Higoumène Georges Leroy "Acquérir des Dons du Saint Esprit"
V.G. - Chroniques d'Abitibi

Dans "Chroniques d'Abitibi 7" le père Georges s'était installé au Québec dans un ermitage orthodoxe abandonné et en avait été expulsé par le primat de l'OCA à la demande de la communauté des fidèles orthodoxes russes dont dépendait l'ermitage. Il faut souligner que l'Archidiocèse du Canada de l'OCA reste très attaché à son origine russe: "Even though the Mother Church granted us self-governing status in 1970 with a new name, the Orthodox Church in America, we are that same Church established through the mission of St. Herman and others sent from Valaam Monastery to Alaska" proclame-t-il sur sa page de présentation, et ceci explique sans doute cela… Dans la chronique suivante, déçu par l'institution ecclésiale, il tente un retour dans le monde mais revient ensuite à l'Orthodoxie.

A l'écart de l'Orthodoxie

Ce qui m'avait le plus choqué, lors de l'épisode de mon expulsion de Rawdon, c'est que ces orthodoxes avaient nettement préféré que l'église de l'ermitage soit vide, plutôt que la louange divine y soit célébrée dans une langue autre que le Slavon. Cela me posait une question : étais-je en présence du christianisme ? Une Église qui appliquait l'ethnicité à un tel point avait-elle quoique ce soit à voir avec l'Évangile ? Cette Église pouvait-elle se réclamer du Christ ? Et ma réponse fut clairement: «non»

Higoumène Georges Leroy "Acquérir des Dons du Saint Esprit"
Dès lors, l'Orthodoxie avait perdu tout intérêt à mes yeux. Pendant toute ma vie, mes relations avec la structure ecclésiastique n'ont jamais modifié ni influencé la relation personnelle que j'ai avec le Christ. Il ne m'est jamais venu à l'esprit, l'idée de reprocher au Christ les déceptions que j'ai ressenties en présence de l'appareil ecclésiastique qui se réclamait de Lui. Je n'ai jamais compris les gens qui deviennent «athées» parce qu'ils ont vécu telle ou telle chose dans telle ou telle Église. Comme le dit le slogan qui avait été barbouillé sur les murs parisiens, en mai 68 : «la bave des crapauds n'atteint pas la splendeur des étoiles». Mon dialogue avec le Christ, avec Dieu, est une chose ; ce qui se passe avec une Église donnée en est une autre.

À cette étape de mon évolution intérieure, comme j'avais constaté que l'Orthodoxie n'était pas, en fait, le christianisme, il ne me restait plus qu'à tirer les conclusions qui découlaient de cette conviction. J'étais en Abitibi : je pouvais sans difficulté - ni vu ni connu - «disparaître» de l'horizon orthodoxe, sans scandaliser personne. D'ailleurs, pratiquement personne ne s'en est aperçu, et certainement pas mon évêque, car le trône épiscopal était vacant. Quelque temps plus tard, un évêque fut enfin nommé (note de VG: en 2009 Mgr IRÉNÉE (Rochon) fut nommé après une vacance de prés de vingt ans), pour reprendre les rênes de l'Archidiocèse du Canada, dans l’O.C.A. - Entre-temps, je m'étais aperçu de l'existence d'une antenne de l'Université du Québec, dans la région. Il s'agit de l’U.Q.A.T. : « Université du Québec en Abitibi Témiscamingue». - La théologie, c'est bien, mais ce n'est pas ce qu'il y a de mieux pour «faire bouillir la marmite»… L’U.Q.A.T. proposait des études en sciences sociales et en sciences de la gestion. Les sciences sociales auraient été plus accessibles pour un esprit littéraire comme moi; je choisis néanmoins les sciences de la gestion, pour leur polyvalence: quelle que soit la situation l'on se trouve, quel que soit le lieu où l'on habite, il faut toujours effectuer des tâches de gestion. Je m'inscrivis donc à cette Université régionale et je commençai les cours. Pour suivre les cours je louai une chambre d'étudiant à Rouyn, ville minière située à cent quarante kilomètres de mon domicile. Pendant toute la semaine j'y menais littéralement une vie d'ermite, entièrement passée à étudier, et je revenais à la maison pour les fins de semaine. J'ai fait ce trajet par tous les temps, dans toutes les conditions. En hiver, la nuit, lors de tempêtes de neige, il fallait surtout ne pas perdre des yeux les lumières rouges du véhicule qui me précédait, car c'était vraiment la seule chose qui était visible. Je conduisais en espérant que le conducteur de ce véhicule, lui, savait où se trouvait la route…


