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V.G.
D'après Dimitri Siniakov (maintenant hiéromoine Alexandre, recteur du séminaire russe d'Epinay s/Sénart)
Si les sacrements ne peuvent être célébrés que dans l'Eglise, communion de tous ceux que le Christ sauve, comment se fait-il que nous reconnaissions le baptême, la chrismation, l'ordination et parfois même l'Eucharistie des communautés avec lesquelles nous ne sommes pas en communion? En plus, si nous reconnaissons le baptême des hétérodoxes, cela n'implique-t-il pas que tous les autres mystères qu'ils célèbrent soient également valides? Pour quelle raison le Christ et son Esprit ne seraient-ils présents que dans le baptême?
Voici un éclairage de la doctrine de l'Eglise russe telle qu'elle est définie dans la "Déclaration sur les Principes régissant les relations de l'Eglise orthodoxe russe envers l'hétérodoxie"
D'après Dimitri Siniakov (maintenant hiéromoine Alexandre, recteur du séminaire russe d'Epinay s/Sénart)
Si les sacrements ne peuvent être célébrés que dans l'Eglise, communion de tous ceux que le Christ sauve, comment se fait-il que nous reconnaissions le baptême, la chrismation, l'ordination et parfois même l'Eucharistie des communautés avec lesquelles nous ne sommes pas en communion? En plus, si nous reconnaissons le baptême des hétérodoxes, cela n'implique-t-il pas que tous les autres mystères qu'ils célèbrent soient également valides? Pour quelle raison le Christ et son Esprit ne seraient-ils présents que dans le baptême?
Voici un éclairage de la doctrine de l'Eglise russe telle qu'elle est définie dans la "Déclaration sur les Principes régissant les relations de l'Eglise orthodoxe russe envers l'hétérodoxie"
A. LES DIFFERENTES APPROCHES THEOLOGIQUES
Dans son discoure précédant la publication de la "Déclaration" le métropolite Philarète de Minsk et de Biélorussie, président de la Commission théologique du Saint-Synode, chargée de la rédaction du document explique la démarche qui a présidé à l'élaboration de ce document. Il part du principe que l'Eglise est un organisme universel, supérieur aux Eglises locales, et que c'est ainsi qu'elle doit être comprise par les théologiens qu'il cite Ce sont les frontières de cette Eglise, désignée dans le document par les expressions Eglise universelle, Eglise du Christ et Eglise orthodoxe, qui sont considérées différemment par différents courants théologiques. Et, remarquant qu'il n'y a pas d'unanimité chez les théologiens orthodoxes sur la question de l'unité ecclésiale, Mgr Philarète analyse les différentes solutions proposées.
1) Une approche "scolastique"
Exprimée surtout par l'archevêque Nicodème Milach (1), une première école use volontiers du concept occidental de ex opero operato et fonctionne avec les catégories de la forme et du contenu. Le baptême ne peut être célébré validement que dans l'Église, puisqu'il est institué par son Chef, le Seigneur Jésus Christ, mais il est également possible et valide - mais illicite - lorsqu'il est administré dans une communauté schismatique en vertu de la foi et de l'intention ferme de baptiser la personne au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit et de l'intégrer dans
l'Église Catholique et Apostolique. En revanche, le baptême de ceux dont la foi en la Trinité est déformée n'est ni valide ni même chrétien.
Selon cette théorie les frontières de l'Église correspondent avec l'institution ecclésiale canonique, mais les communautés chrétiennes séparées ne sont pas considérées comme étrangères au Corps du Christ à cause de leur foi et de leur certitude d'être Église qui remplissent la forme vide des sacrements de ces communautés par la grâce divine.
Cette approche, répandue au XIXe siècle, présente un certain intérêt du point de vue canonique, mais elle est fortement influencée par la scolastique latine et Mgr Philarète la rejette pour son caractère formel et rationnel.
2) L'ecclésiologie «eucharistique» ou de communion
La deuxième approche est bien connue chez nous car c'est celle de Nicolas Afanassieff, Serge Boulgakov, Alexandre Schmemann(2), A. Kartachev (3) et P. Svetlov (4). Elle est présentée comme un refus de reconnaître au schisme une profondeur et un caractère absolu.
Il s'agit ici premièrement de l'ecclésiologie «eucharistique» ou de communion. Formulée par les pères Afanassieff et Schmemann, elle considère toute église locale, assemblée autour de la célébration eucharistique et de la figure de son président, évêque, comme la manifestation du Corps du Christ dans un lieu donné, la seule manifestation possible de l'Église catholique. Du fait que ces églises catholiques dispersées dans le monde entier sont chacune réalisation intégrale de l'Église de Dieu dont l'unité est conditionnée uniquement par la participation au même pain et à la même coupe, elles sont parfaitement identiques entre elles; ainsi leur pluralité ne porte aucune atteinte à l'unité de l'Église, pas plus que la célébration de l'Eucharistie simultanément dans des endroits différents ne détruit l'unité du Corps du Christ. Les églises séparées, dans une telle approche, pourraient chacune constituer l'Église catholique de succession apostolique malgré l'absence de communion visible entre elles.
Le professeur Kartachev fonde sa théorie de l'existence après le schisme de deux églises égales sur l'étude de l'histoire du christianisme, et notamment sur l'expérience des ruptures de communion dans l'Église ancienne. Il mentionne les schismes entre les Églises orientales et occidentales au sujet de l'arianisme (IVe siècle), entre l'Église d'Alexandrie et celle d'Antioche de 431 à 433, entre Rome et l'Orient à propos de l'édit de l'empereur Zénon et du patriarche Acace de Constantinople (484-519), ainsi que le célèbre schisme de Photius. Il en conclut que «L'Église universelle, une et inséparable, invisible pour nous, mais visible aux yeux de Dieu, continue à exister sur Terre, dans le monde entier, surpassant infiniment les frontières relatives de nos séparations confessionnelles». Pour Kartachev, ce n'est pas l'annexion d'une Eglise à une autre qui peut mettre fin au schisme, mais la réconciliation, la pax ecclesiastica, de deux «parties» de l'Eglise universelle, dont l'unité profonde et ontologique n'est, au fond, jamais détruite.
