« Editions des Syrtes » : père Tikhon Chevkounov «Père Rafaïl et autres saints de tous les jours » ( 4 partie)
«Père Rafaïl et autres saints de tous les jours » 1 et 2 et 3 parties Extraits traduit du russe par Maria-Luisa Bonaque

Le père Alipi avait un don étonnant d’orateur
.....se souvient le père Nafanaïl

"Il est arrivé plus d’une fois qu’on entende des pèlerins dire qu’ils resteraient encore une petite semaine au monastère au cas où le père Alipi ferait un autre sermon. Dans ses homélies il soutenait les affligés, il consolait les pusillanimes. “Frères et soeurs, vous avez entendu les appels à renforcer la propagande antireligieuse, ne baissez pas la tête, ne vous attristez pas, cela signifie que leurs difficultés commencent. Il est terrible de s’unir à la foule. Aujourd’hui, elle crie : ‘Hosanna !’ Et dans quatre jours : ‘Prenezle, prenez-le, crucifiez-le !’ C’est pourquoi, là où règne le mensonge ne criez pas : ‘hourra !’, n’applaudissez pas. Et si l’on vous demande pourquoi, répondez : ‘Parce que chez vous c’est le mensonge. – Mais pourquoi ? Parce que ma conscience me le dit.’ Comment reconnaître Judas ? ‘Quelqu’un qui a plongé avec moi la main dans le plat, voilà celui qui va Me livrer !’ a déclaré le Sauveur lors de la Cène.

Impertinent est l’élève qui veut égaler le maître, celui qui veut égaler le chef et prendre la première place, se saisir le premier de la carafe. Les aînés n’ont pas encore déjeuné, mais l’enfant a déjà bien mangé et se lèche les babines. C’est un futur Judas. Si les aînés ne se sont pas encore mis à table, ne t’y mets pas non plus. Les aînés prennent place à table, assieds-toi s’ils t’en prient. Les aînés ont saisi leur cuillère, prends-la aussi. Les aînés ont commencé à manger, tu peux commencer, toi aussi.” »

« Editions des Syrtes » : père Tikhon Chevkounov «Père Rafaïl et autres saints de tous les jours » ( 4 partie)
Savva Iamchtchikov, un restaurateur et critique d’art envers lequel le père Alipi était bien disposé, racontait :

– On m’a demandé pourquoi un si bel homme s’était retiré dans un monastère. On disait qu’il avait été gravement blessé et avait perdu la capacité de procréer... Un jour, il a lui-même évoqué le sujet et m’a dit : « Savva, toutes ces conversations sont vaines. La guerre était une chose si monstrueuse, si horrible, que j’ai promis à Dieu que si je survivais à cette terrible bataille, je me retirerais dans un monastère. Imagine un peu : un combat féroce, les tanks allemands qui franchissent notre ligne de front, écrasant tout sur leur passage, et dans cet enfer, voilà que j’aperçois soudain notre commissaire de bataillon qui enlève son casque, tombe à genoux et se met à… prier.

Oui, oui, il murmurait en pleurant les mots quasiment oubliés d’une prière et demandait au Tout Puissant, que la veille encore il insultait, clémence et salut. Et je l’ai alors compris : chaque homme porte Dieu en son âme et, un jour ou l’autre, vient à Lui… »

Les autorités s’ingéniaient par tous les moyens à anéantir le monastère.

Un jour, toutes ses terres agricoles, pâturages compris, lui furent brutalement confisquées sur ordre du soviet de Petchory. C’était au début de l’été. On venait juste d’emmener les bêtes paître et il fallut les faire revenir à l’étable. Dans la même période, sur une directive de Moscou, les travailleurs du comité régional du parti amenèrent au monastère une grande délégation de représentants des partis communistes frères.
Pour les régaler de passé russe, comme on dit. Au début, tout se déroula normalement. Mais alors que les « fils d’une mosaïque de peuples », admirant le calme et la beauté du monastère, flânaient entre les parterres de roses écloses, les portes de la cour de ferme s’ouvrirent soudain tout grand et, dans un grand mugissement de liberté retrouvée, surgirent les trente vaches du monastère au grand complet ainsi qu’un énorme taureau. L’opération avait été orchestrée par le père Alipi en personne.

