Vladimir GOLOVANOW

Bien que l'Archevêché ait formellement changé plus de 10 fois de situation juridique de 1922 à ce jour, on constate une certaine continuité: fondé dans le Patriarcat de Moscou, il est passé à celui de Constantinople depuis 1931 "provisoirement" et au vu "d'une situation si difficile et dangereuse"… un provisoire qui perdure malgré quelques soubresauts et l'évidente disparition des "circonstances difficiles actuelles" qui le justifiait (les citations précédentes sont extraites du tomos de 1931

Les origines

Le synode hors frontières regroupait au départ tous les évêques de l'Eglise russe qui se trouvaient en dehors du territoire de l'URSS, sur la base du décret No 362 du Saint patriarche Tikhon (7/20 novembre 1920) autorisant une administration autonome des diocèses en cas de rupture des possibilités de communication avec le siège patriarcal. Mgr Euloge en faisait partie et a été nommé à la tête de "l'Administration provisoire des paroisses russes en Europe occidentale"; cette nomination avait été approuvée par le Saint patriarche Tikhon (décrets du 8 avril 1921, n° 423 & 424).

Le synode HF éclata en 1927: le métropolite Serge, locus tenens du trône patriarcal après que Saint Tikhon se soit endormi dans le Seigneur (1925), avait été incarcéré en 1926 et, en sortant de prison, avait publié la célèbre "déclaration du métropolite Serge" (16/29 juin 1927), qui permettait de légaliser l'existence de l'Eglise, jusque là illégale, en reconnaissant le pouvoir soviétique.

· Une partie des évêques "hors frontières" déclarèrent leur refus de cette "déclaration"; ils furent interdit puis excommuniés par le Saint Synode (1934) mais rejetèrent ces décisions et se constituèrent en "Eglise orthodoxe russe hors-frontières" (EORHF/ROCOR), en dehors de toute obédience canonique.

· Une autre partie, avec les métropolites Euloge (France) et Platon (Amériques), se désolidarisa de cette rupture et resta dans l'Eglise russe (Mgr Euloge avait déjà été exclu du Synode pour un désaccord à propos de l'Allemagne, dont la juridiction lui échappait). Les pourparlers de réconciliation avec l'EORHF, qui ont lieu en octobre 1935 à Belgrade sous la présidence du patriarche Barnabé de Serbie, n'aboutissent pas (malgré la réconciliation personnelle entre Mgr Euloge et Mgr Antoine (Khrapovitsky), primat de l'EORHF, qui avait été le professeur de Mgr Euloge à l'Académie de théologie. (Parmi ses autres étudiants il y avait aussi les futurs patriarches de Moscou saint Tikhon et Serge …) et l'Archevêché resta dans l'obédience de Constantinople. Métropole américaine restait alors de jure soumise à Moscou mais de facto autonome (proclamation du Concile panaméricain en 1924 sur la base du décret 362 mentionné ci-dessus) jusqu'à l'autocéphalie accordée en 1970 par Moscou; toutefois la Métropole s'est disloquée dès les années 1920 en plusieurs diocèses se réclamant de différentes Eglises-mères auxquelles ils se rattachèrent...

La rupture de Mgr Euloge avec le Patriarcat de Moscou eu lieu en 1930-31: il est démis de ses fonctions par Mgr Serge et le Saint Synode pour avoir pris part à des prières "pour l'Eglise russe souffrantes" organisées à Londres par l'Archevêque de Canterbury. Rejetant cette déposition et refusant d'obtempérer à sa convocation à Moscou, Mgr Euloge se rend à Constantinople et obtient le statut d'exarque à titre provisoire (tomos de 1931 cité en introduction).

Après la guerre

1945-46: Mgr Euloge déclare vouloir se réconcilier avec Moscou ( cf. Nicolas Ross) et demande son congé canonique au patriarcat de Constantinople, mais il ne l'a jamais reçu (Moscou "devait arranger les choses directement avec Constantinople"). Mgr Euloge est alors nommé exarque du patriarche de Moscou et le commémore avec Constantinople en (attendant le congé); il se fondait aussi sur le fait que le métropolite Antoine (Khrapovitsky) avait été exarque des deux patriarches de Moscou et de Constantinople en Ukraine et commémorait les deux (mai 1918 - mai 1919)...

