GOGOL : UNE ICÔNE INACHEVÉE
Prêtre Vladimir Zielinsky

Moscou compte deux monuments à la mémoire de Gogol, l’un à 300 mètres de l’autre ; le premier est une version officielle soviétique du modèle 1952 (le centenaire de la mort de l’écrivain), flagellateur de la Russie tsariste, précurseur de la Russie de l’avenir radieux, l’autre (de 1909, le centenaire de sa naissance) représente une figure assise qui se protège contre le froid, un demi-sourire sur le lèvres, opprimée, évidemment malade. Ces deux images reflètent à leur manière l’ambiguïté intrinsèque qui a accompagné tout son destin humain et littéraire et qui dure jusqu’à nos jours.

Gogol reste une énigme à l’identité indéfinissable qui a laissé tant d’héritiers revendiquant des aspects différents de sa personnalité. Ukrainien de souche, il est devenu un magicien du récit russe dont chaque phrase offre une délectation particulière.

Paladin fervent de la Russie (Ukraine comprise), il a passé la plupart de ses années mûres en voyage en Europe. Maître de l’ironie, humoriste par la grâce de Dieu ou par la ruse du Malin qui a su cacher une étincelle de rire dans n’importe quelle combinaison des mots, il aimait répéter qu’il ne riait qu’à travers les larmes invisibles.

« Quelle est triste, notre Russie » - dit Pouchkine après avoir écouté les premiers chapitres du poème en prose « Ames Mortes », l’oeuvre majeure de Gogol.
Or, son auteur a voulu passer de son rôle d’accusateur farouche des vices à celui de prédicateur, presque un guide spirituel au service de la Russie. Mais son génie le quittait chaque fois qu'il essayait de tourner son sarcasme en sermon. Personnalité la plus dévote de tous les classiques russes, Gogol ne songeait qu’à une chose : servir par sa plume à l’Orthodoxie, éduquer la société de l’époque. Or, la société russe ne désirait que rire et pleurer avec lui sans écouter ses leçons de la bonne morale. Son livre « Passages choisis d'une correspondance avec des amis de 1846 a provoqué une riposte véhémente du critique littéraire Bielinski, père de l’intelligentia russe, et de sa colère est partie cette scission entre l’intelligentsia, toujours révoltée contre le Système, et les défenseurs de l’ordre actuel qui a fini par la dictature de l’utopie. Durant les 10 dernières années de sa vie Gogol a travaillé au deuxième tome des Ames Mortes où ces âmes auraient du finalement ressusciter, mais ces héros s’opposaient au projet de leur créateur et il les a brûlés deux fois avec son livre inachevé. Son décès à 43 ans qui a suivi la seconde exécution de son ouvrage reste dans l’histoire comme une tragédie du génie qui se conteste, qui veut se dépasser et qui a été vaincu par la réalité même qu’il a voulu transformer.

On dit qu’en Russie un poète est plus qu’un poète. Il devient parfois une icône. Pouchkine est un Mozart de la littérature russe ; Dostoevsky est un Virgile dans le purgatoire de l’âme slave, Tolstoï est comme un Homère, mais Gogol… ? Un railleur souffrant ? Un juge pénitent ? Un artiste tenté par le démon qui rêvait s’offrir en prophète ?
Aujourd’hui à 200 ans de sa naissance son image fascine et provoque encore, suscite de l'admiration mêlée à la sensation d'un drame vécu en profondeur qui n’a pas trouvé de dénouement.

"P.O." Expositions
Russie Romantique de Gogol et Pouchkine

Rédigé par Prêtre Vladimir Zielinsky le 13 Décembre 2010 à 16:41 | 0 commentaire | Permalien



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