Homélie du patriarche Cyrille pour le jour de la commémoration des Nouveaux Martyrs de Boutovo
Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Le Christ est ressuscité!

Ce n’est pas seulement les uns aux autres que nous adressons aujourd’hui cette salutation pascale mais aussi à tous ceux dont la vie s’est terminée ici. Les dépouilles de ces victimes innocentes gisent dans cette terre, alors que leurs saintes âmes séjournent aux cotés du Seigneur. Ceux qui ont été assassinés ici même glorifient avec nous le Christ Ressuscité se tenant dans la triomphante Eglise céleste.

Comment ne pas réfléchir en ce lieu de détresse à la terrible tragédie qui a frappé notre peuple ? Aux raisons de cette inimaginable cruauté, de ces suspicions infondées, de ces persécutions et de ces mises à mort ? Comment ne pas penser à ce que sont les limites de l’homme dans les manifestations de sa bonté, son potentiel de sainteté, de sa capacité de pêcher et de haïr? Comment se fait-il que les hommes ne se contentent pas de faire le mal mais trouvent des justifications intellectuelles, logiques, psychologiques et émotionnelles aux crimes qu’ils commettent ? Et il ne s’agit pas seulement des bourreaux en tant que tels mais aussi de ceux qui avaient décidé de lancer le génocide de leur propre peuple. Il s’agit aussi de tous ceux qui avaient applaudi ces décisions et qui s’étaient identifiés avec ces terribles exécutions.

Le passage des Actes des apôtres qui devait être lu aujourd’hui s’associe avec les évènements que nous commémorons. Il y est question du meurtre de l’apôtre Jacques par Hérode. Hérode ordonne de le décapiter croyant que cette exécution sera du goût de la foule. Souhaitant plaire à ceux qui persécutaient les premiers chrétiens il commet un crime et livre un innocent aux mains des bourreaux. L’histoire de l’Eglise si riche en souffrance évoque les premiers temps du christianisme.

L’image de Dieu Lui-même souffrant pour le genre humain est constamment présente dans l’histoire de l’Eglise. Le Sauveur a accepté la Croix sans s’être rendu coupable de la moindre faute, sans qu’il y ait la moindre raison à Son supplice. La haine des hommes ne pouvait accepter que Dieu se soit adressé au genre humain en la personne de Son Fils. Tous ceux qui ont continué de servir la vérité en Dieu ont pris des risques. Il y a eu des époques où c’étaient leurs vies qui étaient en jeu.

Nous honorons la mémoire de ces témoins de la Vérité. Ils allaient à contre-courant car la tendance n’était pas à aller vers Dieu, vers le salut mais tout à fait ailleurs.
L’Evangile de ce samedi contient un passage qui nous explicite le sens du drame que nous avons vécu. Nous y trouvons l’explication des persécutions systématiques souffertes par le Christ et par son Eglise. Même en temps de paix tout ce qu’accomplit l’Eglise suscite les critiques, la hargne et les calomnies. Pourquoi le monde fait-il preuve de tant de condescendance à l’égard de ses propres fautes ? Ceci alors que le moindre pêché humain, s’il est commis dans l’enceinte de l’Eglise est présenté comme un évènement d’une immense importance et suscite des campagnes de presse. Vous avez compris qu’il ne s’agit pas là d’un passé lointain mais de nos jours.

Mais pour quelles raisons des hommes ont ici, à Boutovo, froidement tué leurs semblables? S’agissait-il de rapprocher l’avènement d’une société juste au sein de laquelle tous seraient libres et égaux? Comment ne pas se poser la question: quelle est donc la nature de cette liberté qui doit être payée par de si terribles sacrifices, des crimes abominables et la privation de toute liberté?
Les paroles de l’Evangile selon Saint Jean que nous avons entendues aujourd’hui nous ont brûlé le cœur et nous ont permis de mieux comprendre les raisons de ce qui s’est passé en Russie à cette terrible époque: « Et vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libèrera ». Et les Juifs répondent d’emblée au Sauveur: «Nous sommes la descendance d’Abraham et jamais nous n’avons été esclaves de personne » (Jn, 8, 32-33). Les enfants d’Abraham s’inspiraient des lieux communs qui nous sont propres jusqu’à présent. Il faut entendre par cela que la liberté ne saurait être que politique et que si l’on est pas en esclavage cela signifie que l’on est libre. Or, le Seigneur a tout à fait autre chose en vue. Aux objections des Juifs qui insistent sur le fait de ne pas avoir été esclaves il répond: « Quiconque commet le pêché est esclave » (Jn,8,34). Cela signifie que les libertés extérieures, quelle que soit leur étendue, ne rendent l’homme libre.
L’homme est faible, il n’est pas difficile de l’asservir, de s’emparer de son esprit, de lui inculquer préjugés et lieux communs, de s’approprier les commandes de sa pensée et de son libre arbitre. Tout ceci est fort simple à réaliser à partir du moment où l’homme accepte de devenir l’esclave du pêché et de ses passions. Il suffit d’apprendre à gérer les passions, à commander le pêché pour avoir le sentiment d’être le maître du monde ? Mais tout est bien plus compliqué.

