En préparant Noël: comment suivre le commandement
Père Alexandre Schmemann (1)

J'ai déjà parlé de ce que signifient dans l'Evangile les paroles du Christ "soyez comme des enfants". J'ai dit que l'enfance montre cette intégrité de la vision du monde, cette sincérité, cette ouverture et cette confiance, ce don de se fondre dans le tout qui appartiennent à l'enfance et que nous perdons sans retour quand nous quittons le paradis doré et entrons dans le monde "adulte", fracturé, gris, ennuyeux. Et c'est de là que vient: "si vous ne vous convertissez et si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume des Cieux." (Mt. 18:13).

Mais comment devenir "comme des enfants"? Comment revenir à ce paradis perdu? Comment reconstituer cette intégrité? En un mot, comment suivre le commandement du Christ "soyez comme des enfants"? Au lieu de répondre je veux vous raconter le récit de la conversion du célèbre écrivain français Paul Claudel. Claudel a perdu la foi dans sa jeunesse et s'est jeté tête baissée dans toutes sortes d'explications rationnelles, philosophiques et scientifiques, mais leurs contradictions et leur superficialité ont fait qu'il s'est senti complètement perdu.

. C'était à la fin du XIXe siècle, quand triomphaient toutes sortes de "positivismes", la foi illimitée dans la science, censée très bientôt fournir toutes les réponses; une époque où l'on attendait l'arrivée prochaine du paradis sur terre. Mais aucun triomphe de la science, aucune attente ne pouvait guérir cette étrange plaie qui saignait dans son âme.

"Tel était le malheureux enfant qui, le 25 décembre 1886, se rendit à Notre-Dame de Paris pour y suivre les offices de Noël. Je commençais alors à écrire et il me semblait que dans les cérémonies catholiques, considérées avec un dilettantisme supérieur, je trouverais un excitant approprié et la matière de quelques exercices décadents. C'est dans ces dispositions que, coudoyé et bousculé par la foule, j'assistai, avec un plaisir médiocre, à la grand'messe. Puis, n'ayant rien de mieux à faire, je revins aux vêpres. Les enfants de la maîtrise en robes blanches et les élèves du petit séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet qui les assistaient, étaient en train de chanter ce que je sus plus tard être le Magnificat. J'étais moi-même debout dans la foule, près du second pilier à l'entrée du chœur à droite du côté de la sacristie. Et c'est alors que se produisit l'événement qui domine toute ma vie. En un instant mon cœur fut touché et je crus. Je crus, d'une telle force d'adhésion, d'un tel soulèvement de tout mon être, d'une conviction si puissante, d'une telle certitude ne laissant place à aucune espèce de doute, que, depuis, tous les livres, tous les raisonnements, tous les hasards d'une vie agitée, n'ont pu ébranler ma foi, ni, à vrai dire, la toucher. J'avais eu tout à coup le sentiment déchirant de l'innocence, l'éternelle enfance de Dieu, une révélation ineffable." (2)

Voici le récit de Claudel. Et ce qu'il contient d'essentiel, ce sont ces mots mystérieux et étonnant sur "l'éternelle enfance de Dieu".

Cela signifie que "soyez comme des enfants" peut se traduire par "soyez comme Dieu Lui-même". Cela signifie que la foi, l'expérience religieuse constituent la pénétration mystérieuse dans l'être même de l'homme de la simplicité et l'intégrité Divines qui n'y existent plus, ne peuvent, hélas, plus exister dans notre connaissance adulte, rationnelle, disloquée par les acides de l'analyse. Cela signifie enfin que le don de la foi, ce don de la reconstitution de notre conscience enfantine originelle – nous vient de Dieu.

Car ce qu'il y a de plus étonnant dans le récit de Claudel c'est que cette conversion n'a pas détruit immédiatement ses autres points de vue et convictions. Il écrit: "Car mes convictions philosophiques étaient entières. Dieu les avait laissées dédaigneusement où elles étaient, je ne voyais rien à y changer, la religion catholique me semblait toujours le même trésor d'anecdotes absurdes, ses prêtres et les fidèles m'inspiraient la même aversion qui allait jusqu'à la haine et jusqu'au dégoût. L’édifice de mes opinions et de mes connaissances restait debout et je n'y voyais aucun défaut. Il était seulement arrivé que j'en étais sorti." (Ibid.)

Car l'expérience religieuse, et c'est bien de cela que parle Claudel, ce n'est pas un système d'idées mis au point par ce même raisonnement, vérifié par ce même type d'analyse. Les idées peuvent naitre de cette expérience, mais cette expérience, elle, ne nait jamais des idées. De cette expérience on peut faire sortir, évidement, des systèmes philosophiques et théologiques, des codes de règles morales et bien d'autres choses utiles. Mais rien de tout cela ne donne directement, et ne peut donner une véritable expérience religieuse. Elle arrive invisible et souvent par hasard. Elle arrive en ces rares instants où nous abandonnons notre état "d'adulte", ou tout au moins l'oublions un moment, pour redevenir des enfants, au moins en partie.

Telle est dans notre vie, tout d'abord, l'expérience de la beauté: est ce que le raisonnement nous a jamais appris quelque chose à propos de cette expérience? Mais nous voilà devant une œuvre d'art parfaite et nous en avons les larmes aux yeux. Telle est dans notre vie l'expérience de l'amour, mystérieux et anéantissant toutes nos facultés "adultes". Et telle est dans notre vie l'expérience encore bien plus mystérieuse, bien plus ineffable de la bonté. Tout cela c'est déjà un début d'expérience religieuse, qui ne se reconnait pas encore mais qui est infiniment miraculeuse. Tout cela est en nous la résurrection de l'enfant, car l'adulte n'a pas appris à parler de beauté, d'amour ou de bonté; et quand ces choses viennent à lui il doit, pour pouvoir les recevoir et les vivre, redevenir "comme un enfant".

Voila pourquoi la réponse à la question comment accomplir le commandement du Christ "soyez comme des enfants" ne vient pas du raisonnement. Cette réponse se trouve dans notre vie même, quand elle se concentre jusqu'à la limite du supportable dans l'amour, la joie, la peine, le ravissement; quand plus rien "d'adulte" ne peut plus aider, mais seulement gêner, et c'est alors notre "enfant" profond qui correspond à ce qui nous arrive.

Alors, en devenant "comme des enfants", nous pénétrons dans l'expérience de l'ineffable. L'expérience de la foi.

Père Alexandre Schmemann

Notes du rédacteur ( V. Golovanow)
(1) . "Сauseries sur Radio Liberté"; édition de l'université orthodoxe St Tikhon, Moscou 2009, tome 1 p.531-33. Titre original "Как исполнить заповедь". Traduction VG
(2) (1913) Contacts et circonstances, Œuvres en Prose, Gallimard, La Pléiade, pp.1009-1010. confirmation.sc.free.fr/Conversions/Paul_Claudel.doc

En préparant Noël: comment suivre le commandement

Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 6 Janvier 2014 à 10:20 | 0 commentaire | Permalien



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