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En ce qui concerne les études, je n'étais pas particulièrement doué, à part – ô surprise ! - en marketing et en management. Il fallait bien passer au-travers des redoutables cours de Finance et de Statistique. Je n'avais jamais touché un ordinateur, tandis qu’une fée avait déposé un écran et un clavier dans le berceau de mes condisciples… Mais je connais bien la langue française : je pouvais donc corriger les très nombreuses fautes d'orthographe et de syntaxe de leurs travaux écrits, tandis qu'ils m’initiaient aux arcanes de l'ordinateur. À l'époque, il y avait encore des écrans orange sur fond noir, des imprimantes à aiguilles, de larges disques de plastique souple où l'on mémorisait les données. L’ordinateur était d’un emploi beaucoup plus compliqué et laborieux qu’aujourd’hui : la « souris » n’était même pas encore inventée !Tout ceci fut pour moi une merveilleuse occasion d'apprendre à connaître la « vraie vie » des gens qui m'entouraient, et la mentalité des habitants du Québec. Les étudiants étaient de diverses provenances ; un bon nombre d'entre eux avait déjà pratiqué une activité professionnelle, ce qui leur donnait une bonne maturité. Cette université régionale était de dimensions humaines: l'étudiant pouvait poser des questions au professeur ou au chargé de cours, qui restaient accessibles. Ce fut une expérience extrêmement intéressante, et mes relations avec les étudiants furent amicales et chaleureuses. Je garde un bon souvenir de cette époque.

Interdit

Un jour, je reçus la nouvelle du décès inopiné de ma mère, survenu à cause d'une crise cardiaque. Je fus donc présent aux funérailles, à Bruxelles. À mon retour, j'eus la surprise de trouver une feuille de papier pliée en quatre, glissée dans la contre-porte arrière de la maison. Souvent, dans les maisons québécoises, on n’entre pas par la porte située en façade, mais bien par la porte arrière, donnant généralement dans la cuisine. En déverrouillant la porte, je lus ce billet. Il était griffonné, d'une écriture furibonde. C'est l'évêque ! Chose extraordinaire, il était venu jusque dans ce coin reculé du Québec, et avait trouvé porte fermée. Il aurait pu m'écrire, ou me téléphoner. Le billet, écrit en anglais, disait que j'étais la personne la plus « brutale » qu'il avait connue, et que j'étais désormais interdit. Il faut dire que pour moi, l’«interdiction» était dépourvue de toute signification, car il y avait bien longtemps que je ne célébrais plus la Divine Liturgie. J’avoue que je n'en revenais pas : trouver cela, au retour des funérailles de ma mère ! J'écrivis une lettre à l'évêque, lui disant ma peine d'avoir trouvé cet écrit, s'ajoutant à la douleur ressentie après la mort de ma mère, et joignant à cette missive une copie du faire-part des funérailles.


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Tout cela renforça ma conviction du fait que l'Orthodoxie était étrangère à tout christianisme, à tout esprit évangélique, et bien sûr à l'enseignement du Christ. Les relations avec les étudiants de l'université, et avec les diverses personnes que je connaissais, était bien plus agréables et détendues que les emportements des ecclésiastiques. Un tel billet était un mystère : d'où venait la fureur de l'évêque ? Cela me paraissait démesuré et incompréhensible jusqu'à ce que je découvre un nid de guêpes accroché sous l’une des marches de l'escalier en bois: l'évêque avait malencontreusement mis le pied sur cet escalier et s'était fait attaquer par les guêpes qui y avaient construit leur nid, en mon absence. Probablement piqué par ces dangereux insectes, la fureur de l'évêque s'exprima sur cette feuille de papier, que je retrouvai à mon retour. Comme quoi, les guêpes peuvent avoir une influence déterminante sur une destinée dans l'Église !