Avec Kartachev nous sommes dans un contexte ecclésiologique très différent de celui de N. Afanassieff. Le premier est fortement marqué par l'universalisme ecclésial et assimile la catholicité à l'universalité; il crée une distinction entre l'Église universelle invisible et les églises locales, ses parties, qui ne sont pas capables d'en révéler l'unité profonde. Le second, en revanche, ne peut admettre aucune autre manifestation de l'unité de l'Église que celle d'une communauté précise unie par le Christ lui-même en la Divine Eucharistie.
La notion de schisme, pour le père Serge Boulgakov, n'existe qu'à l'intérieur de l'Eglise. «Les parties séparées de l'Eglise, avec l'existence du moins de la succession apostolique, se trouvent dans une communion mystique invisible par les sacrements visibles, bien que rendus inaccessibles pour les autres, que chacune des églises séparées célèbre». Les divisions historiques sont superficielles et n'anéantissent pas l'unité mystique du Corps du Christ. «Le chemin de l'unité de l'Orient et de l'Occident, conclut le père Boulgakov, passe non pas par l'union de Florence, ni par les tournois des théologiens, mais par l'union devant l'autel».
Mgr Philarète regroupe ces approches ecclésiologiques et les conteste car elles ne parviennent pas à exprimer correctement «l'unité de la vie de grâce dans l'Église». Il semble impossible au métropolite Philarète, à la suite de l'archevêque Hilarion Troitsky (5), d'admettre que «deux corps juxtaposés ou deux arbres puissent avoir entre eux un lien organique (...) Le membre coupé doit mourir et se décomposer». Toutefois cette objection ne peut se rapporter totalement qu'aux théories de Kartachev et de Svetlov, exprimées avec exactement les mêmes critères ecclésiologiques universalistes, à savoir l'assimilation du Corps du Christ à l'Église universelle, à l'intérieur de laquelle les Eglises locales ne sont que des «membres». Or, l'ecclésiologie eucharistique de N. Afanassieff et A. Schmemann part de principes différents, presque opposés.
3) Suivre saint Cyprien de Carthage (6)
La troisième approche exposée par Mgr Philarète est celle qui suit à la lettre la doctrine des schismes de saint Cyprien de Carthage est représentée en particulier par A. S. Khomiakov(7), le métropolite Antoine Khrapovitsky(8) et l'archevêque Hilarion Troitsky. Ils ne reconnaissent aucune valeur sacramentelle aux rites de baptême des chrétiens séparés mais, pour expliquer le décalage qui existe entre ce point de vue et la pratique la plus fréquente de l'Église (on ne rebaptise pas pour ne pas scandaliser les schismatiques et en empêcher le retour dans l'Eglise), ils admettent que ce vide sacramentel puisse être empli en rendant aux rites sans signification ecclésiologique leur sens mystique et leur validité lors du retour du schismatique dans le sein de la vrai Église par une «économie» mystique de l'Esprit. Les sacrements pourraient donc être administrés aussi bien de façon ordinaire qu'extraordinaire, c'est-à-dire visiblement et invisiblement. Par exemple, le baptême serait compris dans la chrismation, voire la confession seule, pour un schismatique qui est reçu dans l'Église par un de ces deux moyens.
Il est évident pour Mgr Philarète qu'une pareille interprétation de la pratique ecclésiale est difficilement acceptable: les mystères de l'Église sont trop fondamentaux dans la vie de grâce des membres de l'Église pour être objet d'une pareille économie qui viserait à faciliter le retour des chrétiens séparés dans l'unité ecclésiale. En apprenant de semblables raisons de leur réception dans l'Église par les sacrements autres que le baptême, ils seraient probablement indignés plutôt que soulagés.
4) La voie suivie par l'Eglise russe
Pour le Métropolite Philarète, la doctrine prônée par le document conciliaire dépasse les défauts et comble les manques des trois théories qu'il a exposées dans son Discours: ceci est expliqué en détail dans la deuxième partie du discours. B. «Les principes fondamentaux régissant les relations de l'Église Orthodoxe russe avec l'hétérodoxie» ([voir aussi]url: http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/RELATIONS-DE-L-EGLISE-ORTHODOXE-AVEC-L-ENSEMBLE-DU-MONDE-CHRETIEN-ou-la-vision-orthodoxe-du-dialogue-OEcumenique_a2009.html )
La notion qu'a l'Église de sa propre nature définit sa relation envers les chrétiens des communautés séparées. La question du schisme ne peut être traitée séparément de celle de l'unité de l'Église, tout comme, dans le sens inverse, toute affirmation de l'unité du Corps du Christ nécessite une explication précise de l'existence, tout au long de l'histoire du christianisme, des ruptures entre ceux qui croient au même Seigneur Jésus-Christ. C'est cet objectif qui est posé dans le premier chapitre des "Principes", intitulé "Unité de l'Église et péché des séparations humaines". La Déclaration du Concile de 2000 suit un plan classique pour ce genre de documents qui part de l'étude de la doctrine sur l'unité de l'Église du Christ et se poursuit avec la profession du caractère anormal et douloureux des divisions entre les chrétiens et de la nécessité absolue pour la chrétienté d'aspirer à l'unité perdue. Le rôle de l'Orthodoxie dans le dialogue œcuménique est présenté comme la martyria, le témoignage catholique au sujet de la Tradition et de la foi apostoliques que les Églises orthodoxes ont conservée.
a) L'unité de l'Eglise.
