Hégoumène Pierre Mechtcherinov : Débat sur l'état de l'Église
Cette opinion dans le journal en ligne de P. Pierre Mectvherinov (2) a évidement suscité de nombreuses réactions. Je doit dire que ce qu'il dit correspond bien à la réalité de l'Église en Russie, dont nous voyons parfois le reflet dans certaines crises chez nous, lorsque des prêtres venus de là-bas essaye d'employer les mêmes méthodes ici…

Toutefois je me permets de penser que sa conclusion est volontairement provocatrice: comme souvent le père Pierre veut provoquer une prise de conscience – et il y parvient!. Mais je suis persuadé qu'il y a aussi une solution passant par l'évolution des mentalités et des pratiques: il en est lui-même un parfait exemple et il y en a d'autres par exemple dans la mouvance de l'Institut Saint Philarète (2) et ailleurs, en particulier en particulier la plupart des prêtres que nous voyons officier autour de nous, ceux qui viennent se former ici dans le cadre du nouveau séminaire pour retourner en Russie… etc. Ils sont sans doute minoritaires actuellement, comme l'écrit le père Pierre, mais ils sont le levain… D'ailleurs toute la hiérarchie pensante de notre Église reconnaît la nécessité de changements et, comme je l'écris ailleurs, les premières restructuration montrent une véritable "remise en ordre de bataille", mais en se méfiants de réformes brutales qui risqueraient de provoquer autant de schismes…

Père Pierre Mechtcherinov

27 avril 2009
Je viens d’achever le nouveau livre du diacre André Kouraev Perestroïka dans l’Eglise (Перестройка в Церковь). Je suis presque à 100% en accord avec lui. Mais je garde un sentiment d’inachèvement. Je vais essayer de prolonger cette réflexion en exposant ma vision du problème de la mission aujourd’hui en Russie.

La mission, voilà ce que c’est : nous appelons les gens de l’« extérieur » à venir chez nous, à l’« intérieur » de l’Eglise. On peut appeler cela autrement : « L’Eglise va à la rencontre des gens », « l’Eglise est responsable devant ceux qu’elle a baptisés » etc. Mais peu importe le langage, ce qui compte, c’est le fond des choses. Et le fond des choses, c’est que la mission consiste à amener les gens dans l’Eglise. Le diacre André et avec lui quelques rares travailleurs dans le champ de la mission nous parlent des formes que prend cette démarche, de ses procédés actuels, enfin (ce qui est le plus important) de son contenu. Mein Freund vadimb en a aussi parlé d’une manière très expressive (ici).

Mais voici où le bât blesse. La mission, telle que la décrit le diacre André, crée une certaine image de l’Orthodoxie et invite les gens à entrer en son sein. L’Orthodoxie est présentée comme une tradition évangélique et patristique profonde, un christianisme authentique, dans lequel l’homme trouve la vie en Christ, la joie, la liberté, la sagesse, l’immortalité. Mais cette Orthodoxie existe dans la tête et dans l’âme du diacre André, dans la mienne (je prends l’audace de me placer dans la même rangée) ainsi que dans celles de quelques centaines, peut-être de quelques milliers d’orthodoxes de Russie. Cette Orthodoxie n’a presque rien à voir avec la vie ecclésiale réelle. Dans la réalité, l’orthodoxie est autre : une piété liturgique rigide, des pratiques de direction spirituelle autoritaires et mystificatrices, une morale et une spiritualité altérées, une pratique ascétique fondée sur le principe « l’homme pour le sabbat », et enfin un activisme politique passéiste et monarchiste (je laisse de côté comme secondaire par rapport à mon propos l’affairisme, les cas de grossière immoralité etc). J’évoque cela en dehors de tout jugement de valeur, me contentant d’énoncer un fait. L’orthodoxie réelle aujourd’hui en Russie est précisément ainsi. On peut dire autant qu’on veut qu’il s’agit d’altération, d’imitation, de pseudo-orthodoxie, mais à moins qu’on parle d’une orthodoxie purement nominale ou individuelle, la réalité sociale et traditionnelle de l’orthodoxie est précisément celle-ci et pas une autre.

Ainsi une question se pose : où entraînons-nous les gens ? Imaginons qu’on nous croie et qu’on vienne à nous. Et après ? Après, il se passe que nous invitions les gens dans les pays du sud et qu’ils se retrouvent au milieu des frimas. Est-ce de notre faute s’ils n’ont pas emporté des vêtements chauds ?

Voici la réponse à cette question. Deux voies sont possibles.

1) La première voie : Mettre la situation interne de l’Eglise en accord avec les méthodes de mission. Corollaire inévitable :

Mission = Réformation.

