FREQUENCE DE LA COMMUNION (1ère partie)
LA TRADITION RUSSE

Le Grand Carême est traditionnellement la principale période de communion en Russie. La demande de confession préalable atteint actuellement des sommets et provoque de véritables embouteillages, au point que certains recteurs n'hésitent pas à demander à leurs ouailles d'étaler leurs confessions, en évitant les 1ère et 6ème semaine du Carême et la Semaine Sainte, "pour laisser la possibilité de se confesser aux communiants occasionnels". Pour Pâques 2009, le patriarche avait d'ailleurs autorisé, à titre exceptionnel, de faire communier sans confession préalable. Cette situation, qui peut paraître étrange vue d'ici, conduit à se poser la question de la fréquence de la communion.
En Occident il y a une quasi-unanimité en faveur de la communion fréquente et nous concevons mal que la question puisse faire débat. Il n'en est pas de même en Russie où, si la majorité des gens d'Église est aussi favorable à la communion fréquente, il n'en est pas de même de la masse des fidèles: ils communient rarement, selon une tradition multi-centenaire, et leur position est défendue par quelques théologiens traditionalistes. Le débat a rebondi il y a 2 ans lorsqu'un journal connu pour ses positions conservatrices, "Blagodarnyy Ogon" a publié les articles des Pères Nicolas Kaverin et Vladimir Pravdoliubov qui forment le manifeste idéologique d'une "contreréforme liturgique".

CONTRE "L'ÉCOLE DE PARIS"

Ces deux textes considèrent la promotion de la communion "super-fréquente" comme la partie principale d'une tentative de rénovation liturgique qu'ils appellent "obnovlénie", terme extrêmement connoté puisqu'il désignait la prétendue Église vivante, lancée en 1922 par les Soviets pour tenter de déstabiliser l'Église russe. Les promoteurs de cette rénovation, cloués au pilori par nos auteurs, sont Mère Marie (Skobtsov) et les Pères Nicolas Afanasiev, Alexandre Schmemann, Alexandre Men, V. Lapchin et Georges Kochetkov, tous regroupés dans "l'école de Paris". Des paragraphes argumentés sont consacrés à la critique de leur doctrine, avec des accusations d'autant plus violentes qu'elles sont moins fondées.

Je ne vais pas me lancer dans l'étude détaillée des différents arguments car il y un grand nombre de textes en français présentant la théologie des partisans de la communion fréquente. Il semble même que cette position fasse la quasi-unanimité autour de nous, au point de laisser penser qu'il s'agit là de la doctrine unanime de l'Église. Or il n'en est rien, la pratique de la communion a beaucoup varié dans l'histoire de l'Église et les reproches faits à la systématisation de la communion fréquente méritent d'être regardés sérieusement: ils montrent à tout le moins les limites de cette pratique.
Le premier reproche qui est fait à "l'école de Paris",
c'est d'être sous influence catholique et protestante et, pour ce qui concerne la communion, c'est de la banaliser et d'amoindrir la préparation préalable. Il est vrai que lorsqu'on voit communier toute l'assistance d'une messe de mariage catholique, un dimanche après-midi, on peut se demander si c'est là le but recherché et, si non, comment prévenir une telle dérive…
J'utilise ci-dessous quelques éléments d'un grand article du p. Daniel Sysoev, docteur en théologie, professeur au séminaire de Perervin à Moscou, qui présente les thèses des conservateurs pour mieux se rallier, en définitive, aux partisans de la communion fréquente, tout en mettant justement en garde contre les risques de dérive.

POUR LE MAINTIEN DES TRADITIONS ORTHODOXES.


Les opposants à la communion "super-fréquente" ne fixent pas de limite précise.
Ils écrivent que cela doit faire l'objet d'une approche individuelle: "pour l'un ce sera quatre fois l'an, pour d'autres plus…", mais ils se référent à la tradition de l'Église orthodoxe. Rappelons les bases de cette approche que nos auteurs mettent en avant:

Fréquence: Saint-Dimitri-de-Rostov (+1709) écrit "La Sainte Église a codifié de communier au cours des quatre carêmes annuels, mais pour les analphabètes, paysans et laïcs travaillant de leurs mains, elle ordonne de communier sans faute une fois par an, vers la Sainte Pacques, c'est-à-dire durant le Grand Carême, sous peine de pêcher mortel pour insoumission et non-communion" (dans "Réponses à propos de la foi et de tout ce qu'il est indispensable de savoir à un chrétien" non traduit à ma connaissance). Les moines d'Optino devaient communier 6 fois par an, et plus souvent seulement sur autorisation du prieur, et j'ai déjà rapporté l'histoire d'un ermite des Solovki, qui survivait sur place pendent les premières années du Goulag; il avait raconté que, quand il était moine du monastère, il se rendait à l'église une seule fois par an, pour Pâques... Ce sont là les références de nos auteurs contre la communion "trop fréquente", c'est à dire à chaque liturgie, voire quotidienne, qu'ils considèrent comme participant du pêché (прелесть). Il apparait pourtant clairement qu'il s'agit là de minima qui ne peuvent être sérieusement opposés à un besoin de communier plus fréquemment.

Préparation: Le principal argument contre la communion fréquente est l'impossibilité de se préparer convenablement. En effet, le Typikon (ustav) impose un jeune préalable d'une semaine, pendent lequel on doit suivre quotidiennement les offices. À l'évidence cela ne peut s'appliquer qu'à ceux qui communient une fois par an et, dans la majorité des églises, on applique une approche graduelle qui a déjà été approuvée par deux réunions pastorales: à ceux qui communient mensuellement on demande 3 jours de jeune et la présence à l'office du soir, à ceux qui communient plus souvent, tous les 15 jours, 2 jours de jeunes et simplement s'abstenir de viande la veille pour ceux qui communient hebdomadairement. Tous doivent lire les 4 canons et se confesser.

D'ailleurs, à coté du fameux Typikon, on peut aussi se référer à une règle publiée dans les "sluzhebnik" (livre liturgiques contenant les prières fixes du clergé) approuvés par plusieurs conciles locaux de Moscou au XVIIe siècle, qui indique des règles pour se préparer qui sont les mêmes pour le prêtre et les fidèles (cela est souligné car bon nombre de prêtres qui appliquent des règles strictes à leurs ouailles ne les respectent pas eux-mêmes): lire une certain règle de prières, suivre le cycle liturgique complet le jour de la communion, s'abstenir de rapports conjugaux la veille, peu manger le soir, jeuner après minuit et se confesser en cas de pêché mortel (en cas de pêché véniel le sluzhebnik autorise la communion si le communiant se repent de ses pêchés)

La question de la préparation ne peut donc être un argument sérieux en faveur des communions espacées: on peut aussi se préparer comme il convient pour les communions fréquentes. Toutefois il y a là un important risque de dérive car certains des partisans de la communion fréquente ont trop tendance à relativiser l'importance de la préparation, voire à la passer totalement sous silence.

Dans la suite de l'article nous verrons que ce n'est pas la seule dérive reprochée à "l'école de Paris."

© Pour " Parlons d'orthodoxie" par V.GOLOVANOW


Rédigé par Vladimir Golovanow le 19 Février 2010 à 08:51 | 3 commentaires | Permalien



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