"Acquérir des Dons du Saint Esprit, ici, maintenant, de façon tout-à-fait concrète."


Après la fin de mes études, je fis une tentative pour me réinstaller en Europe, à Bruxelles. Se retrouver dans une grande ville densément peuplée - comme le sont les villes européennes - habitant au sixième étage d'un immeuble, au milieu d'une circulation automobile démentielle, dans l'atmosphère saturée de stress et dans la pollution, tout cela excédait mes capacités psychologiques. Je n'étais plus fait pour habiter dans un tel contexte. Je revins donc en Abitibi. Les années s'écoulèrent ; le temps passa.

Finalement, j’en vins à me poser cette question : « qu'est ce qui, au juste, m'intéresse vraiment ? » La réponse est toujours la même - on ne se refait pas… - c'est la spiritualité, l'approfondissement de vie intérieure, la recherche de Dieu. Une rupture laisse toujours des traces. Et la « trace » que l'expulsion de Rawdon a laissée en moi, c'est le fait que, définitivement, je ne puis plus être «l'homme d'une institution». Avant, je pensais en termes de « structure » ; je me disais : «je vais fonder un ermitage» ; je voulais réaliser dans ma vie le modèle du parfait hiéromoine, avec l'idéologie monastique correspondante. Tout cela reste extérieur. Désormais, il m'est impossible d'être le protagoniste d’une institution ecclésiastique. L'important n'est pas là. L'important est d'être en dialogue avec le Christ, et d'être illuminé par l'Esprit. Ce ne sont pas des vains mots. C'est une réalité concrète et vécue. De toute manière, la vie qui s'étend devant moi est désormais plus courte que celle que j'ai derrière moi. Il devient urgent de s'orienter vers la vie spirituelle. Certes, nous avons besoin d'une institution, pour servir de cadre à la Divine Liturgie et pour recevoir les Sacrements. Mais le but de la vie terrestre, c'est, comme disait Saint Séraphin de Sarov, l'acquisition des Dons du Saint Esprit, ici, maintenant, de façon tout-à-fait concrète.

C'est pourquoi, un beau jour, je me résolus à prendre rendez-vous avec mon évêque, et de lui demander ma réintégration officielle dans le tissu de l'Église. Je m'attendais à de la suspicion de sa part, chose naturelle quand on voit revenir à soi quelqu'un qui avait disparu dans la Nature pendant des années. Ce fut tout le contraire : il me reçut à bras ouverts, et je ressortis de son bureau libéré de l'interdiction qui me frappait jusqu'à ce moment-là. Je fus bien surpris de cette rapidité.



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J'avais sa bénédiction pour tenter de réinstaller une présence orthodoxe en Abitibi…

C'était tout un programme ! Je n'avais plus à disposition les deux anciennes églises russes qui étaient en Abitibi - l'une à Val-d'Or, et l'autre en la ville de Rouyn - car ces bâtiments qui étaient désaffectés, avaient été vendus par l'Archevêché. Je n'habitais plus depuis longtemps la petite maison au fin fond de la campagne achetée après mon expulsion de Rawdon – je l'avais vendue, lors de mon départ en Europe. Mais j'ai pu acquérir à des conditions intéressantes, une maison plus proche de la ville d'Amos et joliment située sur les rives d'un petit lac avec un petit bois où se trouvait une clairière. Cet endroit me parut fait pour y construire une chapelle, car je ressentais le besoin d'avoir un lieu dédié à la prière. Dès que la décision de construire cette chapelle fut prise, un «hasard remarquable» - mais bien sûr en ce domaine, le hasard n'existe pas – a fait que les fonds nécessaires pour l'achat des matériaux furent disponibles et un ami charpentier proposa ses services pour la construction, pourvu que je lui serve moi-même de manœuvre. Ainsi donc, nous commençons la construction. J'allais apprendre mille choses sur les techniques de construction d'un bâtiment en bois. J'allais aussi apprendre à ne plus avoir le vertige !

Note du rédacteur: les photos illustrant cette chronique ont été faites par le père Georges.

Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 18 Juin 2013 à 11:11 | 4 commentaires | Permalien



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