« En cette époque de faire-semblant, je m’efforce de rester intègre », une interview avec l’archiprêtre Georges  Mitrofanov
« En cette époque de faire-semblant, je m’efforce de rester intègre », une interview avec l’archiprêtre Georges Mitrofanov
Revue "Neskoutchny sad"
Traduction abrégée Nikita Krivochéine

NS : Quels sont, père Georges, vos rapports avec l’internet ? Quelles sont vos sources d’informations ?

p.G.M. : Je passe au moins deux heures par jour devant mon ordinateur. Je ne regarde presque pas la télévision, et surtout pas les journaux télévisés. Et, bien sûr, il y a toujours les livres. La lecture nous aide à penser de par nous-mêmes. Mes contacts avec les élèves de l’Académie de théologie de Saint-Pétersbourg le confirment. Internet nous offre une information en temps réel. Surtout ne pas laisser s’asservir par l’ordinateur.
A mes 54 ans le sujet qui me passionne le plus est l’histoire de l’Eglise orthodoxe russe. Je peux trouver tout ce qui m’intéresse dans les livres et dans les archives. Le destin de l’Union soviétique et même celui de la Fédération de Russie ne sont pas le premier de mes soucis.A l’époque Vladimir Soloviev avait questionné la Russie : « Quel Orient souhaite-tu être, celui de Xerxès, ou celui du Christ ? ». Gloire à Dieu, cette question n’a plus lieu d’être dans notre pays. Il est évident que lorsque nous étions un Etat communiste totalitaire et maintenant alors que nous sommes devenus un pays libre régi par la ploutocratie nous avons préféré dans les deux cas l’Orient de Xerxès.

La Russie a renié le Christ. Maintenant la même question se pose à l’Eglise : veut-elle être l’églises de Xerxès ou Celle du Christ ? L’Eglise à laquelle le Christ a dit : « Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on? Il ne sert plus qu'à être jeté dehors, et foulé ... ». Il m’importe plus, surtout aujourd’hui, de me préserver en tant que chrétien que de méditer en m’inspirant d’une information fugace du destin du pays où j’habite.

N.S. : Dites-vous que le chrétien ne doit pas aujourd’hui ne fût-ce qu’essayer de comprendre ce qui se passe dans notre vie politique et économique ?

p. G.M. Ma réponse sera simple : il ne se passe rigoureusement rien autour de nous. Nous sommes dans une époque de faire-semblant. Au XX siècle la Russie a perdu un très grand nombre de personnes honnêtes, sincères et conséquentes pour qui le parole et les actes ne faisaient qu’un. Nous sommes maintenant dans une société où le faire-semblant est devenu le mode d’existence du moindre effort. D’une société stable, telle qu’elle était avant la révolution de 1917 nous sommes passés à l’édification du communisme. Tous ou presque montaient aux tribunes pour y déclarer qu’ils bâtissaient le communisme, sans même comprendre ce que cela veut dire. Les slogans qu’ils éructaient étaient pour eux un mode de survie. De nos jours ce sont d’autres, parfois d’ailleurs les mêmes, qui ne jurent que par la Sainte ou par la grande Russie. Les mots se dévalorisent vite et toute initiative se voit rapidement privée de sa portée spirituelle. Nous sommes dans une époque de jeux de rôles, cela dans la vie politique, comme dans nos existences quotidiennes et c’est ce m’effraye. Il m’est difficile d’opérer un choix entre les récents mouvement de protestation et les meetings en soutien du pouvoir en place. La droite et la gauche me sont toutes deux étrangères et en même temps tout à fait connues. J’ai le sentiment que ces formes là de la vie politique sont en voie d’extinction.

N.S. : Il ne nous reste donc qu’à lire des livres et d’aller à l’église ?

p. G.M. : « Aller à l’église » est une expression que je déteste. Si nous « allons » à l’église , cela signifie que nous sommes hors de l’Eglise. L’Eglise, ce sont les chrétiens qui croient en le Christ. Je ne peux « aller en moi-même ». Soit j’existe, soit je ne suis plus. Piotr Tchaadaev disait au XIX siècle « il n’existe qu’une seule façon d’être chrétien, c’est de l’être entièrement ».

N.S. : Vous menez une vie simple, dans une HLM de la banlieue de Saint-Pétersbourg. Vous n’avez pas de voiture, de datcha, vous vous déplacez en transports publics…

p. G.M.: Cela n’a aucune importance. A mes yeux la perte de l’Eglise ne commence pas par savoir si un prêtre ou un évêque possèdent des biens terrestres ou sont affublés de tel ou tel défaut. La perte de l’Eglise survient lorsqu’un chrétien n’est plus à même de se contraindre à cesser de vivre en non chrétien. De nos jours il nous arrive de devenir chrétien en acceptant de participer à un jeu de rôle nommé « office orthodoxe ». Il ne s’agit donc pas « d’aller » à l’église mais d’être l’Eglise, cela au sein de sa famille, de sa paroisse et du cercle social auquel on appartient. Cela compte bien plus à mes yeux que des projets portant sur l’éducation, l’enseignement, religieux, la révolution, etc.