L'unité de l'Église, de nature mystique différente de celle des corporations terrestres, est en deçà de toutes les frontières raciales, linguistiques et sociales. L'Église est le nouvel Homme, la descendance spirituelle du second Adam, la vigne qui a pour racine le Christ, le peuple de grâce et d'alliance. Son unité ne peut être qu'un don du ciel, divin et parfait; elle a été promise par le Christ à l'apôtre Pierre, elle est demandée par le Christ au Père dans la prière qui précède de quelques heures la Passion. L'Église est l'image de la Trinité Consubstantielle, car la multitude d'hommes de même nature y trouve son unité.
L'unité de l'Église a, pour le Concile, trois principes. Le premier et le plus important sont le Christ lui-même et l'Esprit: le Corps du Christ est un, car il n'a qu'un seul Chef et il est animé par un seul et même Esprit de Dieu. Le deuxième fondement de l'unité de l'Église est l'Eucharistie: c'est par la participation au même Pain et au même Calice que tous les fidèles, selon saint Paul, trouvent l'unité dans le Corps du Christ. Le troisième garant de l'unité est la succession apostolique de la hiérarchie ecclésiale et la Tradition d'origine apostolique. L'apostolicité de l'Église, pour le Concile, n'est autre chose que la succession apostolique du sacerdoce, par lequel «les dons de l'Esprit Saint sont communiqués aux fidèles». Cette hiérarchie d'origine apostolique est le garant de « la communion et de l'unité dans la vie de grâce».
«L'Eglise est de caractère universel; elle existe dans le monde en forme de diverses Eglises locales, mais l'unité de l'Eglise n'en est aucunement détruite». Dans la terminologie orthodoxe, l'expression «Eglise locale» désigne le plus souvent les Eglises autocéphales, patriarcats, archevêchés ou métropoles. Les Eglises autocéphales, comprenant plusieurs diocèses, sont présidées par un Primat et administrées par les Conciles locaux et le Synode, institution conciliaire permanente auprès du Primat. Le Concile de Moscou de 1917, rétablissant le Patriarcat de Moscou et de toute la Russie, a défini le diocèse comme «une partie de l'Eglise orthodoxe russe» et l'Eglise locale de Russie comme une partie de l'Eglise orthodoxe universelle. De même le Règlement de l'Eglise orthodoxe russe promulgué par le Concile de 2000 considère que «l'Eglise orthodoxe russe se divise en diocèses, églises locales présidées par un évêque».
Alors que les Eglises autocéphales orthodoxes, indépendantes entre elles, sont unies par les liens de charité et de concorde, sans aucune structure canonique universelle, la situation à l'intérieur de ces Eglises autocéphales est différente: les diocèses qui en font partie sont régis par des institutions canoniques de type synodal et leur communion est garantie par la primauté d'un évêque. Le Concile de 2000 considère donc chacune des Eglises locales comme manifestation parfaite de l'Eglise du Christ sur la terre; dans l'annexe à la Déclaration il ira encore plus loin et affirmera que toute assemblée ecclésiale possède la plénitude de la catholicité de l'Eglise et constitue, en réalité, l'Eglise catholique: «Chaque partie de l'Eglise, même la plus petite, même réduite à un seul fidèle, peut être nommée catholique».
b) La transgression du précepte de l'unité
«L'Église orthodoxe est la véritable Église qui garde intactes la Tradition sacrée et la plénitude de la grâce salvifique de Dieu. Elle a préservé en intégrité et pureté l'héritage sacré des Apôtres et des saints Pères. Elle reconnaît sa doctrine, sa structure liturgique et sa pratique spirituelle comme identiques à l'évangile des Apôtres et à la Tradition de l'Église ancienne».
Après avoir fait une telle déclaration, le Concile s'empresse d'expliquer que l'orthodoxie n'est pas une prérogative ou une épithète des Eglises orientales, mais une qualité intérieure de la doctrine et de la vie ecclésiales. L'orthodoxie signifie la fidélité absolue au kérygme apostolique et à la tradition patristique. Et comme le dit le métropolite Vladimir de Kiev, membre du Saint Synode et, bien entendu, du Concile de 2000, le fait que ce sont les Eglises orientales qui perpétuent l'Église catholique orthodoxe aujourd'hui n'a rien d'immuable ni de dogmatique: «Aujourd'hui l'Église orientale reste encore dans le sein de l'Église catholique, mais demain elle peut s'en écarter, tandis que l'Église catholique continuera à exister sur terre, peut-être, quelque part en Amérique ou au Japon».
Le document précise que ce n'est pas parce qu'une église est orthodoxe qu'elle ne peut être objet d'une critique et sujet de quelques erreurs historiques. «Il ne faut pas céder à la tentation d'ignorer les défauts et les non-réussites qui ont marqué l'histoire de l'Église». Notamment, l'on ne peut nier qu'à certaines époques de grandes parties du peuple de Dieu ont sombré dans l'hérésie. Combien de fois Constantinople fut-elle la scène de schismes et le berceau d'hérésies ! Alexandrie et Antioche ne pourraient se vanter d'avoir été moins souvent impliquées dans de fausses doctrines. Les Pères de l'Église donnent l'exemple d'autocritique et de réalisme historiques. Pour le Concile de 2000, cette expérience douloureuse d'hérésies et de schismes a justement forgé l'orthodoxie du peuple de Dieu; c'est au contact avec les doctrines erronées que furent formulés les dogmes catholiques et que l'Église a appris à être vigilante et à distinguer l'enseignement apostolique des égarements humains. «L'Église orthodoxe, témoignant humblement de la vérité dont elle est gardienne, garde également mémoire de toutes ses épreuves historiques».
c) Le «sceau» de l'appartenance au peuple de Dieu
Pour le Concile de 2000, le schisme est la séparation d'une communauté du plérôme de l'Église Orthodoxe. Le document sur l'hétérodoxie établit un parallèle entre un chrétien excommunié et un groupe schismatique de chrétiens. Lorsqu'un chrétien rompt les liens canoniques avec son Eglise locale et ne participe plus à son Eucharistie, il cesse d'être membre du Corps du Christ. Cependant, il garde un «sceau» de l'appartenance au peuple de Dieu et, à sa conversion, est reçu de nouveau à la communion sans être rebaptisé. De la même façon, les communautés séparées de l'Unité ecclésiale gardent avec le Corps du Christ un lien invisible. Ce lien est un gage de leur retour au sein de l'Église et de l'existence en elles d'une vie de grâce, quoique détériorée.
