Colloque à l'Université sur la question de la primauté dans l’Eglise universelle Fribourg, 31 mars 2014 Apic

La question de la primauté dans l’Eglise universelle, débattue la semaine dernière à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg, est un des problèmes clés de l’ecclésiologie chrétienne. C'est ce qu'a souligné, au cours d’un séminaire tenu le 24 mars 2014, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, chef du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou (DREE).

Professeur titulaire de la Faculté de théologie de Fribourg, Hilarion Alfeyev a donné un exposé sur la position du Saint Synode de l’Eglise orthodoxe russe concernant la question de la primauté dans l’Eglise universelle. Il a relevé que ce thème "est un des problèmes clés de l’ecclésiologie chrétienne, au même titre que les thèmes de la conciliarité (sobornost) et de l’unité de l’Eglise".

Dans l’histoire de la réflexion théologique sur la primauté, le thème du primat du pape, formulé par l’Eglise catholique romaine, a longtemps dominé, constate-t-il. "La doctrine orthodoxe de la primauté dépendait donc fortement de cette discussion et se présentait principalement sous la forme d’une polémique anti-papiste".

Au XXe siècle, la situation a changé: des tentatives de développement positif, et non plus polémique, de la question de la primauté dans l’Eglise se sont fait jour dans la théologie orthodoxe. Ces tentatives ont engendré un débat théologique sur la primauté dans le milieu orthodoxe. "A l’heure actuelle, le thème de la primauté est l’une des principales questions dans le processus préparatoire du Concile panorthodoxe. Il est au coeur des échanges théologiques orthodoxes-catholiques", estime le métropolite Hilarion.

Une question ouverte également à l'intérieur du monde orthodoxe

La Commission internationale de dialogue orthodoxe-catholique s'est elle aussi tournée vers la question du primat. Depuis le début, il est bien évident que le primat n'est pas seulement controversé entre catholiques et orthodoxes, mais qu'il constitue également une question ouverte à l'intérieur du monde orthodoxe.

Dans ce cadre, Barbara Hallensleben, professeure ordinaire de théologie dogmatique et de théologie de l'oecuménisme à l’Université de Fribourg, a présenté pour l'Apic les perspectives de cette Journée d’études sur le "primat".

L’Eglise orthodoxe est l’Eglise des Conciles oecuméniques, l’Eglise des Pères, l’Eglise de la tradition apostolique ininterrompue – c’est ainsi que l’orthodoxie se présente dans le dialogue interchrétien. "Il est pourtant frappant de voir à quel point, ces derniers temps, les Eglises orthodoxes autocéphales ont souligné la nécessité d’un aggiornamento. Il faut, à leurs yeux, rechercher de nouvelles solutions pour répondre aux nouvelles questions qui se présentent dans la vie de l’Eglise".

Une réponse polémique venue de Constantinople

Des répercussions sur le travail théologique ne vont pas se faire attendre, estime Barbara Hallensleben. C’était bien visible lors de la Journée d’études qui s'est tenue le 24 mars 2014 à l’Institut d’études œcuméniques de l’Université de Fribourg (Suisse). L'occasion de l'invitation était le récent document de l’Eglise orthodoxe russe intitulé «La position du Patriarcat de Moscou au sujet de la primauté dans l’Eglise universelle"» (décembre 2013), et la réponse polémique du métropolite de Bursa, Elpidophoros Lambrianidis, premier secrétaire du patriarche Bartholomée, patriarche oecuménique de Constantinople.

Le titre pointu de sa réponse «Primus sine paribus» a inspiré le titre du colloque de Fribourg: «Primus inter pares? Primus sine paribus? Pares sine primo - La primauté dans le dialogue orthodoxe-catholique et interorthodoxe». L’unité de l’Eglise est-elle représentée par une primauté entre des égaux ? Par une primauté sans égaux ? Ou même par des égaux sans la figure d’un premier ? Telle était la question.

La Journée d’études a confronté les positions théologiques issues des traditions occidentale et orientale. Les conférenciers principaux présents à Fribourg étaient les métropolites Hilarion, le professeur émérite Peter Hünermann (Tübingen) et Mgr Dimitrios Salachas, exarque des chrétiens gréco-catholiques en Grèce.

Le Patriarcat oecuménique de Constantinople absent

Le métropolite Elpidophoros, également invité, avait annulé, à court terme, sa participation à la Journée d'études. Aucun autre représentant du Patriarcat œcuménique de Constantinople ne pouvant le remplacer, la Journée d’études s’est déroulée en forme de débat détaillé sur le document de Moscou et ses conséquences pour la préparation du futur Concile panorthodoxe ainsi que pour le dialogue orthodoxe-catholique.

