de très nombreux usages qui ne seraient pas sans poser de graves questions en cas de rapprochement enre Rome et les Eglises orthodoxes.

2.Posté par Daniel le 09/06/2010 22:54
Merci pour la contribution et l'apport historique. Effectivement, ce serait un point à évoquer en cas de retour de l'Eglise romaine au catholicisme. Pourquoi diable priver les enfants de la grâce de la communion et d'autant qu'ils ne commettent pas justement de péchés qui les empêcheraient de communier? Dans son commentaire du Notre Père, Saint Nicodème l'Hagiorithe dit que le "Donne nous notre pain substantiel" fait référence à la communion. Il y a peut-être là une tentation un rien rationnaliste à vouloir que celui qui reçoit la communion comprenne, mais les mystères sont par définition incompréhensibles et insaisissable, de là leur nom.

3.Posté par Cathortho le 10/06/2010 20:21
Je veux apporter moi aussi mes remerciements à Bartimée pour nous avoir offert ces oecuméniques pensées de Dom Lambert Beauduin, apôtre de l'anti-uniatisme catholique et fondateur avec Dom Olivier Rousseau et dans une certaine mesure du père Lev Gillet du monastère bénédictin d'Amay-Chevetogne, haut lieu de rencontre intérieure catholique-orthodoxe. Si je connais bien le monastère de Chevetogne, par contre je ne connaissais pas cette prise de position courageuse du bénédictin Dom Lambert Beauduin, une position qui ne m'étonne pas, une position courageuse parmi bien d'autres et qu'il a chèrement payé. Mais les fruits de son action ayant commencés à murir depuis pas mal de temps, nul doute que sa récompense doit être grande là où Seigneur lui a donné place.

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