Le Concile proclame que le salut ne peut être trouvé que dans l'Église du Christ, qui est l'Église orthodoxe. Les hérésies sont «la conséquence de l'auto-affirmation et de l'enfermement égoïstes», contraires à l'Amour chrétien. Tous les schismes, même ceux qui ont pour cause autre chose que les différences doctrinales, aboutissent en fin de compte à des hérésies, car, séparées de l'unité de l'Église, les communautés schismatiques ne peuvent suivre le même sain développement théologique que l'Église et s'écartent progressivement de la tradition apostolique qui n'est réellement vivante que dans le Corps du Christ.
A l'instar d'un chrétien excommunié, les groupes séparés de l'Église conservent une communion imparfaite avec le Christ et la grâce de l'Esprit n'en est pas complètement absente. Ces chrétiens séparés ont en commun avec l'Église la confession du Christ comme Seigneur et Sauveur, la foi en Dieu Unique en trois personnes et «la piété sincère». Pour cette raison, à leur retour dans l'Église orthodoxe, les schismatiques ne sont pas nécessairement rebaptisés.
Le Concile confirme l'existence de trois formes de réception dans l'Église des chrétiens schismatiques: par le baptême, par la confirmation ou par la confession. Le degré de fidélité à la tradition patristique et conciliaire des communautés schismatiques est le critère qui définit la façon dont les chrétiens de ces groupes sont reçus dans l'Église. Le document souligne que l'évaluation de la mesure dans laquelle la grâce de l'Esprit peut être active en dehors de l'Église orthodoxe ne relève pas de la compétence d'un Concile, mais est le mystère de l'économie divine.
d) Les communautés séparées
La Déclaration énumère dans le paragraphe 1.13 les principales Eglises et communautés hétérodoxes - Coptes, Arméniens, Syro-Jacobites, Ethiopiens, Malabars, Catholiques Romains, et communautés issues de la Réforme -, mais ne donne aucune directive précise sur la façon dont il faut recevoir ces chrétiens dans l'Eglise orthodoxe, en se limitant à des affirmations générales.
En annexe à la Déclaration nous trouvons les analyses des relations entre l'Église orthodoxe russe et les «hétérodoxes», notamment, avec l'Église catholique romaine, les Églises préchalcédoniennes, avec les anglicans et les diverses branches de la Réforme. Ces textes décrivent la situation actuelle du dialogue des orthodoxes russes avec ces chrétiens et en esquissent brièvement l'histoire et quelques principes. L'annexe contient également un paragraphe, intitulé Participation aux organisations chrétiennes internationales et dialogue avec 'le mouvement œcuménique'. C'est une réponse à la douloureuse question de la participation de l'Église russe au Conseil œcuménique des Églises et aux autres organismes de ce genre. Le document présente l'histoire de cet engagement de l'Orthodoxie russe dans le mouvement œcuménique et souligne le sérieux avec lequel l'Église russe prend part au travail du COE. Le Concile y parle également de «la crise du mouvement œcuménique» et exige une révision complète des principes et des manières d'agir du mouvement œcuménique actuel que l'Église russe suppose être dominé par l'ecclésiologie protestante.
L'évaluation ecclésiologique précise de chacune des Églises hétérodoxes est absente des "Principes". Le texte mérite son titre, car le Concile se contente de tracer les grandes lignes de la réflexion sur l'approche des autres communautés chrétiennes, prises ensemble dans toute leur diversité.
Par ailleurs est intéressent de souligner la similitude dans le fond et la forme de l'article 1.13 avec le décret Unitatis Redintegratio du Concile Vatican II: les deux documents s'accordent pour affirmer, avec pratiquement les mêmes expressions, que des communautés et Eglises locales entières ont fait scission avec l'Eglise des apôtres et se sont coupées de la communion catholique.
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Notes du rédacteur
(1) Mgr Nicodème Milach (1845-1915), évêque de Zara (Serbie) en 1890.1911. Canoniste et historien, auteur de nombreux ouvrages dont un manuel de droit canon orthodoxe (1890 traduit en allemand, bulgare, grec, et russe). Il s'est rendu célèbre par un manifeste en faveur des secondes noces du clergé (1907).
(2) Pères Nicolas Afanassieff, Serge Boulgakov, Alexandre Schmemann: théologiens russes du XXe siècle appartenant à l'école théologique de l'Institut Saint Serge (Paris) appelée "école de Paris"
(3) Anton Vladimirovitch Kartachev (1875-1960) Dernier haut-procureur du Saint-Synode et ministre des affaires religieuses du gouvernement provisoire, théologien, historien de l'Église russe et activiste sociale. Il est membre fondateur et professeur de l'Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge de Paris (1925-1960) où il eut e particulier Jean Meyendorff et Alexandre Schmemann comme étudiants.
(4) Père Paul (Pavel) Svetlov (1861-1945). Professeur à l'Académie théologique de Kiev avant la révolution.
(5) Saint néomartyre archevêque) Hilarion Troïtsky (1886-1929, canonisé en 1999). Intervint au Concile de 1917-18 en faveur du rétablissement du patriarcat. Adversaire résolu de "l'Eglise Renouvelée" et compagnon du saint patriarche Tikhon, emprisonné aux Solovki en 1923 puis transféré de camp en camps, il mourut à Leningrad en 1929.