Un point c'est tout. Si nous entreprenons de nous occuper sérieusement de mission et que nous appelions les gens à venir à l’intérieur de l’Eglise, nous serons obligés de tout changer : modifier les offices, les approches en matière de direction spirituelle, supprimer ou alléger à l’extrême les périodes de jeûne, renoncer au lien Orthodoxie-Empire, constituer des communautés (j’ai déjà parlé, et j’écrirai encore, du peu de chance pour que celles-ci fonctionnent: ici ). Mais que signifie «supprimer». Il n’y a pas de sens à supprimer tout simplement quelque chose, si à la place on ne propose pas quelque chose d’autre de valeur supérieure ou au moins égale. Et bien ? Nous nous aventurons là dans une terre inconnue. C’est pourquoi (et là encore je m’abstiens de tout jugement de valeur) les « anti-missionnaires » ont dans un tel contexte absolument raison. Ils voient et sentent très clairement qu’une mission efficace ne manquera pas d’entraîner des réformes, et que les missionnaires passent cela sous silence, craignant de se l’avouer à eux-mêmes. Tout le livre du diacre André appelle cette conclusion, mais cette conclusion n’est jamais tirée. Les missionnaires disent : oui à la mission, non à la réforme. Et je dis cela aussi, bien que je ne sois pas un missionnaire, mais un catéchète. Cependant on ne peut aller contre la logique.

Les réformes… C’est bien ou c’est mal ? Objectivement, les changements sont absolument indispensables, sinon l’Orthodoxie est menacée de rouille à la manière des coptes, des arméniens, des jacobites etc. Subjectivement, je ne sais pas. Il faudrait que toute l’Eglise y réfléchisse et y travaille au lieu que le diacre André défende seul à cor et à cri avec quelques compagnons de combat la cause de la mission. Est-ce que notre Eglise dispose des ressources nécessaires ? Le désir de la hiérarchie est évident, mais pour ce qui est des ressources réelles, je ne sais pas…

2° La seconde voie. Elle consiste, en partant de la situation actuelle, à mettre les méthodes de mission en conformité avec la situation interne de l’Eglise (et je ne parle des formes, qui, justement, peuvent être celles qu'on voudra : rockers, bikers, discothèques etc, mais du contenu, de l’essence de la mission). Alors nous devons dire aux gens la vérité. Ne pas leur parler de l’Orthodoxie profonde, véritable, salvifique et splendide qui se trouve dans les livres et dans l’expérience d’une dizaine (pas plus) de nos missionnaires. Les gens attirés par la mission ne trouveront pas une telle orthodoxie dans notre vie ecclésiale. Il faut parler de l’orthodoxie telle qu’elle est. Aucune liberté. L’esclavage auprès des pères spirituels. « Tel un porc dans mes excréments ». Subcultures : « Religion de la nourriture » et « Religion du vocabulaire. » Zombification au moyen des « Saints Pères » présentés d’une manière déformée. Idéologie impériale. Argent et culte des honneurs. Voilà, chers amis, où nous vous entraînons. Nous aimerions vous proposer autre chose, mais nous n’avons pas le choix. Prévoyez des vêtements chauds.

- Mais pourquoi irions nous dans un tel endroit ? demanderont les gens et à juste titre.

Aller à contre courant. Recevoir des coups. Se frayer un chemin en solitaire vers le Christ à travers tout cela. Mieux vaut prévenir à l’avance : ce n’est pas à la portée de tout le monde. La plupart quitteront l’Eglise avec le sentiment d’avoir été floués, dans la mesure où la mission et la réalité étaient en complète inadéquation l’une par rapport à l’autre. Ou bien adopteront , par un tour de magie façon soviétique, les couleurs de l’orthodoxie telle qu’elle est.

- Il n’existe pas d’autre voie ?

- Chez nous, en Russie, non.

Notes:

(1) Site Acer http://www.acer-mjo.org/forum2/phpBB2/viewtopic.php?t=2008, traduction DS. Les renvois conduisent à des sites en russe.

(2)L'higoumène Pierre Mechtcherinov, rattaché au Monastère Saint Daniel, est le directeur de l'École de formation de cadres pour le travail avec les jeunes, au sein du Centre patriarcal pour le développement spirituel des enfants et de la jeunesse, auprès du monastère Saint-Daniel, à Moscou. Il est connu pour ses prises de position "progressistes" où il met en cause l'immobilisme et les mauvaises habitude de l'Église tout en proposant généralement des solutions courageuses qu'il essaye sans doute de mettre en œuvre dans ses formations.

(3) J'ai personnellement participé à quelques activités de cette fraternité, et je peux témoigner qu'on y trouve vraiment l'esprit de l'Orthodoxie idéale, telle que le décrit le P. Pierre au début. Et cela je l'ai rencontré d'Archangelsk à Riga (en passant par Moscou, évidement!)

Rédigé par Vladimir Golovanow le 15 Mai 2009 à 08:56 | 5 commentaires | Permalien



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