EN SLAVON DEUX FOIS PAR MOIS
La paroisse orthodoxe russe de Bucarest

Je garde des dix mois que j’ai passés dans la capitale roumaine de nombreux souvenirs, pour la plupart chaleureux, touchants et bienfaisants. Mon travail universitaire et ma participation au nouveau collège européen me laissaient des moments de loisirs, dont des promenades méditatives dans le parc Cişmigiu… Parmi ces perles rares quotidiennes brillent d’un éclat particulier ces jours où priais au cours d’offices dans des églises de Bucarest.

Les circonstances ont fait que trois des églises de la capitale roumaine me sont devenus familières. L’église de la Dormition-de-la-Vierge, rue du Dr Burghelea, est celle que fréquentais le plus, elle était tout à côté de mon domicile, à cinq minutes de marche.

En général, j’y assistais à la liturgie du dimanche. Les offices du soir y étaient rares (ce qui est ordinaire dans les paroisses roumaines), c’est pourquoi le samedi soir je me rendais parfois à l’église Saint-Nicolas, place de l’Université. Dans cette église, construite au XXe siècle sur des fonds de l’Empire russe pour les Russes habitant Bucarest, c’est pourquoi jusqu’à ce jour elle est appelée « biserica Rusă » (« église russe »), dans cette église s’est établie la tradition de célébrer les offices du soir, logs et splendides. Mais les plus joyeux étaient les jours où je priais et lisais les Livre des Apôtres durant la liturgie dans l’église Saint-Nicolas-Tabacu, piata Victoriei. Dans cette église, deux samedis par mois l’office est dit en slavon russe.

Quoi qu’on en dise, il est important d’avoir accès à la langue dans laquelle est célébré l’office, de la comprendre, de jouir de sa sonorité. Je ne cacherai pas que les offices célébrés en roumain sont beaux, que les chants sont grandioses, longtemps les « Doamne miluieşte » (Kyrie eleison) me rappelleront mon séjour au sud-est de l’Europe. Mais pour nous, russophones, les lectures ou les chants en slavon nous sont familiers, chaleureux, habituels. Coupés, ne serait-ce que deux semaines, de cette langue, lorsqu’on l’entend à nouveau, les ecténies, les antiennes et la lecture de l’Évangile émeuvent, suscitent des larmes de joie, ébranlent l’âme.

L’église Saint-Nicolas-Tabacu est la seule église canonique de Bucarest où des offices sont célébrés en slavon russe.

Il est vrai que ce n’est que depuis peu, six ans, le premier office célébré en slavon le fut en novembre 2010. À l’époque, un groupe d’orthodoxes russes, sous la conduite d’Olga Aritontseva, a écrit au patriarche roumain pour demander des offices en slavon de préférence dans « l’église russe », Piata Universitatii, car elle a été construite dans un style russe et a été un temps sous juridiction du patriarcat de Moscou. Le patriarche Daniel a bien reçu cette demande, mais a considéré que, vu la fréquentation de cette église, il était difficile de trouver où procéder à de telles célébrations et a proposé au groupe de Russes l’église Saint-Nicolas-Tabacu, piata Victoriei, 180.

Ce choix n’est pas le fruit du hasard. L’église est située dans le centre de Bucarest à quelques minutes à pied de l’ambassade de Russie. On supposait, à tort s’est-il avéré, que les représentants de la nombreuse mission diplomatique et le personnel de l’école russe, implantée dans l’ambassade, y fréquenteraient les offices. Au début, l’église était desservie par les pères Vladimir Lapte et Marian Sava, puis ils furent remplacés par le père Evgenij Rogoti, c’est lui qui, jusqu’à ce jour, officie en slavon russe.
EN SLAVON DEUX FOIS PAR MOIS

Le père Evgenij est né dans un village roumain en Moldavie à l’époque soviétique, en 1978, mais c’est en Roumanie qu’il a reçu son éducation religieuse : au séminaire de Tulcea, puis à la faculté de théologie de l’Université de Bucarest.

— Mon père, sur les conseils de sa grand-mère souhaitait intégrer le séminaire d’Odessa et devenir prêtre, mais on ne l’a pas accepté. Quand j’ai terminé mes études secondaires il m’a dit : « Je n’ai pas pu être prêtre, mais toi, peut-être, tu le pourras. » C’est ce que je souhaitais et je suis entré au séminaire de Tulcea.