(6) Saint martyre Cyprien de Carthage (200-258), évêque de Carthage, Père de l'Église, l'un des rares théologiens occidentaux des premiers siècles avec saint Augustin.
(7) Alexeï Stepanovitch Khomiakov (en 1804-1860) théologien, poète et philosophe russe. Connu comme théoricien du mouvement slavophile il oppose le développement spirituel du monde orthodoxe à la décadence des Catholiques et Protestants qu'il renvoi dos à dos
(8) Mgr Antoine Khrapovitsky (1863-1936) fut un grand représentant du monachisme savant de la période fin XIXe - début XXe siècle. Membre du Saint Synode (1912) il recueil le plus de voix à l'élection du patriarche par le concile de 1917-1918 (mais le sort désigna alors le saint patriarche Tikhon parmi les 3 candidats élus). Contraint à l'exil il fonde le synode hors frontière (1920) qui deviendra l'Eglise Orthodoxe Russe Hors Frontières.
Europaica Bulletin
Dans son discoure précédant la publication de la "Déclaration" le métropolite Philarète de Minsk et de Biélorussie, président de la Commission théologique du Saint-Synode, chargée de la rédaction du document explique la démarche qui a présidé à l'élaboration de ce document. Il part du principe que l'Eglise est un organisme universel, supérieur aux Eglises locales, et que c'est ainsi qu'elle doit être comprise par les théologiens qu'il cite Ce sont les frontières de cette Eglise, désignée dans le document par les expressions Eglise universelle, Eglise du Christ et Eglise orthodoxe, qui sont considérées différemment par différents courants théologiques. Et, remarquant qu'il n'y a pas d'unanimité chez les théologiens orthodoxes sur la question de l'unité ecclésiale, Mgr Philarète analyse les différentes solutions proposées.
1) Une approche "scolastique"
Exprimée surtout par l'archevêque Nicodème Milach (1), une première école use volontiers du concept occidental de ex opero operato et fonctionne avec les catégories de la forme et du contenu. Le baptême ne peut être célébré validement que dans l'Église, puisqu'il est institué par son Chef, le Seigneur Jésus Christ, mais il est également possible et valide - mais illicite - lorsqu'il est administré dans une communauté schismatique en vertu de la foi et de l'intention ferme de baptiser la personne au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit et de l'intégrer dans
l'Église Catholique et Apostolique. En revanche, le baptême de ceux dont la foi en la Trinité est déformée n'est ni valide ni même chrétien.
Selon cette théorie les frontières de l'Église correspondent avec l'institution ecclésiale canonique, mais les communautés chrétiennes séparées ne sont pas considérées comme étrangères au Corps du Christ à cause de leur foi et de leur certitude d'être Église qui remplissent la forme vide des sacrements de ces communautés par la grâce divine.
Cette approche, répandue au XIXe siècle, présente un certain intérêt du point de vue canonique, mais elle est fortement influencée par la scolastique latine et Mgr Philarète la rejette pour son caractère formel et rationnel.
2) L'ecclésiologie «eucharistique» ou de communion
La deuxième approche est bien connue chez nous car c'est celle de Nicolas Afanassieff, Serge Boulgakov, Alexandre Schmemann(2), A. Kartachev (3) et P. Svetlov (4). Elle est présentée comme un refus de reconnaître au schisme une profondeur et un caractère absolu.
Il s'agit ici premièrement de l'ecclésiologie «eucharistique» ou de communion. Formulée par les pères Afanassieff et Schmemann, elle considère toute église locale, assemblée autour de la célébration eucharistique et de la figure de son président, évêque, comme la manifestation du Corps du Christ dans un lieu donné, la seule manifestation possible de l'Église catholique. Du fait que ces églises catholiques dispersées dans le monde entier sont chacune réalisation intégrale de l'Église de Dieu dont l'unité est conditionnée uniquement par la participation au même pain et à la même coupe, elles sont parfaitement identiques entre elles; ainsi leur pluralité ne porte aucune atteinte à l'unité de l'Église, pas plus que la célébration de l'Eucharistie simultanément dans des endroits différents ne détruit l'unité du Corps du Christ. Les églises séparées, dans une telle approche, pourraient chacune constituer l'Église catholique de succession apostolique malgré l'absence de communion visible entre elles.
Le professeur Kartachev fonde sa théorie de l'existence après le schisme de deux églises égales sur l'étude de l'histoire du christianisme, et notamment sur l'expérience des ruptures de communion dans l'Église ancienne. Il mentionne les schismes entre les Églises orientales et occidentales au sujet de l'arianisme (IVe siècle), entre l'Église d'Alexandrie et celle d'Antioche de 431 à 433, entre Rome et l'Orient à propos de l'édit de l'empereur Zénon et du patriarche Acace de Constantinople (484-519), ainsi que le célèbre schisme de Photius. Il en conclut que «L'Église universelle, une et inséparable, invisible pour nous, mais visible aux yeux de Dieu, continue à exister sur Terre, dans le monde entier, surpassant infiniment les frontières relatives de nos séparations confessionnelles». Pour Kartachev, ce n'est pas l'annexion d'une Eglise à une autre qui peut mettre fin au schisme, mais la réconciliation, la pax ecclesiastica, de deux «parties» de l'Eglise universelle, dont l'unité profonde et ontologique n'est, au fond, jamais détruite.
Avec Kartachev nous sommes dans un contexte ecclésiologique très différent de celui de N. Afanassieff. Le premier est fortement marqué par l'universalisme ecclésial et assimile la catholicité à l'universalité; il crée une distinction entre l'Église universelle invisible et les églises locales, ses parties, qui ne sont pas capables d'en révéler l'unité profonde. Le second, en revanche, ne peut admettre aucune autre manifestation de l'unité de l'Église que celle d'une communauté précise unie par le Christ lui-même en la Divine Eucharistie.