Quand Mgr Euloge s'est endormi dans le Seigneur (8 avril 1946) le patriarcat nomme le métropolite Séraphim (passé de l'EORHF à Moscou) à la tête de l’Exarchat au lieu de Mgr Vladimir (Tikhonitsky), élu par l'Assemblée diocésaine; suivi par la majeure partie des paroisses Mgr Vladimir décide de rester dans la juridiction de Constantinople, statut confirmé par une lettre du patriarche MAXIME (6 mars 1947).

Commentaire: la double commémoration pratiquée par Mgr Euloge en 1945-46, après Mgr Antoine en 1918-19, l'est aussi par les monastères russes et serbes de l'Athos et en Terre Sainte ainsi que par des paroisses russes situées en dehors du territoire canonique du patriarcat de Moscou (Johannesburg, Athènes à vérifier…). Elle fait débat parmi les théologiens mais il faut souligner qu'elle a été acceptée sans aucune critique par les autorités canoniques concernées (patriarches et Saints Synodes). Il s'agit donc de précédents qui peuvent indiquer une idée de solution à certains conflits en cours…

1966-71: le patriarche de Constantinople Athénagoras décide de confier l'Archevêché «au souci et à l’amour paternel du patriarche de Moscou» (26 décembre 1965). L’Assemblée diocésaine refuse et décide la création d’un diocèse indépendant (février 1966). Puis c'est le retour sous la juridiction de Constantinople en qualité de "diocèse des églises russes en Europe occidentale" disposant d’un statut spécial d’autonomie interne et rattaché au patriarcat de Constantinople "par l’intermédiaire du métropolite [grec] de France, qui devait présider les Assemblées extraordinaires de l’Archevêché" (charte du patriarche Athénagoras Ier du 22 janvier 1971). Cette parenthèse est définitivement refermée par le Tomos Patriarcal de 1999 qui reprend et complète les dispositions du tomos de 1931.

Commentaires:
· La solution de ce changement d'obédience "provisoirement" et au vu "d'une situation si difficile et dangereuse" respecte l'esprit des canons: c'est une situation d'attente, acceptable tant que les circonstances ne permettent pas des relations normales avec le patriarcat concerné. Le moyen chois par Mgr Platon en Amérique tient du même esprit, en se fondant lui sur un décret pris en raison de circonstances exceptionnelles, alors que la rupture du Synode hors frontières va clairement à l'encontre des canons.
· La décision Constantinopolitaine de 1965 est généralement considérée comme très contestable: ainsi le P. Jean Meyendorff parle de "l'inconséquence" de Constantinople qui "annula sa juridiction sur le diocèse russe en France et l'appela à retourner sous l'omophore du Patriarcat de Moscou."(1) On peut en effet se demander en quoi les circonstances exceptionnelles qui avaient conduit au tomos de 1931 et à la confirmation de 1947 étaient changées en 1966, en pleines persécutions post-Khroutcheviennes et Guerre Froide. Le retour de 1971 et 1999 confirme cette analyse…


La situation récente de l'Archevêché est un autre débat…
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(1) In nécrologie du p. Alexandre Schmemann annexée à l'édition russe du Journal, après une 1ère publication ds St Vladimir's Theological Quarterly, 28, 1984, pp 3-10. Traduit du russe par V. Golovanow

Sources:

http://oltr.france-orthodoxe.net/html/rosstr1.html
http://ru.wikipedia.org/wiki/Евлогий (Георгиевский)
http://www.russianorthodoxchurch.ws/synod/history/his_rocornafanail.html
http://www.exarchat.org/spip.php?article14 http://www.oca.org/MVorthchristiansnamericaTOC.asp?SID=1
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" PO" tient à reprendre deux textes qui complètent l'éclairage donné par W. Golovanow
Nicolas Ross: Orthodoxie Russe en France (Trois essais non polémiques) Paris, novembre/décembre 2004
Basile de Tiesenhausen, Ancien Secrétaire de l’Archevêché Quelques faits et dates de l’histoire de l’Archevêché





Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 13 Juin 2011 à 12:41 | 18 commentaires | Permalien



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