N.S. : Est-ce que vos proches partagent ces vues ?

p.G.M. : Nous parlons politique à la maison. Mon épouse est quelqu'un de très impressionnable et de très sensible. Son analyse de la vie moderne est quasi shakespearienne. Nous sommes d’accord en cela. Je suis né à Leningrad en 1958. Ma mère était documentaliste, mon père officier et ancien combattant. Mes parents se sont séparés alors que je n’avais pas encore deux ans. J’ai vécu toute ma jeunesse dans un appartement communautaire avec ma maman et ma grand-mère paralysée. J’éprouvais de l’hostilité à l’égard de mon père : il avant abandonné sa famille et il servait un régime qui avait détruit ma Russie. Je rêvais de fonder lorsque j’aurais grandi un foyer comme ceux qui existaient avant la révolution, un foyer traditionnel et orthodoxe. Ma femme a quitté son poste dans les archives afin d’éviter à notre fils d’aller dans les crèches et les jardins d’enfants que nous avions connus nous-mêmes. Nous tenions à éduquer notre fils et notre fille d’une manière non soviétique. Ils ont été formés dans un esprit de dévotion à l’égard des livres, de tout ce qui est culture. Ce sont des orthodoxes pratiquants. Notre fille est devenue médecin, notre fils soutient une thèse d’histoire médiévale. Ma famille évoque pour moi la vie des foyers de l’intelligentsia russe du début du XX siècle.

N.S. : Parlez-nous de votre paroisse, l’église Saints Pierre et Paul, située dans le centre-ville.

p.G.M.: Ce n’est que pendant deux ans que j’ai été en charge d’une paroisse très nombreuse, celle du cimetière Saint Séraphin de Sarov. Ces sept dernières années je suis le recteur de la paroisse Saints Pierre et Paul. Les fidèles viennent essentiellement de l’Université pédagogique. Ils sont tous instruits. Nous comptons près de 70 paroissiens fidèles, essentiellement des personnes de mon âge, c’est à dire entre 40 et 50 ans. La situation de l’Eglise leur tient à coeur. Tous participent aux Assemblées de la paroisse, nous nous efforçons de nous conformer aux décisions du Concile de 1917. Des contacts étroits existent entre nous. Je me perçois comme étant un paroissien parmi les autres. Mes homélies sont toujours improvisées, malheureusement souvent trop longues.
Je ne suis ni un ascète, ni un anachorète, ni un mystique, ni un grand savant. J’aspire simplement à être honnête avec mes paroissiens. Le problème essentiel de notre vie, de la vie de l’Eglise en particulier, c’est notre incapacité à parler vrai. Il nous faut cesser de mentir les uns aux autres et surtout à nous-mêmes pour pouvoir nous débarasser du monde illusoire dans lequel nous vivons.

N.S. : Trouvez-vous dans l’histoire des précédents à la situation qui est aujourd’hui la nôtre ? Ne percevez-vous pas autour de nous le retour de l’esprit de 1917 ? Ne craignez-vous pas d’être puni pour les choses très courageuses que vous dites ?

p. G.M. : Il y a trois, après la sortie de mon livre «La tragédie de la Russie : les sujets interdits de l’Histoire du XXe siècle» on m’a traité de tous les noms d’oiseau : traître « vlassovien » en soutane et dissident féroce. Je pense qu’il y a quelque chose de très authentique dans l’altérité de l’intellectuel. L’intellectuel rejette tout ce qui est hypocrite. L’essentiel est de rester soi-même, d’être un intellectuel dans le sens noble de ce terme.
Vous avez mentionné l’esprit de 1917. Comment ne pas évoquer le néo-communiste Serge Oudaltsov. Il prétend appartenir à « l’idée russe », alors que il n’est qu’un anarchiste pur sang, de ceux qui ont fomenté la révolution de 1905 et qui ont fait celle de 1917. Ces gens représentent la minorité. Il est difficile aujourd’hui de faire des analogies.

Vous avez parlé de provocations. L’hiver dernier je suis allé à Paris pour y présenter mon dernier livre « Les choix de l’Eglise orthodoxe russe au XX siècle » . Il y avait dans l’assistance des adversaires du patriarcat de Moscou appartenant à l’archevêché du patriarcat de Constantinople ainsi que des fidèles de l’Eglise orthodoxe russe. J’ai essayé d’expliquer les problèmes auxquels nous nous heurtons. Au cours du débat qui a suivi les fidèles du patriarcat de Moscou ont dit à leurs détracteurs « Vous voulez essayez de nous prouver que le patriarcat de Moscou est une entité étatisée, totalitaire et bureaucratique vivant dans l’unanimisme et le mensonge. Mais qu’en savez-vous ? Vous avez devant vous un prêtre appartenant au patriarcat de Moscou. Il est à la tête d’une chaire de l’Académie de théologie, il est membre de la commission synodale de canonisation ainsi de l’Assemblée inter conciliaire. Ce n’est pas quelqu'un en marge de l’Eglise, loin de là. Vous l’entendez exposer des vues qui contredisent la vision officielle. Il intervient systématiquement à la radio et à la télévision, il publie des livres. N’est-ce pas une preuve de ce que les choses ne vont pas si mal en Russie et au sein de l’Eglise russe ? » .

Les adversaires du patriarcat de Moscou ont répliqué : « Est-ce que de tels prêtres sont nombreux en Russie ? On laisse peut-être faire celui là pour donner le change et créer l’impression que le patriarcat le tolère afin de montrer qu’il existe en son sein une authentique liberté d’opinion ? »
Je ne tiens pas à approfondir. Que vaudrai-je en tant que chrétien si j’acceptai de penser à mon Eglise en ces termes ?

Revue "Neskoutchny sad"
Личность и Церковь: "Я хочу, по крайней мере, быть честным"







Rédigé par Parlons d'orthodoxie le 3 Septembre 2012 à 12:46 | 2 commentaires | Permalien



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