La notion de schisme, pour le père Serge Boulgakov, n'existe qu'à l'intérieur de l'Eglise. «Les parties séparées de l'Eglise, avec l'existence du moins de la succession apostolique, se trouvent dans une communion mystique invisible par les sacrements visibles, bien que rendus inaccessibles pour les autres, que chacune des églises séparées célèbre». Les divisions historiques sont superficielles et n'anéantissent pas l'unité mystique du Corps du Christ. «Le chemin de l'unité de l'Orient et de l'Occident, conclut le père Boulgakov, passe non pas par l'union de Florence, ni par les tournois des théologiens, mais par l'union devant l'autel».
Mgr Philarète regroupe ces approches ecclésiologiques et les conteste car elles ne parviennent pas à exprimer correctement «l'unité de la vie de grâce dans l'Église». Il semble impossible au métropolite Philarète, à la suite de l'archevêque Hilarion Troitsky (5), d'admettre que «deux corps juxtaposés ou deux arbres puissent avoir entre eux un lien organique (...) Le membre coupé doit mourir et se décomposer». Toutefois cette objection ne peut se rapporter totalement qu'aux théories de Kartachev et de Svetlov, exprimées avec exactement les mêmes critères ecclésiologiques universalistes, à savoir l'assimilation du Corps du Christ à l'Église universelle, à l'intérieur de laquelle les Eglises locales ne sont que des «membres». Or, l'ecclésiologie eucharistique de N. Afanassieff et A. Schmemann part de principes différents, presque opposés.
3) Suivre saint Cyprien de Carthage (6)
La troisième approche exposée par Mgr Philarète est celle qui suit à la lettre la doctrine des schismes de saint Cyprien de Carthage est représentée en particulier par A. S. Khomiakov(7), le métropolite Antoine Khrapovitsky(8) et l'archevêque Hilarion Troitsky. Ils ne reconnaissent aucune valeur sacramentelle aux rites de baptême des chrétiens séparés mais, pour expliquer le décalage qui existe entre ce point de vue et la pratique la plus fréquente de l'Église (on ne rebaptise pas pour ne pas scandaliser les schismatiques et en empêcher le retour dans l'Eglise), ils admettent que ce vide sacramentel puisse être empli en rendant aux rites sans signification ecclésiologique leur sens mystique et leur validité lors du retour du schismatique dans le sein de la vrai Église par une «économie» mystique de l'Esprit. Les sacrements pourraient donc être administrés aussi bien de façon ordinaire qu'extraordinaire, c'est-à-dire visiblement et invisiblement. Par exemple, le baptême serait compris dans la chrismation, voire la confession seule, pour un schismatique qui est reçu dans l'Église par un de ces deux moyens.
Il est évident pour Mgr Philarète qu'une pareille interprétation de la pratique ecclésiale est difficilement acceptable: les mystères de l'Église sont trop fondamentaux dans la vie de grâce des membres de l'Église pour être objet d'une pareille économie qui viserait à faciliter le retour des chrétiens séparés dans l'unité ecclésiale. En apprenant de semblables raisons de leur réception dans l'Église par les sacrements autres que le baptême, ils seraient probablement indignés plutôt que soulagés.
4) La voie suivie par l'Eglise russe
Pour le Métropolite Philarète, la doctrine prônée par le document conciliaire dépasse les défauts et comble les manques des trois théories qu'il a exposées dans son Discours: ceci est expliqué en détail dans la deuxième partie du discours. B. «Les principes fondamentaux régissant les relations de l'Église Orthodoxe russe avec l'hétérodoxie» ([voir aussi]url: http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/RELATIONS-DE-L-EGLISE-ORTHODOXE-AVEC-L-ENSEMBLE-DU-MONDE-CHRETIEN-ou-la-vision-orthodoxe-du-dialogue-OEcumenique_a2009.html )
La notion qu'a l'Église de sa propre nature définit sa relation envers les chrétiens des communautés séparées. La question du schisme ne peut être traitée séparément de celle de l'unité de l'Église, tout comme, dans le sens inverse, toute affirmation de l'unité du Corps du Christ nécessite une explication précise de l'existence, tout au long de l'histoire du christianisme, des ruptures entre ceux qui croient au même Seigneur Jésus-Christ. C'est cet objectif qui est posé dans le premier chapitre des "Principes", intitulé "Unité de l'Église et péché des séparations humaines". La Déclaration du Concile de 2000 suit un plan classique pour ce genre de documents qui part de l'étude de la doctrine sur l'unité de l'Église du Christ et se poursuit avec la profession du caractère anormal et douloureux des divisions entre les chrétiens et de la nécessité absolue pour la chrétienté d'aspirer à l'unité perdue. Le rôle de l'Orthodoxie dans le dialogue œcuménique est présenté comme la martyria, le témoignage catholique au sujet de la Tradition et de la foi apostoliques que les Églises orthodoxes ont conservée.
a) L'unité de l'Eglise.
L'unité de l'Église, de nature mystique différente de celle des corporations terrestres, est en deçà de toutes les frontières raciales, linguistiques et sociales. L'Église est le nouvel Homme, la descendance spirituelle du second Adam, la vigne qui a pour racine le Christ, le peuple de grâce et d'alliance. Son unité ne peut être qu'un don du ciel, divin et parfait; elle a été promise par le Christ à l'apôtre Pierre, elle est demandée par le Christ au Père dans la prière qui précède de quelques heures la Passion. L'Église est l'image de la Trinité Consubstantielle, car la multitude d'hommes de même nature y trouve son unité.
L'unité de l'Église a, pour le Concile, trois principes. Le premier et le plus important sont le Christ lui-même et l'Esprit: le Corps du Christ est un, car il n'a qu'un seul Chef et il est animé par un seul et même Esprit de Dieu. Le deuxième fondement de l'unité de l'Église est l'Eucharistie: c'est par la participation au même Pain et au même Calice que tous les fidèles, selon saint Paul, trouvent l'unité dans le Corps du Christ. Le troisième garant de l'unité est la succession apostolique de la hiérarchie ecclésiale et la Tradition d'origine apostolique. L'apostolicité de l'Église, pour le Concile, n'est autre chose que la succession apostolique du sacerdoce, par lequel «les dons de l'Esprit Saint sont communiqués aux fidèles». Cette hiérarchie d'origine apostolique est le garant de « la communion et de l'unité dans la vie de grâce».