Le bétail, queues dressées, mugissant et ivre de liberté se précipita pour brouter herbe et fleurs des parterres, tandis que les représentants
du mouvement communiste international, hurlant à pleins poumons en erses langues, se mettaient tant bien que mal à l’abri. Les travailleurs du comité régional se ruèrent sur le père Alipi.

– Vous voudrez bien m’excuser, soupira-t-il. Mais ces bêtes me font pitié ! Nous n’avons plus d’autres pâturages et sommes obligés de les faire paître à l’intérieur du couvent.

Le jour même, tous les pâturages furent rendus au monastère. Le père Nafanaïl distinguait comme l’une des épreuves les plus rudes le
jour où le monastère avait reçu un oukase interdisant la célébration dans les grottes d’offices pour les défunts. Cela signifiait que l’accès aux grottes n’était plus autorisé et que la fermeture du monastère s’ensuivrait. Le texte portait la signature de l’évêque de Pskov. Mais le père Alipi ordonna de continuer à officier dans les grottes comme si de rien n’était. En ayant eu vent, les autorités municipales accoururent pour savoir si le père avait bien reçu la directive de son supérieur. Celui-ci confirma.

– Pourquoi n’exécutez-vous pas cet ordre alors ? demandèrent les fonctionnaires indignés. À quoi le père répondit qu’il n’y obéissait pas parce qu’il avait été écrit sous la contrainte et par faiblesse de caractère.
– Et moi, je n’écoute pas les gens faibles de caractère, avait-il conclu,mais seulement ceux qui ont de la force d’esprit.

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Les offices religieux dans les grottes ne s’interrompirent pas.

La guerre livrée au monastère ne connaissait aucun jour de trêve. L’écrivain de Pskov, Valentin Kourbatov, se souvient : « Avant la visite d’une nième commission étatique venant fermer le monastère, le père archimandrite Alipi annonça sur les Saintes Portes que la peste s’était déclarée au couvent et qu’il ne pouvait permettre à la commission d’y pénétrer. Celle-ci était dirigée par Anna Ivanovna Medvedeva, présidente du comité régional à la Culture. Et c’est à elle que le père s’adressa : “Excusez-moi, ce ne sont pas mes idiots de moines qui
me font pitié. Ils sont de toute façon destinés au Royaume des cieux. Mais c’est vous, Anna Ivanovna, et vos chefs que je ne peux laisser entrer. C’est que je ne trouverais pas les mots qu’il faut pour répondre de vous à l’heure du Jugement dernier. Donc, pardonnez-moi, mais je ne vous ouvrirai pas.” Et, pour la unième fois, le voilà lui-même qui prend l’avion pour Moscou, fait des démarches, frappe à toutes les portes et finit, une fois de plus, par triompher. »

De même qu’un vrai guerrier distingue infailliblement ses ennemis, de même le père Alipi se montrait intraitable envers les démolisseurs conscients. Mais avec les simples gens il se comportait tout à fait différemment, y compris lorsque ceux-ci, par manque de discernement, ne savaient pas ce qu’ils faisaient.

Cela peut paraître étrange après les histoires que je viens de raconter ici, mais l’essentiel dans la vie du père Alipi, d’après ses propres dires, c’était l’amour. C’était lui son arme invincible et inconcevable pour le monde.

« L ’amour, disait ce grand supérieur, est la prière suprême. Si la prière est la reine des vertus, alors l’amour chrétien est Dieu, car Dieu est
Amour… Ne regardez le monde qu’à travers le prisme de l’amour et tous vos problèmes s’envoleront : vous verrez en vous le règne de Dieu, dans l’homme une icône, dans la beauté terrestre l’ombre de la vie au paradis.
Vous m’objecterez qu’il est impossible d’aimer ses ennemis. Souvenez-vous des paroles du Christ : “Tout ce que vous avez fait aux hommes, vous me l’avez fait à Moi.” Écrivez ces mots en lettres d’or sur les tables de la loi de vos cœurs, écrivez-les à côté de l’icône et lisez-les chaque jour. »

Un soir, alors que les portes du monastère étaient fermées depuis longtemps, le gardien accourut, épouvanté, chez le père supérieur et lui
annonça que des militaires en état d’ivresse voulaient pénétrer de force dans le monastère (on apprit plus tard qu’il s’agissait d’élèves parachutistes qui fêtaient chaudement la fin de leur scolarité dans leur chère école).
Malgré l’heure tardive, les jeunes lieutenants exigeaient qu’on leur ouvre incontinent toutes les églises du monastère, qu’on leur organise
une visite guidée et qu’on les laisse déterminer à quel endroit les popes retranchés là cachaient leurs nonnes.
Le gardien raconta horrifié que les officiers ivres s’étaient déjà munis d’une énorme poutre qu’ils utilisaient comme bélier pour défoncer le
portail.

