Higoumène Georges Leroy: Dans l'Église, engageons-nous donc dans la direction de « ce en quoi nous sommes bons»
V! Golovanow

Chroniques d'Abitibi 6 :En attendant de poursuivre son autobiographie, le père Georges propose cette réflexion sur cette forme bien peu reconnue de l'engagement orthodoxe.

«Saint Séraphin de Sarov disait qu'aucun coup de torchon fait pour l'amour de Dieu, dans une église, ne sera oublié ! »

Aujourd'hui, la grande difficulté est de trouver des personnes qui veulent bien s'engager. On veut bien parler de l'Orthodoxie, mais de là à faire concrètement quelque chose, il y a un pas… De plus en plus, chacun passe du temps à « chatter » sur Internet, enfermé dans sa bulle. Le risque, c'est de préférer un écran, aux véritables relations humaines, tellement plus riches pourtant. Nous parlons d'engagement : mais de quel engagement s'agit-il au juste ? Un jour, lisant le Synaxaire, je suis tombé sur la vie de saint Érasme de Kiev (+ vers 1160, commémoré le 24 février).

Son exemple m'a frappé. Saint Érasme passa sa vie à embellir les églises de Dieu, à couvrir les icônes de rizas, à offrir aux sanctuaires des vases sacrés et des accessoires du culte. Mais, comme le dit le Synaxaire, vers la fin de sa vie, « il fut assailli par des pensées qui lui reprochaient d'avoir dilapidé en vain ses richesses pour les églises, au lieu d'en faire profiter les pauvres ». Le Synaxaire précise qu’il prêta attention à ces idées négatives, car il était « insuffisamment exercé à la lutte contre les pensées ». Le discernement appliqué aux pensées est effectivement une science subtile et profonde. En proie au doute, Saint Érasme tomba dans ce que l'on appelle aujourd'hui une dépression nerveuse.

Higoumène Georges Leroy: Dans l'Église, engageons-nous donc dans la direction de « ce en quoi nous sommes bons»
Les moines rassemblés autour de sa couche, ne savaient que faire : bien évidemment, à l'époque, une dépression nerveuse était plutôt rare et, de toute évidence, il n'existait pas de thérapie appropriée pour cette maladie. Soudain, Saint Érasme eut une vision : il vit tout d'abord apparaître saint Antoine et Théodose des Cryptes, qui l’encouragèrent. Et ensuite, ce fut la Très-Sainte Mère de Dieu elle-même qui lui apparut, entourée d'un grand nombre de Saints, et qui lui dit : « les pauvres, tu les as toujours et en tout lieu, mais il n'en est pas de même pour mes saintes églises.C'est parce que tu les as dignement embellies que je vais t'accorder une place dans le Royaume de mon Fils ». Saint Érasme, rempli de joie, se releva, complètement guéri de sa dépression. Trois jours plus tard, dans la sérénité, il remit son âme à Dieu.

Gardons-nous de sourire, devant une telle histoire.

Elle est bien plus profonde qu'il n'y paraît. Tout d'abord, je suis surpris par la « modernité » qui transparaît dans ce récit : jadis, les gens devaient faire face à des problèmes pressants de survie, et n'avaient guère le loisir de tomber en dépression... Saint Érasme est très « moderne » dans sa maladie même. - D'autre part, nous ne sommes pas accoutumés à voir une figure ancienne en proie à des doutes d'une telle nature. Généralement, les saints pères ascétiques sont assaillis de tentations très « classiques » : tentations de la chair, désir de s'approprier de la nourriture, jalousie, colère, etc.… Mais une remise en question de son propre empressement auprès de l'Église, c'est vraiment rare ! C'est bien pourquoi les frères de sa communauté monastique ne comprenaient vraiment pas ce qui lui arrivait. Mais le plus intéressant dans toute cette histoire, c'est bien sûr et bien évidemment la réponse que lui apporta la Très-Sainte Mère de Dieu. Et n'imaginons pas pernicieusement qu'il s'agisse là d'une sorte de « détour » afin de justifier l'enrichissement de l'Église. La problématique est tout autre : la Très-Sainte Mère de Dieu justifia la vocation spécifique de saint Érasme .

C'est dans le droit-fil de ce que dit Saint Paul : « pourvus de dons différents selon la grâce qui nous a été donnée, si c'est le don de prophétie, exerçons-le en proportion de notre Foi ; si c’est le service, en servant ; l'enseignement, en enseignant ; l’exhortation, en exhortant. Que celui qui donne, le fasse sans calcul ; celui qui préside, avec diligence ; celui qui exerce miséricorde, en rayonnant de joie » (Romains chap. 12, versets 6 et 7).

Higoumène Georges Leroy: Dans l'Église, engageons-nous donc dans la direction de « ce en quoi nous sommes bons»
Chacun a une vocation spécifique, et est appelé à l’exercer.

Nous passons une partie non négligeable de notre vie, à la recherche de « ce en quoi nous sommes bons ». Une fois qu'on l’a découvert - ce n'est pas chose facile, et cela ne se découvre pas sans avoir fait préalablement de nombreuses erreurs - il vaut infiniment mieux s'en tenir à sa vocation spécifique. Bien sûr, cela ne veut pas dire qu'il faille négliger en quoi que ce soit l'ensemble des préceptes que nous a donnés le Christ. Mais il s'agit de se garder de gaspiller ses forces en des domaines pour lesquels nous ne sommes pas appelés, et pour lequel d'autres seront nettement plus compétents et appropriés que nous. - En ce qui me concerne, certes, j'ai dressé une iconostase, j'ai placé des icônes, nous y chantons des psaumes et des tropaires, et je suis fort conscient du fait que ce n'est pas là l'accomplissement de l’un des commandements principaux de l'Évangile, qui est d'être assoiffé de justice et de venir en aide immédiatement à son prochain. Mais l'expérience et la vision de saint Érasme m’enseignent que je ne dois pas pour autant m’estimer être condamné par la Justice céleste : bien des signes montrent que je fais là ce qui m’est demandé, et ce qui correspond, tout compte fait, aux faibles talents qui me sont consentis. Quant à ce que cela donnera plus tard, et probablement bien après mon départ de ce monde, le Seigneur seul le connaît !

Dans l'Église, engageons-nous donc dans la direction de « ce en quoi nous sommes bons », nous préoccupant d'abord d'approfondir notre Être, bien avant que de remporter un succès quelconque en ce que nous faisons.


Higoumène Georges Leroy: Dans l'Église, engageons-nous donc dans la direction de « ce en quoi nous sommes bons»
PS- Photo: Illustration proposée par le père Georges . Juste à côté de la Chapelle, Mario, le Chantre (cf. Abitibi 5, commentaire ), étale au râteau, les derniers restes de neige, afin qu'elle fonde plus vite!

(*) Il est difficile de trouver des icônes anciennes de saint Érasme de Kiev. Les illustrations que je propose sont du XVIIe siècle. Il s'agit de "l'Arbre des saints des Grottes de Kiev (cathédrale de l'annonciation d'Ouglich, vers 1660, musée d'Ouglich) dont un détail montre Saint Erasme, et d'une gravure extraite datée de 1656 de Maître Elie, moine aux Grottes de Kiev.

Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 17 Mai 2013 à 10:49 | 0 commentaire | Permalien



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