«L'Eglise est de caractère universel; elle existe dans le monde en forme de diverses Eglises locales, mais l'unité de l'Eglise n'en est aucunement détruite». Dans la terminologie orthodoxe, l'expression «Eglise locale» désigne le plus souvent les Eglises autocéphales, patriarcats, archevêchés ou métropoles. Les Eglises autocéphales, comprenant plusieurs diocèses, sont présidées par un Primat et administrées par les Conciles locaux et le Synode, institution conciliaire permanente auprès du Primat. Le Concile de Moscou de 1917, rétablissant le Patriarcat de Moscou et de toute la Russie, a défini le diocèse comme «une partie de l'Eglise orthodoxe russe» et l'Eglise locale de Russie comme une partie de l'Eglise orthodoxe universelle. De même le Règlement de l'Eglise orthodoxe russe promulgué par le Concile de 2000 considère que «l'Eglise orthodoxe russe se divise en diocèses, églises locales présidées par un évêque».
Alors que les Eglises autocéphales orthodoxes, indépendantes entre elles, sont unies par les liens de charité et de concorde, sans aucune structure canonique universelle, la situation à l'intérieur de ces Eglises autocéphales est différente: les diocèses qui en font partie sont régis par des institutions canoniques de type synodal et leur communion est garantie par la primauté d'un évêque. Le Concile de 2000 considère donc chacune des Eglises locales comme manifestation parfaite de l'Eglise du Christ sur la terre; dans l'annexe à la Déclaration il ira encore plus loin et affirmera que toute assemblée ecclésiale possède la plénitude de la catholicité de l'Eglise et constitue, en réalité, l'Eglise catholique: «Chaque partie de l'Eglise, même la plus petite, même réduite à un seul fidèle, peut être nommée catholique».
b) La transgression du précepte de l'unité
«L'Église orthodoxe est la véritable Église qui garde intactes la Tradition sacrée et la plénitude de la grâce salvifique de Dieu. Elle a préservé en intégrité et pureté l'héritage sacré des Apôtres et des saints Pères. Elle reconnaît sa doctrine, sa structure liturgique et sa pratique spirituelle comme identiques à l'évangile des Apôtres et à la Tradition de l'Église ancienne».
Après avoir fait une telle déclaration, le Concile s'empresse d'expliquer que l'orthodoxie n'est pas une prérogative ou une épithète des Eglises orientales, mais une qualité intérieure de la doctrine et de la vie ecclésiales. L'orthodoxie signifie la fidélité absolue au kérygme apostolique et à la tradition patristique. Et comme le dit le métropolite Vladimir de Kiev, membre du Saint Synode et, bien entendu, du Concile de 2000, le fait que ce sont les Eglises orientales qui perpétuent l'Église catholique orthodoxe aujourd'hui n'a rien d'immuable ni de dogmatique: «Aujourd'hui l'Église orientale reste encore dans le sein de l'Église catholique, mais demain elle peut s'en écarter, tandis que l'Église catholique continuera à exister sur terre, peut-être, quelque part en Amérique ou au Japon».
Le document précise que ce n'est pas parce qu'une église est orthodoxe qu'elle ne peut être objet d'une critique et sujet de quelques erreurs historiques. «Il ne faut pas céder à la tentation d'ignorer les défauts et les non-réussites qui ont marqué l'histoire de l'Église». Notamment, l'on ne peut nier qu'à certaines époques de grandes parties du peuple de Dieu ont sombré dans l'hérésie. Combien de fois Constantinople fut-elle la scène de schismes et le berceau d'hérésies ! Alexandrie et Antioche ne pourraient se vanter d'avoir été moins souvent impliquées dans de fausses doctrines. Les Pères de l'Église donnent l'exemple d'autocritique et de réalisme historiques. Pour le Concile de 2000, cette expérience douloureuse d'hérésies et de schismes a justement forgé l'orthodoxie du peuple de Dieu; c'est au contact avec les doctrines erronées que furent formulés les dogmes catholiques et que l'Église a appris à être vigilante et à distinguer l'enseignement apostolique des égarements humains. «L'Église orthodoxe, témoignant humblement de la vérité dont elle est gardienne, garde également mémoire de toutes ses épreuves historiques».
c) Le «sceau» de l'appartenance au peuple de Dieu
Pour le Concile de 2000, le schisme est la séparation d'une communauté du plérôme de l'Église Orthodoxe. Le document sur l'hétérodoxie établit un parallèle entre un chrétien excommunié et un groupe schismatique de chrétiens. Lorsqu'un chrétien rompt les liens canoniques avec son Eglise locale et ne participe plus à son Eucharistie, il cesse d'être membre du Corps du Christ. Cependant, il garde un «sceau» de l'appartenance au peuple de Dieu et, à sa conversion, est reçu de nouveau à la communion sans être rebaptisé. De la même façon, les communautés séparées de l'Unité ecclésiale gardent avec le Corps du Christ un lien invisible. Ce lien est un gage de leur retour au sein de l'Église et de l'existence en elles d'une vie de grâce, quoique détériorée.
Le Concile proclame que le salut ne peut être trouvé que dans l'Église du Christ, qui est l'Église orthodoxe. Les hérésies sont «la conséquence de l'auto-affirmation et de l'enfermement égoïstes», contraires à l'Amour chrétien. Tous les schismes, même ceux qui ont pour cause autre chose que les différences doctrinales, aboutissent en fin de compte à des hérésies, car, séparées de l'unité de l'Église, les communautés schismatiques ne peuvent suivre le même sain développement théologique que l'Église et s'écartent progressivement de la tradition apostolique qui n'est réellement vivante que dans le Corps du Christ.