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Le père Alipi s’éloigna dans ses appartements et en revint revêtu d’une vareuse militaire ornée de plusieurs rangées de médailles qu’il avait
enfilée sur son manteau ecclésiastique. Il jeta sa chape sur cet uniforme de façon à cacher les décorations et se dirigea vers les Saintes Portes
accompagné du gardien. De loin déjà, il comprit que le monastère subissait un véritable assaut.

Arrivé tout près, il ordonna de tirer les verrous et, instantanément, une dizaine de lieutenants se ruèrent à l’intérieur du monastère. Ils
s’attroupèrent, menaçants, autour du vieux moine emmitouflé dans sa chape noire et exigèrent à qui mieux mieux qu’on leur montre les lieux,
que l’on cesse de faire régner en territoire soviétique les lois de l’Église et de dissimuler aux futurs héros un musée du patrimoine appartenant au peuple tout entier.
Le père Alipi les écouta, tête baissée. Puis il leva les yeux et enleva sa chape… Les lieutenants se mirent au garde-à-vous, bouche bée. Le père les observa tous d’un air menaçant et demanda sa casquette au lieutenant qui se tenait le plus près de lui. Celui-ci la lui remit docilement. Le père vérifia qu’à l’intérieur du bandeau se trouvait bien, comme il était d’usage, le nom de famille de l’officier écrit à l’encre, puis il fit demi-tour et repartit chez lui.
Dégrisés, les lieutenants le suivirent d’un pas traînant. Ils murmuraient des excuses et demandaient que la casquette leur soit rendue. Les jeunes gens voyaient se profiler de sérieux désagréments. Mais le père Alipi ne leur répondait pas. C’est ainsi que les jeunes officiers parvinrent à son domicile et s’arrêtèrent, hésitants. Le supérieur ouvrit la porte et les invita d’un geste à entrer.

Ce soir-là, il resta avec eux jusqu’à une heure avancée de la nuit.

Il les régala comme lui seul savait le faire. Il leur fit visiter lui-même le monastère, leur montra les anciens sanctuaires, leur parla du passé glorieux et du présent fascinant du monastère. À la fin, il embrassa chacun d’entre eux comme un père et les récompensa avec prodigalité. Ils refusèrent, troublés. Mais il leur dit que cet argent que leurs grands-mères, leurs grands-pères et leurs mères avaient réuni leur serait utile.

Ce fut un cas particulier, mais pas unique en son genre. Le père Alipi ne perdait jamais sa foi en la puissance Divine capable de métamorphoser les hommes, quels qu’ils soient. Il savait d’expérience que bien des persécuteurs de l’Église étaient devenus chrétiens, soit dans le secret, soit ouvertement, peut-être même grâce aux propos sévères, décapants et pleins de vérité qu’ils avaient entendus de sa propre bouche. Des mois, et parfois des années plus tard, les ennemis d’hier revenaient vers lui, non plus pour molester le monastère, mais pour rencontrer en la personne du supérieur un témoin d’un monde autre, un pasteur et un guide spirituel plein de sagesse. Car une vérité prononcée sans crainte, pour amère et au premier abord incompréhensible qu’elle soit, reste gravée dans la mémoire d’un
individu. Et il la critiquera jusqu’au moment où il finira par l’accepter ou la rejeter à jamais. Les deux attitudes sont possibles....a SUIVRE

Éditions des Syrtes
74, rue de Sèvres, 75007 Paris
01 56 58 66 66 – edifin@worldonline.fr
www.editions-syrtes.fr

« Editions des Syrtes » : père Tikhon Chevkounov «Père Rafaïl et autres saints de tous les jours » ( 4 partie)

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 31 Janvier 2014 à 11:19 | 35 commentaires | Permalien



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