Le père Evgenij a été fait diacre en 2008 et ordonné prêtre en 2014. Dès 2003, il a travaillé au patriarcat de Roumanie, d’abord au Département des affaires ecclésiastiques extérieures et, depuis l’an dernier, au Service de presse. Il parle bien le russe, c’est un des peu nombreux prêtres de Bucarest capables d’entendre les confessions en russe.
Selon le père Evgenij, il n’a pas été facile d’imposer que les offices soient célébrés en slavon, la composante roumaine de la paroisse était opposée aux nouveautés linguistiques.

— Les Roumains ne comprennent pas le slavon, ils s’opposaient à son emploi d’autant plus que le nombre de Russes était très faible. Le recteur de la paroisse, le père Vladimir Vlaicu, a expliqué les choses et les oppositions ont cessé. Aujourd’hui les Roumains se sont habitués à ce que deux fois par mois nous célébrons la liturgie et en roumain et en slavon. Les gens apprécient notamment que pour ces offices nous faisons venir un chœur professionnel, payé par la communauté russe. Le dimanche nous n’avons pas de chœur, ce sont les paroissiens qui chantent. Bien sûr, ils ne réussissent pas aussi bien.

Lire La vie du nouveau confesseur roumain Valériou Gafencou 1920-1952

Malheureusement le nombre des Russes est toujours aussi faible et d’après leur prêtre la composition de cette communauté change tous les deux ou trois ans. L’église est peu fréquentée par les diplomates en poste, ce sont surtout des gens venus pour leur travail ou leurs études. Après quelques années ils quittent le pays et sont remplacés par de nouveaux arrivants. Les Ukrainiens, depuis les événements de 2014, ne viennent plus dans l’église Saint-Nicolas-Tabacu, ce qui n’est guère compréhensible, puisqu’elle est placée sous la juridiction du patriarcat de Roumanie et que son clergé n’est en rien lié à la Russie. Les Russes, habitant de façon permanente à Bucarest, ne fréquentent pas non plus cette église : ils préfèrent les églises roumaines plus proches de leurs domiciles, en règle générale, ils connaissent le roumain et comprennent les offices, aussi ils n’ont pas besoin d’aller piata Victoriei, surtout si c’est peu pratique et loin.

Malheureusement la communauté ne reçoit pas de soutien financier de Russie, les dépenses de première nécessité sont assumées par les paroissiens et le travail quotidien est assuré par Angelika Zubkova, employée du consulat de Russie. Il faut de l’argent pour le chœur, et puis les menues dépenses occasionnées par la venue une ou deux fois l’an d’un prêtre moscovite, aux frais du DREE. La dernière fois, en avril, c’est l’archiprêtre Vladimir Alexandrov qui est venu. Le père Vladimir est intervenu dans la salle des Actes de l’école de l’ambassade, a confessé, a célébré la liturgie dans les églises Saint-Nicolas-Tabacu et Saint-Grégoire-Palama de l’Université polytechnique.

— Je vois que les gens sont heureux quand arrive un prêtre de Moscou, dit le père Evgenij. Pour eux, c’est une grande fête. Ces jours-là il y a plus de monde dans l’église.

Pour nos paroissiens, il n’y a pas de problèmes les autres jours, on peut se confesser à lui en russe et en ville il y a de nombreuses églises et des monastères. La Roumanie est un pays chrétien, les églises sont fréquentées par de nombreux jeunes et des gens d’âge mûr, les jeûnes et les normes de la vie chrétienne y sont respectées.
Certes, il est difficile pour un Russe nouvellement arrivé de s’intégrer au milieu spécifique de la vie orthodoxe roumaine, mais ces difficultés sont surmontables et l’on se familiarise aux églises roumaines. Bien sûr les offices en slavon, même s’ils sont rares, permettent, aux Russes de passage, résidants permanents ou émigrés, de renouer les liens avec la mère patrie. Mais avec le renouvellement continuel des paroissiens, il est utopique de rêver au renforcement de la communauté russe et à la présence permanente à Bucarest d’un prêtre russe.