Ceux qui mettaient à mort leurs malheureuses victimes au polygone de Boutovo et partout dans notre pays de souffrances voulaient par leurs crimes et le sang versé obtenir une liberté qui en réalité conduisait à un nouveau système d’asservissement. Mais ceux qui devenaient les victimes de cette terrible machine de destruction, ceux qui ont péri à Boutovo, auxquels on tirait une balle dans la nuque avant de les jeter dans un fossé étaient en réalité des hommes libres. Leurs bourreaux n’étaient pas capables de comprendre que les fusillés étaient authentiquement libres. Les victimes n’avaient pas accepté de trahir pour sauver leurs vies. Ils étaient mis en rangs au bord des fossés, on les tuait. Ils montaient vers Dieu tels des anges car une liberté complète et absolue en Dieu leur était conférée.
Ce qu’ont vécu notre peuple et notre Eglise ne doit jamais être oublié !
Nous devons apprendre à ne pas céder aux tentations de ce monde. Ces tentations provoquent les passions, le pêché et nous asservissent, elles ne nous laissent pas comprendre ce qu’est la liberté authentique. Si nous parvenons à conjuguer la liberté intérieure chrétienne à une organisation juste de la société et de l’Etat, si nous réussissons à interdire les instituts de l’oppression et de l’asservissement de la personnalité nous aurons réussi à mettre en place une grande civilisation.
S’agit-là d’un rêve ou d’un espoir? Notre peuple saura-t-il accomplir tout ceci? Il se trouvera toujours dans le genre humain et au sein de l’Eglise du Christ des hommes qui refuseront d’accepter le pêché. Ceux là sauront toujours discerner le pêché de la Vérité.
Que Dieu nous aide à constamment avoir en mémoire les victimes de Boutovo et de réfléchir au passé et à l’avenir en vivant selon les admirables paroles de l’Evangile entendues aujourd’hui: « Et vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libèrera !»
Amen.

Traduction pour "P.O." Nikita Krivocheine
Site en russe Patriarchia.ru

Rédigé par l'équipe de rédaction le 1 Mai 2010 à 20:03 | 3 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par vladimir le 04/05/2010 11:17
Il est tout à fait remarquable que la commémoration des Martyres de Boutovo soit célébrée cette année le 1 mai, dernière des "journées révolutionnaires" encore fêtées en Russie. Célébrée pour la 11ème fois à Boutovo, cette commémoration marque en effet la victoire sur le bolchevisme, dont les bourreaux s'étaient particulièrement distingués ici.

Probablement organisée par Kroutchev, qui fit son rapport à Staline –"Moscou est prête pour la purge", l'usine de mort commença à fonctionner dans la nuit du 7 au 8 juillet 1936 avec "un débit moyen" de 500 fusillés/jour. Les bourreaux "travaillaient" 8h/jour. Tout était soigneusement consigné et archivé… (le compte rendu détaillé, hallucinant, est donné en russe sur http://blagovest-info.ru/index.php?ss=2&s=7&id=34084).

Au début de années 1990, le patriarche Alexis II bénit l'exhumation scientifique d'un charnier de 6x6 m: 72 corps étaient disposés sur 5 couches, leurs vêtements à leurs cotés… Les autres sépultures n'ont pas été touchées et le patriarche a appelé ce lieu "le Golgotha russe". Un site spécial est consacré au mémorial de Boutovo: http://www.martyr.ru/content/view/464/37/

La synaxe des Nouveaux martyres est commémorée 2 fois dans l'année: le 1er dimanche suivant le 24 janvier, qui rappelle la mémoire du 1er Néo-martyre, le saint archevêque de Kiev Vladimir par décision du Saint Concile de 1917-18, et le 4éme samedi après Pâques, qui tombe cette année le 1er mai. Les liturgies à ciel ouvert, présidées par le patriarche, sont concélébrées par plusieurs centaines de diacres, prêtres et évêques et rassemblent jusqu'à 5000 fidèles.

La forte homélie du patriarche, avec sa condamnation sans appel des crimes bolchéviques –" Et il ne s’agit pas seulement des bourreaux en tant que tels mais aussi de ceux qui avaient décidé DE LANCER LE GENOCIDE DE LEUR PROPRE PEUPLE. Il s’agit aussi de tous ceux qui avaient applaudi ces décisions et qui s’étaient identifiés avec ces terribles exécutions. … CE QU’ONT VECU NOTRE PEUPLE ET NOTRE EGLISE NE DOIT JAMAIS ETRE OUBLIE ! " – prend dans ce double contexte – 1er mai et polygone de Boutovo – une résonnance particulière

2.Posté par Tamara Schakhovskoy le 05/05/2010 12:40
Magnifiques paroles que je découvre aujourd'hui seulement, mais qui m'inspirent une forte émotion, et pourquoi ne pas le dire, une grande fierté d'appartenir à une Eglise conduite par un tel Patriarche. Mais comment donc fait-on, dans l'Archevêché constantinopolitain, pour continuer à cultiver la hargne et la méfiance, pour préférer les tribunaux à la main tendue, la calomnie et la basse magouille d'assemblée au retour naturel dans l'Eglise mère ? Pour persévérer dans l'idée que "Moscou, c'est la fin de toute liberté".... la liberté de tout renier ?
Que Dieu donne longue vie et santé au Patriarche Cyrille. Et qu'Il aide les yeux des aveugles à s'ouvrir. Que la sainteté de Boutovo rayonne sur nous tous, indignes que nous sommes...
Christ est ressuscité !

3.Posté par Anne Khoudokormoff-Kotschoubey le 18/05/2010 15:43
A l'attention de Tamara Shakhovskoy: je connais Boutovo depuis 2001, je l'ai fait aussi connaître au groupe des pèlerins de l'association saint Silouane (2003), mais outre ce qui est indicible concernant cet endroit, d'émotion et de gratitude, je voudrais juste vous dire qu'il y a un très beau texte "Abba, dis-moi une parole" dans ce site même! qui vous apportera, j'espère, comme il m'a apporté à moi-même, une consolation à ce qui nous meurtrit (hargne, haine, vengeance), c.à.d. le pardon à l'aveuglement. Cependant, j'ai confiance que notre temps n'est pas celui de Dieu, et Il choisira quand la fin de la cécité viendra, pour tous, et alors nous dirons "Merci, Seigneur".

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