A l'instar d'un chrétien excommunié, les groupes séparés de l'Église conservent une communion imparfaite avec le Christ et la grâce de l'Esprit n'en est pas complètement absente. Ces chrétiens séparés ont en commun avec l'Église la confession du Christ comme Seigneur et Sauveur, la foi en Dieu Unique en trois personnes et «la piété sincère». Pour cette raison, à leur retour dans l'Église orthodoxe, les schismatiques ne sont pas nécessairement rebaptisés.
Le Concile confirme l'existence de trois formes de réception dans l'Église des chrétiens schismatiques: par le baptême, par la confirmation ou par la confession. Le degré de fidélité à la tradition patristique et conciliaire des communautés schismatiques est le critère qui définit la façon dont les chrétiens de ces groupes sont reçus dans l'Église. Le document souligne que l'évaluation de la mesure dans laquelle la grâce de l'Esprit peut être active en dehors de l'Église orthodoxe ne relève pas de la compétence d'un Concile, mais est le mystère de l'économie divine.
d) Les communautés séparées
La Déclaration énumère dans le paragraphe 1.13 les principales Eglises et communautés hétérodoxes - Coptes, Arméniens, Syro-Jacobites, Ethiopiens, Malabars, Catholiques Romains, et communautés issues de la Réforme -, mais ne donne aucune directive précise sur la façon dont il faut recevoir ces chrétiens dans l'Eglise orthodoxe, en se limitant à des affirmations générales.
En annexe à la Déclaration nous trouvons les analyses des relations entre l'Église orthodoxe russe et les «hétérodoxes», notamment, avec l'Église catholique romaine, les Églises préchalcédoniennes, avec les anglicans et les diverses branches de la Réforme. Ces textes décrivent la situation actuelle du dialogue des orthodoxes russes avec ces chrétiens et en esquissent brièvement l'histoire et quelques principes. L'annexe contient également un paragraphe, intitulé Participation aux organisations chrétiennes internationales et dialogue avec 'le mouvement œcuménique'. C'est une réponse à la douloureuse question de la participation de l'Église russe au Conseil œcuménique des Églises et aux autres organismes de ce genre. Le document présente l'histoire de cet engagement de l'Orthodoxie russe dans le mouvement œcuménique et souligne le sérieux avec lequel l'Église russe prend part au travail du COE. Le Concile y parle également de «la crise du mouvement œcuménique» et exige une révision complète des principes et des manières d'agir du mouvement œcuménique actuel que l'Église russe suppose être dominé par l'ecclésiologie protestante.
L'évaluation ecclésiologique précise de chacune des Églises hétérodoxes est absente des "Principes". Le texte mérite son titre, car le Concile se contente de tracer les grandes lignes de la réflexion sur l'approche des autres communautés chrétiennes, prises ensemble dans toute leur diversité.
Par ailleurs est intéressent de souligner la similitude dans le fond et la forme de l'article 1.13 avec le décret Unitatis Redintegratio du Concile Vatican II: les deux documents s'accordent pour affirmer, avec pratiquement les mêmes expressions, que des communautés et Eglises locales entières ont fait scission avec l'Eglise des apôtres et se sont coupées de la communion catholique.
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Notes du rédacteur
(1) Mgr Nicodème Milach (1845-1915), évêque de Zara (Serbie) en 1890.1911. Canoniste et historien, auteur de nombreux ouvrages dont un manuel de droit canon orthodoxe (1890 traduit en allemand, bulgare, grec, et russe). Il s'est rendu célèbre par un manifeste en faveur des secondes noces du clergé (1907).
(2) Pères Nicolas Afanassieff, Serge Boulgakov, Alexandre Schmemann: théologiens russes du XXe siècle appartenant à l'école théologique de l'Institut Saint Serge (Paris) appelée "école de Paris"
(3) Anton Vladimirovitch Kartachev (1875-1960) Dernier haut-procureur du Saint-Synode et ministre des affaires religieuses du gouvernement provisoire, théologien, historien de l'Église russe et activiste sociale. Il est membre fondateur et professeur de l'Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge de Paris (1925-1960) où il eut e particulier Jean Meyendorff et Alexandre Schmemann comme étudiants.
(4) Père Paul (Pavel) Svetlov (1861-1945). Professeur à l'Académie théologique de Kiev avant la révolution.
(5) Saint néomartyre archevêque) Hilarion Troïtsky (1886-1929, canonisé en 1999). Intervint au Concile de 1917-18 en faveur du rétablissement du patriarcat. Adversaire résolu de "l'Eglise Renouvelée" et compagnon du saint patriarche Tikhon, emprisonné aux Solovki en 1923 puis transféré de camp en camps, il mourut à Leningrad en 1929.
(6) Saint martyre Cyprien de Carthage (200-258), évêque de Carthage, Père de l'Église, l'un des rares théologiens occidentaux des premiers siècles avec saint Augustin.
(7) Alexeï Stepanovitch Khomiakov (en 1804-1860) théologien, poète et philosophe russe. Connu comme théoricien du mouvement slavophile il oppose le développement spirituel du monde orthodoxe à la décadence des Catholiques et Protestants qu'il renvoi dos à dos
(8) Mgr Antoine Khrapovitsky (1863-1936) fut un grand représentant du monachisme savant de la période fin XIXe - début XXe siècle. Membre du Saint Synode (1912) il recueil le plus de voix à l'élection du patriarche par le concile de 1917-1918 (mais le sort désigna alors le saint patriarche Tikhon parmi les 3 candidats élus). Contraint à l'exil il fonde le synode hors frontière (1920) qui deviendra l'Eglise Orthodoxe Russe Hors Frontières.
Europaica Bulletin
Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 11 Novembre 2011 à 12:54
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