Vraisemblablement, ce sont vingt à trente personnes qui viendront assister aux offices célébrés le samedi dans l’église Saint-Nicolas-Tabacu, leur visage, leur nom changeront, mais ce seront des gens que la volonté de Dieu a conduits pour un temps sur l’hospitalière terre roumaine.

Serguej MUDROV
21 septembre 2016.

Pravoslavie ru О русском православном приходе в Бухаресте Traduction "PO"
EN SLAVON DEUX FOIS PAR MOIS

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 5 Novembre 2016 à 16:03 | 4 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Daniel le 08/10/2016 09:12
Pardonnez mon ignorance mais qu'est-ce que le slavon russe? S'agit-il d'une façon particulière de prononcer le slavon, propre à la Russie et différente de la prononciation en Serbie ou Bulgarie par exemple?

2.Posté par Vladimir.G: le slavon en Roumanie le 08/10/2016 20:20
le slavon en Roumanie

Et oui, bien cher Daniel, le slavon est une langue vivante qui évolue de façon différente selon les pays. Pour l'avoir pratiqué, je peut affirmer qu'il y a des différence de prononciation, voire de vocabulaire, entre le slavon russe et celui de l'Église bulgare et Wikipedia l'explique ainsi (https://fr.wikipedia.org/wiki/Slavon_d%27%C3%A9glise): le slavon d'église se divise en deux variantes :

- Le slavon septentrional ou slavon russe (cerkovno-slavjanskij russki jazyk), né avec la christianisation de la Rus' de Kiev, est en usage dans les Églises russe, biélorusse, ukrainienne et chez les Lipovènes (vieux-croyants russes établis depuis le XVIIIe siècle en Ukraine et en Roumanie )

- Le slavon méridional ou bulgaro-valaque (cerkovno-slavjanskij balgarski-volokhski jazyk),né avec la christianisation de la Bulgarie au IXe siècle, il est en usage dans les Églises macédonienne, bulgare et monténégrine, et dans certaines paroisses roumaines et moldaves; il fut jadis la langue officielle, liturgique et littéraire de la Bulgarie, de la Valachie et de la Moldavie (pays ayant appartenu aux premier et second empires bulgares).

La Roumanie est un cas très particulier pour l'usage des langues liturgiques: il n'y aucun document attestant que les anciens Daces auraient été christianisés avant les invasions slaves et auraient donc connu le rite latin. Envahis par les Bulgares au IXe siècles, les Roumains adoptèrent alors la liturgie byzantine en slavon.

Après la conquête turque, le clergé roumain fut fortement hellénisé (il dépendait de Constantinople) et célébra partiellement en grec; bon nombre de mots grecs sont restés dans le vocabulaire religieux roumain pour désigner les fonctions ecclésiastiques, les objets de culte, les vêtement sacerdotaux. Le roumain fut introduit à partir du XVIIe siècle mais ce n'est qu'en 1862 qu'une ordonnance du prince Alexandre Jean Cuza (1820 - 1873), souverain des Principautés unies de Moldavie et de Valachie entre 1859 et 1866, qui rendit l'usage du roumain obligatoire dans la principauté...

(Source: http://www.persee.fr/doc/rebyz_1146-9447_1900_num_4_1_3312)

3.Posté par Affeninsel le 11/11/2016 19:29
Voilà un exemple parfait de bêtise crasse, tout à fait phylétiste dans l'esprit. Les Russes, majoritairement, sont bien intégrés et suivent sans problème les offices en roumain ? Peu importe, russisons une église roumaine pour le plaisir de la polyphonie et pour le confort moral des gens de passage, à qui on n'en profitera pas, justement, pour enseigner que l'Eglise se vit partout également, en dehors des limites de la culture et de l'appartenance nationale. Le petit groupe qui écrit au patriarche pour demander sa dose de culture russe fait apparemment tout au plus 20 personnes, mais c'est assez pour qu'on impose CHEZ EUX à des orthodoxes roumains une liturgie qu'ils ne comprendront pas.
Peu importe que les gens soient "d'accord". Ce genre de pratique est non seulement grotesque, mais aussi dangereux pour la transmission de la foi aux générations suivantes.

4.Posté par Tchetnik le 11/11/2016 21:14
Affeninsel, on ne saurait mieux dire.

+1

Si fueris Romae, Romano vivito more...

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