Peu avant le colloque à Fribourg, tous les chefs des Eglises orthodoxes autocéphales (indépendantes sur le plan juridique et administratif) s'étaient rassemblés à Istanbul du 6 au 9 mars. Ils ont annoncé que le Concile panorthodoxe se tiendrait en 2016 – en ajoutant expressément: «si aucune circonstance imprévue ne vient l’empêcher».

Des modèles divergents, souvent même irréconciliables

Le Concile sera convoqué et présidé par le patriarche œcuménique, qui sera entouré, à un niveau d’égalité, par les chefs des autres Eglises orthodoxes locales. Chaque Eglise sera présente avec au maximum 24 évêques et aura une seule voix. Le Concile prendra ses décisions uniquement en cas d’unanimité.

Le métropolite Hilarion a formulé la tâche à un niveau de principe: «L’ecclésiologie est aujourd’hui le domaine de la recherche théologique, un domaine où les théologiens présentent des approches méthodologiques et des modèles divergents, souvent même irréconciliables, où ils polémiquent et ne manifestent pas pour l’instant de convergence. Cela s’applique aussi aux idées ecclésiologiques particulières, mais qui se trouvent en interaction, comme les concepts de primauté et de conciliarité».

Une théologie qui ne représente pas un consensus panorthodoxe

Ici il ne s’agit pas d’une application évidente de décisions des Conciles, de canons ou de textes des Pères, mais d’un processus à mener aujourd’hui sur la base de la réflexion théologique pour trouver un consensus ici et maintenant, relève la professeure Hallensleben. Selon le métropolite Hilarion, le document que la Commission mixte de dialogue avait adopté à Ravenne en 2007, en l'absence de la délégation russe, est marqué de façon unilatérale par l’approche théologique du métropolite de Pergame Jean Zizioulas, qui préside actuellement ensemble avec le cardinal Kurt Koch le dialogue international entre orthodoxes et catholiques. Du point de vue du métropolite Hilarion, cette théologie ne représente pas un consensus panorthodoxe et elle n’a pas la capacité de décrire de manière adéquate la réalité des Eglises orthodoxes contemporaines.

Le métropolite Hilarion est allé assez loin dans sa description d’un processus d’adaptation vivante de la tradition. A ses yeux, le canon 34 des apôtres, auquel le document de Ravenne fait référence, doit être adapté à la situation actuelle. Ce texte et son interprétation par la Commission mixte ne s’appliquent pas à la réalité de la diaspora orthodoxe d’aujourd’hui, car les paroisses de la diaspora ne sont pas soumises au «primus» local, mais au chef de l’Eglise orthodoxe d’origine. Les Eglises orthodoxes se trouvent dans une phase d'aggiornamento – avec une nouvelle prise de conscience d’elles-mêmes.

"Dès qu’on tourne le regard du primus vers les pares, on perçoit d’autant plus à quel point la réalisation de la synodalité de la vie ecclésiale peut être multiforme, conditionnée par les circonstances historiques et susceptible de changement", relève Barbara Hallensleben. Dans le document de Ravenne, on lit: «La conciliarité reflète l’image du mystère trinitaire et y trouve son dernier fondement». "Le fondement trinitaire ne nous dispense pas pourtant de prendre en considération la forme concrète de la synodalité de l’Eglise, c’est-à-dire la communion du primus avec les pares d’aujourd’hui. La "pluriformité" qu’on peut constater représente l’expérience condensée des différents contextes culturels et mérite une évaluation attentive qui peut contribuer à mieux se connaître et à apprendre l’un de l’autre".

Le sujet «La pratique contemporaine de la synodalité dans les traditions ecclésiales» ne pourrait-il pas constituer une alternative fructueuse à la situation actuellement bloquée dans le dialogue orthodoxe-catholique international ? Le métropolite Hilarion a formulé les conséquences de ses analyses de manière catégorique: "Le document de Ravenne dans sa partie sur 'La triple actualisation de la conciliarité et de l’autorité' n’est pas susceptible de créer un consensus panorthodoxe. Le dialogue entre orthodoxes et catholiques sur le primat ne peut pas continuer avant qu’un accord interorthodoxe soit trouvé. La signature du texte préparé actuellement pour la prochaine séance de la Commission mixte en septembre est exclue.

Divergence des approches catholique et orthodoxe

La contribution de Mgr Dimitrios Salachas a confirmé la divergence des approches catholique et orthodoxe: tandis que dans la tradition catholique, une distinction entre le pouvoir de l’ordre et le pouvoir de juridiction s’est formée, et la primauté du pape est conçue comme primauté de juridiction, la «primauté d’honneur» à la lumière des canons de l’Eglise ancienne est pensé strictement et uniquement sur la base de l’égalité de l’autorité sacramentelle de l’évêque. Grâce à la participation du théologien vieux-catholique Urs von Arx, la corrélation entre primauté et synodalité a pu être thématisée au-delà de la «famille orthodoxe», car elle doit impliquer la perspective d’une unité «pan-chrétienne».

La construction d’une Eglise orthodoxe contemporaine ne sera pas possible sans une déconstruction historique et systématique de beaucoup de formes coutumières de présentation de soi-même. Quant au professeur Peter Hünermann, il a présenté de manière magistrale, dans sa conférence sur la primauté de l’évêque de Rome, l’expérience catholique d’une approche autocritique concernant sa propre tradition. La contribution du métropolite Hilarion, conclut la professeure Hallensleben, représente un travail de pionnier concernant la présence contemporaine des Eglises orthodoxes, avec une nouvelle perception de soi.

V.G.

Rédigé par Vladimir Golovanow le 11 Août 2014 à 18:48 | 4 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Vladimir.G: Rendre à César le 11/08/2014 20:19
Ma contribution à ce texte s'est limitée à le signaler aux modérateurs...

2.Posté par justine le 13/08/2014 16:47
On ne peut que se réjouir de la position ferme de l'Eglise Russe exprimée au colloque de Fribourg par le métropolite Hilarion. C'est grâce à cette fermeté russe que l'Eglise (orthodoxe, s'entend) a été préservée jusqu'à présent des fâcheuses innovations dans ce domaine que le Phanar aurait bien aimé imposer, et nous devons être profondément reconnaissants à l'Eglise Russe pour cela.

On se réjouit moins de la déclaration de Barbara v. Hallersleben, comme quoi "Ici il ne s’agit pas d’une application évidente de décisions des Conciles, de canons ou de textes des Pères, mais d’un processus à mener aujourd’hui sur la base de la réflexion théologique pour trouver un consensus ici et maintenant." Car si la diaspora orthodoxe contemporaine est effectivement un fait aux dimensions nouvelles, cela ne veut nullement dire qu'on se meut ici dans un vide canonique, qu'on manquerait de précédents ou de directives des Saints Conciles et des Saints Pères. Il s'agit simplement de les trouver, car ils existent, puisque Dieu a prévu pour Son Eglise tout ce qui est nécessaire à son bon cheminement à travers tous les siècles. D'ailleurs le document russe sur la primauté nous en offre un bon exemple.

Il ne faudrait pas qu'on prenne la nouveauté de cette situation comme prétexte pour une "réflexion théologique" détachée de la Sainte Tradition (si on peut même honorer une telle réflexion de l'attribut de "théologique"). Et le terme "aggiornamento" (litt. "mise à jour") est certes fort mal choisi, d'abord, parce que la question de la primauté en Eglise orthodoxe (laquelle est l'unique Eglise universelle) n'a pas besoin d'être revue, elle est clairement définie par l'Evangile et la Sainte Tradition, pour autant qu'on veuille bien s'y rapporter, en ensuite parce que la solution du problème de la diaspora ne saurait être ni politique ni profane, mais elle sera évangélique et ecclésiale ou ne sera pas.

Pour ce qui est de la participation de l'"éveque" uniate grec Salachas à ce colloque, il aurait été préférable de passer outre, mais Vladimir nous sert évidemment un texte de source catholique (apic = agence de presse internationale catholique), puisque apparemment les sources orthodoxes lui font défaut...

3.Posté par justine le 13/08/2014 17:32
"La construction d’une Eglise orthodoxe contemporaine ne sera pas possible sans une déconstruction historique et systématique de beaucoup de formes coutumières de présentation de soi-même"

– Il n'est pas précisé duquel des orateurs émane cette phrase, du vieux-catholique von Arx ou du catholique Hünemann? Mais quoi qu'il en soit, elle en dit long sur les visées des catholiques et leurs alliés orthodoxes œcuménistes. Elle exprime en peu de mots tout le programme de la "théologie" post patristique laquelle ravage de nos jours les écoles théologiques et s'efforce d'oeuvrer au démontage de l'Orthodoxie. Il est toujours utile d'entendre les ennemis de l'Eglise se prononcer clairement et sans camouflage! Quant à l'issue de la bataille, elle nous est révélée d'avance dans l'Apocalypse.

4.Posté par Vladimir.G: les sources orthodoxes font défaut.. le 13/08/2014 23:03
" les sources orthodoxes lui font défaut.." Et oui. En auriez-vous Justine?

Il est quand même surprenant que ce colloque n'ait pas suscité le moindre écho côté orthodoxe; j'ai cherché en français, russe et anglais car je ne maitrise ni l'allemand (Fribourg) ni le grec...

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